Pages

7 décembre 2007

Pas de nationalisme à gauche (svp)

Le grand retour de Ségolène Royal va sûrement nous conduire à pas mal de réflexions, car il y a beaucoup de choses à dire. Nicolas en est déjà à son deuxième billet sur Ségo en quelques heures. Ce n'est pas un record, sans doute, mais c'est pas mal...

Je veux commencer simplement par commenter quelques phrases qu'elle a prononcées dans son entretien au Monde :

Bref, une certaine frilosité pour aborder des questions sur lesquelles nous n'étions pas forcément d'accord, mais qui, avec un travail approfondi, auraient permis de faire émerger des choix collectifs. Je pense à la question de l'identité nationale, aux questions liées à la sécurité, au débat sur la liberté de choix de l'école par les familles, à la question de la valeur travail. Autant de valeurs fondamentales que les socialistes ont trop longtemps laissées à la droite. Ce travail a été entamé pendant la campagne présidentielle. Nous devons le poursuivre.

Ca y est : la question nationale. Je me considère comme ségoléniste, je passe mon temps à la défendre dans mon entourage, je considère qu'elle est la seule socialiste capable de communiquer de façon moderne. (Et c'est là le fondement de la pensée politque de ce blog : la gauche doit surtout gagner.) Toutefois, je ne peux qu'être déçu quand elle met la question de l'identité nationale sur le tapis. Pendant la campagne, c'était le seul élément dans son discours sur lequel j'étais en total désaccord. Aujourd'hui, cela me paraît encore plus grave, alors que la notion même d'"Identité Nationale" n'appartient pas seulement à la droite, mais à un ministère, et pas à n'importe quel ministère, mais à celui de l'ignoble, de l'infâme Brice Hortefeux.

D'un point de vue simplement tactique, c'est une erreur de reprendre à son compte exactement ces mots, "identité nationale". S'il faut absolument faire du chévénementisme, du nationalisme censé être de gauche (et à mon avis, il faut absolumment éviter de le faire), n'utilisons pas ces mots-là. Laissons les retomber dans la poubelle de l'histoire comme ils méritent. Ne leur accordons aucune crédibilité, aucune valeur.

Mais ce n'est pas une question de mots. La vraie question est plutôt celle de l'attitude de la gauche en général vis-à-vis de l'idée de la Nation. Nicolas disait ce matin, à propos de ces mêmes phrases de l'entretien :

Ben ouais, il y a des valeurs de droite ! Tiens ! Le travail. Sa valeur c'est le pognon qu'il rapporte pour qu'on vive (et le fait que c'est à peu près le seul moyen de gagner des sous honnêtement...) pas la quantité de travail.

En effet : le nationalisme est une valeur de droite. Il y a des bonnes raisons pour lesquelles le nationalisme doit être, doit rester à droite. Le problème avec la Nation, c'est que c'est une valeur qui n'est pas démocratique. Elle n'est peut-être pas fondamentalement incompatible avec la démocratie (quoique...), mais il n'est pas besoin d'aller loin pour chercher des régimes pas démocratiques du tout qui ne cessent de chanter les louanges de la Nation. La Nation, c'est Nous qui sommes fiers d'être Nous et pas Eux, les autres, ceux qui sont différents, voire bazanés. C'est l'amour de mon pays parce que c'est le mien, et non parce qu'il est démocratique. Le nationalisme est une forme d'égoïsme : moi et mes semblables d'abord, avant les autres, fiers d'être Français, Russes, Américains, Chinois...

Le nationalisme est une valeur de droite parce qu'il n'est pas démocratique et parce que c'est une forme d'égoïsme. De plus, il est profondément de droite parce qu'il est réactionnaire. C'est une réaction contre ceux qui sont différent, contre l'Autre en général. Aujourd'hui, c'est une réaction contre le monde de plus en plus international dans lequel nous vivons. C'est aussi une réaction contre l'Europe, bien entendu.

Admettons qu'il existe, dans l'électorat français quelque part, un sentiment national qu'il faudrait ne pas abandonner. Est-ce le rôle de la gauche d'assumer tout ce que le nationalisme représente, une pensée égoïste, anti-démocratique et réactionnaire, sous prétexte que ces idées existent?

Le problème avec le nationalisme de gauche, et surtout le nationalisme de gauche des pro-européens, c'est qu'il se réduit peu ou prou à quelque chose de très superficiel. Comme les drapeaux, par exemple. Car si on n'est pas contre la fermeture des frontières, si on n'est pas contre le droit du sol, si on n'est pas passéiste, réactionnaire, peut-on être crédible sur ce plan?

Il y a un danger, à gauche en tout cas, à vouloir théoriser l'"Identité National" comme stratégie de conquête ou de renouvellement. Si "reprendre à la droite l'idée de la Nation" veut dire, essentiellement, "faire en sorte que les gens peuvent être fiers de leur pays", je ne m'y oppose pas. Sauf que ce n'est plus l'identité nationale qui est en question, et ce n'est plus "la Nation" dont il s'agit. On peut être fier d'avoir un système de sécurité sociale humaine, on pourrait (éventuellement) être faire du respect des droits de l'homme, du bon traitement que reçoivent les demandeurs d'asile, du rôle de la France dans l'humanitaire, et ainsi de suite. Mais dans ce cas, il faut simplement faire ces choses-là. Les gens finiront par en être fiers. Mais dire que l'on va reprendre le thème de la Nation, c'est discréditer la gauche par manque de cohérence, et en acceptant que pour aimer son pays, il faut le faire à la manière des gens de droite.

Les idées de droite, il faut les laisser à la droite, il faut les laisser pourrir la droite, comme Hortefeux est en train de le faire.

J'arrête là, mais je n'ai pas fini avec ce sujet.

9 commentaires:

  1. il manque un mot dans ton billet : patriotisme... c'est le pendant "positif" du nationalisme, c'est l'amour de la Nation de gauche, à mon sens, celui qu'enseignaient les hussards noirs de la République... évidemment, à l'époque c'était dans un but militaire, mais aujourd'hui, nous avons dépassé cela (enfin je crois^^)...

    RépondreSupprimer
  2. Ségoliste de la première heure, ça m'a gêné, "le coup du drapeau" !
    C'est un camarade PS qui m'a convaincu, en défendant :
    - la reconnaissance d’une identité nationale (territoire, histoire, langue, culture, économie), qui favoriserait la cohésion de la nation au détriment des communautarismes. L’identité nationale, pour la Gauche, est basée sur la République, le droit du sol, l’intégration des immigrés.
    - la reconnaissance des identités communautaires (identités religieuses, ethniques, sexuelles, politiques, …) qui garantirait le respect de chacun et la protection des minorités.

    RépondreSupprimer
  3. Oui, le patriotisme... à vrai dire je n'en suis pas tellement fan non plus, du moins du concept qui, comme tu dis, était forgé pour envoyé des jeunes à la défense de la patrie. Je ne dis pas que tout sentiment patriotique est automatiquement nationaliste.

    Il faudrait réfléchir un peu plus, mais je pense que dès qu'on érige ces idées en exemple... allez, tout le monde, il faut être patriotique, il faut avoir de l'identité nationale, qu'on est dans le nationalisme.

    En revanche, aimer son pays, c'est bien. Plutôt que de crier sur les mérites de la Nation, donnons aux gens des bonnes raisons d'aimer leur pays.

    RépondreSupprimer
  4. Thierry,

    Je vois comment ça peut partir d'une bonne intention. Mais pourquoi ne pas l'appeler autre chose, "identité française" ou "identité républicaine", par exemple?

    On aimerait bien qu'il y ait quelque chose de commun qui permettrait ensuite chacun ou chaque groupe d'afficher ses différences. J'ai peur que "la Nation" ne soit pas le meilleur point commun, car cette notion évoque tant de choses désagréables qui sont plutôt la négation des valeurs de pluralité que tu cites.

    Je pense que le "coup du drapeau" est assez emblématique du problème. A force de vouloir que la nation joue ce rôle, on finit avec de symboles vides.

    La seule identité nationale que je peux supporter, c'est une identité nationale qui ne pourrait jamais être appelée "identité nationale". Je sais, ce n'est pas très clair. Il va falloir qui je raffine un peu tout ça.

    Bienvenue, en tout cas.

    RépondreSupprimer
  5. Très bon billet. Juste un détail : le nationalisme ne peut pas être de gauche. Ou alors ce n'est pas du nationalisme ou ce n'est pas la gauche.

    RépondreSupprimer
  6. Nicolas,

    Je suis parfaitement d'accord avec toi!

    Et merci!

    RépondreSupprimer
  7. Surtout ce nationalisme ne peut pas etre défendu en dehors d'un ensemble de mesure pour rendre cette fierté nationale de gauche.
    Il ne suffit pas de dire vive le pays et vive le drapeau encore faut-il y mettre du contenu…

    Pour ma part, je dissoudrais bien l'Etat dans une Europe des régions qui, historiquement, me semble tout à fait logique…

    :-)

    Les petits livres des éditions Filaplomb
    Le blog sans drapeau

    RépondreSupprimer
  8. L'état (ou l'Etat, plutôt) ne me dérange pas en soi. La Nation est une notion bien plus dangereuse, car elle suppose déjà une sorte de xénophobie. je n'ai jamais ressenti le besoin d'être fier de mon appartenance national, au sens où ce serait la marque d'une quelconque supériorité.

    RépondreSupprimer