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1 novembre 2007

Nationalisme creux

L'épisode Guy Môquet, avec en arrière plan les tests ADN pour les candidats au regroupement familial, a cristallisé beaucoup de ce qu'il y a de détestable et délétère dans le sarkozysme. Il a, en même temps, montré l'une des limites du système de communication sarkozyzte, car, pour la première fois, de nombreuses personnes ont osé dire qu'ils n'étaient pas d'accord pour être manipulées ainsi. Le sarkozyzme n'aime pas que ses opposants soient visibles ou audibles, et de ce point de vue l'exercice était un échec pour le Pouvoir, comme je le disais l'autre jour.

L'utilisation UMPiste de Guy Môquet nous vient directement du cerveau de Henri Guaino, et c'est lui qui s'est montré le plus indigné par les réticences des enseignants à qui Nicolas Sarkozy avait confié la tâche d'instaurer une identité nationale tout en larmes et paillettes. Du coup, Guaino a parlé de l'identité nationale et du nationalisme, ce qui nous donne l'occasion d'y revenir.

Commençons par sa sortie la plus bêtement emblématique :

« Cela amène à s'interroger sur ce que doivent être les devoirs d'un professeur dont la nation a payé des études, dont la nation paie le salaire et auquel la nation confie ses enfants», avait avancé Henri Guaino.

Ce serait donc la Nation qui aurait payé les études des professeurs, qui payerait leurs salaires ? Voilà une confusion qui passe très bien, qui ressemble suffisamment à du bon sens pour tromper pas mal de monde. La Nation, au sens des nationalistes ne paie ni études, ni salaires, car c'est une abstraction qui s'oppose à d'autres manières d'organiser, d'imaginer et de symboliser la collectivité. La Nation ne sait pas comment écrire des chèques. Dire que les enseignants, ou quiconque aurait bénéficier de l'enseignement supérieur, ou même de la maternelle, soyons rigoureux, ont une sorte de dette envers la Nation, ou plutôt, envers la cause nationaliste, c'est franchement se foutre du monde.

Pourquoi parler, en effet, de Nation ? On peut aussi regarder à gauche pour trouver une réponse. Je pense vaguement aux chévénementistes, mais aussi à cet article de Raphaël Anglade, paru il y a quelques semaines sur Betapolitique : Les socialistes ont-ils perdu la Nation? L'idée n'est pas neuve, mais l'article a au moins le mérite de poser la question clairement:

Pendant tout le XIXe Siècle, la revendication nationale, dans toute l'Europe, est un combat d'émancipation. Un combat de gauche, une lutte contre la vision patrimoniale, monarchiste, réactionnaire du pouvoir et du fait politique. En fait, derrière la Nation se cachent deux combats essentiels :

  • l'instauration de la citoyenneté,
  • et la construction d'une manière d'être ensemble conventionnelle, culturelle, (la Nation, ethnicité fictive, disait Vidal Naquet, me semble-t-il) et par là même non biologique.

On pourrait se féliciter de cette « ethnicité fictive » et de son caractère « non biologique », s'il n'y avait pas des gens comme l'ignoble Brice Hortefeux pour ramener la Nation à une ethnicité bien biologique. De ce point de vue, on comprend bien, il est vrai, la signification nationaliste de la biologie de Thierry Mariani et ses amis.

Mais surtout, on comprend qu'au XIXe siècle, la Nation, avec sa majuscule, pouvait bien être de gauche, puisqu'il s'agissait d'asseoir la légitimité politique du peuple, devenu propriétaire en quelque sorte de son pays. Faut-il alors regretter, comme Raphaël Anglade, la perte, par la gauche, de la Nation en tant que thème? Faut-il que la gauche se dote d'une réponse nationale au Front National?

Aujourd'hui fragile dans son rapport à la Nation, la gauche manque de balises face aux provocations d'extrême droite, aux turpitudes sarkozystes, à la question européenne... et même au mondial de Rugby !

Je l'ai déjà dit ici, la plus grande erreur politique de Ségolène Royal pendant la campagne était sa dérive chévénementiste, surtout avec la fierté des drapeaux. Et c'est là où l'on revient à Henri Guaino et à la lettre de Guy Môquet.

Heureusement, notre célèbre plume Nationale a le mérite de s'expliquer clairement là-dessus:

Dans un pays où elle s'impose avec évidence, la nation n'est pas un sujet politique. Lors de l'élection de 1974, les Français ne s'intéressaient pas à ce que racontaient Malraux et les gaullistes sur la nation et la résistance. Mais aujourd'hui, avec l'immigration, la mondialisation, la désintégration du travail, il y a un problème identitaire. La nation est redevenue un sujet fondamental de la politique.

Voilà, le problème identitaire. Car, que la Nation soit définie sur des critères ethno-biologique, ou sur des critères simplement culturels, voire, comme on dit souvent, républicains (et je pense à cette épreuve de "citoyenneté" que les futurs candidats à l'immigration vont devoir subir), il reste que la Nation définit un nous qui est à opposer à un eux, que ce soit des immigrés venus nous piquer nos boulots et nos allocations (dans la version FN de ce mythe), ou même les plombiers polonais venus réparer nos lavabos.

En rugby, il n'y a pas trop de problèmes avec une telle opposition, car quand ce n'est pas la France contre l'Argentine, c'est Toulouse contre Perpignan. La distinction entre les camps est intégrer dans le symbolique du sport.

Le problème, à l'heure des fléaux que cite Guaino, "l'immigration, la mondialisation, la désintégration du travail", c'est que le seul nationalisme que ces êtres inspirés arrivent à définir, c'est un nationalisme complètement vidé de sens, un nationalisme purement autoréférentiel. La lettre de Guy Môquet n'est pas, bien sûr, vide de sens, ni lorsqu'il l'a écrite, ni aujourd'hui. Évidemment. Mais le sens de la lettre est simplement celui du sacrifice et du courage. Le choix de cette lettre par Guaino et Sarkozy est surtout significatif, car il s'agit d'un texte dépourvu de signification politique. Dans l'utilisation que l'Etat-UMP cherche à en faire aujourd'hui, seule compte l'émotion de la lettre. Et je renvoie aux excellents analyses d'Eric Fassin (ici et ici) de l'instrumentalisation de l'émotion chez Sarkozy.

Si il y une leçon dans cette histoire de Guy Môquet, c'est qu'aujourd'hui le nationalisme, que ce soit avec les drapeaux, le sport ou les commémorations, ne peut que conduire à quelque chose de vide, et, je dirais, fondamentalement réactionnaire. Deux bonnes raisons pour la gauche d'éviter de rivaliser avec les sarkozystes et le Front National sur ce terrain qui conduit inévitablement à une insincérité que la gauche doit éviter.

2 commentaires:

  1. Belle analyse !

    Pour ma part, la gauche doit surtout recréer du collectif par opposition à la nation. C'est ce qu'elle a perdu, me semble-t-il à notre époque…
    :-)

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  2. filaplomb,

    Oui : une gauche combative qui s'appuie sur des bonnes raisons d'être fier de son pays : service public de qualité, excellent accueil des étrangers, politique humanitaire intelligente. Des trucs comme ça.

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