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24 novembre 2009

Besson et la purification symbolique de la nation

Besson fait un entretien au JDD. (Juan en parle aussi.) C'était dimanche dernier. Pour une fois les questions étaient un peu dures, surtout sur la relation entre le « Débat » sur l'Identité Nationale et l'immigration. Exemple :

Comment organiser l’identité nationale, quand on est le gendarme de l’immigration?

C’est une fausse perception. [...] Mais tout se tient. Pour consolider l’intégration, il faut lutter contre les filières de l’immigration clandestine et les mafias qui l’organisent…

Comment ça, une fausse perception ? Besson est bien « gendarme de l'immigration » (et des Expulsions, des Rafles et des Charters), et il est bien chargé de nous vendre l'Identité Nationale. « Tout se tient », en effet, comme il le dit si admirablement. La tentation est grande d'aller droit au but : tout se tient, Monsieur, c'est-à-dire votre identité nationale et la xénophobie, c'est-à-dire identité nationaliste et électeurs du Front National. Mais comme nous voulons être sages et poli, essayons de décortiquer un peu plus.

Pour au moins 50%, le programme IdentNat d'Éric Besson tourne autour de l'immigration. Sous prétexte de réussir l'intégration. Si vous allez sur le grand site du débat (hashtag #xenophobie_2.0), vous trouverez en ce moment les deux premières propositions du gendarme-propagandiste. Voici la première :

Faire connaître et partager l’identité nationale.

Notre Nation s’est constituée au fil des siècles par l’accueil et l’intégration de personnes d’origine étrangère. Ce grand débat doit permettre de valoriser l’apport de l’immigration à l’identité nationale, et de proposer des actions permettant de mieux faire partager les valeurs de l’identité nationale à chaque étape du parcours d’intégration.

Pour aboutir à la question :

Comment mieux faire partager les valeurs de l’identité nationale auprès des ressortissants étrangers qui entrent et séjournent sur le territoire national ?

Dans la stratégie de communication de Besson, il y a d'abord son côté gentil : aidons les pauvres immigrés à s'intégrer, apprécier leur apport à la Nation, blah blah blah. Et l'argument, à la base, est qu'en faisant ici, sera résolu l'autre problème, le vrai problème, celui qui revient tout le temps, y compris dans la bouche du Très Grand Homme (TGH) : le communautarisme.

De la circulaire bessonienne :

Ce débat répond aussi aux préoccupations soulevées par la résurgence de certains communautarismes, dont l’affaire de la Burqa est l’une des illustrations. Au moment même où l’Union européenne franchit une nouvelle étape de son intégration, et où la crise économique et financière internationale démontre combien la mondialisation rend l’avenir des Nations interdépendant, ce débat a pour objectif d’associer l’ensemble de nos concitoyens à une réflexion de fond sur ce que signifie, en ce début de 21ème siècle, « être Français ».

Le communautarisme avec, comme dans les discours de Sarkozy, le Burqa : quel stratège UMPiste aurait jamais pu imaginer meilleur épouvantail, chiffon rouge à agiter devant les yeux des Républicains old-school, y compris de gauche. Le sarkozyzme apprécie les débats qui divisent le parti adverse ; le voile, la burqa sont des sujets de rêve pour semer la zizanie chez les bien pensants. De même que le communautarisme, avec, en toile de fond, la question de l'Islam qui permet de mettre provisoirement dans le même caps les laïques purs-et-durs et les catholiques qui ont peur que la France deviennent un pays musulman.

De fil en aiguille, donc, on arrive à la question policère. Lutter contre les immigrés en situation irrégulière c'est valoriser, ou disculper, ceux qui sont en situation régulière. Et pour enfoncer le clou, Besson, dans le JDD, cite Patrick Lozes :

Le président du CRAN Patrick Lozes dit à juste titre que "rien ne ressemble plus à un étranger régulier qu’un étranger irrégulier"... La lutte contre l’immigration clandestine est peut-être politiquement incorrecte, mais elle est profondément républicaine, puisqu’elle met fin à cette confusion.

Je disais « de fil en aiguille » : mais au fait, me dira le lecteur attentif et critique, quel rapport y a-t-il entre immigration, légale ou illégale, et communautarisme ? On sait qu'en France, le communautarisme est toujours en « montée ». Le communautarisme est toujours un truc qui va nous engouffrer demain, et la Nation et la République (et l'Église...) avec. Mais le chaînon manquant dans cette « pensée », c'est que « la montée du communautarisme » ne concerne pas les immigrés. Et encore moins les immigrés clandestins. Le communautarisme se pratique d'abord chez des jeunes français dont les parents ou les grands-parents étaient immigrés. En quête d'identité, sans doute, mais pas parce qu'ils ne savent pas ce que c'est d'être français, mais plutôt parce qu'ils ont beau être français, on les voient encore comme des « immigrés ».

C'est un thème sur lequel je suis souvent revenu : la lutte contre l'immigration dans ce grand cadre nationaliste, est avant tout symbolique. L'identité nationale chez des gens comme Hortefeux et Besson est en panne depuis la décolonisation ; les « immigrés » qu'ils voudraient expulser ne sont pas ceux de 2009 mais ceux des années soixante et soixante-dix qui sont en grande partie aujourd'hui des citoyens français. Il n'y a pas si longtemps le programme du Front National proposait de revenir sur toutes les naturalisations depuis 1973, je crois. Hortefeux et Besson sont un peu plus raisonables : ils ont trouvé une parade symbolique.

4 commentaires:

  1. Dire d'un côté que l'identité nationale a été nourrie de tous les apports extérieurs et de l'autre qu'on pourrait aujourd'hui en faire une chose fermée, finie et en exclure tout un tas d'immigrés, c'est tout à fait contradictoire ! Si notre identité s'est bâtie ainsi, elle est donc en perpétuelle évolution et c'est y porter atteinte que de vouloir la boucler, non ?
    :-))

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  2. Lire le blog en entier, pretty good

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  3. Monsieur Poireau,

    C'est exactement ça. Le "débat" sur la question suppose d'emblée que c'est quelque chose qui puisse être défini une fois pour toutes, arrêté en somme, figé, immobilisé. Pour ensuite servir de rouleau-compresseur contre tous les apports nouveaux, en provenance des Autres.

    (Tiens, ça mériterait un billet. Si seulement je n'en avais déjà fait à peu près 5 à la suite sur le même sujet.)

    Anonyme,

    Thank you !

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  4. Anonyme : un peu de remontant, c'est efficace sur les blogueurs inactifs ?
    :-))

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