26 avril 2009

Pourquoi les "réformes" passent mal : Sarkozy n'est pas si malin

On ne peut pas réformer la France. Les français sont trop attachés à l'État jacobin. C'est l'immobilisme, le conservatisme bien pensant de gauche, forme bien connue de terrorisme intellectuel d'ailleurs, des privilégiés qui ne font que protéger leur bout de gras, au mépris du Brave New World qui est pourtant à portée de main. Évidemment c'est l'Éducation Nationale qui est le domaine le plus immobiliste, conservateur, "terroriste intellectuel" etc.

Tout cela, vous, comme moi, le connaissez par coeur. Sarkozy et les sarkozÿens sont allés assez loin dans cette idéologie et ont même réussi à énerver des chercheurs que l'on pensait perdus définitivement à la politique. Même l'armée (!) n'a pas été tout à fait épargnée. La police n'est pas contente. Les hôpitaux sont en train de se réveiller.

Pourtant, malgré ce qui passe pour des évidences, et malgré les idées reçues sur le sujet, la thèse de l'immobilisme socialo-gaulois ne me convainc pas. La lenteur avec laquelle le monde de la recherche et de l'enseignement supérieur a réagi aux "réformes" est assez significatif. Les premières initiatives de Valérie Pécresse, lancées pendant que l'on ne pensait qu'au Fouquet's et aux yachts maltais, étaient passées comme autant de SICAVs à la Banque Postale, jusqu'à ce que des étudiants, agissant contre l'avis des syndicats étudiants, ont commencer à râler.

Juste pour se remettre dans l'ambiance, voici un titre du 29 novembre 2007 :

Le mouvement étudiant ne s'essouffle pas. De nombreuses manifestations ont eu lieu ce jeudi, 35 sites universitaires étaient encore bloqués, selon le syndicat l'Unef. Ainsi, les mesures annoncées par Valérie Pécresse pour désamorcer la crise contre sa loi sur l'autonomie des universités n'ont pas eu d'effet notable sur les étudiants. Toutefois, l'Unef appelle "les assemblées générales" à "la levée des blocages".

Bien sûr, c'était l'époque du sarkozyzme triomphant, quand les billets vous sortaient des doigts presque déjà écrits, tant le monde semblait marcher à l'envers. Mais c'est pour dire que les "résistances", les "immobilismes" n'étaient pas au rendez-vous.

Je me souviens encore d'un Xavier Darcos annonçant, à peu près à la même époque, le non-remplacement de 13.500 enseignants, tout en insistant que le nombre d'enseignants n'avait rien à voir avec leur efficacité.

M. Fillon a par ailleurs indiqué qu'il s'est "mis d'accord" avec le ministre de l'Education nationale sur le non remplacement de 13.500 enseignants l'année prochaine.

[...]

M. Darcos plaide "pour une meilleure gestion" qui "permet de dégager des marges de manoeuvre dans l'éducation nationale". source

Voilà, l'idée : on coupe, mais on transforme ; ça ira mieux. C'est sûrement ce que l'on inculque aux futurs gestionnaires, du manager d'hypermarché jusqu'au PDG de multinationale. Réduire les coûts, augmenter l'efficacité, le rendement etc. Grâce à des "réformes structurelles", ce dont on nous rabattait les oreilles pendant bien longtemps.

Et le pire, c'est que des réformes structurelles pourraient être intéressantes. Il y a en a qui sont sûrement nécessaires. Dans la recherche, à l'hôpital, dans la police. Même à l'armée, que sais-je.

Le problème, c'est que, en associant toutes ses réformes à des suppressions des postes, Sarkozy et les siens discréditent automatiquement leur propre discours. Non seulement les "réformes" s'avèrent imbibées d'une idéologie difficile à avaler, mais en plus il devient très vite très clair qu'elles ne sont que l'habillage plus ou moins grotesque des coupes traditionnelles que la droite a toujours voulu pratiquer.

Nous avons beaucoup plus de mal à gober le progrès que le TGH (CDL - Chanoine du Latran) nous promet quand nous nous trouvons exposés, nous-mêmes ou nos collègues, aux conséquences bassement économiques de ces fameuses coupes.

Autrement dit, des "réformes" ne pourront se faire dans un climat de confiance, pour aller vers un mieux, et non vers un pire remaquillé. Du coup, le taux de confiance devient un enjeu important.

23 avril 2009

Je suis une bande de jeunes (deuxième partie)

Hier je parlais de l'inefficacité réelle de la nouvelle loi sur les "bandes". Encore une loi pour rien, du bruit (beaucoup) pour rien. Les ficelles sont tellement grosses, tellement usées (une ficelle peut-elle être usée jusqu'à la corde ?) que l'on se dit parfois qu'il n'est même plus la peine de les relever. Après tout, à notre tout petit niveau, cela contribue à renforcer le bruit, et pendant ce temps là on ne parle pas d'autre chose, comme ce que le pauvre Éric Besson est en train de nous préparer pour débarrasser les honnêtes gens de Calais de ces clandestins que Nicolas Sarkozy avait déjà mis dehors en 2002 pour régler le problème de Sangatte. J'étais tout particulièrement touché par ce représentant (un frère anonyme) d'une entreprise qui voit dans ces clandestins un menace existentiel :

"Si on ne fait rien, nos entreprises n'existeront plus l'année prochaine", a affirmé de son côté le représentant d'European Diesel Card, sans décliner son nom.

Je prolonge ma digression quelques phrases de plus pour inclure cette jolie déclaration de la maire UMP de Calais qui n'hésite pas une seconde à associer, de façon complètement farfelue, les clandestins qui cherchent à gagner le Royaume Uni et le chômage dans sa ville :

De son côté, la maire de Calais, Natacha Bouchart (UMP), a souligné que sa ville comptait 14% de chômeurs et 6.000 Rmistes. "Nous n'arrivons plus à gérer le problème des migrants" a-t-elle dit.

Bref, voilà ce dont je devrais être en train de vous parler aujourd'hui, mais quand je tiens un sujet j'ai parfois quelque mal à le lâcher, et je reviens à nos bandes. De jeunes, à condition que ce ne soient pas des simples "groupes de copains".

Une mesure pour rien (même la police est d'accord), donc, mais à haute valeur symbolique, dans un domaine où le symbolisme est tout, et où la réalité n'est rien. De plus c'est un terrain symbolique de prédilection pour le Chanoine de Latran (CDL, merci à peuples). Et c'est donc symboliquement que cette loi me gêne, car elle est l'expression, de la part des gens bien, de la certitude d'une culpabilité partagée de ces gens là. "Mais Monsieur, je n'ai rien fait, c'est eux..." "T'es copain avec eux?" "Oui mais..." "Dans le fourgon!" Ils sont tous coupables, même s'ils n'ont rien fait. Parce que même si on ne peut rien prouver, nous savons tous très bien qu'ils sont coupables. Alors pourquoi tergiverser?

Heureusement, la justice semble encore exiger des preuves, maintient un certain sérieux. Malheureusement, elle n'a aucun contrôle sur l'instrumentalisation des lois, devenus des sortes de tractes ou des jouets où le Pouvoir peut flatter la xénophobie des honnêtes gens.

22 avril 2009

Je suis une bande de jeunes

Il va donc falloir commencer à défendre "les bandes" ainsi que leurs droits. Tel serait le rêve des sarkozyëns : enfermer la gauche dans une défense "droitsdelhommiste" de ces gens dont tout le monde a si peur.

La machine a yakka s'est donc mise en route, cette fois en mode judiciaire et législative. Une loi, après tout, ne coûte rien, et comme nous le verrons, ne fait rien, à part, toujours, du bruit. Ce qui donne ceci :

Il [le Président de la R.] entend créer un nouveau délit, dans le cadre d'une proposition de loi qui doit être examinée fin mai devant l'Assemblée. Désormais, participer à une bande violente pourrait être puni de «trois ans de prison et 45.000 euros d'amende».

Le problème, ce sont les anonymes dans la bande. On ne sait pas s'ils ont fait quelque chose ou pas, et surtout on ne peut rien prouver, mais on voudrait les incarcérer quand même. Parce que ce sont des gens pas bien. Il faudra quand même prouver qu'ils font partie de la bande. Qu'est-ce qu'une bande au juste ? Un expert répond :

A partir de combien de personnes forme-t-on une bande?

Aux Etats-Unis, c’est à partir de trois personnes. Après, c’est dans l’intérêt de la police de distinguer une bande d’un groupe de copains.

C'est "dans l'intérêt de la police de distinguer une bande d'un groupe de copains" ! Je dirais que c'est dans l'intérêt des groupes de copains que la police réussisse à faire cette distinction. Par précaution, cepedant, il faudrait éviter de faire partie des groupes de copains d'au moins trois personnes si vous souhaitez éviter des gardes à vue inutiles.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Il est impossible de décider qui fait partie d'une bande, la ligne entre "groupe de copains" et "bande de jeunes délinquants" sera bien floue. Rien n'empêchera le soupçon de "faire partie de la bande", ce qui pourra justifier une nouvelle inflation des gardes à vue. Qui seront sans suite, puisqu'on ne peut pas prouver l'appartenance à une bande. "Je vous jure monsieur, les autres c'est une bande, moi je suis juste copain avec eux."

Je voudrais donc proposer un amendement à cette proposition de loi, qui obligerait les bandes à maintenir des listes précises de leurs membres et à leur fournir des cartes attestant leur appartenance. Je laisse aux vaillants députés UMP le soin de décider par exemple à combien de bandes un même déliquant peut adhérer et des autres modalités. Il paraît évident, en revanche, que l'État doit faire respecter l'obligation de donner des noms aux bandes afin de mieux cerner leurs territoires et leurs responsabilités. Le législateur pourrait même aller jusqu'à suggérer certains noms, comme les "Jets" et les "Sharks", même s'il semble probable que la jeunesse de la France pourra très bien inventer ses propres noms de bande. Bien sûr, l'adhésion à une bande ne sera validée par l'État que lorsque la demande d'adhésion sera accompagnée d'un échantillon d'ADN.

De plus, afin d'éviter les confusions, il semble tout aussi nécessaire de créer un Registre National des Groupes de Copains, avec une structure assez semblable à la jurisdiction des bandes (cartes, noms, ADN), ceci pour savoir, en cas de litige, si la peine "bande" doit s'appliquer, ou si au contraire nous sommes dans le cas du "groupe de copains". Tout cela pourrait paraître compliqué à gérer, mais à ceux qui disent ça, je répond : "Tel est le prix de notre sécurité, de celle de nos enfants."

Vogelsong vient d'écrire :

Le sécuritaire est le Fort Alamo de la droite. [...] La lutte contre l’insécurité est un leurre. Pour la droite, c’est le contrôle est l’ordre social qui motive les mesures politiques. La manœuvre consiste à entretenir l’insécurité pour accentuer la pression sécuritaire. Réduire l’insécurité entraînerait le tarissement de la manne élective. C’est dans ce cloaque gluant et empesté, que brasse paisiblement la droite française.

Il a raison.

21 avril 2009

Le verre d'eau des tempêtes

En effet, le psychodrame, ou le double psychodrame, qui entoure les "excuses" offertes par Ségolène Royal, servira de cas d'école dans l'étude de la structure médiatico-politique d'une Ve République agonisante. On suppose que ce seront des chercheurs étrangers qui se pencheront sur l'affaire, les éventuels chercheurs français seront bien entendu trop occupés à des projets à rentabilité immédiate pour y perdre leur temps.

L'une des conclusions auxquelles ces chercheurs ne manqueront pas d'arriver, c'est qu'aucune information politique ne saurait exister si elle ne peut pas s'insérer dans le récit fondamental qui est le roman des personnages politiques.

Richard Trois l'explique très bien:

Mais personne ne pose cette question pourtant essentielle :
Si Ségolène Royal n'avait pas écrit ces quelques lignes d'excuses à José L. Zapatero, les français dans leur grande majorité auraient-ils entendu parler du tollé soulevé en Espagne par cette phrase, qui aurait été prononcée par M.Sarkozy, selon Libération, sur M. Zapatero qui "n'est peut-être pas très intelligent" ?
Les Français d'en bas, ceux qui ne suivent pas au quotidien les faits et gestes de Nicolas Sarkozy, auraient-ils su avec quelle condescendance et quel mépris Nicolas Sarkozy a traité Barack Obama devant les députés issus de la representation nationale reçus à l'Elysée ?
Les auraient-on informé de ces costards XXL taillés par la presse internationale tout spécialement pour Nicolas Sarkozy et son comportement à l'égard de ses homologues ?

L'image désastreuse de Lui-Même que notre Très Grand Homme (TGH) donne à l'étranger ne devient une « information » que si elle entre dans la narration déjà rôdée de la campagne de 2007. Vous vous souvenez du test dans Elle : « Êtes-vous Sarko ou Ségo? ». Nous en sommes encore là, malheureusement. Aujourd'hui il n'y a pas d'autre schéma pour expliquer la politique.

Bien sûr, Ségolène Royal n'est pas toujours dans le coup. Excellent exemple d'un coup 100% médiatique : Nicolas Sarkozy est battu à plates coutures par Chirac dans un sondage Paris Match (votre source pour tout ce qui est sérieux en politique : nous attendons impatiemment leur dossier sur les nouveaux emplois précaires ou l'avenir du syndicalisme.) Juan

Un autre baromètre, de Paris Match cette fois-ci, place le président loin derrière Jacques Chirac en termes de popularité. Seul motif de satisfaction, il devance Ségolène Royal. Un sociologue, président de Mediascopie, explique que Nicolas Sarkozy est devenu "inaudible".

Oui, Sarkozy est ridicule, inaubile. Oui, on lui préfère Chirac. Si ce n'est pas Zidane, Laure Manaudou ou l'Abbé Pierre. Mais cela ne donne rien : en désapprouvant Sarkozy, on tombe dans la nostalgie de Chirac, justement un choix non-politique. Avec Chirac, comme dirait Jean d'Ormesson, "c'était bien". Quoi exactement ? Rien, en fait. Chirac, maître du dos rond et de l'hypocrisie politique, est simplement plus sympa que son successeur. C'est trop génial pour nous.

Le gauchiste en nous, notre sur-moi trotskyste (dût-il exister) dirait aussitôt : il faut dénoncer la personnalisation de la vie politique, donc Ségo et Sarko, même combat. Ce qui me fait revenir à l'un des principes fondamentaux que j'affirme depuis le début de ce blog, l'efficacité. Non pas celle de ces socialistes "libéraux" qui veulent produire avant de distribuer, et qui, à force de couper les poires en deux, en quatre et en huit, finissent avec une sorte de compote de droite mais allégée en sucres. Trotsky lui-même était, dans ses jeunes années surtout quand il a livré à Lénine l'Armée Rouge, quelqu'un d'assez efficace, et ce n'est pas sûr qu'aujourd'hui son premier réflexe serait de s'embarasser de principes sur ce que doit être une parole de gauche.

Aujourd'hui, maintenant, le monde est télévisuelle, la République est Cinquième, et il va falloir s'y faire. Une seule personne à gauche est capable, par un simple discours plein de bon sens, de semer l'hystérie dans le camp de droite, de faire sortir de ses gonds la garde rapprochée sarkozyste. J'ai donc du mal à comprendre ceux qui crachent dans la soupe. Il y a si peu de soupe.