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16 janvier 2008

Rocard et le socialisme théorique

La faiblesse actuelle du Très Grand Homme (TGH), dont nous ne pouvons que nous féliciter, soulève toutefois la question de l'opposition. Les ennuis de l'UMP en ce moment font un peu moins mal du fait de grande confusion autour de la ratification du Mini-Maxi-Traité. En revanche, il faut dire que Ségolène Royal s'en tire plutôt bien en aiguisant ses critiques à l'égard du TGH. Le coup de Louis XIV arrivait, à mon avis, au bon moment.

C'est donc dans ce contexte que Michel Rocard croit bien d'envénimer la situation, d'abord en disqualifiant définitivement Royal. C'est ce que la presse en a surtout retenu :

Jouer explicitement ce jeu, c'est-à-dire pour le PS choisir son prochain premier secrétaire en pensant choisir du même coup son candidat présidentiel, c'est offrir un surcroît de chances à Ségolène Royal. Or le problème est que cette candidate avenante et charismatique n'a à l'évidence pas les capacités nécessaires aux responsabilités qu'elle postule. Elle représente une certitude de défaite, au prix en plus d'une très grave crise dans le Parti.

Mais qu'est-ce qu'il a contre Ségolène Royal? Car on se souvient bien de la révélation de son offre de gentiment remplacer la candidate en pleine campagne (voir aussi notre réaction au moment). Normalement, je parlerais du problème de la "compétence" en tant que critère politique, comment c'est une façon de dissimuler un machisme sournois tout en mettant les questions politiques au second plan. Aujourd'hui, on constate que celui dont il était impensable de mettre en cause la compétence, est en fait nul, inapte. Normalement, je parlerais de cette idéologie des "capacités nécessaires aux responsabilités", culte des Graques, élite soucieux avant tout de se protéger d'une intruse. Normalement, je parlerais de tout cela, mais j'ai l'impression qu'il y a autre chose ici.

Le problème au PS, pour les anti-ségolénistes, c'est qu'il n'y a personne d'autre. Fabius est devenu un sage, DSK part aux States, Delanoë reste virtuel. Le problème est encore plus aigu pour les social-démocrates. Sauf à croire au retour triomphant de Strauss-Kahn, il manque à ce courant un champion. La social-démocratie est finalement très à l'aise dans son opposition aux Mélenchon et autres Emmanuelli. Ségolène Royal est beaucoup plus menaçante : elle occupe un terrain semblable au leur, mais sans doute plus ouvert à d'autres sensibilités de gauche, et plus potentiellement populaire. Pire, et c'est là où elle exagère sérieusement, elle est "charismatique", ce qui est proprement insupportable pour quelqu'un comme Rocard. Et la conséquence très, très logique de cette incompatibilité, c'est la conclusion de Rocard : c'est une "incapable". C'est justement dans le fait que Rocard ne peut en rien démontrer cette incompétence que l'on comprend que pour lui c'est un article de foi, ou encore une donnée issue de l'inconscient profond, le petit mensonge nécessaire pour rétablir la cohérence d'une vision du monde qui sinon s'écroulerait.

La solution, pour Rocard, une fois définitivement débarassé de Ségolène Royal, c'est de passer le reste du mandat de Sarkozy à inventer un socialisme idéal et puis, en 2011, de choisir la personne (dont on espère qu'elle sera "charismatique" aussi) qui pourrait l'incarner.

Cela veut dire que le prochain secrétaire général aura comme mandat dominant sinon exclusif d'amener le Parti à accoucher d'un projet, c'est-à-dire de piloter les débats en provoquant chaque fois que nécessaire les votes discriminants nous amenant vers un peu plus de cohérence et de clarté en confirmant la voie sociale-démocrate qu'ont déjà choisie tous nos autres partis frères du Parti des socialistes européens. Il nous faut là une personne soucieuse de vision mondiale, d'analyses économiques et stratégiques et surtout pas un débatteur médiatique.

Le projet, le projet, le projet. Social-démocrate. Un projet qui pourrait être incarné par DSK lors de son retour? Rocard ne le dit pas, mais le refus de laisser exister une figure forte au PS pendant toute cette période ne peut que jouer en la faveur de celui-là. Mais ce n'est pas la considération tactique que je trouve dangereux, même s'il est dommage que Rocard croie nécessaire de se battre contre la gauche pour, dit-il, la sauver. Il est inadmissible qu'il dise, par exemple :

Le droit du Parti aujourd'hui c'est que le PS ne peut parler que si pro-européens et anti-européens sont d'accord, et que si sont d'accord aussi ceux qui veulent rejeter l'économie de marché et ceux qui comme moi pensent que ce n'est ni possible ni souhaitable.

J'imagine la réaction de Dagrouik en apprenant que le PS rejete encore l'économie de marché! Il est inadmissible pour un "responsable" du PS de se servir des mêmes vieux arguments de la droite pour marquer des points contre des membres de son propre camp.

Mais cet égoïsme-là n'est pas le vrai problème. Le vrai problème, c'est le principe de poser comme condition à une éventuelle action politique l'élaboration d'un "projet", la réfondation de la gauche et du PS, et le triomphe apparamment inévitable de la "sociale démocratie".

il faut des années pour que le PS soit capable de définir et d'adopter un vrai projet social-démocrate qui supporte le discours et les mêmes années pour qu'émerge le meilleur avocat de ce discours. Telle est la situation de fait.

Même en supposant que, pour une fois, chacun ne s'emploie pas à tirer la couverture vers soi, et qu'émerge enfin, au bout des 9 ou 14 années nécessaires, un vrai projet, que fait la gauche pendant ces années de théorisations, de quadratures du cercle sociales-démocrates ? Autrement dit : même dans le scénario le plus favorable, comment la gauche pourrait-elle constituer une opposition crédible ?

La situation actuelle, où le PS se ridiculise dans ses hésitations devant le nouveau Traité Pas Constitutionnel, est en l'illustration parfaite. La politique et l'actualité n'attendront pas le congrès de la Grande Synthèse. Les électeurs, même séduits par cet éventuel projet, diront tout de même : "oui, c'est gentil, mais pendant cinq, dix, quinze années, on ne vous a pas vus!"

Le risque véritable, c'est que, à force de théoriser (et là, évidemment, je ne parle pas des admirables interrogations menées par Nea sur ce que c'est d'être à gauche), le socialisme ne soit plus qu'une théorie, un socialisme imaginaire, virtuel, toujours à venir, vaporware ou fumiciel qui ne viendra peut-être jamais.

UPDATE: lire aussi le billet de Marc Vasseur.

13 commentaires:

  1. ah ben tiens... je vais te linker comme nous sommes sur le même sujet

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  2. tu dors ici toi ? :-)
    tu sais bien que je suis pas avare en liens

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  3. marc,

    Tiens, je t'ai linké également. Avare ou fayot... je laisse les lecteurs juger.

    nicolas,

    Il y a un canapé à côté du blogroll si tu veux.

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  4. Merci o16oeufs.
    Nicolas si tu penser à fermer la lumière en partant :-)

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  5. bon déjà j'ai appris ce que voulait dire vaporware, c trop cool... quand au compliment liennisé (moi aussi j'aime les néologismes, comme ségolène, parce que quand certains mots n'existent pas il faut les inventer^^), je précise que toute cette réflexion est collective. c'est en cela qu'elle est interessante...

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  6. nea,

    Mea culpa, je suis une grosse feignasse : je n'ai pas participé à la réflexion collective. Pourtant, j'y reviendrais, mais il faut que je laisse ça troutter un peu dans ma tête d'abord.

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  7. C'est amusant parce qu'entre les lignes de Rocard, je retiens aussi qu'il faut un candidat pas séduisant et pas charismatique.
    C'est sûr, faut pas trop motiver l'électeur !
    :-)

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  8. Monsieur P.,

    La frustration est insupportable pour Rocard! Elle va lui voler son centrisme de gauche, alors qu'elle ne le mérite pas. Le charisme, bah! A quoi ça sert si on a une lecture triplement subtile de tous les enjeux de la société?

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