Depuis longtemps, j'ai l'idée de faire une sorte de "Déclaration de principes" personnel, ou un "Billet de politique générale", pour essayer de préciser une pensée autrement qu'en réagissant à l'actualité. Car, au fil des billets, il y a quelques principes qui reviennent :
- L'efficacité politique : il faut, avant presque tout, gagner des élections.
- Pédagogie combative : l'efficacité politique ne suppose pas nécessairement une course vers le centre ou vers le consensus du jour, mais plutôt une prise de position facilement communicable.
- Se méfier des idéalismes politiques : résister à la tentation d'ériger une pensée politique en utopie ou en monde parallèle qui finit par empêcher toute action réelle.
- Corrolaire de cette méfiance : même un programme parfait risque de perdre face à une communication plus habile. Il est naïf de penser que les idées suffiront à vaincre la com'.
Il y en a sûrement d'autres auxquels je ne pense pas pour l'instant.
En tout cas, j'en étais là dans ma réflexion, quand, l'autre jour, suite à ces discussions passionnées mais finalement un tantinet stériles sur "libéral et socialiste", j'ai eu l'idée de faire un billet de réflexion sur ce que "gauche" pourrait signifier à partir de maintenant, billet que j'aurais publié sur Congrès Socialiste par ses Militants, le blog créé par Marc Vasseur pour essayer de laisser penser et parler les militants PS en dehors des circuits habituels du pouvoir socialiste. Et je me suis lancé, avec la naïveté que l'on tolère, j'espère en tout cas, chez des sympathisants comme moi à qui ont peut-être manqué quelques chapitres dans la théorie du socialisme, mais qui aiment bien songer à tout ça de temps en temps.
L'obstacle, dans la rédaction, auquel je me suis tout de suite heurté, c'est qu'il y a bien trop de choses à dire, même en se limitant à la politique économique, et qu'en plus le bloggage ne vous prépare pas forcément à l'élaboration de théories organisées en grand 1, petit B, troisième alinéas du sous-paragraphe 37... D'où, après quelques pages de rédaction d'un billet fleuve, ma dernière idée géniale en date, qui est de publié ici, en préparation, des bribes du Grand Billet, pour avancer tout doucement en bénéficiant peut-être de quelques réactions.
Donc, je lance une série de billets qui vont s'appeler "Gauchitudes". Et voici le premier billet-fragment:
Fins de cycle
Prenons cette définition de la distinction entre une vision libérale et une vision keynesiènne, dans Introduction à l'économie de Jacques Généreux (4e édition, Points, 2001), un manuel d'économie destiné, paraît-il, aux "lycéens et étudiants" :
Le courant classique fait confiance au mécanisme des prix pour maintenir tous les marchés en équilibre, même à la suite de chocs susceptibles d'entrâiner chômage, récession, inflantion ou déséquilibre des échanges extérieurs. En conséquence, l'intervention de l'Etat n'est pas nécessaire ; le courant classique est donc libéral. [...]
Le courant keynésien estime au contraire que le mécanisme des prix est insuffisant pour absorber les chocs auxquels sont confrontés les différents marchés. L'économie de marché laissée à elle-même peut donc connaître des déséquilibres durables et l'intervention de l'Etat apparaît nécessaire ; le courant keynésien est interventionniste.
Depuis le rachat de Bear Stearns par les contribuables américains et leurs créditeurs chinois, même les anciens "libéraux" sont de facto des interventionnistes, même s'ils ne le reconnaissent pas. Tout sera donc une question de degrés, même si la balance penche en ce moment vers l'interventionnisme.
La véritable question posée, du point de vue politique, par cette distinction, me semble être celle du prix humain qu'une société est prête à payer pour entretenir la "pureté" toute libérale de ses marchés. L'implosion de l'une des plus grandes banques mondiales n'était pas acceptable aux yeux des autorités étatsunisiennes; elles sont donc intervenues.
Et voilà la question véritable : la société est-elle préparée à accepter les souffrances produites par des "fins de cycle", ces périodes entre le moment où quelque chose est cassé, et le moment où le marché pourrait "absorber" les dégâts. Quand le déclin de la métallurgie met un très grand nombre de travailleurs au chômage, que faire si le "retournement du marché du travail" qui devrait "résorber" ces chômeurs tarde à venir, ou ne vient qu'à la fin de la vie de toutes ces personnes qui l'auront passée dans la misère? L'économie libérale est faite de ces cycles de déstruction et création, mais on ne sait jamais quand la phase "création" va revenir, ni qui va en bénéficier. Quel prix faut-il payer? Sommes-nous prêts à accepter que nos métallos vivent dans la misère jusqu'à la fin de leurs vies, ou bien pensons-nous que c'est là un prix trop élévé?
(à suivre...)
A moins de s'engager dans un processus de décroissance, je ne suis pas sûr que l'on puisse éviter les cycles. En revanche le but est que ces fins de cycles ne soient pas des catastrophes sociales.C'est l'origine du keynesianisme : c'est à dire de l'intervention des pouvoirs public de manière contracyclique. Un Etats présent en cas de crise, beaucoup moins en cas de prospérité. Mais depuis le keynésianisme a été dévoyé car utilisé en période de prospérité( ce qui litmite les ressources en cas de crise). En fait je crois que l'interventionnisme doit être structurel en période de prospérité (idée de l'Etat prévoyance) auquel doit s'ajouter un interventionnisme conjoncturel en cas de crise pour relancer la machine et protéger les plus fragiles.
RépondreSupprimerNon, je ne crois pas non plus que l'on puisse éviter les cycles. A vrai dire, je n'avais pas réfléchi à ce que tu évoques à propos de l'interventionisme de l'Etat en période de croissance. Qu'est-ce que ça veut dire, que le keynésianisme est "dévoyé" ? L'Etat continue à stimuler l'économie, même si elle va bien?
RépondreSupprimerMouais, il serait peut-être temps de sortir de l'opposition réductrice état-marché. L'Etat comme le Marché peut être tyrannique, or il faut critiquer la tyrannie, toujours. L'état comme le Marché peut être aveugle. Confère le consensus PS-UMP pour baisser la fiscalité sur l'essence, nuisant à l'efficacité du signal-prix indiquant à l'industrie qu'il est temps d'apprendre à se passer du pétrôle, prenant des sous nécessaires au financement de la sécu pour les redonner à l'oligarchie productrice de pétrôle. C'est absurde, il ne faut pas financer le gaspillage par les pêcheurs d'une ressource rare, il faut leur accorder des financements avantageux pour qu'ils puissent investir dans des bateaux qui consomment deux fois moins.
RépondreSupprimerSortir de cette opposition donc. Pourquoi ne pas parler de l'économie sociale et solidaire par exemple ?
@omelette16oeufs. Oui dévoyé parce que en faisant du keynesianisme (stimuler la demande) en période de prospérité (souvent pour des raisons électorales), tu limitestes moyens d'action en période de crise et en plus tu rend moins crédible l'action de l'Etat.
RépondreSupprimer@jmfayard. Bien sur on ne peut pas opposer Etat et marché, comme on ne peut pas nier les avantages et défauts des deux modes d'intervention (ou de non intervention). L'interet du marché est effectivement de donner des indicateurs notamment avec le prix, mais ce systeme n'est pas non plus parfait. Le concept centrale est celui d'efficacité : efficacité economique (meilleurs rendement...) et efficacité sociale (faible inégalité....)
C'est un difficile équilibre qui est à trouver
Il est vrai qu'avant même de poser les question et de commencer à y répondre il faut se situer en tant que socialiste (si l'on est socialiste)
RépondreSupprimerNous inscrivons bien évidement notre action dans le cadre des économies de marché et s’il faut l’écrire, écrivons-le une fois pour toutes. Mais nous ne faisons pas confiance au marché pour assurer la justice sociale et la cohésion démocratique des sociétés, et s’il faut le dire disons-le. Le marché se dirige spontanément vers là où il y a du pouvoir d’achat. Il n’est pas, contrairement à une gentille comptine des théoriciens libéraux, lucides sur les nouvelles demandes sociales, les souffrances, les carences. Il s’y engouffrera quand l’action politique et les évolutions de la société auront créé le mouvement et le mouvement, le besoin. Par exemple, l’industrie pharmaceutique et l’industrie du tourisme ont connu hier un boom grâce aux lois sur les congés payés et la sécurité sociale. Cette même logique se vérifiera demain avec la sécurité environnementale. Le marché doit avoir sa place, toute sa place, rien que sa place. Les socialistes allemands ont une devise, le marché chaque fois que cela est possible, l’Etat chaque fois que cela est nécessaire. Nous, socialistes français, nous pouvons y ajouter la juste place des services publics.
voilà, voilà...
jmfayard,
RépondreSupprimerOui, je pense qu'il faut effectivement quitter cette opposition état-marché. Je vais y venir dans la suite de ces billets. En même temps, je pense qu'il est important de sortir de cette opposition la tête haute, càd sans penser que toute intervention est, idéologiquement, illégitime.
Et quant à "économie sociale et solidaire", oui, c'est à peu près ça. Encore qu'il faudrait traduire cette formule en qqch de plus tangible, moins abstrait. (à mon avis)
L'économie sociale et solidaire, ce n'est pas une formule, c'est tout un secteur qui ne relève ni du secteur public ni du secteur purement marchand (d'où son autre nom qu'on trouve parfois : "tiers secteur") mais de la libre association entre les gens, donc associations, mutuelles, coopératives, fondation ... Son champ d'application est immense. Dans le programme de la gauche plurielle en 1997 il y avait le projet de faire une grande loi favoriser son essor mais c'est hélas passé à la trappe.
RépondreSupprimerVoir par exemple :
économie sociale et solidaire (wikipédia) ou Pour le tiers secteur (Alain Lipietz)
Il me semble que c'est juste une question de conviction. Si tu as tout à fait confiance dans "le marché", tu laisses faire avec sang-froid.
RépondreSupprimerSinon, tu interviens pour accompagner les accidents de parcours !
:-)
(série intéressante à mon avis !)
superpado,
RépondreSupprimerJ'ai toujours bien aimé cette formule allemande, qui a le mérite d'être claire et rapide. Il faudrait pouvoir exprimer facilement l'idée que la gauche n'est pas automatiquement pour l'intervention de l'Etat, mais qu'en même temps il n'y pas de raison d'avoir honte de ces interventions, comme si c'était forcément un retour au stalinisme à chaque fois.
monsieur poireau,
Conviction, ou une question véritablement politique, qui va justement au coeur de la question de "qu'est-ce qu'on fout là, tous ensemble?" Donc, oui, c'est plus une question de conviction que de "management".
Bravo pour la démarche ! Je n'ai pas le temps de tout lire mais je reviendrais. Il est nécessaire de se forger une pensée personnelle et de s'interroger sans cesse. Il faut (beaucoup) lire, s'informer, discuter, écrire (un des meilleurs moyens de fixer la pensée... et commencer à écrire "pour soi"). Ne jamais craindre de se contredire. Il n'est rien de pire que la pensée unique et ceux qui ânonnent les idées (?) d'un parti ou tout ce dont on leur a bourré le têtiau. La meilleure arme de la démocratie est la pensée et comme les "clercs" ont trahi (Benda) mieux vaut se forger ses propres références et convictions !
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