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9 novembre 2007

Se battre avec une image

Dans son commentaire à mon précédent billet, où je comparais Sarkozy à ces pères que l'on voit au supermarché, qui engueulent leurs enfants juste avant de céder à leurs demandes de bonbons, Juan posait une question existentielle:

J'essaie d'éviter de QUALIFIER le bonhomme (ie Sarkozy). Seule l'action parle, compte et fait mal. Non ?

Tout d'abord, on voit là ce qui doit donner à Juan l'énergie nécessaire pour faire l'énorme travail de veille et de commentaire qu'est Sarkofrance. Il dit qu'il a un travail, une femme et des enfants ; on se demande comment il arrive à publier autant d'informations. L'idée est très clairement de fournir, contre les manipulations médiatiques de Sarkozy, des faits, des faits et encore des faits afin que, contre l'illusion, il nous reste un peu, ou beaucoup, de vérité.

Je ne remets absolumment pas en cause cette approche, car il est nécessaire, dans le combat contre les illusions, de fonder son action dans la vérité. Je me souviens d'un essai de Vaclav Havel, qui parlait de ses années d'opposition au régime communiste Tchèque. Pour lui, la meilleure forme de résistance était de simple dire la vérité. C'était ce contre quoi le régime pouvait le moins bien se défendre. Quand Noël Mamère disait, à l'Assemblée, des mots durs mais justes contre la loi Hortefeux et l'amendement Mariani, il suivait la même ligne. La vérité est souvent le discours le plus blessant.

A ces considérations s'ajoute un autre ensemble de questions tactiques. Lorsque nous parlons de la personnalité de Sarkozy, ou de son divorce, de sa montre, de ses footings, ou des différents aspects hyper- du personnage, ne sommes-nous pas justement en train de solidifier l'image de l'homme, en contribuant, même avec un peu de mauvaise presse, à confirmer son statut de Grand Homme (Très Grand), larger than life? Ne faudrait-il pas se limiter aux faits, à du concret, en opposant la vérité et la raison aux mensonges et aux illusions médiatiques?

Voici pourquoi je ne suis pas tout à fait d'accord, malgré tout cela, avec l'objection de Juan : dans le monde politique dans lequel nous vivons, les faits et la raison n'ont pas malheureusement le poids qu'ils méritent. Ils sont nécessaires, mais ils ne suffisent pas. Les sondages du Très Grand Homme (TGH) sont en légère baisse, mais il arrive, encore, à courir plus vite que les faits, du moins dans l'oeil des médias et du grand public. Un jour, sûrement, les faits le rattrapperont. Mais en attendant, la force de la personnalité du Président -- et je veux dire par là sa personnalité publique, médiatique et politique, on s'en fout à peu près de sa vraie personnalité intime --, la perception publique de sa personnalité continue à être pour lui une arme ou un levier politique. Le voyage au Tchad était une préparation aux conflits sociaux ; si l'on aime déjà Sarkozy, on lui pardonnera sa dureté dans les conflits, on lui donnera raison contre les syndicats.

Du coup, il devient nécessaire de proposer d'autres interprétations de la personnalité du TGH. C'est ce que je faisais, rapidement et sans réfléchir, en l'imaginant au supermarché. C'est ce que faisait Raphaël Anglade quand il décrivait Sarkozy comme un président qui se couche chaque fois qu'il rencontre une quelconque résistance. Une image qui est aux antipodes de l'image populaire de Sarkozy, parfois même chez ceux qui ne l'aiment pas (je ne parle pas de la blogosphère, là, bien évidemment), et une image qui pourrait s'avérer destructrice pour Sarkozy, tellement la construction de sa personnalité politique est basée sur l'image d'un homme fort et ferme. Une image qui a aussi le mérite d'être vraie. D'où, bien sûr, sa puissance.

Donc, finalement, pas de désaccord, ni avec Juan, ni avec Vaclav Havel. Seulement, il me semble important d'admettre cette extension du domaine de la lutte pour inclure l'univers de l'image. Il est tout à fait possible que la réélection (ou pas) de Nicolas Sarkozy se jouera, dans l'inconscient populaire, dans sa façon se raconter son divorce d'avec Cécilia. Il ne l'a pas encore fait, mais il le fera. Et cela se jouera sur les pages glacées de Gala et de Voici. En s'opposant à Sarkozy, il est essentiel d'opposer à son image d'autres images de lui, moins flatteuses et, surtout, plus vraies.

13 commentaires:

  1. Pourquoi faudrait-il opposer les "stratégies" (ce n'est peut-être pas exactement le bon terme, mais je n'en trouve pas d'autre) anti-sarko ?
    Elles se complètent, un point c'est tout.
    D'ailleurs, il nous en tombe tellement sur le coin de la figure tous les jours, qu'il est tout bonnement impossible d'être exhaustif.
    Comme a dit Kiki (du blog Posuto) un jour, on est tous un petit grain de sable. Et plein de grains de sable, ça forme une dune.

    Bises !

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  2. flo py,

    Je ne voulais pas opposer les stratégies, mais dire, en somme, qu'il ne faut pas négliger ce qui peut paraître trivial, ce qui relève de la pipolisation, car tout cela est devenu très politique.

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  3. Et aussi : parfaitement d'accord sur les grains de sable et la dune!

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  4. Moi, je fais de l'antisarkozysme primaire, c'est mal ?

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  5. Nicolas,

    Le prosarkozysme est toujours primaire, je ne vois pas pourquoi on se priverait d'être primaires nous-mêmes!

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  6. Je vais essayer d'être antisarko secondaire pour me distinguer.

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  7. C'est un créneau qui a beaucoup d'avenir!

    (Attention, ne pas confondre avec l'antisarkozysme 2.0.)

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  8. Pardon, j'ai (encore) dû mal m'exprimer... Je ne voulais pas du tout dire que tu opposais les stratégies.
    Disons plutôt qu'on peut lire un peu partout des conseils pour construire une résistance antisarkozyste : il faut faire ci, ne pas faire ça, sinon ça n'est pas constructif, etc.
    Pour faire simple (parce que je suis claquée) : Juan décortique certaines choses ; tu en décortiques d'autres (plus triviales, comme tu dis). Vous êtes complémentaires : c'est parfait.

    Bon, je me jette sous la couette. Si j'ai encore mal exprimé le fond de ma pensée, j'essaierai encore demain :-)

    Bises et bonne nuit !

    @ Nicolas : j'aime beaucoup ton anti-sarkozysme primaire. Je ne te connais pas, mais ça me donne un bon a priori ;-)

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  9. @o16o : un merci sincère pour ton billet. Je dors effectivement trop peu.
    En fait, je suis d'accord avec toi. Je me fait même l'écho parfois d'analyse psycho du personnage. En même temps, cela dépend aussi de la démarche de chacun. Comme le dit flo py, les démarches sont complémentaires.
    J'aimerai convaincre quelques électeurs égarés le 7 mai dernier. J'ai été frappé, surpris, déçu qu'une partie du débat présidentiel se résume à critiquer la pseudo-incompétence de Ségolène Royal et son caractère. Souvent de la psychologie de bistrot (respect pour les bistrots).
    Merci sincère.

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  10. Juan,

    C'est une question que je me pose souvent: à parler tout le temps de Sarkozy, n'est-on pas en train de le rendre étrangement sympathique, ou du moins puissant, un peu comme les Guignols ont fait avec Chirac avant l'élection de 1995? Je pense néanmoins que contre l'image du Président, il faut une contre-image : un Sarkozy faible, narcissique et égoïste peut-être.

    flo py,

    Cette complémentarité-là me va très bien! :-)

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  11. Il faut continuer à en parler, à en rigoler, ... Ca tourne au ridicule... et quand le monde entier se rendra compte que la France est ridicule, ... les Français aussi.

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  12. Ce n'est pas tant qu'il se couche !
    La construction du personnage est plus complexe.
    Pour les archétype, il faudrait mixer un Pompidou (le volontarisme, le développement industriel) avec un Pétain pour le côté paternaliste.
    [Je n'associe rien du Pétainisme au gouvernement actuel mais juste l'image du chef !].
    Sarkozy fabrique un chef "sévère mais juste". Il sait être dur, intraitable mais il peut aussi parfois être touché par une souffrance véritable et lui porter secours !
    :-)

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  13. nicolas,

    Oui, je suis pour un Sarkozy ridicule.

    filaplomb,

    En effet, le personnage tel qu'il est perçu par la majorité des français est complexe. Il sait aussi se montrer en victime quand il faut, presque jouant de sa petite taille pour attirer notre sympathie... Je pense qu'il faut non seulement démonter tout ça, mais créer des contre images : Sarkozy bête et méchant, Sarkozy ridicule, Sarkozy le beauf, etc.

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