Pendant le désolant spectacle de l'Université d'été du PS, je n'étais pas à mon clavier. C'est finalement très bien ainsi, tant la relation symbiotique entre une presse politique pipolisée et des combats de chefs a eu pour effet d'étouffer le moindre soupçon d'une véritable réflexion émergeante. A quoi bon réfléchir, en effet, si une réflexion n'est pas recevable dans l'opinion publique autrement que comme manoeuvre ? Tôt ou tard, il va falloir trouver une idée ou deux, voire une ligne directrice. Ou deux. Le drame du PS actuel, c'est que parmi les prétendants principaux, il y a peu d'idées qui peuvent servir à les départager, et le choix de l'un ou l'autre pour le poste de Premier Secretaire ne sera pas le choix d'une nouvelle direction politique.
Asse42, que je connaissais surtout pour ses commentaires chez Dagrouik, a dressé le mois dernier un portrait du jospinisme en "social-libéralisme". Dans ce tableau, il y a quelques points qui me semblent utiles et intéressants (sinon sereins) :
Son premier choix [à Jospin] a donc été de nommer un premier secrétaire compatible, puisque lui se consacrerait aux joutes nationales. Il a donc naturellement choisi Hollande. Hollande qui était dans les limbes du parti et qui, contrairement à sa compagne, ne jouait aucun rôle majeur. Sa nomination par Jospin a été un accélérateur de popularité pour cet homme drôle, sympa et ... fidèle. Son rôle aura donc été dans toutes ses années de rassembler autour de Jospin, de garder le parti uni. Il a réussi et on peut le gratifier de cet incontestable succès. Avec Hollande, le PS ne s'est pas divisé. Mais il n'a pas non plus attiré à lui.
Souvent il a été reproché à François Hollande les éternelles "synthèses molles" qui ont rendu le PS politiquement illisible ces dernières années. Je n'ai pas les moyens pour apprécier correctement la valeur définitive de cette unité que Hollande a su préserver, mais on peut regretter le fait que son pris fût la mollesse idéologique. Toujours est-il qu'il est injuste de voir en Hollande l'unique moteur de la mollesse : la "synthèse molle" est celle qui arrange tout le monde, et ça je l'ai déjà dit ; elle est aussi une conséquence du jospinisme lui-même, qui consiste (si j'ai bien compris) à trouver à gauche un centre de gravité qui ne déplaît à personne complètement, y compris à des éventuels électeurs issus de la droite molle, au prix, encore une fois, d'une absence de ligne politique claire. Parmi les conséquences qu'asse42 identifie : perte des électeurs populaires, coup d'arrêt aux adhésions au PS. Défaite en 2002 au premier tour sur un programme "pas socialiste".
Les experts pourront me corriger, mais j'ai bien l'impression que le jospinisme commence avec le fameux "droit d'inventaire du mittérrandisme", qui pouvait à l'époque avoir l'air d'une posture légèrement héroïque: tourner la page, tuer le père. Cependant, la démarche aboutit à une gauche moderne et tiède qui ne se définit plus que dans cet afranchissement vis-à-vis d'un passé où le socialisme pouvait exister autrement. Le PS moderne de Jospin est moderne parce que dilué. Socialisme Light. Le progrès social s'en trouve réduit à un équilibrisme entre la seule défense des "acquis sociaux" et un libéralisme tout aussi "light".
Il devient aisé de comprendre que, placé entre un passé à diluer et à protéger, et une économie de marché à filtrer, le jospinisme manque de sources d'idées nouvelles : le "social" n'est présent que par la référence au passé. Si l'on objecte que les 35 heures constituent de ce point de vue un progrès, je répondrai que l'une de leurs faiblesses idéologiques est dans le fait de simplement prolonger une forme très ancienne de progrès social. Et de l'autre côté, le libéralisme light que l'on fait entrer dans le poulailler, en tant que mal nécessaire n'apporte rien pour renouveler le socialisme, mais seulement pour le moduler, de la même manière que le socialisme moderne promet de freiner les ardeurs des marchés tout en les stimulant.
Je n'ai pas de mal à comprendre comment on en arrive là, avec le jospinisme. Le "droit d'inventaire" n'était pas mal à l'époque. Le problème est plutôt qu'aucune ligne nouvelle ne peut s'en dégager. Le jospinisme, c'est la défense tiède du passé, c'est la transition, censée être douce, vers un équilibre entre toutes choses. La tragédie du 21 avril était que la survie du jospinisme dépendait d'une reconquête du pouvoir, chose pour laquelle le jospinisme est très mal adapté. Sujet sans doute de mon prochain billet. Pour l'instant, je voudrais surtout insister sur l'hypothèse selon laquelle la mollesse générale du débat au PS, où l'enjeu politique principal devient la recherche d'une façon originale pour appeler à l'unité, est moins due aux personnalités des chefs de file, ou à celle de François Hollande, qu'aux fondements même du jospinisme. Jospin a parlé, à propos de Ségolène Royal, d'une impasse. Et si c'était la paille qui dissimulait la poutre ?
Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'oeil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton oeil à toi, tu ne la remarques pas ? Mathieu 7:3
Putain ! Une référence à la bible dans un billet sur Jospin.
RépondreSupprimerBillet dont je ne partage que moyennement la conclusion dans la mesure où il est souvent assez facile de taper sur l'ambulance. On en arrive souvent à mettre tous les maux de la gauche sur les épaules de Jospin (et de son "fils") pour exonérer les autres de toute responsabilité.
Nicolas le PS n'a jamais cherché les causes de 2002 hormis "c'est les autres"
RépondreSupprimerMarc,
RépondreSupprimerEn 2002, seulement ?
Ce n'est pas exactement ce que je voulais dire. O16o nous décrit la période 1997-2002 comme une des sombres périodes du PS. Ca ne me parait pas être d'une grande justice...
Nicolas,
RépondreSupprimerIl y a un gros avantage à taper sur Jospin plutôt que sur les autres : il n'est pas dans la course!
Surtout, je ne dis pas du tout que la période 1997-2002 était sombre pour le socialisme! Je voulais surtout dire que la situation actuelle (qui est sombre en effet) est un peu la conséquence de la forme qu'a pris le jospinisme. Pour 1997-2002, Jospin était à peu près bien adapté aux attentes des gens. Du moins entre 1997 et 2000. Ca ne veut pas dire que le jospinisme est encore la recette miracle pour la suite des événements.
Quand on regarde en arrière et qu'on se souvient de la période Jospin, on dirait qu'on regarde un âge d'or, les trentes glorieuses en 5 années !
RépondreSupprimerSûr que si l'on compare à aujourd'hui...
Par contre, je me souviens aussi avoir voté Besancenot au premier tour dans le but de rappeler à Jospin qu'il y avait le mot "gauche" AVANT le mot "pluriel" !
C'est bien que, déjà, quelque chose clochait, non ?
Enfin un billet et en plus qui pose des problèmes à notre ambulancier nicolas, que demander de plus!
RépondreSupprimerAssez d'accord avec ce billet.
RépondreSupprimerIl y a eu effectivement une dérive vers un socialisme light voire un social-libéralisme qui ne disait pas son nom (le nom de Blair était tabou sous Jospin).
Pour ne prendre qu'un exemple, celui du démantèlement du secteur public, Mitterrand 88 avait défini le "ni-ni", Jospin-DSK préféraient les privatisations en douce et avaient signé à Barcelone la future mise à mort des services publics de l'électricité, du gaz que nous vivons actuellement.
Mais plus grave encore qu'une dérive de droite qui ne disait pas son nom, ça a été finalement la non-reformulation d'une doctrine, d'une idéologie surtout à partir de 2000 où, dans l'obsession de la présidentielle, le jospinisme (une fois les 35h ou le PACS voté), est devenu un coquille vide, d'hommes fiers d'être de bons gestionnaires pragmatiques (ce qui n'était pas faux) désidéologisés ("mon programme n'est pas socialiste").
C'est en comprenant cette fin de règne cauchemardesque (parce qu'on s'était arrêté de penser et de cliver) que l'on peut comprendre à mon sens l'émergence 5 ans plus tard des "Gracques" et des "traîtres" en tout genre: Bockel et son parti croupion, Jouyet, Besson... Pour ces gens, "la bonne gestion" social-libérale est devenue l'alpha et l'oméga de la pensée.
Fer,
RépondreSupprimerPas spécialement d'accord avec ton commentaire...
"Jospin-DSK préféraient les privatisations en douce et avaient signé à Barcelone la future mise à mort des services publics de l'électricité, du gaz que nous vivons actuellement."
C'est l'argument de la droite parlementaire au moment de la privatisation d'EDF (je suivais beaucoup les débats à l'assemblée à l'époque... alors que je n'étais pas encore vraiment un blogueur). "C'est de la faute à Jospin" qu'ils disaient. Non ! L'Europe se faisant à plusieurs, Jospin avec accepté une "ouverture à la concurrence" de certains (tous ?) services. Il n'a jamais voté la mise à mort (pardon, la privatisation) des services publics du gaz et de l'électricité.
Mais, effectivement, la fin du mandat s'est transformée en absence de réflexion...
Sur les actions de Jospin 1er ministre, je n'ai pas de critiques majeures à formuler. Il y avait un contexte aussi, celui de la cohabitation, les tensions dans la gauche plurielle, construction européenne, etc. Je serais assez d'accord avec Nicolas là-dessus, même si on peut toujours trouver à redire.
RépondreSupprimerMais le deuxième point de Fer est en effet ce qu'il y a de plus grave : il ne pouvait pas y avoir de suite politique au jospinisme, qui est plus un positionnement qu'une pensée.