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25 mars 2012

Retour au village

Il y a quelques semaines, j'essayais d'expliquer, dans la communication politique de Nicolas Sarkozy, l'usage d'un trucage d'échelle :

L'un des fondements du sarkozyzme, ou plutôt de la communication sarkozyzte, consiste à profiter du fait que les gens ont du mal à imaginer 65.350.000.000 personnes en même temps. Il est préférable d'imaginer la France comme une sorte de petit village idéal

Depuis j'ai appris qu'il n'y a pas 65 milliards de français, mais seulement 65 millions. Je continue néanmoins à soutenir qu'il est difficile d'imaginer autant de monde, et que les communicants en profitent pour transposer des grandes questions de société sur le plan d'une France imaginaire, où l'on peut raisonner en termes moraux, à partir de quelques figures emblématiques : le chômeur (fainéant, tricheur), le pédophile (récidiviste), l'"Arabe" (communautariste), l'immigré (voir l'"Arabe"), le terroriste (qui vient d'arriver au village ; voir l'immigré). J'en oublie sûrement.

Aujourd'hui, au village, dans le rôle du "prof" nous avons celle qui a offerte une minute de silence à Mohamed Merah. Roman Pigenel montre bien qu'elle ne représente que "0,00012 % des enseignants français. Dans le village, en revanche, elle les représente tous. Telle est là réalité du village.

C'est une technique à bonne résonance communicative, car les téléspectateurs suivent plus facilement quand il y a un nombre limité de personnages, tout comme pour les émissions de télé-réalité. Le changement d'échelle permet de procéder à d'autres manipulations aussi, comme le retour aux années soixante (période de référence pour l'électorat des retraités). Ce qui est chouette avec ce système, c'est qu'il permet de proposer des mesures qui auraient peut-être (ou peut-être pas) un sens il y a cinquante ans.

Alors que Marine Le Pen imagine des "Mohamed Merah" arrivant quotidiennement par centaines, le délire de Claude Guéant est encore plus malsain :

Face au « terrorisme islamiste » qui s'est exprimé lors des tueries de Toulouse et Montauban, il y a « deux fronts » selon Claude Guéant : « le front extérieur », celui des commandos venus de l'étranger, mais aussi « le front intérieur, ce terreau dans lequel on recrute des extrémistes ».

Le "terreau" où l'on recrute les terroristes de demain, ce n'est, à suivre sa logique, que l'ensemble de cette population "d'origine musulmane" qui reste socialement exclue. Que ce "terreau" constitue un "front intérieur" signifie en somme que la Guerre des Civilisations a déjà commencé et que l'ennemi (même sous forme de "terreau") est déjà présent dans le quartier d'à côté.

Malgré l'interdiction présidentielle de "toute amalgame", le raccourci est en train de se faire. Dans le village, jusqu'à la semaine dernière, le rôle de l'"Arabe" était assuré par un jeune délinquant brûleur de voitures impliqué dans un trafic de fausses cartes Vitale. Celui-là vient d'être remplacé par Merah, ou par un "Merah potentiel".

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