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24 avril 2008

Bidouillage constitutionnel (et Vive le Sénat!... peut-être)

Pour une fois que le vote du PS à l'Assemblée Nationale va réellement servir à quelque chose - bloquer la "réforme" des institutions et la présidentialisation du régime -, il va falloir disposer de bons arguments pour ne pas répéter le spectacle des désaccords sur la démarche à suivre pour le Traité constitutionnel européen dit "mini".

Au fait, cela ne devrait pas être difficile. D'une part, le régime existant est déjà présidentiel. J'ai lu, il n'y a pas longtemps, quelqu'un (et je ne sais plus qui... désolé) qui remarquait que le système "présidentiel" actuel ressemble, bien davantage qu'au système étatsunisien, aux institutions russes, avec un président tout-puissant et un parlément subjugué.

On nous répète depuis bientôt un an qu'il s'agit de donner des pouvoirs à l'Assemblée afin redémocratiser le régime actuel, parlémentaire sur le papier et présidentiel dans les pratiques. Et plutôt que de rechercher l'équilibre en déprésidentialisant les institutions et les pratiques, il s'agit d'accorder la pleine légitimité au principe d'un homme fort (et Très Grand, j'ajoute en passant), "monarque élu", qui gouverne à travers un gouvernement réduit au statut du cabinet américain. Donc on répète que, pour rééquilibrer les choses, on va donner des pouvoirs au parlément : maîtrise partielle de l'ordre du jour, la possibilité d'approuver quelques nominations à des postes clés, suppression du 49-3.

Certaines des modifications du fonctionnement du parlément pourraient être souhaitables. A ce stade, tout ce qui freine le pouvoir du président paraît intéressant. Mais il faut garder à l'esprit que ce sont des concessions mineures qui ne changeront rien ou presque au rapport des forces entre l'exécutif et la législature. Bastien François, dans un excellent article sur MediaPart, écrit par exemple du fameux "statut de l'opposition" :

Il s'agit là, en réalité, de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, dans une décision de 2006 relative au règlement interne de l'Assemblée nationale, a refusé de donner une existence officielle au couple majorité/opposition. Mais, une fois reconnue ainsi l'existence d'une majorité et d'une opposition, qu'en fait le projet de réforme ? Malheureusement, presque rien. Il se contente (art. 22) de réserver "un jour de séance par mois" à un ordre du jour "fixé par les groupes parlementaires qui n'ont pas déclaré appartenir à la majorité qui soutient le gouvernement". Un jour de séance par mois... L'"avancée" est un peu ridicule.

Il en est de même pour les autres améliorations : l'approbation législative des nominations présidentielles. Bastien François encore :

La réforme prétend instaurer un contrôle parlementaire sur les nominations présidentielles (art. 4). Elle prévoit à cet effet qu'un certain nombre d'emplois (lesquels ? – on sait simplement que sont ici exclus les postes jusqu'à présent constitutionnellement pourvus en Conseil des ministres) ne pourront être pourvus qu'après "avis" (de quelle nature ? rendu selon quelles modalités ?) par une commission composée (comment ?) de députés et de sénateurs.

Encore une commission à bidouilles. Et le pouvoir ne sera même pas tenu d'écouter cet "avis". Les limitations apportées à l'utilisation du 49-3 sont fabilardes aussi : le 49-3 s'applique encore aux lois des finances et du financement de la sécu, plus une autre fois, sorte de joker, par session parlémentaire. Autrement dit, c'est une véritable révolution des institutions...

Car, à moins d'aller très loin dans la création (et je dis bien "création") d'un contre-pouvoir parlémentaire, les réformes envisagées n'auront pas d'effet sur le pouvoir quinquenadassé du Prédisent : tant que les élections présidentielle et législatives auront lieu en même temps, les intérêts électoraux du Président et de sa majorité seront identiques ; le Président restera inévitablement le chef de son parti, et gardera le contrôle politique du parlement, exactement comme aujourd'hui. Tout "contrepouvoir" ne sera autre chose que celui de la marionette qui donne la réplique au marionettiste. La politique aura toujours raison des institutions.

Pour avoir un véritable équilibre entre l'exécutif et le législatif, il faut une divergence dans les enjeux électoraux. Avec le risque de la cohabitation. Pour reprendre l'exemple américain, tout président nouvellement élu ou réélu doit affronter une élection législative à mi-mandat, deux ans après son élection. Il lui est donc beaucoup plus difficile, et risqué, de pratiquer la politique du dos rond. Et l'on voit que le véritable contrepouvoir est électoral, démocratique. On ne le retrouvera pas dans des bidouillages institutionnels...

De ce point de vue, le PS a raison d'insister sur la démocratisation du Sénat comme préalable à toute discussion de la "réforme" constitutionnelle. Encore faudrait-il que ce nouveau Sénat ait un véritable pouvoir législatif. Le Sénat risque d'être un contrepouvoir faible, mais intéressant du fait que ses élections n'obéissent pas aux mêmes principes que celles du Président et de l'Assemblée.

D'un côté, donc, peu de choses. De l'autre, la constitutionnalisation du narcissisme présidentiel : aller parler devant le parlément. Mais ce sera pour un autre billet.

5 commentaires:

  1. Eh pourquoi il n'y a pas de commentaires ?
    C'est pourtant un blog cité par Libé et sur un très bon article en plus. Etonnant !
    [au passage, je ne pense pas avoir ton mail, je t'aurais prevenu pour Libé, sinon !]

    Cette réforme des institution, ce ne serait pas un peu (et encore) de la communication ?
    :-)

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  2. Aie! J'étais parti en pré-weekend, alors je n'ai pas vu tout ça.

    Et qu'est-ce qu'ils citent, au juste?

    Et merci de l'avoir remquarqué! Ca aurait pu m'échapper totalement.

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  3. O16o : demande à Eric, il doit avoir récupéré l'exemplaire en question (celui de vendredi).
    Sinon, si j'y pense ce soir...
    :-)

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  4. monsieur poireau,

    Ne te fatigue pas pour l'article, je l'ai trouvé chez Libé, à l'achat (mais pas cher). Merci de l'avoir répéré, c'était mes 15 lignes de célébrité, ç'aurait été dommage de les louper!

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  5. Omelette16œufs : mais tu as raison d'être fier ! Y'a pas de mal à trouver bien d'être cité par Libé !
    :-)

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