31 janvier 2008

Le wikio nouveau est arrivé

Le nouveau "Wikio Top Blogs Politiques" vient de sortir. Quel que soit l'intérêt scientifique de ce classement, il semble bien mesurer quelque chose. Au fur et à mesure que la popularité de notre Très Grand Homme (TGH) s'éffrite, les blogs Vigilants et de gauche sont de plus en plus visibles sur ce classement. Ce qui est, de toute façon, une bonne chose.

Ainsi, Partageons mon avis réussit à engranger une place de plus, pour arriver en onzième position. Peuples.net monte en flèche à la 26e place; Victoire au poing, Ce n'est pas mon président, Torapamavoa, La France de demain, et Marc Vasseur montent aussi. Et votre serviteur garde une place qu'il est toujours aussi surpris d'avoir.

La meilleure nouvelle, à mon avis, est l'arrivée dans le classement de plusieurs blogs méritants : Lait d'beu de l'infatigable kamizole, Donatien et même Les coulisses de Sarkofrance (je dis "même", parce que ce n'est pas mal d'avoir son blog et son annexe dans le classement).

Désormais, on ne peut plus faire un pas dans la blogosphère sans tomber sur des anti-sarkozy de qualité. C'est bien.

30 janvier 2008

Relâchement

Hier je parlais de la politique de la recherche prônée par le rapport Attali. J'avais l'intention d'en venir au discours de notre Très Grand Homme (TGH) sur la même question, et puis tout est devenu trop compliqué. Tout à l'heure je me suis replongé dans le discours, et je tombe sur ceci (page 3 de la version pdf):

Je le dis au risque de choquer, mais on ne peut pas dire toujours des choses faciles. De mon point de vue, c'est bien au Parlement, au gouvernement, et particulièrement au ministère en charge de la recherche, qu'il appartient d'attribuer l'argent public et de fixer les orientations stratégiques. Ce n'est peut-être pas le meilleur système, mais tous les autres sont pires. Je ne sais pas, sinon, à quoi servirait un ministère de la recherche.

Ce n'est pas à un organisme, si grand, si respecté, et si puissant soit-il, de définir à lui seul la politique scientifique d'un pays. Ce n'est pas non plus à un collège électif de scientifiques de décider de cette politique, car la science ne doit pas fonctionner en boucle fermée, la science doit rendre des comptes à la société.

Sarkozy, donc, le Très Grand champion de l'"autonomie" des universités, défend ici l'idée selon laquelle seul l'Etat, et surtout le Ministère de la Recherche, est apte à déterminer une politique de recherche. Car, comme il le dit, "la science doit rendre des comptes à la société." Comme je le disais hier, nous sommes bien dans l'optique d'une science utilitaire, soumise aux exigences passagères et temporelles des gouvernements. Tant pis pour l'initiative individuelle. Tant pis pour l'indépendance de la recherche. Mais nous avons compris déjà depuis longtemps que Sarkozy n'est pas un libéral (c'est-à-dire un vrai libéral) mais un étatiste, qui conçoit la politique comme une manière de contrôler les administrations de l'état dans une relation finalement antagoniste, et de soumettre l'état aux besoins des entreprises (tandis qu'un libéral se contenterait de laisser les entreprises évoluer sans intervenir -- mais alors c'est difficile d'être si "volontariste").

Mais si j'ai cité ce passage, c'est pour m'émerveiller devant ce petit bijou de logique politique :

Ce n'est peut-être pas le meilleur système, mais tous les autres sont pires. Je ne sais pas, sinon, à quoi servirait un ministère de la recherche. (C'est moi qui souligne, o16o.)

D'abord, il n'a pas prouvé que tous les autres systèmes sont "pires", laissant la référence à Churchill remplacer la démonstration. Le pire, pourtant, c'est le clou de son argument : "Je ne sais pas, sinon, à quoi servirait un ministère de la recherche". Oui, merde, on a ce ministère, il va bien falloir lui trouver une occupation. Sinon, on ne sait pas à quoi il pourrait bien servir.

Je reviendrai plus tard à la question de la recherche, mais ma question pour aujourd'hui est la suivante : qui écrit les discours du TGH? Comment peut-on expliquer une argumentation si faible? Y a-t-il un relâchement à l'Elysée qui fait que désormais on sort n'importe quelle banalité pour meubler pendant les céremonies? Ce sont les stagiaires qui décident tout maintenant? Je commence à m'inquiéter, moi.

UPDATE: Monsieur Poireau nous parle de la science aussi.

29 janvier 2008

Attali et la recherche

Difficile de trouver un titre pour parler des nouvelles propositions sarkozy-attalistes concernant le monde de la recherche : "précarisons la recherche", "la recherche sans chercheurs"... on verra si je trouve quelque chose avant la fin du billet.

Le problème (pour trouver un titre, et pour cerner ce que le Pouvoir nous prépare), c'est que la recherche est devenue une cause universellement reconnue : personne n'est contre la recherche. L'enjeu, apparamment, pour Sarkozy, est d'imposer à ce monde, comme aux autres, son style particulier : l'état au service de l'entreprise. Encore une fois, ce n'est pas vraiment du libéralisme (l'entreprise se débrouille sans l'état), mais encore une fois le même colbertisme bien français qui a fait ses preuves depuis si longtemps.

Commençons par le rapport Attali, qui a toutes les raisons de souhaiter le triomphe de la rechercher française. Pourtant, si on regarde les mesures proposées, le thème principal qui en ressort est celui de la précarisation des chercheurs, une recherche à court terme dont la rentabilité pourraient être évaluée très souvent.

Quelques citations du rapport :

De l'introduction (page 9):

Trop peu d'universités françaises sont prises au sérieux dans le monde. Trop peu de chercheurs travaillent sur les sujets d'avenir

On finira par comprendre que "projet d'avenir" signifie la recherche orientée vers une rentabilité plus ou moins immédiate et signifie que l'accent doit être mis sur des secteurs censés être porteurs. La définition est donnée à la page 15 (Décision fondamentale 3) :

Redonner à la France tous les moyens (dont ceux de la recherche) pour prendre une place de premier rang dans les secteurs de l'avenir : numérique, santé, énergies renouve- lables, tourisme, biotechnologie, nanotechnologie, neuro- sciences. (C'est moi qui souligne, o16o.)

Les chercheurs ont beau crier, depuis des années, que la santé de la recherche scientifique d'un pays ne dépend pas du nombre de contrats passés avec des entreprises, mais de la qualité de la recherche fondamentale, celle-ci assurant non seulement la qualité des chercheurs formés, mais aussi des perspectives d'avenir (justement) qui dépassent celles, à beaucoup plus court terme, de l'entreprise.

Cependant, c'est le monde de l'entreprise qui est érigé en modèle, surtout pour la gestion des ressources humaines. Ainsi, par exemple, page 41 (Décision 29):

Financer davantage la recherche publique sur projet et à la performance.

Organiser des financements à la performance : comme pour les universités, la dotation récurrente d'un établissement de recherche doit être pour partie liée à la performance passée de l'établissement.

et encore, page 42 :

Rapprocher le fonctionnement de tous les établissements publics de recherche des meilleures pratiques du secteur privé (évaluation, promotion, mobilité, flexibilité de fonctionnement, etc.).

On peut s'interroger sur la nature de ces évaluations, dont le rapport ne dit rien : est-ce le nombre de contrats passés ou le nombre d'articles publiés? Est-ce simplement la qualité de la recherche, ou encore son utilité immédiate pour la croissance libérée?

Jusque là, les institutions sont surtout concernées, même s'il est évident que leur réponse, devant cette "culture du résultat", serait de toute façon de répercuter cette pression sur leur personnels. Avec la Décision 30 nous arrivons à la réforme du statut d'enseignant-chercheur.

Recruter et financer (salaires, frais de fonctionnement et équipe- ments) tous les nouveaux chercheurs sur des contrats de 4 ans. À l'issue de cette période, une évaluation décidera si le projet pourra être prolongé. Aucun chercheur ne devra bénéficier de plus de deux (ou, exceptionnellement, trois) contrats de quatre ans successifs. Au bout de cette période, le chercheur pourrait évoluer vers un contrat à durée indéterminée de « directeur de recherche », vers une activité d'enseignement, ou vers l'entreprise privée.

Autrement dit, c'est la précarisation des chercheurs, qui vivraient dans l'incertitude et la quête permanente du projet suivant afin de prolonger leur carrière. Ainsi, la précarité est désormais le meilleur moyen pour faire croître toute activité humaine. Pour avoir fréquenté un peu le monde de la recherche par le passé, je peux dire que les motivations de cette sorte y sont particulièrement superflues. Les chercheurs que j'ai connus sont sans exception motivés d'abord par leur recherche. S'ils partent aux States, ce n'est pas pour simplement gagner plus d'argent, mais parce qu'en France ils ne trouvent pas de place, parce qu'en restant en France ils vont droit dans le mur. Le monde de la recherche est déjà, par nature, extrêmement concurrentiel. Le principe sarkozyste de "Au boulot les fainéasses!" n'y apporterait rien, à part une bonne dose de confusion supplémentaire.

Surtout, cette nouvelle précarisation contrait le chercheur à vivre au rythme temporel de l'entreprise, qui est à la fois l'origine des crédits et des projets. Le rôle de l'université et les autres institutions de recherche revient à gérer des batîments et un personnel disponibles pour les besoins de l'entreprise. La hauteur de vue, la vision à long terme: pas rentables.

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28 janvier 2008

Timbre-poste

«Les portraits des chefs de gouvernement ne devraient pas dépasser la taille d'un timbre-poste.»

Vladimir Nabokov dans Parti Pris (10|18, 2001).

24 janvier 2008

Attali, pour ne pas réfléchir

Il y aura beaucoup à dire sur le Rapport Attali (pdf, via Juan). Ca commence, d'ailleurs : ici, ici, ici... lisez Left blogs pour tout suivre. Il y a trop à dire, en fait. Non qu'on ne doive pas en parler. Mais on ne devrait pas avoir à en parler. Comment se fait-il que l'on accepte qu'une commission, fût-elle celle d'Attali avec tous ses super-pouvoirs, ait un rôle si fondamental dans l'orientation politique de l'état?

Depuis l'élection jusqu'à, disons, les voeux de la St. Sylvestre, nous étions abreuvés, quotidiennement, des rappels de l'immense et incontournable légitimité démocratique de chacune des mesures que le "candidat Sarkozy" avait mentionnées pendant la campagne présidentielle. Ces mesures devaient appliquées sans aucune réserve car elles avaient reçu l'approbation des électeurs, qui les avaient épluchées en détail. C'était une manière de monter deux aspects de la démocratie l'un contre l'autre : le suffrage universel contre le jeu démocratique des institutions. J'ai l'impression que c'est fini, désormais.

A la place du programme, dont, paraît-il, seulement 5 pourcent a été appliqué, nous aurons ce rapport. Pourtant, c'est un drôle de rapport, car c'est un programme politique. De la première page de l'introduction:

Ceci n'est pas non plus un inventaire dans lequel un gouvernement pourrait picorer à sa guise, et moins encore un concours d'idées originales condamnées à rester marginales. C'est un ensemble cohérent, dont chaque pièce est articulée avec les autres, dont chaque élément constitue la clé de la réussite du tout.

Déjà "droits dans leurs bottes". C'est à prendre ou à laisser. Pas le droit de "picorer". Pourtant, les démocraties aiment bien "picorer". Picorer, c'est même une activité émminement démocratique, plutôt que de laisser une commission qui n'a jamais été élue décider de tout, en une seule fois. Le Très Grand Homme (TGH), tout en revendiquant le droit de "picorer", avait d'emblée affirmer l'aspect "décisionaire" du rapport:

Il ne s'est pas privé, aussi, de souligner que la commission était "tombée sur le bon président" parce qu'il leur avait laissé "le plus dur, réfléchir" et qu'il lui restait "le plus facile, agir". (JDD)

Quand le TGH dit des choses comme ça, on sait que c'est par (fausse) humilité. En même temps, dire que "réfléchir", ça fait mal à la tête, c'est un aveu étonnant. Réduire finalement la politique à l'"action" est en revanche une idée inquiétante. Les idées seraient finalement simplement l'essence dans une machine politique dont le véritable objectif est simplement le maintient du pouvoir. Il faut bien avoir quelque chose à faire, mais c'est plus commode de délocaliser la réflexion. L'outsourcing politique serait même une marque de fabrique du sarkozysme. On fait appel souvent à des cabinets de consultation, que ce soit pour élaborer le programme électoral ou pour noter les ministres, plutôt de se casser soi-même la tête. Sarkozy semble reconnaître qu'il n'est pas compétent en politique. Il est compétent seulement en "pouvoir".

Souvenez-vous de cet échange pendant le débat de l'entre-deux tours ? C'est le TGH qui parle, en "résumant" ironiquement les idées de son adversaire sur la réforme des retraites :

La troisième idée est la grande discussion. C'est la sixième ou septième depuis qu’on débat ensemble. La grande discussion, il faut qu'elle débouche sur quelque chose! [...] Avec moi comme président de la République, les choses sont parfaitement claires, elles seront en ordre, on financera et on s'engage.

Pas de discussion, tout est clair, en ordre. On "s'engage". Les "grandes discussions" seront interdites. Maintenant, il est clair, justement, que l'engagement était impossible car le programme véritable n'était pas encore connu. Le rôle de la Commission de la Libération de la Croissance était d'élaborer le programme électoral du candidat Sarkozy. Trente-sept semaines après l'élection.

22 janvier 2008

Glandouille et colère

Sarkozy à Sartrouville (source : Juan qui citent les médias -- voir, sur ces pratiques, la discussion avec flo py sur mon billet précédent) :

"L'idée, c'est qu'on vous va vous donner l'occasion de travailler et d'avoir une formation parce que la vie, ce n'est pas glander (...) On fera ça dans tous les quartiers où il y a eu des problèmes (...) On ne laissera tomber personne mais à une condition : il faut que vous preniez l'habitude de vous lever le matin pour aller travailler ..." "Vous avez bien compris ? C'est donnant-donnant"

Juste une ou deux choses :

1. "donnant-donnant" ? Il faudrait faire un site pour répertorier les idées, propositions, arguments de Ségolène Royal que Nicolas Sarkozy a repris à son compte. (Et il ne faudrait pas oublier dans la liste la "démocratie participative" sous la forme des "Grenelle".)

2. Et surtout, il est important de souligner, encore et encore s'il le faut, comment cette logique "anti-glandouille", "se lever tôt" est construite pour attribuer la responsabilité de la situation des banlieues sur les habitants de ces mêmes banlieues. La misère est toujours la faute des misérables.

S'il suffisait de se lever tôt pour trouver du boulot, ça se saurait. S'il suffisait de se lever tôt pour effacer les discriminations subies par les "personnes issues de l'immigration", c'est-à-dire les "enfants" du colonialisme français, ça se saurait. S'il suffisait de se lever tôt pour changer véritablement une société, ça se saurait.

21 janvier 2008

Blogos, encore

En vrac, sur la blogosphère du moment...

Il est sans doute le propre de tout média (ou medium) de se retourner assez souvent sur son propre fonctionnement, ses propres outils et orientations. Le blog politique, média ou medium malgré lui, n'échappe pas à cette règle, d'autant moins que bloguer est une activité émminement sociale, une façon de se rassembler tout en maintenant une marge de liberté que je n'imaginais pas avant d'ouvrir ce blog. On essaie de dire des choses à peu près sensées, mais l'absence de toute contrainte véritable (marchande, professionnelle ou autre) donne des petits vertiges de temps à autres.

La possibilité de rassembler des individus pourtant très libres est l'une des particularités du blog. La manière de s'associer ne va pas de soi, pourtant. On remarque néanmoins une évolution depuis quelques mois : d'abord de vagues groupes se forment, que l'on remarque essentiellement par le biais des commentaires laissés chez les uns et les autres. Ensuite, massi13 lance les Vigilants, et Dagrouik crée Left Blogs pour rassembler encore un peu plus.

Et maintenant, depuis le dernier Café des Blogs apparaît la nécessité de coordonner davantage nos propos. Dans le billet de Juan suscité, ce blog ainsi que celui de Nicolas J., sont même cités pour créer des "résonnances" blogosphériques. Pour ma part, je n'en sais rien, mais il est vrai que c'est souvent très utile de lancer un billet à partir de la remarque d'un autre blogueur. Et c'est finalement plus utile et agréable de citer d'autres blogs plutôt que de s'appuyer systématiquement sur les sites des médias traditionnels. Le billet de Donatien fournit un bon résumé de la situation.

J'en profite pour augmenter encore un peu mon blogroll de celui de Donatien, libéré désormais du MoDem, et Victoire au poing, qui aurait dû y être depuis longtemps.

Enfin, signalons et applaudissons cette initiative inédite et encourageante : les enfants de Juan viennent de créer leur propre blog politique!

19 janvier 2008

La religion : le parafoudre de Dieu

Sarkozy continue à parler religion, et j'allais (re)dire ce que j'en pense, en somme qu'il s'agit de rétablir un ordre colonial sans colonies, dans lequel les colonisés (anciennement : "immigrés"; anciennement : "jeunesse issue de l'immigration"; bientôt : "vieux et jeunes issus de l'immigration"...) n'ont qu'à bien se tenir : ils ne partagent pas les "racines chrétiennes" de la classe coloniale, ne pourront jamais être des vrais français, et ainsi de suite. On comprend de mieux en mieux comment la politique de l'Identité Raciale de Brice Hortefeux n'est pas ni un détail, ni un accident, ni une concession à l'extrême droite, mais la pièce maîtresse dans le symbolisme idéologique de Nicolas Sarkozy. Enlever le racisme et la xénophobie et tout s'écroule.

Voilà donc le billet auquel vous avez échappé. Pour le moment en tout cas.

C'est ce que j'allais écrire avant de lire ce matin le billet de Juan concernant les dernières élucubrations mystiques de notre Très Grand Chanoine (TGC). Juan conclut son billet ainsi :

J'ai tendance à penser qu'il faut réserver les combats aux "causes réelles et sérieuses" d'inquiétudes. La laïcité, aujourd'hui, est-elle menacée par une décision du gouvernement Sarkozy ? Non. La sécurité sociale, oui. L'intégration, oui. La démocratie parlementaire, oui. Le pouvoir d'achat des plus pauvres, oui.

Au contraire, ne s'agit il pas d'un "vacarme" supplémentaire ? Il est toujours plus facile pour la gauche de pousser des cries effrayés sur la laïcité (qui leur reprochera ?), que de se mettre d'accord sur des contre-propositions contre les mesures de destructions sociales ou le mini Traité Européen. Cela n'empêche pas la vigilance, bien au contraire. Mais on a l'habitude.

Voilà ce qui fait "Tilt!" Chez moi en tout cas. N'oublions pas l'un des fondements essentiels du sarkozysme : les mots ne coûtent rien, le pognon est pour les amis. Il y a deux Sarkozy (je sais : un suffit largement, mais c'est pour les besoins de la démonstration) : l'un a un complexe identitaire qui le pouse à affirmer ses racines chrétiennes, à proclamer qu'il y a trop de musulmans en Europe, à montrer Bigard au Pape ; l'autre ne pense qu'à solidifier son pouvoir et à en profiter, en faisant profiter ses copains, les membres de sa caste par la même occasion. Celui-ci est prêt à dire n'importe quoi si d'aventure cela peut l'arranger : pleurer la lettre de Guy Môquet, pratiquer "l'ouverture", promettre de revaloriser le pouvoir d'achat et les petites retraites.

Bien sûr, quand Sarkozy met en cause la laïcité, oublie qu'il existe en France encore quelques athées, ce sont les deux Sarkozy qui parlent en même temps. Je ne sais pas grand'chose de ses convictions intimes (à la rigueur je m'en fous), mais j'ai le soupçon qu'avec ce thème nous ne sommes pas loin de ce que le bonhomme pense vraiment. Mais peu importe. Car l'autre Sarkozy, le narcissique qui est prêt à raconter n'importe quoi du moment que ça lui est utile, parle en même temps. Et celui-ci ne pense qu'en termes tactiques.

Quel intérêt y a-t-il à émeuter les défenseurs de la laïcité ? Comme le dit Juan, il faut créer du "vacarme". La religion est le paratonnerre du moment, comme les tests ADN avaient servi de chiffon rouge au moment de la loi Hortefeux (l'ignoble, l'infâme, l'abominable...). Il faut bien que les gauchistes aient des sujets de polémique, laissons-les dépenser leurs forces et leur salive pour des conneries, pour quelque chose qui de toute façon ne mange pas de pain. Tout est bon, en fait, qui remet la gauche en position de "donneur de leçon", tout en donnant des gages à la bonne vieille droite.

Carla Bruni est une diversion, la religion l'est aussi. Je pense. Mais c'est une diversion plus grave et plus perverse que sa vie de flambeur avec Carla B. Car s'il ne recontrait pas de résistance sur ce chemin, il est certain qu'il ne se priverait pas d'aller plus loin, avec des conséquences que l'on peut trop facilement imaginer. Comme le dit encore Juan, il faut rester vigilants.

UPDATE: je rajoute le tag "vacarme" après avoir lu ceci.

16 janvier 2008

Rocard et le socialisme théorique

La faiblesse actuelle du Très Grand Homme (TGH), dont nous ne pouvons que nous féliciter, soulève toutefois la question de l'opposition. Les ennuis de l'UMP en ce moment font un peu moins mal du fait de grande confusion autour de la ratification du Mini-Maxi-Traité. En revanche, il faut dire que Ségolène Royal s'en tire plutôt bien en aiguisant ses critiques à l'égard du TGH. Le coup de Louis XIV arrivait, à mon avis, au bon moment.

C'est donc dans ce contexte que Michel Rocard croit bien d'envénimer la situation, d'abord en disqualifiant définitivement Royal. C'est ce que la presse en a surtout retenu :

Jouer explicitement ce jeu, c'est-à-dire pour le PS choisir son prochain premier secrétaire en pensant choisir du même coup son candidat présidentiel, c'est offrir un surcroît de chances à Ségolène Royal. Or le problème est que cette candidate avenante et charismatique n'a à l'évidence pas les capacités nécessaires aux responsabilités qu'elle postule. Elle représente une certitude de défaite, au prix en plus d'une très grave crise dans le Parti.

Mais qu'est-ce qu'il a contre Ségolène Royal? Car on se souvient bien de la révélation de son offre de gentiment remplacer la candidate en pleine campagne (voir aussi notre réaction au moment). Normalement, je parlerais du problème de la "compétence" en tant que critère politique, comment c'est une façon de dissimuler un machisme sournois tout en mettant les questions politiques au second plan. Aujourd'hui, on constate que celui dont il était impensable de mettre en cause la compétence, est en fait nul, inapte. Normalement, je parlerais de cette idéologie des "capacités nécessaires aux responsabilités", culte des Graques, élite soucieux avant tout de se protéger d'une intruse. Normalement, je parlerais de tout cela, mais j'ai l'impression qu'il y a autre chose ici.

Le problème au PS, pour les anti-ségolénistes, c'est qu'il n'y a personne d'autre. Fabius est devenu un sage, DSK part aux States, Delanoë reste virtuel. Le problème est encore plus aigu pour les social-démocrates. Sauf à croire au retour triomphant de Strauss-Kahn, il manque à ce courant un champion. La social-démocratie est finalement très à l'aise dans son opposition aux Mélenchon et autres Emmanuelli. Ségolène Royal est beaucoup plus menaçante : elle occupe un terrain semblable au leur, mais sans doute plus ouvert à d'autres sensibilités de gauche, et plus potentiellement populaire. Pire, et c'est là où elle exagère sérieusement, elle est "charismatique", ce qui est proprement insupportable pour quelqu'un comme Rocard. Et la conséquence très, très logique de cette incompatibilité, c'est la conclusion de Rocard : c'est une "incapable". C'est justement dans le fait que Rocard ne peut en rien démontrer cette incompétence que l'on comprend que pour lui c'est un article de foi, ou encore une donnée issue de l'inconscient profond, le petit mensonge nécessaire pour rétablir la cohérence d'une vision du monde qui sinon s'écroulerait.

La solution, pour Rocard, une fois définitivement débarassé de Ségolène Royal, c'est de passer le reste du mandat de Sarkozy à inventer un socialisme idéal et puis, en 2011, de choisir la personne (dont on espère qu'elle sera "charismatique" aussi) qui pourrait l'incarner.

Cela veut dire que le prochain secrétaire général aura comme mandat dominant sinon exclusif d'amener le Parti à accoucher d'un projet, c'est-à-dire de piloter les débats en provoquant chaque fois que nécessaire les votes discriminants nous amenant vers un peu plus de cohérence et de clarté en confirmant la voie sociale-démocrate qu'ont déjà choisie tous nos autres partis frères du Parti des socialistes européens. Il nous faut là une personne soucieuse de vision mondiale, d'analyses économiques et stratégiques et surtout pas un débatteur médiatique.

Le projet, le projet, le projet. Social-démocrate. Un projet qui pourrait être incarné par DSK lors de son retour? Rocard ne le dit pas, mais le refus de laisser exister une figure forte au PS pendant toute cette période ne peut que jouer en la faveur de celui-là. Mais ce n'est pas la considération tactique que je trouve dangereux, même s'il est dommage que Rocard croie nécessaire de se battre contre la gauche pour, dit-il, la sauver. Il est inadmissible qu'il dise, par exemple :

Le droit du Parti aujourd'hui c'est que le PS ne peut parler que si pro-européens et anti-européens sont d'accord, et que si sont d'accord aussi ceux qui veulent rejeter l'économie de marché et ceux qui comme moi pensent que ce n'est ni possible ni souhaitable.

J'imagine la réaction de Dagrouik en apprenant que le PS rejete encore l'économie de marché! Il est inadmissible pour un "responsable" du PS de se servir des mêmes vieux arguments de la droite pour marquer des points contre des membres de son propre camp.

Mais cet égoïsme-là n'est pas le vrai problème. Le vrai problème, c'est le principe de poser comme condition à une éventuelle action politique l'élaboration d'un "projet", la réfondation de la gauche et du PS, et le triomphe apparamment inévitable de la "sociale démocratie".

il faut des années pour que le PS soit capable de définir et d'adopter un vrai projet social-démocrate qui supporte le discours et les mêmes années pour qu'émerge le meilleur avocat de ce discours. Telle est la situation de fait.

Même en supposant que, pour une fois, chacun ne s'emploie pas à tirer la couverture vers soi, et qu'émerge enfin, au bout des 9 ou 14 années nécessaires, un vrai projet, que fait la gauche pendant ces années de théorisations, de quadratures du cercle sociales-démocrates ? Autrement dit : même dans le scénario le plus favorable, comment la gauche pourrait-elle constituer une opposition crédible ?

La situation actuelle, où le PS se ridiculise dans ses hésitations devant le nouveau Traité Pas Constitutionnel, est en l'illustration parfaite. La politique et l'actualité n'attendront pas le congrès de la Grande Synthèse. Les électeurs, même séduits par cet éventuel projet, diront tout de même : "oui, c'est gentil, mais pendant cinq, dix, quinze années, on ne vous a pas vus!"

Le risque véritable, c'est que, à force de théoriser (et là, évidemment, je ne parle pas des admirables interrogations menées par Nea sur ce que c'est d'être à gauche), le socialisme ne soit plus qu'une théorie, un socialisme imaginaire, virtuel, toujours à venir, vaporware ou fumiciel qui ne viendra peut-être jamais.

UPDATE: lire aussi le billet de Marc Vasseur.

14 janvier 2008

Fillon nous instruit

Fillon apprend à faire comme son Maître. (Libé):

Dans son discours, il a distingué «ceux qui obtiennent, par leurs efforts et leurs compétences, des papiers pour travailler et résider en France» et «ceux qui ne répondent pas aux critères posés par nos lois et n'ont pas de papiers sont appelés à être reconduits dans leur pays (...) sinon, c'est la loi de la jungle, la loi des réseaux, la loi du plus fort», a-t-il prévenu. (C'est moi qui souligne, o16o.)

Si on simplifie les choses, la loi du plus fort est celui du capitalisme et donc, plus ou moins, la vision de la plupart de droites du monde. Mais comme la plupart des électeurs ne sont pas des forts, mais des faibles, conscients de la précarité de leur peu de bonheur, la droite, les droites, soucieux de gagner des élections grâce aux voix de ces mêmes faibles, doivent trouver des raisons pour que ceux-ci votent contre leurs propres intérêts.

Sarkozy, comme Chirac avec sa "fracture sociale", ou Bush Junior avec son "compassionate conservatism", cherche moins à persuader les électeurs que son programme de droite va être bénéfique pour eux, qu'à camoufler un programme de droite avec des vagues idées de gauche, ou encore avec sa fameuse "ouverture" qui, comme le reste du sarkozysme, s'essoufle aujourd'hui. Dit comme ça, on dirait une bonne vieille subterfuge, alors qu'en réalité c'est beaucoup plus complexe et subtile. (Enfin, ça reste une subterfuge.) Voici ma tentative de l'expliquer, même avant le dernier entretien avec Emmanuelle Mignon chez nonfiction.fr qui a fait tant de bruit récemment :

Et c'est là où apparaît toute la subtilité et la perversité du sarkozysme : tout en restant fondamentalement de droite, SarkoCorp réussi à recadrer l'ensemble des questions politiques de son temps de façon à laisser croire à une partie signifiante de la gauche que sa "réponse" n'est pas à droite, car elle n'est pas celle de la droite traditionnelle. Du coup, la critique habituelle de la gauche n'est plus adaptée. Le non-sarkozysme (sans parler de l'anti-sarkozysme primaire) apparaît comme un vestige d'une pensée caduque, tandis que le sarkozysme apparaît la voie unique (et lumineuse!) de la modernité de la pensée.

S'il y avait un aspect de la machine à communiquer que l'on pouvait désamorcer, rendre transparent à tous les téléspectateurs, pour moi ce serait celui-là. Cette possibilité de cadrer les questions de façon à masquer les lignes idéologiques, qui sont, dans l'action, bien présentes.

Ainsi, quand Fillon l'ouvre pour dire que la présence d'immigrés clandestins sur le territoire relève de la "loi du plus fort", c'est un grand moment. Car, par l'imbécilité de la formule -- décrire des gens pour qui la seule issue est de se jetter par la fenêtre, comme étant "les plus forts", il fallait le faire quand même --, c'est un magnifique exemple de cette façon de procéder, et surtout, c'est suffisamment gauche (mais pas à gauche!), suffisamment maladroit, suffisamment comment dire... bête, pour que l'on puisse voir facilement les fils blans, les rouages de la machine qui commencent à grincer de plus en plus fort. Peut-être avec de plus en plus d'exemples de cette sorte, une évidence s'imposera, il deviendra clair à tout le monde comment la communication sarkozyste cherche à se libérer des contrôles démocratiques en disant une chose et en faisant le contraire.

Merci, François Fillon, pour cette perle. Vous venez de susciter des grandes attentes. Ce n'est pas le moment de nous lâcher.

13 janvier 2008

Le Monde interactif censure-t-il kamizole?

Depuis hier, au moins, Lait d'beu, le blog de kamizole, ou encore Mémé Kamizole, n'est plus en ligne. Lorsqu'on suit le lien, le serveur du Monde répond par une redirection qui aboutit à une erreur:

http://blogs.lemonde-interactif.fr/stat/suspendu.html

Incident technique ou censure d'une blogueuse qui n'a pas sa langue dans sa poche? Pour l'instant on ne sait pas. Toujours est-il que les autres blogs hébergés par Le Monde sont toujours en ligne, comme l'excellent On ne pourra pas dire qu'on ne sait pas.

Et surtout, un URL qui se termine par "suspendu.html", c'est un peu louche.

UPDATE: Tout va bien, kamizole est de retour parmi nous, avec la grippe et un billet très critique des journalistes. Il paraît que tout cela n'était qu'un problème technique. Tant mieux, mais il vaut mieux surveiller quand même.

12 janvier 2008

Carla dans les pattes

Dans les commentaires à mon billet de l'autre jour, Carla Bruni toute nue, Flo Py posait la question essentielle sur la réaction de la gauche en général, et de la blogosphère gauche en particulier, à la pipolisation à tout va entreprise par notre Très Grand Homme (TGH). Pour donner un peu de contexte et vous éviter de revenir à ce billet qui, grâce à (ou à cause de) son titre racolleur, a fait explosé mes statistiques (enfin, un peu : rien à voir avec les prouesses de PMA, qui restera la référence absolue dans le domaine), voici le point culminant de mon argument :

S'il fallait, pour établir une sorte de contre-pouvoir médiatique, que nous autres blogueurs passent le reste du mandat de Sarkozy à discuter de la marque des petites culottes de Carla Bruni, eh bien, je serais partant, même si le sujet est, malgré tout, extrêmemnt lassant, surtout au bout d'une année ou deux.

Et voici donc la réponse de Flo Py :

d'un point de vue collectif, je suis d'accord avec tout.

Sauf que... Sauf que, d'un point de vue individuel, non pas du tout.

Je me refuse à utiliser les mêmes armes que mon adversaire politique (en l'occurence, on parle de la vulgarité, voire carrément l'obscénité, la pipolisation). Pas parce que je veux me démarquer à tout prix ; mais parce que ces armes-là, je les exècre. Je ne sais plus qui a dit grosso modo que ce n'est pas l'arrivée qui importe, mais le chemin que l'on parcourt pour arriver (ou pas). On peut aussi dire que la fin ne justifie jamais les moyens. Je veux pouvoir me regarder dans une glace en tant qu'individu, quoi que soit le devenir collectif de notre pays. Lutter certes, résister, évidemment, mais sans compromis ni concession. Sinon, comment être sûr que l'on est vraiment différent de celui que l'on prétend combattre ?

En fait, je suis d'accord avec cette position : la gauche doit continuer à se distinguer de la droite en ne pas tombant dans cette dérive ; la gauche doit être le camp de ceux qui se préoccupent des vrais problèmes, pas seulement des histoires d'alcove à l'Elysée. Pendant la campagne, il était devenu courant de dire que Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy mettaient en scène leurs vies privées à peu près au même degré. Je pense qu'aujourd'hui, on commence à voir la différence d'approche : si Ségolène Royal cherche à exister en tant que personnage, ou personnalité, public, sa démarche n'a rien du narcissisme officiel, enragé et dérapant du TGH. (Même François Bayrou joue le jeu, grâce à son tracteur.)

Où est donc la ligne entre ce qui est une occupation justifiée d'une partie frivole mais, malheureusement, de plus en plus central de l'espace médiatique, et l'abus sarkozyste?

En fait, je ne suis pas certain qu'il faille théoriser cette distinction. Sarkozy est en train de payer cash ses excès médiatiques. S'il faut, pour nuire aux politiques de Sarkozy, d'Hortefeux, de Dati, de Lagarde, enfoncer le clou médiatique et tenter d'aliéner un peu plus les électeurs rétraités choqués par cette extravagance et cette vulgarité, soit.

Pourtant, la stratégie consistant à ne plus parler que des culottes de Madame Bruni mène également vers une impasse, vers un discrédit certain. En somme, du point de vue cette fois des blogueurs de gauche, des blogueurs Vigilants par exemple, le fait d'insister sur la vulgarité et la frivolité du TGH, ce n'est pas tant se salir en utilisant les armes de l'adversaire, qu'utiliser contre l'adversaire ses propres armes. C'est comme le ju-jitsu : ne pas contrer la force de l'attaquant, mais transformer son aggression en chute, retourner sa force contre lui.

Et la meilleure démonstration d'une telle transformation, c'est la manière dont Juan, au fil des billets, effectue ce glissement qui va des dérives de la vie privée du Président de la R. jusqu'à la question essentielle : Sarkozy est-il apte à gouverner? Nous revoilà de retour dans la politique, en train de bousiller l'aura d'invicibilité du Président-Sauteur.

11 janvier 2008

PS: Le candidat 100% naturel

Vite fait, pour s'échauffer, les commentaires de Julien Dray sur la candidature de Ségolène Royal au poste de Premier Secretaire (Libé):

Selon le porte-parole du PS, «il y avait une mayonnaise qui pouvait prendre après l'élection présidentielle, parce que c'était une forme de logique : la candidate devenait la patronne du Parti socialiste. Mais à partir du moment où elle a donné une lecture extrêmement critique de sa campagne, où elle a désigné un certain nombre de responsables au parti socialiste (pas forcément à tort d'ailleurs), il y a forcément une situation qui est nouvelle, explique Julien Dray. La situation nouvelle, c'est qu'aujourd'hui la candidature de Ségolène Royal à la tête du Parti socialiste n'est plus naturelle. La question qui est posée : est-ce que cette candidature va rouvrir une crise au Parti socialiste ou est-ce qu'elle va la résorber ? Mon sentiment, c'est qu'elle va la rouvrir».

Il y a quelque chose de très bizarre là-dedans. Dray est en train d'expliquer pour il retourne sa veste, sans le dire évidemment. Ce non-dit influe sur sa façon de s'exprimer. Prenons les choses point par point:

il y avait une mayonnaise qui pouvait prendre après l'élection présidentielle, parce que c'était une forme de logique : la candidate devenait la patronne du Parti socialiste.

Pour quelqu'un qui aurait tout oublié de l'après 6 mai du côté socialiste, cette lecture pourrait paraître cohérente : Royal avait toutes les clés en main, c'était le moment de prendre le contrôle du Parti. C'est oublier un peu vite que c'était précisément à ce moment que la candidate était le plus férocement contestée par les autres "chefs de file". La possibilité de devenir "patronne" tout de suite après l'élection est une pure fiction, qui sert uniquement à rejeter toute la faute sur Royal elle-même :

Mais à partir du moment où elle a donné une lecture extrêmement critique de sa campagne, où elle a désigné un certain nombre de responsables au parti socialiste (pas forcément à tort d'ailleurs), il y a forcément une situation qui est nouvelle

Oublié DSK qui regarder passer les secondes sur son Blackberry pour pouvoir lâcher sa bombe sur Ségolène Royal. Oublié l'aigreur mal contenue des jospiniens. Enfin, pas tout à fait oublié, car Dray admet que certaines des critiques lancées envers le Parti étaient justifiées ("pas forcément à tort...").

La situation nouvelle, c'est qu'aujourd'hui la candidature de Ségolène Royal à la tête du Parti socialiste n'est plus naturelle. La question qui est posée : est-ce que cette candidature va rouvrir une crise au Parti socialiste ou est-ce qu'elle va la résorber ? Mon sentiment, c'est qu'elle va la rouvrir».

Sa candidature n'est plus naturelle? C'est là où j'ai le sentiment que Julien Dray se trompe de mot. La candidature de Ségolène Royal, est-elle moins naturelle que celle de Pierre Moscovici ? Déclarer une candidature, c'est entrer en concurence avec d'autres. Une candidature n'a pas besoin d'être "naturelle". C'est le vote qui décide si elle est justifiée. Ségolène Royal est-elle devenue si insignifiante au PS que sa candidature n'a aucune importance? J'ai dû mal à penser que Dray le pense.

De quoi parle-t-il, donc, notre Julien Dray? Ce qu'il veut dire (sans le dire) c'est que ce ne serait pas "naturel", ce n'est pas la candidature de Royal, mais la victoire de Royal. Qu'il doit redouter au point d'intégrer ce lapsus dans sa pensée.

Je ne serai jamais un grand défenseur de François Hollande. Il est devenu, néanmoins, le bouc-émissaire du PS. On aime tellement le rendre responsable des grandes "synthèses à la con", qui furent acceptées parce qu'elles arrangeaient quand même tout le monde. On voit que "l'esprit Hollande" est toujous en forme chez Dray, qui souhaite un candidat capable de "résorber" les crises du PS. Quelqu'un de mou, de consensuel. Ségolène Royal est dangereuse parce qu'elle oblige tout le monde à faire de la politique, de se prononcer. Si on demandait plutôt à Hollande de rester pour un mandat de plus?

8 janvier 2008

Carla Bruni nue (la modernité politique)

La polémique qui déchire la blogosphère gauche en ce moment, c'est : "faut-il, ou pas, que Juan publie systématiquement des photos de Carla Bruni toute nue, ou au moins les seins à l'air?" Juan n'est pas le seul à instrumentaliser le passé de notre Première Maîtresse à des fins politiques : Nicolas avait fait assez fort aussi.

C'est Wildo qui balance un pavé dans la mare dans un commentaire chez Sarkofrance:

Sinon, une remarque qui n'engage que moi, c'est obligé d'avoir Carla Bruni toujours nue en vignette ?

Juan répond:

je comprends ta remarque - ça fait un peu macho pervers d'afficher Bruni à poil dans nombre de billets. En fait, j'ai hésité. Puis je me suis tenu le raisonnement suivant : (1) l'affichage médiatique de cette liaison est vulgaire; (2) soyons aussi vulgaire que lui. je cherche des photos de Sarkozy nu mais c'est plus difficile à trouver...

Ne t'inquiète pas, je vais bientôt arrêter faute de photos.

Est-ce un cas de machisme pervers collectif, ou bien y a-t-il la possibilité que la surexposition de la vulgarité présidentielle puisse, à la longue, nuire à notre Très Grand Homme (TGH)? Les récents sondages (Libé via Juan) indiquent que la France globalement désapprouve ce comportement (63%), et même les experts en comm', normalement pleins d'admiration pour le génie communicationnel du TGH, préviennent:

si son crédit politique s'atténuait», ju ge Miquet-Marty. «Si les impatiences sociales devenaient plus fortes, la mise en scène de sa vie privée, et le contraste avec le quotidien des Français, pourraient lui être préjudiciables.»

Surexposer Carla Bruni (y compris ses parties féminines) serait donc une manière de nuire, plus efficace que tout ce que peut faire une entité comme un parti politique d'opposition?

Il y a quelques jours, Mathieu Lindon, apparamment journaliste et très certainement imbécile, a publié une chronique inepte chez Libération sous la rubrique Vox populi dont la thèse est, en somme, que... enfin, je n'arrive pas à le résumer, j'en laisse le soin à l'auteur:

La diabolisation un peu loupée de Nicolas Sarkozy a pour effet une dédiabolisation endiablée. Avant la présidentielle, on prétendait que son élection provoquerait quelque chose comme la suspension des libertés individuelles et le pays à feu et à sang, et maintenant on lui reproche de se montrer avec sa nouvelle copine dans un parc d'attractions ou d'emmener un humoriste pas assez raffiné à notre goût visiter le Vatican. Si on n'avait trouvé que ça contre Hitler, on s'en souviendrait moins aujourd'hui.

Vous avez bien compris : la pire chose qu'on puisse reprocher à Sarkozy, c'est sa liaison avec Carla B. Avant l'élection, les anti-sarkozystes primaires prévoyaient des choses horribles, et maintenant, comble de ridicule, ils ne trouvent rien de mieux à lui reprocher que le fait de se faire photographier avec sa copine. Je ne crois pas que Mathieu Lindon lise régulièrement Sarkofrance; il a dû s'endormir pendant que la législature approuvaient les tests génétiques pour les étrangers; il doit éteindre sa radio quand on commence à parler des expulsions sauvages des clandestins; il n'a pas dû comprendre tout à fait la signification du paquet fiscal; la suppression de la durée légale du travail ne lui fait pas peur; pour lui, Kadhafi a vraiment changé depuis qu'il a libéré les infirmières bulgaures qu'il emprisonnait et faisait torturer. Non, Mathieu Lindon s'est endormi le 6 mai et a rouvert les yeux quand Sarkozy et son amante embarquaient pour Louxor.

Alors, comment est-ce possible de mettre en balance Carla Bruni et le reste de la politique de Sarkozy, l'infiniment léger et le terriblement lourd? Faut-il engueuler les Français parce qu'ils réagissent à Carla là où ils laissent passer tant d'autres choses tellement plus importantes?

J'écrivais, dans les jours qui ont précédé l'annonce de l'hyperdivorce :

Mais dans l'hypothèse d'un divorce, il est clair que beaucoup de l'avenir politique de Sarkozy se jouera sur les pages des revues de Prisma Presse, surtout Gala et VSD.

J'aurais dû ajouter Voici, je l'avoue. Mais pour le reste je n'étais pas si loin de la vérité, même si je pensais que Sarkozy allait passer beaucoup plus de temps à nous expliquer son divorce. Il a trouvé plus juste de sauter cette étape, et... (j'arrête).

Tout cela pour dire que la vie politique marche davantage par des symboles, des images, des perceptions de la personnalité intime de nos hommes et femmes politiques, que par les chiffres, mêmes truqués, du chômage. S'il fallait, pour établir une sorte de contre-pouvoir médiatique, que nous autres blogueurs passent le reste du mandat de Sarkozy à discuter de la marque des petites culottes de Carla Bruni, eh bien, je serais partant, même si le sujet est, malgré tout, extrêmemnt lassant, surtout au bout d'une année ou deux.

Le mélange des plans personnel et politique est désormais un fait de la vie politique. Il faudra faire avec. C'est désolant, mais il y a de l'espoir lorsqu'on constate que la pipolisation est à double tranchant, et qu'elle peut devenir une arme de communication contre celui qui était censé si bien la maîtriser.

6 janvier 2008

Quatrième de couverture

Bref retour sur la "politique de la civilisation" dont je parlais avant-hier. C'est un cas d'école de la formulation idéologiquement glissante si chère à Sarkozy et aux siens. Le mois dernier j'avais lu l'histoire de l'organisation idéologique de sa campagne présidentielle, et j'avais écris ceci:

Et c'est là où apparaît toute la subtilité et la perversité du sarkozysme : tout en restant fondamentalement de droite, SarkoCorp réussi à recadrer l'ensemble des questions politiques de son temps de façon à laisser croire à une partie signifiante de la gauche que sa "réponse" n'est pas à droite, car elle n'est pas celle de la droite traditionnelle. Du coup, la critique habituelle de la gauche n'est plus adaptée.

La politique de civilisation en est un très bon exemple. D'abord, Sarkozy emprunte, en le vidant de son contenu, la formule d'Edgar Morin. (Peuples a raison de dire que le TGH préfère Carla Bruni à Edgar Morin. Entre Edgar et Hervé, en revanche, son coeur balance.) Prendre une idée marquée à gauche et considérée comme moderne, s'en servir pour enrober des idées, toujours les mêmes, d'une droite primitive et quasi-éternelle (comme le suggérait un autre edgar dans les commentaires de l'autre billet), quand ce n'est pas carrément l'intégrisme catholique.

Mais comme pour tout le reste, on dirait que ça passe moins bien. Cette fois, Sarkozy, ou plutôt Guaino, a l'air de quelqu'un qui vient de lire le quatrième de couverture d'un bouquin de socio qu'il laisse sur le présentoir de la FNAC.

5 janvier 2008

Blogos

Juste un rappel, si par hasard ce développement aurait échappé à quelqu'un : Dagrouik vient de créer Left Blogs chez CoZop. Left_blogs est une sorte de "journal" collectif, réunissant les billets d'un cartel de blogs choisis par Dagrouik. Je le fréquente depuis quelques jours et je trouve que c'est une façon agréable et intéressante de se tenir à jour dans ses lectures blogosphériques.

Sur le même thème, il est toujours important de rappeler non la simple existence, mais plutôt l'immense réussite des Vigilants, le portail créé et géré par massi13.

Récemment, Kamizole remarquait dans un commentaire:

Il y a une petite blogosphère antisarko et bien à gauche qui est en train de se former...
Les liens se tissent. Tant mieux.

Update: j'ai corrigé le lien vers Lait d'beu

4 janvier 2008

Politique de civilisation

Fi... Monsieur Poireau écrit, à propos des voeux de notre Très Grand Homme (TGH) :

Et moi, dès qu'un homme politique se met à me parler de civilisation, je l'avoue, je suis très inquiet. Pas vous ?

Oui, Monsieur Poireau, moi aussi je suis très inquiet.

Surtout quand l'homme politique en question est Nicolas Sarkozy, celui qui croit qu'il y a un « trop grand nombre de musulmans présents en Europe » (le lien va vers le désormais célèbre billet de Jean Quatremer) , et qui s'attend à un "choc des civilisations" entre les musulmans et l'occident.

Surtout quand le TGH en question vient d'aller à Rome chanter la "profondeur de l'inscription du christianisme dans notre histoire et dans notre culture", et les "racines chrétiennes de la France", ces mêmes "racines" qui ont servi traditionnellement à justifier le refus de l'adhésion de la Turquie à l'UE.

Dans les Voeux, "la politique de civilisation" a l'air tout gentil, surtout quand on écoute les phrases déclamées en hâte et en directe-live à des téléspectateurs déjà à leur deuxième ou troisième bouteille de champ'. Car la civilisation, c'est, en vrac: la ville, l'école, l'intégration, la diversité, la justice, les droits de l'homme, l'environement. En gros, que des choses bien, tellement "bien", d'ailleurs, qu'on comprend mal en quoi ce nouveau souci pourrait constituer une politique. Sauf que, comme souvent, sous la surface, il y a une pensée beaucoup moins gentille et curieusement beaucoup plus théorique. Dans ses voeux, Sarkozy disait:

Avec 2008, une deuxième étape s'ouvre : celle d'une politique qui touche davantage encore à l'essentiel, à notre façon d'être dans la société et dans le monde, à notre culture, à notre identité, à nos valeurs, à notre rapport aux autres, c'est-à-dire au fond à tout ce qui fait une civilisation. (C'est moi qui souligne, o16o.)

Il veut redéfinir notre tissu social, et plutôt que de faire dans la "gestion" ("depuis trop longtemps la politique se réduit à la gestion restant à l'écart des causes réelles de nos maux qui sont souvent plus profondes"), où il faut lire : l'économie, pas si important que ça, apparamment, un truc pour des pinailleurs, nous allons faire dans les valeurs et l'identité. Identité, forcément Nationale. Mais la pièce manquante dans ce discours, c'est justement le discours de Rome. Prenez par exemple ce beau morceau :

La laïcité n'a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n'aurait pas dû. Comme Benoît XVI, je considère qu'une nation qui ignore l'héritage éthique, spirituel, religieux de son histoire commet un crime contre sa culture, contre ce mélange d'histoire, de patrimoine, d'art et de traditions populaires, qui imprègne si profondément notre manière de vivre et de penser. Arracher la racine, c'est perdre la signification, c'est affaiblir le ciment de l'identité nationale, c'est dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire.

Notre ciment social version Sarkozy sera donc le christianisme, voire le catholicisime. C'est lui qui fournira les "symboles de mémoire" dont nous avons "tant besoin", et ce même pour des Français qui n'ont pas participé à cette "mémoire" chrétienne, qui n'ont rien à voir avec elle, qui ne s'y reconnaissent pas. Le peuple réclame des symboles, donnons leurs des crucifix et des saints (ou peut-être des seins...). L'identité Nationale est chrétienne. Voilà tout. Voilà pourquoi il fallait amener Bigard voir le pape. Voilà pourquoi la Turquie ne saurait faire partie de l'Union européenne. Voilà pourquoi il y trop de musulmans en Europe.

Voilà pourquoi... la politique de la civilisation dissimule (mal) le fantasme d'une politique identitaire, où l'on veut "civiliser" le monde un peu comme la France a voulu "civiliser" les sauvages de ses colonies.

Je ne pense pas que Sarkozy soit quelqu'un de très pieux. Il a, après tout, Bigard dans le rôle du croyant de service. C'est dire. Sarkozy est quelqu'un (il me semble en tout cas) qui pense par des oppositions entre groupes. Nous contre eux. Nous, les méritants, les bosseurs, etc., contre eux les fainéants, les musulmans, les noirs, les chômeurs. Etc. La religion, le catholicisme est pour lui une manière d'affirmer un nous, des gens "bien", qui servira de bouclier moral dans le choc contre les autres. Dans mes plus intimes convictions, je suis athée, mais suis plutôt un agnostique pratiquant (voir la discussion de tout cela chez Nea, en plusieurs salves). Ce que déteste par dessus tout dans la religion ordinaire, c'est quand elle sert à signifier une supériorité en affichant l'appartenance à un groupe. Et pourtant, on dirait qu'il n'y a que cela qui intéresse notre Très Grand Chanoine dans le christianisme.

2 janvier 2008

Sarkozozo ou l'action décomplexée

Un consensus se forme dans ce qu'il faudrait peut-être appeler l'espace public et médiatique. Désormais, pour exister réellement, une opinion doit s'imposer simultanément chez un grand nombre de personnes, ce qui a toujours été le cas, et dans les médias, qui ont leurs propres raisons de relayer une idée.

Un consensus se forme autour de l'Arche de Zoé quant à l'amateurisme des "Zozos", amateurisme qui est à la fois l'excuse qui justifie l'expression d'un mépris tout colonial de la justice tchadienne, et l'explication ultime des agissements. Ainsi, le nouveau journal de droite, Le Monde, écrit :

Ces quatre hommes et ces deux femmes n'en ont pas moins péché par irresponsabilité, mépris des Tchadiens aussi, ignorance de ce qu'est l'Afrique assurément. Mais il y a encore plus grave peut-être : ils ont porté un coup à la réputation de l'engagement humanitaire. Ils ont agi avec désinvolture. Ils ont mené leur mission sans même vérifier si les enfants qu'ils entendaient secourir venaient bien de la province soudanaise du Darfour et étaient bien orphelins. Les bonnes intentions font de la mauvaise assistance : l'humanitaire n'a pas besoin d'amateurisme ; il requiert des professionnels.

L'humanitaire demande de la rigueur, des institutions, une démarche structurée pour éviter les manipulations, les instrumentalisations, les politisations. Les Arche de Zoé ont manqué à ces exigences en voulant s'affranchir de tous les garde-fous, voulant aller vite, faire dans l'urgence, agir directement sur le problème. En somme, être "efficaces". Un mélange de bonnes intentions et d'ignorance de la complexité des réalités.

Si ce consensus a pu se faire petit à petit, de semaine en semaine, on peut se demander si la même logique pourrait s'appliquer, un jour, à l'action de notre Président et Très Grand Homme (TGH). Car, lorsque Sarkozy part "secourir" des hôtesses de l'air, lorsqu'il envoie Cécilia (et Claude Guéant) en Libye, lorsqu'il diffuse des messages pleins de larmes et de compassions aux FARC, lorsqu'il débarque parmi les pêcheurs en les tutoyant et en annonçant que s'il ne venait pas, rien ne serait fait, dans tous ces cas Sarkozy valorise ses interventions par sa volonté d'aller vite, agir directement sans s'embarrasser des instances, des démarches ordinaires. Il est le président extraordinaire qui plane au-dessus de tout cela, à qui les réstrictions ne s'appliquent pas.

Cette façon de faire rappelle celle des Zoé : seule l'action compte, les règles sont pour les cons. Sauf qu'il y a inévitablement un contre-coup, et un coût élévé pour tout le monde. Sarkozy dilapide peu à peu la crédibilité diplomatique de la France, à chaque fois pour des gains immédiats qui servent surtout son narcissisme d'Etat.

Comment faire comprendre au plus grand nombre, ou même aux médias, que ce que l'éditorialiste du Monde appelait "La faute de Zoé" est aussi l'un des défauts principaux de l'action présidentielle, que chacune de ses interventions aura un coût à long terme qui sera supporté par la France tout entière? L'action immédiate, "décomplexée" est celle qui passe le mieux à la télé, qui se résume en une histoire simple avec des jolies images. Elle n'est pas celle qui résoud de véritables problèmes. Pourtant, il est difficile de mettre à la mode les contraintes administratives, les protocoles et les précautions.