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22 mai 2008

Libéral... est-ce une si bonne idée?

Betrand Delanoë se déclare "libéral" et veut reprendre ce terme à la droite.

«Ce sont les conservateurs qui l'ont dévoyé au service du laisser-faire économique et de la perpétuation des rentes et des privilèges dont ils bénéficient».

Evidemment, une telle déclaration fait beaucoup de bruit dans la blogosphère de gauche. Des billets fusent de partout, il est même obligatoire de se prononcer sur la question. D'où le présent billet.

"Libéral" est un mot qui ne peut pas être prononcé à la légère. Il a été depuis trop longtemps utilisé comme synonyme du capitalisme sauvage, démantelement de l'Etat Providence, et même comme synonyme d'"ultra-libéral", pour que son usage aujourd'hui soit neutre.

Depuis l'arrivée de Sarkozy, le terme a cependant commencé à prendre de l'eau. D'abord parce qu'on s'est rendu compte que Sarkozy n'était pas un vrai libéral, mais plutôt un interventionniste, parfois néoconservateur, parfois archéoconservateur, au service de l'économie des grandes entreprises, surtout celles dirigées par de potes. (Bigard à la tête de la SNCF, c'est pour quand, d'ailleurs?) Les anciens madelinistes du Nouveau Centre ou de feu Démocratie Libérale ne sont pas contents des dérives déficitaires, et l'on finit par se dire qu'il y a peut-être un lien après tout entre les libertés individuelles, qui n'ont jamais semblé compter beaucoup pour le Très Grand Homme (TGH) qui préfère depuis longtemps le chiffres, et une certaine conception du marché.

Car les spécialistes de la question nous rappellent depuis longtemps déjà que "libéral" n'est pas nécessairement le synonyme de "capitalisme sauvage". Le billet d'Antoine B. nous rappelle tout ça : le libéralisme est, au sens propre et historique, l'héritage des Lumières; nous ne supporterions pas de vivre dans un monde qui ne soit pas "libéral".

Nous, gens de gauche, ne devons pas nous laisser prendre par cette escroquerie intellectuelle, qui consiste à faire croire que le libéralisme n'est que la liberté du patron. Le libéralisme économique vu de cet angle n'est que la liberté du renard libre dans le poulailler libre. L'égalité des termes de l'échange n'est plus garantie, les droits par conséquent non plus. Ce n'est pas un système "politiquement libéral", mais "économiquement dictatorial".

Redonnons au beau, au joli mot de libéralisme (Tocqueville ! Montesquieu ! Benjamin Constant !) le sens qu'il ne devrait jamais perdre, et ne le cédons pas à la droite. Ces gens-là sont incultes et manient les mots et les noms (Jean Jaurès, Léon Blum, Guy Môcquet... ) sans savoir ce qu'ils signifient.

Pour conclure :

Non, "libéral" n'est décidémment pas un gros mot.

Le problème, c'est que, malgré tout ça, si, "libéral" est un gros mot. Je plaisante un peu, mais c'est important de faire une distinction entre l'emploi "savant" du terme -- ou faut-il dire désormais "sachant" ? -- et son usage politique.

Si la gauche est, bien plus que la droite, l'héritière des Lumières, de l'esprit de libération de l'individu des différentes formes d'asservissement, et si en théorie cet héritage devrait donner à la gauche le droit de se réclamer du terme "libéral", la véritable interrogation, aujourd'hui, lorsqu'un homme politique de gauche annonce son intention de reprendre le terme à la droite, porte sur les conséquences politiques de ce geste.

Pourquoi alors faut-il reprendre ce mot? Nicolas J. se demande pourquoi les gaucho-blogistes s'émeuvent autant pour un mot : "Une bataille des mots. Rien de plus [...]. Et ils [mes copains socialos] sous-estiment à quel point les électeurs s'en foutent !" C'est la question qu'il faudrait poser à Bertrand Delanoë : quel intérêt politique ou communicationel y a-t-il à se battre pour que, dans l'esprit des électeurs, libéralisme ne signifie plus dérégulation à tout va et précarisation des travailleurs ?

Vouloir se réapproprier le terme indique qu'il y a un avantage politique à être perçu comme "libéral", même si pour cela il faut faire d'énormes efforts de pédagogie. Mais Bertrand Delanoë ne va pas convaincre Alain Madelin et les siens, et il le sait bien. Se dire "libéral de gauche", ou "libéral humaniste", c'est tenter d'occuper un terrain étonnamment près du centre. Etrange de la part de celui qui a écarté toute alliance parisienne avec le MouDem. Comme le disait hier Dagrouik : "Plutôt que de travailler avec le MoDEM devenons le MoDEM !"

Et c'est là, finalement, que cette histoire commence à m'inquiéter. Je ne suis pas pour un socialisme idéal ou idéaliste, mais pour une pratique efficace : il faut gagner des élections. Tout le reste est secondaire. Mais pour le faire, il ne suffit pas de devenir son rival. Devant la victoire de Sarkozy, Manuel Valls semble s'être dit : puisque Sarkozy a gagné avec ce programme, reprenons son programme. On pourrait penser que c'est ça, être politiquement efficace : donner aux gens ce qu'ils veulent. Le problème, c'est que pour réussir, il faut d'abord exister, et quand on cesse de défendre les valeurs de son camp, on cesse petit à petit à exister, l'identité s'estompe. C'est le danger que courent Bertrand Delanoë, et tous ceux qui pensent marquer des points en prenant des parts de marché idéologique qui devraient leur être hostiles. Le PS ne gagnera pas parce qu'il aura choisi la position juste comme il faut, pas trop à gauche, un petit peu à droite. Un adversaire comme Sarkozy aura vite fait de montrer qu'ils ne sont pas vraiment à droite, en laissant à l'aile gauche de montrer qu'ils ne sont pas vraiment à gauche non plus, et la démonstration est faite : ils ne sont rien, ne savent pas ce qu'ils veulent être. Je ne l'ai pas dit depuis un moment : la politique n'est plus une guerre de position mais une guerre de mouvement. Il faut convaincre, pas juste se conformer à ce que l'on suppose que les gens pensent déjà. Et je commence à m'égarer...

Le problème avec le libéralisme, au sens courant et journalistique, c'est que la liberté de l'individu se heurte rapidement à celle des entités plus puissantes, notamment les entreprises, les grandes sociétés, et le pouvoir économique en général. La liberté du patron et de la rente. Les récents événements économiques, les subprimes et le rachat de Bear Stearns, ont montré la nécessité d'une régulation collective. Même dans le meilleur des mondes, le libéralisme n'est véritablement libéral (au sens historique et rigoureux du terme), que lorsqu'un état ou une forme collective quelconque est prêt à intervenir.

Et c'est là, je crois, le mot essentiel dans ce débat, le mot qui manque et qui pourtant définit la gauche : le collectif. En disséquant l'usage courant de "libéral" et de "libéralisme", on retrouve surtout cette hostilité aux interventions collectives. Et là, enfin, ma question sur la réappropriation de ce terme : est-ce vraiment cette hostilité au collectif que la gauche doit chercher à reprendre à son compte? S'il y a un intérêt à reprendre libéral, c'est que le terme représente quelque chose de désirable. Est-ce l'hostilité au collectif qui est si désirable?

14 commentaires:

  1. Très bien !

    Mais non à la dernière question. Dans la suite de mon billet : "Collectif" n'est aussi qu'un mot. Il ne peut pas manquer.

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  2. Il faudrait donc parler de Libéralisme collectif pour souligner que l'individu s'inscrit dans une société et ne réussit pas seul ?

    Bon article, ça me pose des questions !
    :-))

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  3. Très bon billet, et deux choses : le libéralisme politique c'est un non sens inventé par les libéraux pour vendre leur système économique.
    La démocratie est un combat de tout les jours contre les puissants et l'oligarchie dominante.
    On peut se réclamer des valeurs de la révolution Française et ne pas être libéral. Nul besoin de faire cette bavure sémantique.

    Sur le collectif, oui nous devons nous la gauche ne pas avoir honte de notre goût du collectif qui n'est pas la négation de l'individu. C'est à la gauche de ré-inventer le mot collectif et de lui donner un sens politique.

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  4. nicolas,

    Merci. Mais les mots sont importants quand même. Quand Delanoë dit "libéral", il sait qu'il est en train de faire un acte politique qui sera bcp commenté. La preuve...

    monsieur poireau,

    Libéralisme collectif : oui, pourquoi pas? C'est une assez belle formule. Même si je pense que, politiquement parlant, ce n'est pas la peine de se revendiquer libéral, au vu de tous les contresens possibles. Et merci.

    dagrouik,

    Je pense que le libéralisme historique a un tout autre sens sous une monarchie, par exemple, et dans ces conditions devient effectivement synonyme de démocratie. Comment avoir une démocratie si on n'est pas libre de voter ou de s'exprimer.

    Le libéralisme moderne, au sens de Démocratie Libérale par exemple, met effectivement les choses à l'envers, où il s'agit essentiellement de la liberté des puissants de faire ce qu'ils veulent des faibles. Et alors les faibles doivent trouver les moyens de lutter contre ces excès.

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  5. Intéressant article.
    Je me souviens d'avoir fait partie d'une délégation syndicale, qui avait rencontré Martine Aubry, alors ministre du travail. Nous avions plusieurs points et notamment celui du contrôle des chômeurs ... (eh oui, déjà ...), qu'elle voulait renforcer, et qui apparaissait comme une de ses priorités.
    Elle nous avait expliqué que comme le peuple croyait qu'il y avait des fraudeurs, il fallait renforcer les contrôles pour prouver que non. Superbe raisonnement n'est ce pas ? Bien qu'elle savait bien que la "triche", et même pire, "la fraude", étaient très très marginales.
    La question de savoir à partir de quand on trahit ses croyances pour obéir aux préoccupations du peuple, celles ci semblant légitimes, reste entière.

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  6. Faire peur à la droite désarçonner les croyants, miser sur un effet destabilisateur.
    C'est aussi puissant que quand Sarkozy cite Jaurès et Blum.

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  7. audine,

    C'est intéressant l'histoire que tu racontes. C'est vrai que la politique oblige à faire des choses qui ne sont pas toujours idéales. Dommage quand même de transformer une administration en communication en causant des ennuis à des gens qui n'ont rien demandé.

    abadinte,

    La différence avec Sarkozy, c'est que personne n'avait de doutes sur son ancrage à droite, voire à l'extrême droite. Les fidèles de l'UMP pouvaient l'écouter parler de Blum et de Jaurès en disant : "c'est des conneries qu'il raconte pour attraper des imbéciles". Ca nécéssite une bonne dose de mauvaise foi qui est peut-être moins facile à mettre en place à gauche. Du moins je l'espère.

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  8. Avec Ségolène Royal je juge "totalement incompatible" d'être à la fois "libéral et socialiste",
    http://www.liberation.fr/actualite/politiques/328009.FR.php

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  9. superpado,

    J'aime bien l'intervention de Royal : s'il ne veut pas le pouvoir, je veux bien.

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  10. Omelette16oeufs : j'ai depuis commenté en ce sens :
    Delannoe n'est pas forcèment libéral. Il utilise une technique de communication à la Sarkozy en reprenant à son compte le vocabulaire de l'exercice pour le vider de sa substance et étouffer l'adversaire.
    En se déclarant libéral, il s'en montre propriétaire et désarçonne Sarkozy du titre.
    Stratégie à long terme qui n'est pas inintéressante !!!
    :-)

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  11. Pas sûr que ça désarçonne Sarkozy tant que ça.Il sera assez difficile pour Delanoë de dire des choses assez fortes pour qu'un électorat de droite puisse être séduit. Comme je disais plus haut à abadinte, il sera à mon avis très difficile et très risqué d'essayer d'appliquer la stratégie de Sarkozy en 2006-2007 : être de droite sans l'être.

    Je pense qu'un tel flou idéologique n'est pas compatible avec la gauchitude...

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  12. Merci de la fine analyse. Surtout l'éclairage de la stratégie probable de Delanoë.

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  13. jon,

    Merci. Et aussi j'ai oublié de te remercier pour le lien vers le blog de Gorce. (Même si ce n'est pas franchement un cadeau...)

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  14. Delanoë est-il réelement libéral?
    Et Vous?
    Osez un test.
    Vous serrez fixévous dormirez mieux.

    www.questiondeliberte.fr

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