Tout ce qui se passe au niveau européen sera toujours nimbé de confusion, tant les enjeux sont complexes et les intérêts communicationnels des uns et des autres sont doubles, triples. Le sommet d'hier soir et ce matin, avec ses moments dramatiques, quand les chefs d'État décident ne pas se coucher à 2h, les bras de fer, l'attaque surprise par l'Espagne et l'Italie : tout est là pour nous faire espérer un changement profond. Le changement promis, par le candidat qui disait qu'il allait faire renégocier les accords présidés par Merkozy.
Qu'en est-il ? Marc Vasseur est très pessimiste :
On savait déjà que la question des eurobonds était déjà tranchée, on espérait que cet abandon pouvait au moins se « marchander » contre un effort conséquent en matière de croissance… en vain à moins de se réjouir de cette énorme enveloppe de 120 milliards consacrée à cette dernière. Pour situer l’ampleur de ce soutien, il convient de mettre en parallèle les 1.500 milliards pour sauver les banques. Je n’ose même pas souligner que sur ces 120 milliards, la moitié est confiée à la Banque Européenne d’Investissement sous la forme d’une augmentation de sa capacité à prêter. Au final, nos dirigeants européens ont réussi à mobiliser 60 milliards d’euro pour dynamiser une croissance anémique voire moribonde… c’est juste risible.
Marc a raison sur les 120 milliards : c'est loin d'être une révolution.
Il s'inquiète également pour la souveraineté, y voyant la plus grande et grave concession de François Hollande :
Ne nous y trompons pas, la finalité de cette démarche est de donner pouvoir à la Commission de donner son avis et par la suite son aval aux budgets et aux orientations en matière économique des Etats Membres et probablement le cas échéant de sortir le baton si d’aventure un Etat prenait trop de libertés vis à vis de la doxa néo-libérale – en clair Roosevelt et Keynes ont été abattus lâchement dans une courée sombre cette nuit.
Bien sûr, il est possible d'adopter la position rigoriste : Hollande a promis une politique de relance, alors 120 milliards, ce n'est pas énorme ; Hollande a dit qu'il ferait renégocier le traité, alors que finalement les choses ne sont pas passées ainsi ; Hollande a dit qu'il serait l'ennemi de la finance, tandis que les marchés saluent l'accord ; Hollande a dit qu'il proposerait les eurobonds, Merkel a dit "nein".
La politique européenne n'est pas structurée pour permettre des victoires franches. Celle de Hollande, dans ce cas, n'est la défaite ni de la finance, ni de toutes les politiques de la rigueur. Pourtant, elle marque sans doute un tournant (qui sera à confirmer) dans l'approche de la crise, qui jusque là, sous l'impulsion de Merkozy, consistait à dire tout les problèmes étaient dûs à un défaut de rigueur, et qu'ils pourraient tous être rémédiés avec une application suffisante de rigueur. Le modèle grec, en somme, auquel Merkel semble ne voir aucune alternative.
Voici ce qui est, à mes yeux, l'acquis le plus signficatif :
à Bruxelles, Angela Merkel a cédé sur un principe martelé à tous les étages de la Chancellerie et du ministère des Finances depuis le début de la crise: pas d'attribution d'aide financière sans soumission des États à un strict programme de réformes structurelles en contrepartie. (Le Figaro)
Autrement dit : à l'avenir, les problèmes de dette des différents pays de l'Eurozone ne seront plus uniquement considérés comme étant dûs à l'irresponsabilité des dirigeants dépensiers. L'austérité n'est plus la seule solution. Il est trop tôt pour savoir quelles seront les conséquences réelles de ce changement, qui ne concerne pour l'instant que l'Italie et l'Espagne.
D'une part il y a la question de l'influence de Merkel, et le fait que François Hollande a osé ce que Sarkozy et l'UMP considéraient jusqu'à présent impossible. L'obéissance à la ligne de Berlin n'est pas une fatalité :
"la chancelière a été prise de court au sommet européen", écrit l'éditorialiste Nikolaus Blome dans le journal Bild. "Elle a été contrainte d'encaisser un résultat qu'elle avait exclu (…) C'est la première fois en plus de deux ans que les Etats européens n'ont pas suivi les instructions de l'Allemagne."
On ne se rend compte que l'affichage permanent de l'amitié sans faille entre les chefs d'État des deux plus grosses économies de la zone Euro avait surtout permis de perdre du temps, en confirmant l'analyse des marchés sur la dette.
Et c'est là, au delà des rapports de force, la véritable nouveauté. En laissant l'Espagne et l'Italie passer à côté de l'impitoyable logique de la Troïka, il est désormais dit que le chemin vers la santé économique ne passe pas nécessairement par l'austérité et la récession.
En laissant le Fond de Stabilité et le Mécanisme de Stabilité capitaliser directement les banques, on admet que le problème de l'Euro n'est plus simplement celui de la défaillance coupable des états faibles. La réponse devra être collective. Merkel peut chipoter, en disant "nous restons entièrement dans le schéma actuel: prestation, contrepartie, conditionalité et contrôle", la nature des prestations, contreparties et des contrôles a changé de logique.
Donc aux copains déçus par l'envergure de la relance et par le fait que nous sommes encore dans une grande tentative de satisfaire les banques, qui, malgré tout, fournissent les liquidités qui font tourner tous les États de l'Europe, j'ai envie de dire que les mots et les idées doivent venir d'abord. Les mots et la pensée ne suffisent pas, bien sûr, mais ils sont la condition nécessaire des changements concrets. Il faudra surveiller, maintenir la pression, exiger davantage. Tout cela a une signification dès lors que le courant va dans le bon sens.
Manifeste pour le retour à la raison économique
RépondreSupprimerPlus de quatre ans après le début de la crise financière, les économies les plus avancées restent profondément déprimées, dans un contexte qui rappelle hélas trop les années 1930.
La raison en est simple : nous suivons les mêmes idées qui ont inspiré les politiques des années 1930. Ces idées, qui ont été invalidées depuis longtemps, reposent sur des erreurs d’analyse profondes, tant sur les causes de la crise que sur sa nature, ainsi que sur la réponse qu’il serait approprié de lui apporter.
Ces erreurs ont pris profondément racine dans l’opinion publique et elles servent d’appui pour justifier, dans de nombreux pays, une austérité excessive dans la conduite des politiques budgétaires. Il est temps de publier un manifeste dans lequel des économistes sérieux exposent au grand public une analyse plus solidement étayée de nos problèmes.
· Les causes
De nombreux décideurs politiques répètent que la crise a été provoquée par des emprunts publics irresponsables. A quelques rares exceptions près – autres que la Grèce –, c’est faux. Les conditions de crise ont été créées par des emprunts et les prêts excessifs au sein du secteur privé, notamment par les banques.
L’explosion de cette bulle a conduit à une chute massive de la production et donc des recettes fiscales. Les déficits publics importants auxquels nous assistons aujourd’hui sont la conséquence de la crise, pas sa cause.
· La nature de la crise
Lorsque la bulle du crédit immobilier, de part et d’autre de l’Atlantique, a éclaté, de nombreux acteurs du secteur privé ont réduit leurs dépenses pour tenter de rembourser leurs dettes. D’un point de vue individuel, il s’agissait certes, de leur part, d’une réponse rationnelle. Mais, à l’image du comportement similaire des débiteurs dans les années 1930, cette réponse s’est avérée collectivement destructrice. Pour une raison simple : les dépenses d’une personne, ce sont les revenus d’une autre.
La chute des dépenses a entraîné une crise économique, qui a aggravé du même coup le problème de la dette publique.
· La réponse appropriée
RépondreSupprimerAlors que le secteur privé est engagé dans un effort collectif pour dépenser moins, les politiques publiques devraient, à l’inverse, agir comme une force stabilisatrice, en essayant de soutenir la demande.
A tout le moins, nous ne devrions pas aggraver la situation par des coupes drastiques dans les dépenses publiques ou de fortes augmentations des taux d’imposition sur les ménages ordinaires. Malheureusement, c’est précisément ce que de nombreux gouvernements sont en train de faire.
· L’énorme erreur
Après avoir répondu correctement à la crise dans un premier temps, pendant sa phase aiguë, les politiques ont pris, au nom du « bon sens », un mauvais tournant. Elles se sont concentrées sur les déficits publics, qui résultent principalement d’une chute des recettes provoquée par la crise des revenus ; elles font valoir que le secteur public doit tenter de réduire ses dettes de conserve avec le secteur privé.
En conséquence, au lieu de jouer un rôle stabilisateur, la politique budgétaire a fini par renforcer les effets récessifs des réductions des dépenses du secteur privé.
Les risques d’un plan trop brutal
Si le choc économique était moins grave, la politique monétaire pourrait prendre le relais. La politique monétaire doit être utilisée au maximum, mais avec des taux d’intérêt proches de zéro, cela ne suffira pas.
Il faut, bien sûr, se doter d’un plan à moyen terme pour réduire le déficit public. Mais s’il est trop brutal, ce dernier peut faire avorter la reprise économique, et donc devenir contre-productif.
Une des priorités essentielles, aujourd’hui, est de réduire le chômage avant qu’il ne devienne endémique, ce qui rendrait plus difficile encore la reprise économique et donc la réduction du déficit public.
Comment ceux qui défendent les politiques actuelles répondent-ils à l’argumentaire nous venons de dérouler ? Ils insistent sur deux points, très différents l’un de l’autre.
· L’argument de la confiance des marchés
Leur premier argument est que les déficits publics vont entraîner une hausse des taux d’intérêt et donc empêcher la reprise. Symétriquement, affirment-ils, l’austérité permettra d’accroître la confiance et donc de favoriser le redémarrage.
Mais aucune preuve ne vient en appui à cet argument. Tout d’abord, malgré des déficits exceptionnellement élevés, les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi faibles qu’aujourd’hui, dans tous les grands pays dotés d’une banque centrale qui fonctionne normalement.
C’est même vrai du Japon où la dette publique dépasse désormais 200% du PIB annuel. Les dégradations de la dette japonaise, décidées par les agences de notation, n’ont eu aucun effet sur les taux d’intérêt locaux.
Si les taux d’intérêt se sont élevés dans certains pays de la zone euro, c’est parce que la BCE n’est pas autorisée à agir comme prêteur de dernier ressort aux gouvernements. Ailleurs, la banque centrale peut toujours, si nécessaire, financer le déficit public, laissant le marché obligataire de marbre.
En outre, si l’on examine l’expérience passée, il n’existe pas d’exemple probant où des compressions budgétaires ont conduit à une activité économique accrue. Le FMI, qui a étudié 173 cas de politiques d’austérité budgétaire dans différents pays, a constaté que celles-ci débouchent quasiment toujours sur une contraction de l’économie.
c'est pas de moi évidemment
RépondreSupprimerl'un des auteurs est prix nobel d'économie, un nul en qq sorte
Eh bien, bob, chapeau!
RépondreSupprimerPas mieux!
Bob,
RépondreSupprimerC'est un bon texte. Et c'est vrai qu'il est dommage que le public ait accepté globalement cette idée que la "crise de la dette" était dû à des dépenses excessives et non au fait que les Etats ont dû s'endetter pour soutenir leurs banques, et surtout que l'assèchement de l'économie a précipité ensuite les comptes publics dans le rouge. Petit à petit la nouvelle lecture, qui est en gros celle de Hollande, fait son chemin, mais ça a pris du temps.
un bout du texte a sauté (à la fin)
RépondreSupprimerle voici
Dans la poignée de cas dans lesquels la réduction des déficits budgétaires a été suivie par une croissance, cette reprise s’explique par d’autres facteurs, comme une dévaluation de la monnaie dans un marché mondial porteur – ce qui n’est pas envisageable aujourd’hui.
La leçon de l’étude du FMI est claire : les coupes budgétaires retardent la reprise. C’est ce qui se passe aujourd’hui : les pays qui ont le plus réduit leurs dépenses publiques sont ceux qui ont connu des reculs de la production les plus forts.
La vérité, comme on peut aujourd’hui le constater, c’est que les compressions budgétaires n’inspirent pas la confiance des entreprises et des marchés. Les entreprises n’investissent que si elles anticipent un nombre suffisant de clients, recevant des revenus suffisants pour alimenter leurs dépenses. L’austérité décourage l’investissement.
Il existe des preuves massives contre l’argument de la « confiance des marchés » : tous les éléments allégués pour le soutenir s’évaporent quand on les soumet à un examen approfondi.
· L’argument structurel
Deuxième argument avancé contre la relance de la demande : la production serait limitée, du côté de l’offre, par des déséquilibres structurels.
Si cette théorie était exacte, cependant, certains secteurs de nos économies seraient déjà au maximum de leurs capacités de production.
Dans la plupart des pays, ça n’est tout simplement pas le cas. Tous les secteurs majeurs de nos économies sont en difficulté, et chaque profession connaît un chômage plus élevé que d’habitude.
Donc, le problème est forcément une insuffisance générale de la demande.
Dans les années 1930, aux Etats-Unis, le même argument structurel avait été utilisé contre des politiques de relance par la dépense publique.
Mais les dépenses se sont accrues entre 1940 et 1942 et la production a alors augmenté de 20%. Le problème, dans les années 1930, était une pénurie de la demande, pas de l’offre. C’est le cas également aujourd’hui.
Des souffrances inutiles
En raison de leurs idées fausses, de nombreux décideurs occidentaux infligent des souffrances massives à leurs peuples.
Pourtant, les idées qu’ils défendent pour gérer les récessions ont, depuis les catastrophes des années 1930, été rejetées par presque tous les économistes . Et pendant les quarante années qui ont suivi, ou à peu près, l’Ouest a connu une période de stabilité économique sans précédent, avec un chômage faible.
Il est tragique de constater que, ces dernières années, les vieilles idées erronées ont de nouveau pris racine. Nous ne pouvons plus accepter une situation dans laquelle les décideurs politiques sont davantage guidés par la crainte erronée d’une hausse des taux d’intérêt que par les horreurs du chômage de masse.
Les politiques doivent, pour être plus efficaces, être différenciées selon les pays et nécessitent un débat approfondi. Mais elles doivent reposer sur une analyse correcte des problèmes. Nous exhortons donc tous les économistes et tous ceux qui sont d’accord avec l’orientation générale de ce manifeste à l’approuver sur le site ManifestoForEconomicSense.org, et à se mobiliser pour une approche plus saine.
Le monde entier souffre quand des hommes et les femmes gardent le silence sur ce qu’ils savent être faux.
BOB : faudrait avoir le lien sur le FMI et son étude, par ce que tout est là , tu balance dans la tronche des pro austérité libérale et hop .
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