Il y a quelque chose d'étrange dans le langage du PS depuis que le projet est officiellement lancé, un rapport étrange au passé et au futur. La phrase de Martine Aubry nous met la puce à l'oreille : « l'avenir aimera de nouveau la France ». D'accord c'est paradoxal et accrocheur, légèrement publicitaire ; il faut s'attendre à ce genre de chose. Mais qui est vraiment cet avenir qui aime et n'aime pas ?
Dans un dossier PS intitulé justement L'avenir aime la France (qui n'est pas trop mal en analyse, assez faible en propositions) :
Après quatre siècles d'hégémonie, les nations occidentales vieillissent et semblent résignées à cultiver leur passé plutôt qu'à se projeter dans l'avenir. (page 7)
On dirait qu'ils ont réfléchi pas mal à ces histoires de passé-présent-futur-futur antérieur. Les grandes lignes du projet ont quelque chose d'étrange aussi, de ce point de vue :
- Redresser la France et proposer un nouveau modèle de développement
- Retrouver la justice pour bâtir l’égalité réelle
- Rassembler les Français et retrouver la promesse républicaine
« Redresser », « retrouver » (x2) : n'est-ce pas un peu : c'était mieux avant ?
La promesse de « changement » (nom officiel du programme) Avec « l'avenir » et , suggérer que l'avenir va nous faire revenir au passé. L'idée d'un protectionisme européen va dans ce sens, par exemple : recréer les circonstances (industrielles) où le bon vieux socialisme serait à nouveau pertinent (Sans mentionner que c'est une idée parfaitement impratiquable puisqu'un consensus européen sur la question est impossible, et que la guerre économique qui s'ensuivrait ne serait pas forcément bonne pour tout le monde : on aime oublier notre dépendance vis-à-vis de la Chine…)
Et après ce retour redressé et retrouvé, revenons à cette France et l'avenir qui l'aime. Je n'ai rien contre cette formule ; elle est accrocheuse, paradoxale et maligne. En même temps, et c'est pour ça que c'est malin, elle fait la synthèse entre une idée de progrès (l'avenir) et quelque chose de vaguement patriotique : aimer la France. Ce n'est pas répréhensible, bien entendu, mais cela m'inquiète un peu. C'est comme s'il fallait que la gauche réagisse au succès de Marine Le Pen aux cantonales et à l'obsession xénophobe du pouvoir actuel. Ce n'est pas pour dire que le PS est devenu xénophobe à son tour (ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit), mais qu'il est souvent coupable, depuis des années, d'une sorte de molesse, un suivisme qui essaie de prendre en compte tout l'éventail des points de vue politiques. C'est un peu comme si le succès de Marine Le Pen et les mesures et déclarations islamophobes et xénophobes du gouvernement finissaient pas persuader les médias et les politiques que ces questions (prières de rue, etc.) passionnaient toute la population, mais à des degrés différents.
C'est une erreur, parce que cette bagarre-là concerne le FN et l'UMP. Il y a un groupe d'électeurs qui peuvent basculer entre les deux camps s'ils perçoivent que l'un ou l'autre va mieux convertir leurs vagues peurs de l'altérité en réelles mesures politiques. C'est la théorie, en tout cas, de Nicolas Sarkozy, qui semble savoir que sa réélection dépend de sa victoire dans cette lutte. Or, cela ne concerne pas le PS : ces électeurs là ne viendront pas au PS, même s'il affiche des timides petits signes patriotiques. Le reste de la population n'est pas obligatoirement hypnotisé par ces manoeuvres.
Mais, vous me direz, il y a beaucoup d'électeurs de gauche qui ont été tentés par l'extrême droite (et par le Très Grand Homme (TGH) lui-même en 2007). Bien sûr, et c'est un problème. Mais le problème n'est pas que le PS n'est pas assez xénophobe pour faire jeu égal avec la droite. Le problème, c'est que le discours populaire du PS n'existe plus, n'est plus lisible, ne porte plus. Peu à peu, on en vient à penser que le mythique électeur populaire ne veut que du racisme. Evidemment, si c'est tout ce qu'on lui propose… D'où l'urgence de fabriquer un discours populaire et de gauche pour combattre la diversion haineuse.
(PS: Le « coup du drapeau » et les autres effets chévènementestes étaient à mon avis l'erreur idéologique principale de la campagne de Ségolène Royal : ce type démarche énerve les gens de gauche et ne convainc personne à droite.)
Je suis aussi gêné par cette vision assez rétrograde, qu'on retrouve aussi chez Montebourg (la "démondialisation") ... ce n'est pas en se recroquevillant que la gauche peut devenir durablement majoritaire.
RépondreSupprimerromain
RépondreSupprimerOui, la "démondialisation"... plus facile de faire revenir le monde à ses idées plutôt que de changer d'idées... Et c'est surtout qu'en se recroquevillant, la gauche donne raison à la droite. Pour gagner, il faut gagner la guerre des idées. Et il faudrait donc un peu d'imagination et de courage pour proposer qqch de neuf.
J'ai l'impression d'être dans la Cité nomade du « Monde inverti » de Christopher Priest: l'optimum à atteindre bouge sans cesse vers l'avant, mais le moindre relâchement dans cette poursuite entraîne la Cité vers l'arrière, le passé, la réaction, la contraction, la dégradation...
RépondreSupprimerCe même relâchement qui rend le contenu du discours de la frange droite de la droite institutionnelle comparable à celui de l'extrême droite d'il y a 30 ans, et le contenu du discours de la gauche radicale non révolutionnaire à peine plus progressiste que celui de la gauche institutionnelle d'il y a 30 ans...
(L'avenir, c'était mieux avant.)
@anonyme,
RépondreSupprimerPour la droite, oui, c'est désespérant. Pour la gauche aussi, je suppose, et l'image du roman que vous citez (que je ne connais pas) me paraît assez juste pour décrire ce rétrecissement de la marge de manoeuvre et de l'idée même de progrès social.
Pourtant, je ne suis pas persuadé que ce soit une fatalité. Si on reste dans les mêmes schémas, en proposant les mêmes solutions qu'il y a 30, 40 ou 50 ans, c'est difficile. C'est là qu'il faudrait un peu d'imagination pour changer d'approche, de schéma ou de paradigme. J'avais même essayé d'y réfléchir dans une série de billets qui s'appelaient "Gauchitudes"...