2 décembre 2011

L'imaginaire économique de Nicolas Sarkozy

« C'est dans l'instauration, à partir de la fin des années 1970, d'une mondialisation sans règle autre que celles qui garantissaient la liberté du commerce que se trouve l'origine des difficultés actuelles », a-t-il assuré, en annonçant l'avènement d'un « nouveau cycle ». « Ce sera un cycle de désendettement qui ramènera le balancier de l'économie vers le travail et la production que les pays développés avaient eu tendance à trop sacrifier », a-t-il lancé.

C'est le Très Grand Homme (TGH) qui parle.

Voici le bout qui me semble révélateur, qui contient l'échec global du message :

Ce sera un cycle de désendettement qui ramènera le balancier de l'économie vers le travail et la production que les pays développés avaient eu tendance à trop sacrifier.

Le nouveau qu'il promet, c'est de l'ancien. Le retour à l'économie des années soixante, avec des usines qui usinent, le bon vieux capitalisme à la française, le rôle de l'Etat étant de soutenir ses grands groupes. Un peu plus et il va appeler ça la "démondialisation".

Sauf que, bien sûr, il n'y a pas de radicalité dans cette nostalgie qu'il voudrait vendre comme du neuf. Ce n'est que le retour vers l'une des images essentielles de l'imaginaire politique de Sarkozy. Il faudrait en faire l'inventaire
:

  • La gloire coloniale. L'empire français avant la décolonialisation.
  • Les trente glorieuses.
  • Le petit village (dont il faut chasser les pédophiles et les étrangers.

Le petit village et le colonialisme sont la face "sociale" ; les Trente glorieuses sont l'image économique.

29 mai 2011

Retour sur Terra

Au risque d'aller contre la quasi-totalité de la classe politique et l'intégralité de la blogosphère, je vais dire du bien du fameux rapport Terra Nova sur les classes populaires. Pourtant, je suis loin d'être un fan de Terra Nova.

Au lancement du think tank, je me souviens de l'un des responsables en train d'expliquer qu'ils allaient travailler trouver des solutions, dossier par dossier. À la fin il faudrait trouver un slogan pour les résumer. C'est la concrétisation de l'une des plus grandes faiblesses de la mentalité PS, à savoir cette conviction qu'il suffit, pour convaincre et pour gagner des élections, d'avoir raison sur les dossiers. C'est la religion de la démocratie technocratique, la foi que la science va se traduire par une adhésion populaire. Ensuite, quand Sarkozy l'emporte avec "travailler plus pour gagner plus" et "tous propriétaires de vos HLM", ou leurs équivalents pour 2012.

Pire encore, le rapport en question semble valider l'abandon effectif par le PS, depuis au moins 2002, de l'électorat populaire. (J'en ai déjà parlé en mars.) Ainsi, donner l'impression, comme le dit Marc Vasseur, d'"abandonner les classes populaires" est une erreur de communication monumentale qui en plus arrivait peu de temps après l'épisode Porsche de DSK qui avait gravement atteint l'image du directeur du FMI.

En somme, je ne suis pas spécialement fan de Terra Nova et rien ne me prédispose à être conciliant avec leur rapport.

Et pourtant, je pense que, sur le fond, nous avons tort de critiquer ce rapport, même si, niveau comm', c'est très moyen.

Tout d'abord, il y a une confusion dans la quasi-totalité (il y a des exceptions) des réactions, entre vote ouvrier et vote populaire. Si je puis résumer le propos du rapport, c'est ça : le vote populaire n'est plus le vote ouvrier ; l'ouvrier et sa situation, son rapport au travail et au capital, ont servi pendant plus d'un siècle comme socle de l'imaginaire politique de la gauche, à tel point que, quand on dit : le PS ne peut plus courrir après le vote ouvrier, on entend, tout naturellement, le vote populaire. Puisque Terra Nova est visiblement un truc de bo-bos, il n'est pas difficile de voir dans le rapport une sorte de consécration du bo-bo comme électeur type.

Sans les compétences nécessaires, je ne peux pas évaluer toute la démarche du rapport. Philippe Cohen, par exemple, insiste au contraire que le petit salarié rejoignent de fait l'ouvrier, préservant ainsi l'identité d'une classe ouvrière/populaire à l'ancienne :

dès lors que le salaire de l’employé se confond avec celui de l’ouvrier, et il n’y a plus lieu de distinguer ces deux catégories dans une perspective sociale, politique ou électorale. Du coup, loin d'être affaiblie, la classe ouvrière sort au contraire renforcée de cette évolution économique.

Mon sur-moi marxiste me souffle à l'oreillette que ces deux catégories ne peuvent pas tout à fait se rejoindre, tant les rapports de forces (positionnement vis-à-vis du Kapital et du travail, structure du marché du travail, cultures) qui déterminent leurs situations sont différents.

Ainsi, le rapport Terra Nova me semble assez convaincant avec des développements comme celui-ci :

L’explication passe sans doute par l’absence de toute incarnation politique de cette population dans le discours de gauche. La gauche est ouvriériste : quand elle s’adresse aux travailleurs populaires, elle fait référence à l’ouvrier du XXème siècle. Son imaginaire est celui du travailleur industriel à la chaîne : homme, syndiqué, porteur historiquement de la fierté de la classe ouvrière. Elle ne parle pas de l’ouvrier du tertiaire, qui ne bénéficie plus du collectif de classe à l’usine, et encore moins de l’employé : femme, souvent seule avec un enfant à charge, désyndicalisée et sans identité historique de classe, précarisée le plus souvent (temps partiel subi). (Page 49)

Ce paragraphe explique aussi comment le PS peut avoir autant de succès dans les élections municipales, où la question des crèches par exemple peut être centrale pour justement ces employées qui, sur le plan national, ne trouve rien de particulier pour elles dans le message global du PS. Dans le programme du PS il y aura, bien entendu, des mesures qui concernent l'école et l'emploi, mais on peut se demander si l'ensemble est ficelé pour attirer de ces ouvrières du tertiaire.

Le modèle de l'ouvrier comme socle de l'imagerie de gauche peut également conduire à cette situation paradoxale où la seule façon d'aider les ouvriers en empêchant les délocalisation, c'est d'entrer dans ce jeu de séduction avec les très grandes entreprises, ce qui aboutit à un socialisme de l'entreprise où le PS perd sa différence avec la droite. Depuis que « l'État ne peut pas tout », courir après les entreprises est devenue une nécessité, mais je parle là du symbolisme politique.

Et c'est là où l'on rejoint l'un de mes thèmes préférés quand j'essaie d'imaginer un meilleur socialisme : le fractionnement du pouvoir économique et politique. Ce billet est déjà trop long, mais je voudrais au moins suggérer que la prise en compte du nouveau visage de l'électorat pourrait être le point de départ d'un socialisme fondé sur un fractionnement du pouvoir politique et économique, plutôt que sur une consolidation productiviste. J'y reviendrai.

27 mai 2011

Unité 2012, vos conditions

Hier, les amis gaucho-blogueurs ont lancé leur appel, Unité 2012, afin de pousser les partis de gauche à se mettre d'accord sur un candidat unique au premier tour de la présidentielle.

Marc Vasseur, un réaliste, a des réserves sur l'efficacité de cette initiative, et on comprend : nos chers hommes politiques ont déjà du mal à se mettre d'accord sur des questions mineures, on se demande d'où pourrait venir l'inspiration ou la pression nécessaires pour les pousser à un tel sacrifice. Surtout, Marc souligne le fait que l'appel ne donne pas de détails sur comment on va arriver à un tel résultat.

D'autres ont surtout souligné le fait qu'une candidature unique à gauche revient à supprimer celles des petits parti en faveur du PS, avec l'appauvrissement du débat démocratique habituel. Je comprends cette objection (et je mettrais un lien mais je ne retrouve pas le billet), même si depuis 2002 je considère que le premier tour ne doit pas être utilisé pour servir des petits intérêts entre les partis.

Quand on a un gros problème, parfois il est utile de le diviser en sous problèmes. Voici donc ma proposition. Nous devons inviter chaque parti (ou, à défaut, ses blogueurs) à répondre à la question suivante :

À quelles conditions votre formation politique accepterait-elle de renoncer à présenter une candidature à l'élection présidentielle ?

Tout peut être sur la table bien sûr : programme, postes, ministères etc. Et le PS doit répondre aussi !

26 mai 2011

En 2012, le second tour se passe au premier tour (Unité 2012)

Les amis ont lancé un très bel appel, une belle lettre, et ils ont raison. C'est ici mais je la recopie également, puisque c'est comme ça que ça se fait :

Le Kremlin-Bicêtre, mai 2011

Chers camarades,

Comme disent les Chinois, il est des coups de massue qui rendent lucides : si la gauche veut remporter l’élection présidentielle de 2012, elle devra aller unie au combat dès le premier tour.

Imaginer que tel ou tel candidat ou candidate évitera la dispersion des voix à gauche entre vos différents partis, provoquera le réflexe d’un vote « utile », est un pari dangereux, une illusion entretenue par des sondages dont on connaît la volatilité… et la fiabilité.

Enterrer Nicolas Sarkozy trop vite est tout aussi illusoire. C’est un redoutable adversaire en campagne électorale, chacun le sait. C’est un des rares domaines où sa compétence n’a pas encore été mise en doute.

Mais surtout, Marine Le Pen sera vraisemblablement au second tour, nul besoin de sondages pour le craindre.

L’élection présidentielle de 2012 se gagnera donc au premier tour. Autrement dit, celui des deux candidats, de gauche ou de droite, qui aura le plus rassemblé son camp avant le scrutin présidentiel aura de fortes chances de l’emporter, soit parce qu’il sera face à Marine Le Pen, scénario hélas le plus probable, soit parce qu’il aura obtenu un score élevé au premier tour et aura donc créé une dynamique suffisante pour gagner le second.

C’est le bête et implacable raisonnement arithmétique qu’impose notre scrutin majoritaire à deux tours. On peut regretter qu’il en soit ainsi, qu’il ne nous soit plus permis de faire un « choix de coeur » au premier tour. Mais c’est comme ça.

Cette réalité électorale doit conduire les politiques que vous êtes à agir en conséquence, c’est à dire à vous battre pour que ce soit bien le candidat de gauche qui rassemble le plus efficacement son camp dès le premier tour, et non celui de droite, Nicolas Sarkozy.

Inutile d’attendre le dernier moment pour bâcler un marchandage de circonstance, purement politicien, ou le programme et les idées passeront à la trappe. Inutile encore de compter sur un accord entre les deux tours, vite fait bien fait, entre les partis de gauche au cas où ce serait l’un des leurs qui accède au second tour. Dans le premier cas, face à Le Pen, pourquoi le candidat s’embarrasserait-il d’une négociation avec ses amis politiques alors qu’il est pratiquement certain d’être élu ? Dans le second cas, face à Sarkozy, redoutable candidat, le spectacle de chefs de partis de gauche se rabibochant opportunément après une campagne qui les aura durement opposés sera d’un effet déplorable et ne peut que favoriser le candidat de la droite.

Avez-vous le droit d’envisager cette défaite ? N’avez-vous pas, au nom de la confiance et des mandats que vous ont confié le peuple, des obligations, dont celle de gagner pour mettre un terme à la politique désastreuse menée par Nicolas Sarkozy ?

Chers camarades, il est temps d’atterrir. D’arrêter d’avancer en ordre dispersé, avec des candidatures tactiques, « providentielles » ou fantaisistes. Bref, il est temps de prendre la mesure de cette nouvelle donne électorale et d’en tirer les conséquences. Dès que possible, vos partis doivent travailler ensemble à une plateforme commune et à la désignation d’un candidat unique pour toute la gauche. Après tout, les primaires ont bien été imaginées pour cela, non ?

Rappelez-vous : n’avaient-elles pas vocation, à l’origine, à sortir des logiques partisanes en s’adressant à tous ceux qui « partagent les valeurs de la gauche », qu’ils soient roses, verts ou rouges ? Imaginez la dimension que prendraient ces primaires si elles mobilisaient tous les partis ! Elles donneraient un autre souffle à la campagne et un autre poids au candidat ainsi désigné. Et avouons-le, elles seraient sûrement prises beaucoup plus au sérieux qu’aujourd’hui.

Pour vous, responsables politiques, ce ne sera pas facile de dépasser les clivages et les rivalités d’appareils, on l’imagine. Certains d’entre vous ne souhaiteront peut-être pas monter dans le train de l’unité. Mais l’enjeu est à la hauteur de l’effort : pour que la gauche remporte ce scrutin présidentiel, l’unité et les concessions qu’elle implique, sont le prix à payer et, soyons plus positifs, le défi à relever.

D’ailleurs pensez-vous sérieusement qu’un programme qui rassemble tous les partis de gauche soit un défi aussi insurmontable ? Nous partageons tous un socle de valeurs communes : écologie, services publics, société solidaire, emploi pour tous, fiscalité redistributive, laïcité, régulation de la finance, éducation, innovation, recherche, et bien sûr, l’ambition d’une France forte, généreuse et influente sur la scène mondiale.

Chers camarades, quelle tâche plus stimulante qu’un programme unitaire pour ceux qui aiment la politique et veulent changer les choses ! Ce n’est pas une utopie, c’est une nécessité. Les électeurs le sentent et multiplient les appels dans la presse et sur le Net. Nous sommes à un an de l’échéance, vous avez encore le temps de vous y mettre. N’attendez pas.

Un programme, un candidat… la victoire en 2012 !

Captainhaka : Le grumeau, Custin d’Astrée : 365 mots, Cycee : bahbycc, Dominique Darcy : dominiquedarcy, Eric Citoyen : Mon Mulhouse, Gaël : De tout et de rien, Jean-Claude : Slovar – Les nouvelles, Jean Renaud Roy : @jr_roy, Jon : @blogiboulga, Juan : SarkoFrance, Jules Praxis : @jules_praxis, Le Coucou : Le coucou de Claviers, Melclalex : A Perdre la raison, MrsClooney : La femme de George (s) , Nicolas : Partageons mon avis, Nicolas : La rénovitude, Nicolas Cadène : Débat socialiste, Richard Trois : Richardtrois, Rimbus : Rimbus le Blog, Romain Pigenel : Variae, Ronald : Intox2007, Jacques Rosselin : @rosselin, Seb Musset : Les jours et l’ennui de… , Stef : Une autre vie, Sylvie Stefani : Trublyonne, Valérie de Saint-Do : Microcassandre, Vogelsong : Piratages, Yann Savidan Carnet de notes de…, Zeyesnidzeno : La France a peur

Pour faire avancer l’unité à gauche, faites comme nous : copiez, collez et personnalisez cette lettre ouverte, puis envoyez la vite aux responsables politiques de gauche que vous connaissez (députés, maires, sénateurs, responsables de parti, etc). N’hésitez pas à nous envoyer leur réponse. Vous pouvez pour commencer retrouver les mails de vos députés en cliquant ici. Et faites tourner !

23 mai 2011

Jeter un homme en pâture

Sur les plateaux télé et dans les éditos de la presse papier, l'« affaire DSK » aura suscité mille fois plus d'interrogations sur l'usage des images et du traitement journalistique du sexe des politiques que sur les actes dont l'accusé est accusé. Je ne compte plus le nombre de fois que j'ai lu que Strauss-Kahn a été « jeté en pâture », ou qu'on parle de sa « mise à mort ». À la soirée télé consacrée à l'audience de demande de liberté conditionnelle, le fait qu'un grand jury ait retenu les sept chefs d'accusation, jugeant donc que le fait de passer quelques nuits en prison largement plus grave. C'est la vision myope de l'information en temps réel, certes, mais je crois que c'est encore plus symptomatique de ce qui se passe dans cette affaire.

Au delà des réactions stupidement machistes ou stupidement stupides, les médias ayant peu d'informations réelles à transmettre, ils se sont focalisés sur la "victimisation" de celui qui est accusé de tentative de viol et de l'injustice de la justice américaine qui l'aurait "jeté en pâture", "jeté aux chiens", en le laissant se faire photographier avec ses menottes. Dominique Wolton, dans son rôle, à la télé, à la radio et dans la presse écrite, de grincheux scientifique, dénonçant toutes les dérives de l'internet, peut disserter des heures sur l'horreur médiatique infligée au pauvre homme, mêlant un anti-américanisme à une peur bleue de la démocratisation de l'information. Wolton mériterait un billet pour lui tout seul, d'ailleurs, mais voici un avant-goût :

Les Américains, grands pourfendeurs des libertés individuelles, ont foulé au pied toutes les valeurs que nous avons en commun.

Ou encore (je n'invente pas, promis !) :

On assiste à une incompréhension réelle entre les deux pays, identique à celle qui a eu lieu pendant la seconde guerre en Irak.

Jean Daniel a également parlé de mise à mort, évoquant un gouffre culturel entre la France et les États-Unis. C'est presque comme si Obama avait annoncé l'annexation de l'Alsace-Lorraine. Prochain débat : fallait-il utiliser l'arme nucléaire pour venger Strauss-Kahn.

Et tout ce bruit, à cause de quoi ? Parce que le monde a vu Dominique Strauss-Kahn menotté, hagard et "débraillé". Mise à mort en effet.

Certes, ce n'est pas sympa de se retrouver partout sur la toile avec les mains dans le dos, entouré de flics avec les cravates que l'on connaît. Bien sûr. La véritable mise à mort de Strauss-Kahn, s'il faut poursuivre dans ce langage hystérique et hyperbolique, n'était pas ces fameuses photos, mais bien le fait d'être inculpé d'un crime terriblement grave, en désaccord total avec, oui, l'image qu'avait le grand public de l'homme. Le problème, pour DSK, ce sont les faits, non les images. L'effet sur son image serait à peu près identique si nous étions limités aux simples informations écrites : "DSK arrêter pour viol, puis inculpé sur sept chefs d'accusation".

Pourquoi donc tant de haine ? Parce que ces gens, de BHL à Wolton, ne vivent, apparamment, que dans l'image, que dans cet univers profond de seulement quelques pixels. La véritable brutalité du crime dont Strauss-Kahn est accusé n'y a pas sa place, ne peut, à la rigueur, même pas être représentée ou pensée. Ainsi on préfère se lamenter sur le fait que ce héros national a été privé de maquilleuse avant ses audiences, justement pour échapper au réel.

19 mai 2011

Il faut oublier Dominique Strauss-Kahn (pour le moment)

L'autre jour je disais :

Espérons aussi que l'on puisse parler d'autre chose que le soap-opera new-yorkais pendant les mois à venir. Si j'étais Sarkozy et si je contrôlais les médias, je m'assurerais que l'on ne perde pas une miette de cette histoire de fesses.

Si cette affaire peut rendre service à Nicolas Sarkozy, c'est, au-delà de la question morale (mais allez voir ce billet d'Olivier Bonnet…), la possibilité de noyer un éventuel message socialiste dans une saga interminable qui, grâce à sa dimension sexuelle et la proximité avec certaines séries policières, a tout pour retenir l'attention des téléspectateurs. DSK plus des élucubrations xénophobes et identitaires et on aura de la chance si plus de 50% de la population aura retenu le nom et le prénom du candidat de la gauche.

Bien sûr, ce scandale ne va pas disparaître dans les semaines et les mois à venir. Qu'est-ce que le PS peut faire, alors ? C'est délicat, mais il me semble que la consigne minimale, pour les dirigeants et les responsables du parti, et de la gauche en général, doit être de s'en mêler le moins possible. Oublions DSK.

Dans un très bon billet (mais avec lequel je ne suis pas d'accord tout à fait), Romain insiste sur le fait qu'il faut éviter de le lâcher :

Le troisième point est justement de se rappeler les termes de fraternité et de camaraderie, si on leur prête encore un sens. J’ai vécu de près, dans l’histoire récente, le lâchage par son parti d’un camarade pourtant innocenté au bout du compte – je n’ai pas envie de voir cela une seconde fois. Les premières heures, les premiers jours sont cruciaux pour déterminer l’ambiance générale de la presse et de l’opinion : c’est maintenant qu’il faut faire bloc, serrer les coudes et rappeler sans nuance et publiquement le principe de présomption d’innocence. Sans finasser, sans en profiter pour donner des leçons de morale et disserter sur l’horreur du viol (qui en doute ?). Un silence gêné ou la profusion de qualificatifs ambigus, comme le coup de tonnerre de Martine Aubry, donneraient par ailleurs un bien mauvais signal à nos concitoyens, qui doutent toujours de l’unité réelle du parti socialiste. L’heure n’est pas aux calculs, ni aux stratégies à 1000 bandes, ni au colportage de ragots douteux pour faire parler de sa candidature aux primaires.

Moi non plus je n'aurais pas cru nécessaire de rappeler l'horreur du viol, mais les évenements et les déclarations de certains socialistes et sympathisants ont prouver le contraire, comme je le disais hier. Sur les questions de communication, oui, c'est délicat, mais le PS ne peut pas laisser les soucis de DSK remplacer ses arguments politiques et absorber toute son énergie communicationnelle qui, comme on sait, n'est pas si abondante même par beau temps. Strauss-Kahn doit redevenir un homme, simplement, qui a ou qui n'a pas commis un crime violent dans une chambre d'hôtel. DSK, la figure politique, le porte-drapeau de la gauche, le projet de l'appareil depuis peut-être le congrès de Reims, celui qui porter sur ses épaules tous les espoirs des siens, ce symbole-là, il va falloir s'en passer. Il va falloir faire comme s'il n'existait plus. On le met sur « pause » en attendant le sort de l'autre, de ce n° 09132366L, un certain Dominique S.-K., yeux marrons, etc., qui a fait, ou qui n'a pas fait.

Nicolas J. suggère d'annuler les primaires socialistes. Je pense qu'au contraire il en faut, justement pour changer de sujet et justement pour signifier l'effacement, à ce stade, de Strauss-Kahn : nous avons préparé des primaires mais il n'a pas envoyé son dossier d'inscription à temps.

Mais surtout, chers responsables qui ne me lisent pas, il faut arrêter avec les complots (oui, Claude B., je pense à vous là) et avec les pitoyables appels en faveur d'une intervention présidentielle (oui, Harlem D., je pense à vous là). Justement, le PS ne peut rien faire pour aider Strauss-Kahn, il est même urgent de ne rien faire, de s'en détacher, sans le « lâcher » en le condamnant avant la justice, mais surtout en empêchant le PS de se perdre dans la tempête médiatique qui risque d'être très long.

Un viol reste un viol

L'affaire DSK a pris une ampleur médiatique terrible, les choses se brouillent : il y a la dimension affective du PS, les confusions entre les cultures états-unisienne et française, différences judiciaires, différences de pratiques journalistiques surtout à l'égard de la vie privée et de la sexualité des hommes politiques que les américains (et les anglais d'ailleurs) reprochent maintenant aux journaleux français. BHL (pour qui j'ai, la plupart du temps, pas mal de respect malgré son style agaçant) s'en mêle et se ridiculise outre-atlantique en affirmant carrément :

J’en veux, ce matin, au juge américain qui, en le livrant à la foule des chasseurs d’images qui attendaient devant le commissariat de Harlem, a fait semblant de penser qu’il était un justiciable comme un autre.

Jack Lang insiste qu'il « n'y a pas mort d'homme », l'expression est bien choisie : il n'y a pas mort de femme non plus, mais le viol est encore considéré comme un crime en France. Le pire que j'ai encore vu, cependant, c'est Jean-François Kahn chez France Culture. L'extrait vaut le détour, le ton est presque jubilatoire, non seulement celui de Kahn lui-même, mais aussi celui de la journaliste. Voici la transcription. Le mot « gloussements » n'est pas du tout une exagération :

J.-F. Kahn : Je suis certain, enfin pratiquement certain, qu'il n'y a pas eu une tentative violente de viol, je ne crois pas, ça, je connais le personnage, je ne le pense pas. Qu'il y ait eu une imprudence on peut pas le… (rire gourmand), j'sais pas comment dire, un troussage,

A.-G. Slama : il appelait ça une erreur de jugement (gloussements).

J.-F. Kahn : que y ait un troussage, euh, de domestique, enfin, j'veux dire, c'qui est pas bien, mais, voilà, c'est une impression.

Pas de viol, donc, mais un troussage de domestique ? Kahn a l'air tellement admiratif du pouvoir de séduction du directeur du FMI, il ne se contient presque plus.

Le viol, il semblerait, à écouter ces hommes de gauche, ne peut pas être grave dès lors qu'il s'agit d'un homme puissant et d'une domestique. C'est un détail un peu embêtant, erreur de jugement, il en a beaucoup sur le caillou, le Dominique…

Encore, nous ne savons pas ce qui s'est passé, nous ne savons pas s'il y a eu viol ou pas. La justice est là pour nous le dire. Mais ce qui est totalement inadmissible, c'est, dans l'hypothèse du viol, de minorer la gravité du crime, crime violent. La présomption d'innocence, je veux bien. À écouter Jean-François Kahn, on a l'impression que même si Strauss-Kahn était coupable, il serait coupable de presque rien. Un petit troussage. Rien du tout. De quoi elle se plaint ?

Un viol, je rappelle, donc, est un grave acte de violence. C'est interdit, y compris en France. À côté, nous avons les discussions sans fin sur la façon de traiter du sexe dans la vie politique, le comportement des journalistes, fallait-il alerter l'opinion publique, blah blah blah. Ce que nos commentateurs médiatiques semblent oublier, et qu'on doit leur rappeler, c'est que séduire, coucher, tromper, entretenir des maîtresses ne sont pas des actes criminels. Le viol est tout autre chose, c'est une catégorie à part, c'est un acte public. Une française écrivant en anglais le dit mieux que moi :

Instead, the press chooses to highlight the words of his political allies, who describe him as a benign seducer – but "one that does not force anything". Commentators repeat that this is about his "private life". But with a non-consenting person, it is not an issue of privacy. Still, this distinction seems beyond France's leading journalists.

J'ai le soupçon que ce qui choque, c'est que la justice dans ce cas donne autant d'importance à la parole une simple femme de ménage. Elle ne devrait pas pouvoir nuire à quelqu'un d'aussi important que Dominique Strauss-Kahn, quels que soient les faits et les injustices qu'elle aurait subis.

Nous ne savons pas encore si Dominique Strauss-Kahn est coupable. Son innocence ou culpabilité ne changent rien quant à la gravité du viol en général.

17 mai 2011

Post-DSK

Deux choses sur la fin (avant le début) de la candidature de Strauss-Kahn :

  1. Une aubaine pour… le centre.
  2. Le PS devra s'éloigner rapidement de Strauss-Kahn si son procès s'enlise et s'il est jugé coupable.

Pour ce qui est du centre en 2012, ce n'est pas un scoop, mais c'est important. Nous risquons d'avoir un hybride étrange entre 2002 et 2007 : 2007, sauf que le FN prend aussi 20% et s'impose au second tour. Avec Sarkozy affaibli par son bilan et par Marine Le Pen, un candidat centriste peut espérer s'imposer devant lui et devant un candidat PS affaibli par des divisions à gauche (candidat écologiste, Front de Gauche ; il ne manque plus que Chévenement et Taubira).

Autrement dit : François Hollande a beau remonter dans les sondages, il ne sera pas la réincarnation de DSK, et son emprise sur l'ensemble de la gauche et du centre sera beaucoup plus contestable. Si les centristes arrivent à se mettre d'accord sur un candidat, ce qui n'est pas évident, celui-ci sera très dangereux pour la gauche. Et s'ils restent divisés, ils peuvent grignoter des voix au candidat PS et/ou de gauche, voix qui seront peut-être nécessaires pour passer devant Sarkozy ou Le Pen.

Sur le plan rhétorique et symbolique, il va être important, aussi crucial que difficile, pour le PS de prendre ses distances avec DSK. Si ses embrouilles judiciaires se prolongent sans donner de réponse définitive, le PS va être de plus en plus embarassé, va vouloir montrer sa solidarité avec le pauvre Dominique et va être de plus en plus embêté d'avoir l'air de défendre quelqu'un qui paraîtra comme coupable aux yeux du public.

15 mai 2011

DSK, NYC

Nous ne savons pas grand'chose de concret sur la réalité de l'affaire. Je n'avais pas envie de m'occuper des querelles entre prétendants socialistes ici et donc n'avait pas d'avis tranché sur la candidature de Strauss-Kahn, même si son jospinisme pro-entreprise n'est pas tout à fait ma tasse de thé. L'essentiel reste la défaite de cet autre « sauteur » (comme le disait son ex-femme), Nicolas Sarkozy.

Il paraît probable que Strauss-Kahn va devoir renoncer à sa candidature. Malgré mes réserves sur lui, cela risque d'affaiblir un peu plus la gauche, en apportant un peu plus de désordre. L'ombre d'un DSK absent planera au-dessus des prétendants socialistes qui ne pourront plus se mesurer contre celui qui devait tout gagner facilement.

Quoique… parfois le désordre peut faire avancer les choses. Juan est assez optimiste :

Si DSK est effectivement disqualifié, il n’est pas sûr que cela profite à Nicolas Sarkozy. La campagne sera « normale« . Et Sarkozy n’a plus, à l’heure actuelle, de se positionner en candidat de la rupture contre la normalité.

En tout cas, les événements à New-York vont permettre de clarifier rapidement les choses. La candidature fantôme de Strauss-Kahn, ainsi que sa puissance sondagière, étouffe le débat à gauche, et fait perdre du temps. Il va y avoir du désordre : toute l'énergie des supporters de Strauss-Kahn va devoir aller quelque part ; les non-strauss-kahniens vont s'y croire désormais, cela va attirer l'attention des téléspectateurs. Espérons que ce ne sera pas seulement de la confusion, mais que les idées et les arguments vont aller quelque part.

Espérons aussi que l'on puisse parler d'autre chose que le soap-opera new-yorkais pendant les mois à venir. Si j'étais Sarkozy et si je contrôlais les médias, je m'assurerais que l'on ne perde pas une miette de cette histoire de fesses.

14 mai 2011

Ils sont vraiment désolés

Je reviens à cette histoire de quotas que j'ai abordé hier. Laurent Blanc et la FFF se sont excusés. Voici les mots de la Fédé :

Le conseil a également tenu à présenter "ses excuses à ceux qui ont été blessés".

Et voici ceux du sélectionneur :

J’ai tenu des propos qui peuvent être blessants. Je m’en veux aussi de ne pas avoir pris de la hauteur pour m’apercevoir que certains propos pouvaient choquer et blesser. Je m’excuse auprès des gens que je connais et surtout auprès de ceux que je ne connais pas.

Tout cela est très bien. La Fédération et même le Ministère ont réagi assez rapidement, ont pris la chose au sérieux. Tant mieux. La réaction normale et non-raciste a eu gain de cause. Mais… (il y a toujours un mais, je sais).

Mais… on sais bien que les excuses font partie de la pratique du damage control médiatique. Et là, rien à redire : il faut bien jouer le jeu. Dans le milieu du foot c'est bien connu. Mais… ce qui m'agace un peu, c'est cette idée que le problème était d'avoir blessé des gens. Comme si le racisme se limitait à blesser ou stigmatiser les gens. À la rigueur, personne n'a été "blessé" dans cette histoire, ou, s'ils l'ont été, c'était secondaire, derrière le véritable scandale qui consistait à imaginer une pratique discriminatoire systématique, un système qui, appliqué, aurait bouleversé le destin de centaines de parcours de jeunes footballeurs méritants, et aurait brisé pour toujours la mixité sociale qui depuis des décennies fait la force du football français. Si Laurent Blanc s'était borné à dire que les noirs, grands et costauds, ne savaient pas dribbler, la blessure auraient été plus criante et plus médiatique, mais les conséquences bien moins graves.

Tant mieux pour les excuses, donc, mais elles sont quand même un peu à côté de la plaque.

PS ("Post-scriptum", pas le parti) : Le plus drôle dans l'entretien de Laurent Blanc (mais on le lui pardonne parce que, quand même, ce n'est pas un homme politique de droite) :

Quand j’ai pris connaissance des propos qui ont été tenus durant cette réunion du 8 novembre, il y a eu beaucoup de colère en moi. Cette colère est toujours présente. J’espère que j’arriverai à l’extérioriser avec le temps. C’est de la colère vis-à-vis de moi-même.

Il a fallu attendre que Mediapart sorte l'histoire pour qu'il prenne connaissance des propos qu'il a lui-même tenus, où qu'il a entendus dans une réunion où il était présent ? Pas très logique, Lolo, mais vous avez quand même bien bossé vos leçons de damage control.

13 mai 2011

Blanchir la nation en commençant par le foot

L'équipe de France de football est, dans notre réalité politico-médiatique, l'idéal du nationalisme. Nos néo-nationalistes à tendance sarkozystique (c'est-à-dire tout dans la surface des choses) voudraient depuis au moins 1998 que l'enthousiasme pour l'équipe Nationale puissent se traduire vers une…oui… une Identité Nationale, moderne, étincellante, avec contrats Adidas et TF1. Les téléspectateurs français ne deviennent de supporters véritables que lorsque leur équipe connaît des succès planétaires. Quand le ballon ne tourne pas rond, le public se montre, historiquement, très critique. En cas de match médiocre, les sifflets ne sont jamais bien loin. Ce fait, pourtant, n'a jamais refroidi le fantasme du nationalisme politique aux allures sportives.

Bref: l'équipe de France, c'est la Nation. C'est pour cette raison qu'il est triste de constater qu'à la tête de la Nation footballistique, le courant s'est inversé, et qu'on va courrir après les mêmes thèmes xénophobes (mais en version plus ou moins light -- c'est l'industrie du divertissement après tout) qui plombent la vie réelle. Tant pis.

S'il y a quelque chose de positif de l'affaire, c'est que, pour une fois, nous avons la preuve, la trace de ce qui aurait dû rester de l'ordre du non-dit. Une sorte de plafond de verre, un filtre blanchissant, dont l'existence n'aurait jamais pu tout à fait être prouvée, malgré d'éventuels soupçons, vient de devenir très concret. C'est pour ça que je ne peux pas être d'accord avec Romain qui critique la gestion de l'affaire par Mediapart. Oui, ça tombe mal, politiquement, mais c'est très important de sortir ce genre de procédé.

Une partie de la confusion initiale entourait la notion des joueurs binationaux et il a même été admis que c'était un véritable problème. Il se trouve, pourtant, que les enfants de 12 ou 13 ans que l'on voudrait écarter ne sont pas des binationaux, c'est-à-dire n'ont pas la double nationalité, ils sont seulement potentiellement binationaux. Voici comment l'explique Mathilde Mathieu chez Mediapart :

Derrière ce mot abusif de «binationaux» se cachent en réalité, comme Mediapart l'a déjà expliqué, des jeunes Français, exclusivement français à ce stade de leur vie (à quelques exceptions près), qui pourraient être tentés, plus tard, d'acquérir une seconde nationalité (celle de leur mère, de leur grand-père, ou d'un autre ascendant), pour rejoindre une sélection étrangère, le plus souvent par dépit.

Et comme le dit Laurent Blanc :

«Il ne faut pas que ce soit tous les joueurs qui puissent faire ça. Parce que tous les blacks, si tu enlèves les Antillais, ils ont des origines africaines. Donc, africaines, ils vont pouvoir aller dans une équipe africaine.»

Donc « binational » signifie pouvant un jour devenir binational. Et voilà qu'on se retrouve nez-à-nez avec cette même vieille confusion, qui explique au moins les trois quarts de la logique xénophobique sarkozyënne : l'immigration, clandestine ou non, que l'on voudrait supprimer ou « mieux gérer » n'a qu'une valeur symbolique : celle qu'on voudrait vraiment supprimer, gommer, effacer, c'est celle des années cinquante et soixante, qui concerne désormais des personnes qui sont français, dont les enfants et les petits-enfants sont français. L'« immigration » d'un postcolonialisme mal digéré, en somme. L'association entre burqa et une origine étrangère relève de la même logique. Je me souviens (mais je ne retrouve pas de référence sur l'internet) que le programme de Jean-Marie Le Pen dans les années 90 comportait la révision de toutes les naturalisations faites depuis, je crois, 1973…

Du coup, la « bi-nationalité » revient à la mode, en tant que grand fléau non seulement du football mais de toute la société française.Claude Goasguen a su saisir la balle au bond:

Interrogé sur les conséquences concrètes pour les gens concernés, Claude Goasguen répond: "Cela veut dire qu'on demanderait aux gens de choisir entre deux nationalités. Ou bien qu'on aille vers une limitation des droits politiques. Car il est tout de même gênant qu'une personne puisse voter en France et dans un autre Etat. En procédant ainsi un binational se retrouverait en quelque sorte avec une nationalité et demie".

Il y aurait même une sorte de population de faux français :

"En France aujourd'hui, on ne sait pas combien ils sont, sans doute 4 à 5 millions. Je souhaite aussi qu'on aille progressivement vers une limitation de la double nationalité par le biais de discussions bilatérales avec les pays", souligne-t-il.

Un peu plus et on va nous annoncer qu'ils vont nous égorger dans nos lits dès que le signal sera donné par Moscou ou je ne sais quelle capitale musulmane.

Mais, pour Goasguen, il s'agit quand même de vrais binationaux (qui restent, pour rappel, des vrais français), tandis que chez nos purificateurs footballistiques, le joueur (de 12 ou 13 ans) binational est seulement potentiellement binational, et seulement, pour l'instant, français à 100%. L'ombre de la binationalité fantôme s'infiltre dans les mentalités pour signifier, sous le sceau d'un bon sens d'apparence (on ne va pas former l'équipe nationale de l'Algérie à Clairefontaine, tout de même). Aurait-on enfin trouvé la manière de distinguer entre un « nous » national et un « eux » français mais pas vraiment français ?

8 mai 2011

Ma campagne (4) - Échec

L'autre jour Juan a parlé de mon billet, celui où je dis que Sarkozy sera un adversaire coriace et difficile. Juan a surtout dit ceci :

A gauche, Mitterrand excepté, les candidats sont habituellement des bisounours qui se font mangés tous crus. Localement, certains candidats socialistes savent être aussi ignobles que leurs collègues de droite. Nationalement, ils se tiennent. Les coups volent rarement bas. Les cellules « riposte », quand elles sont écoutées, ne servent qu’à de l’argumentaire sérieux.

Sans tomber dans le graveleux (il n’y aurait pourtant qu’à se baisser parfois), il faudra prévoir, cette fois-ci, à riposter au bon endroit.

Comme je suis en train d'exposer cette campagne que je ne ferai pas, il est sans doute important d'insister sur ce qui devrait être évident, mais qui risque d'échapper au (à la) futur(e) candidat(e) de gauch(e), à savoir qu'il faut taper fort sur Sarkozy. Zéro pitié.

Cela ne veut pas dire qu'il faut raconter des saloperies, il suffirait d'être direct parfois. Dire, par exemple, que le quinquennat de Sarkozy était un échec. Le dire souvent. Une présidence ratée. Cela paraît simple, mais c'est le genre de chose qui, bizarrement, ferait scandale. Est-ce qu'on a le droit de dire du Président de la R. que son mandat était un échec ? Est-ce bien ?

Des gens comme Brice Hortefeux passent leur temps à sortir des ignominies qui font couler de l'encre pendant des jours et des jours. Parfois dire la vérité simplement peut avoir le même effet. « Échec » et « raté » ne sont peut-être pas les mots les plus stratégiques. C'est au candidat de trouver ceux qui feront le plus d'effet.

3 mai 2011

Ma campagne (3) - Fret (2) - Ne pas relancer

La dernière fois je parlais du fret et de sa place dans une économie dynamique et décentralisée qui est l'un des objectifs de ma campagne présidentielle « Les énergies de la France ». Mes contradicteurs, des fervents sarkozystes (ça doit exister) ou même des fervents borloosiens (ça doit exister), diraient : mais le Très Grand Homme (TGH) a déjà relancé le fret lors du Grenelle, alors rentre dans tes 35 heures, espèce de gauchiste.

En effet, la relance du fret, et même celle du fret fluvial, étaient prévues lors du Grenelle. Et pourtant, typiquement, rien n'a été fait :

Dans les autres domaines, le gouvernement a aussi multiplié les coups de canif. Dans le domaine de l'énergie, les outils mis en place pour remplir les objectifs fixés sont déficients. Le nombre de projets d'éoliennes a par exemple chuté de 60 % au premier trimestre 2010 par rapport à l'an dernier, en raison notamment d'un durcissement de la réglementation et des conditions d'implantation des champs. Dans les transports, le fret ferroviaire aurait dû représenter cette année 17,5 % du fret global. En réalité, il s'effondre à 12 %, après avoir été de 14 % en 2006, à cause des incitations au transport routier qui se poursuivent.

(En passant, j'implore le futur candidat PS de ne pas oublier de citer tous ces échecs, en utilisant le mot échec. Mais ce sera le sujet d'autres billets.)

Sur le papier, pourtant, les intentions du Grenelle 1 paraissaient assez bonnes (Lire les engagements ici.) Vu de l'extérieur, la clé semble être le développement d'un nouveau type de PME, les OFP, « opérateurs ferroviaires de proximité ». Pourtant, la vie n'est pas simple pour eux :

Seulement en France, la route des OFP est semée d'embuches : l'adaptation technique du réseau ferré et l'étau réglementaire qui verrouille le trafic ferroviaire de marchandises limite les possibilités d'organisation des flux par des opérateurs autres que la SNCF. L'obtention et le tarif des sillons (les droits de circuler) auprès de Réseau ferré de France (RFF), gestionnaire des infrastructures et des voies n'est pas une mince affaire.

Du côté de la SNCF, c'est compliqué aussi, hormis une résistance naturelle à voir des concurrents de petite taille venir les embêter. Le plan Fret annonce une réorganisation du fret et l'abandon du « wagon isolé » :

Ils estiment aussi que le plan Fret SNCF, annoncé en septembre 2009, "consacre l'abandon du wagon isolé (assemblage de wagons de clients différents) et créé des situations d'irréversibilité". "Toute la partie ouest du pays est désertée par Fret SNCF; la part modale du ferroviaire poursuit son recul; la taxe camion se fait attendre et fait l'objet d'intention d'utilisation pour les infrastructures routières et les pressions pour généraliser les camions de 44 tonnes et expérimenter ceux de 25 mètres de long pour 60 tonnes persistent", déplorent syndicats, écologistes et usagers.

En somme, on espère vainement l'arrivée de PME un peu suicidaires pour résoudre le problème ; la SNCF traîne vaguement des pieds, entre volonté de protéger ses terres et de faire des économies, et finalement on ne voit pas d'autre solution que de taxer les camions. Au risque d'avoir l'air pas tout à fait gauchiste, il est clair sans une révolution dans l'organisation du fret, dans le sens de la souplesse et la légèreté, une taxe camion ne servira pas à grand'chose. L'échec de Sarkozy sur ce dossier est culturel et idéologique. Sarkozy est censé représenter le volontarisme (tout devient possible ?), mais ici c'est justement la volonté qui manque. Surtout, et c'est là ce qui en fait un échec de droite, ce qui manque est l'esprit de coopération nécessaire pour faire avancer l'ensemble de acteurs concernés : cheminots, entreprises publiques et privées, régions, Europe, etc. Autrement dit : pour réussir le fret, il faudra être beaucoup plus ambitieux.

28 avril 2011

Ma campagne (2) - Fret (1)

J'ai commencé une série de billets pour détailler ce qui serait pour moi un bon programme de gauche pour 2012. Le programme s'appelle « Les énergies de la France » et il est axé autour de l'écologie, la décentralisation et le fractionnement du pouvoir, à la suite des « gauchitudes » que j'avais proposées il y a deux ans.

Je voudrais parler du fret (un blogueur n'est pas obligé de présenter son programme dans un ordre alléchant), du transport ferroviaire des marchandises. C'est un sujet qui me tracasse depuis les années Jospin : la gauche avait le pouvoir, il y avait une ministre Vert et un ministre des transports communiste. C'était, me semblait-il, le moment idéal pour créer une politique du fret qui arrangeait à la fois les cheminots, peuple de gauche s'il en est, et les écologistes. Évidemment il n'en était rien, et depuis j'attends.

Pour mon programme, je pensais ne faire qu'un seul billet sur le fret, mais je vois que je vais être obligé de faire un ou plusieurs détours pour y arriver. Commençons donc par les PME et la désindustrialisation de la France. L'idée de fractionner le pouvoir économique et politique est une façon de s'adapter à un monde plus complexe, moins centralisé que celui de papa et maman (ou papy et mamie) pendant les trente glorieuses, quand la fumée montait des cheminées des usines et le modèle social français marchait à fond.

Aujourd'hui la fumée et les cheminées sont chinoises. La gauche a perdu la plupart de ses moyens pour faire pression sur les « grands patrons », et même le rapport de forces s'est inversé : dans l'intérêt des ouvriers, des salariés, la gauche ne voit pas d'autre alternative que de séduire les entreprises, surtout les grosses. D'où ce consensus jospino-chiraquien (« l'État ne peut pas tout faire »), que l'on retrouve d'ailleurs un peu partout dans les autres pays dont on disait il n'y pas si longtemps qu'ils étaient « industrialisés ».

Tout cela vous le savez aussi bien que moi, sinon mieux. L'important est de comprendre pourquoi il faut changer de modèle et changer d'échelle. Le rêve de rétablir le schéma social et industriel des années avant « La Crise » (c'était quand ça ? 1982 ?) bloque la gauche dans une position défensive, Sarkozy dirait « conservateur » même. L'issue est un changement d'organisation du pouvoir économique, en allant vers tout ce qui ne peut pas se délocaliser, et vers des plus petites structures, notamment les PME.

Ségolène Royal, en 2007, avait proposait quelque chose allant dans ce sens, et Dagrouik a raison de dire:

Je l'ai déjà expliqué plus d'une fois sur mon blog, 70 milliards d'aides à re-orienter sur PME : ABSENT ! Alors que c'était présent dans discours de Ségolène Royal en 2007. Les PME qui font 80% de l'emploi, ne bénéficiaient que de 13% du montant des aides en 2007, ça se trouve dans un rapport de la cour des comptes. Abordé par Ségolène Royal en 2007. Oublié par le PS.

C'est sans doute plus qu'un oubli, mais un problème de culture politique.

Revenons donc au fret. L'intérêt écologique du fret ne fait pas de doute, mais c'est le camion qui gagne depuis bien des années :

La part du fret ferroviaire, fluvial et maritime est passée de 42% en 1984 à seulement 14% en 2007, tout en ne parvenant pas à trouver un modèle économique équilibré.

Ce n'est pas difficile d'imaginer que le fret et l'industrie traditionnelle se sont effondrés ensemble, puisqu'ils ont également grandi ensemble. Incapable de s'adapter aux besoins de souplesse et à l'échelle plus réduite des transports modernes, le fret est peu à peu délaissé.

Voilà pour le diagnostic. Prochain épisode : les échecs des relances du fret.

23 avril 2011

Teigneux

Je l'ai d'abord lu chez Juan :

A l'Elysée, Sarkozy sur-joue, comme toujours, la confiance. La semaine dernière, il disait « bien sentir » cette campagne aux députés UMP invités à l'Elysée. Il promet d'« exploser » son futur concurrent socialiste.

Et l'AFP : Surtout, le locataire de l'Elysée reste plus que jamais confiant dans sa capacité à battre la gauche. Publiquement, il raille volontiers le programme du PS. "Il nous dit à tous vivement que le candidat socialiste soit connu, je vais l'exploser", ajoute un de ses récents visiteurs.

Bien sûr, pour garder ce qui lui reste de maîtrise sur son parti, il est important pour le Très Grand Homme (TGH) de se projetter en futur vainqueur. Chacun pense aux postes qu'il pourrait occuper s'il reste fidèle pendant les moments difficiles. La stratégie marcherait mieux sans doute si Sarkozy n'avait pas la fâcheuse habitude de privilégier les ralliements les plus récents.

Ces fanfaronnades sont néanmoins inqiétants au vue de l'état d'indécision à gauche, et le confort trompeur des sondages. Je le disais l'autre jour : cette élection va être très dure. La faiblesse du TGH va le rendre encore plus teigneux, encore plus méchant. L'élection à deux tours met l'accent sur des détails personnels, sur une perception de la force ou de la faiblesse d'un candidat. Sarkozy tentera d'humilier son adversaire. Préparez-vous.

21 avril 2011

Comment faut-il que le PS réponde à la question de l'immigration ?

Visiblement, le cocktail idéologique à base de xénophobie que la droite nous prépare pour 2012 continue d'être le grand sujet du moment. C'est ce qui me préoccupe alors que, paradoxalement, je pense que l'enjeu essentiel pour la gauche va être de pouvoir parler d'autre chose. Ce qui ne sera pas évident.

Les sondages continuent de mettre Marine Le Pen au centre des choses, et, en raison des considérations géométriques de l'élection à deux tours, les grandes questions et fantasmes idéologiques se heurtent à la grande passion, assez maladive, de la presse : qui va être le candidat du PS ?

Une chose me paraît certaine : le candidat de la gauche se fera massacrer au second tour s'il n'a pas une stratégie efficace vis-à-vis des questions d'« immigration » et d'« Islam ». Je mets des guillemets parce que ce n'est pas vraiment l'immigration qui inquiète les gens qui sont inquiets par l'immigration, et la même chose vaut, ou presque, pour l'Islam. Il y a deux ans je parlais d'une «purification symbolique de la Nation », et c'est encore à peu près ça.

Nicolas J. pose le problème clairement:

La campagne est lancée. Deux thèmes : le pouvoir d’achat et l’immigration.

Comme en 2007. Comme en 2002. Comme en 1995.

[…]

C’est reparti.

La gauche doit répondre. Sur ces thèmes.

Et dans un billet où Juan interroge, avec une maîtrise et un franc-parler réjouissants, Philippe Cohen, celui-ci souligne bien l'urgence idéologique de la situation :

Mais je crois que cette polémique renvoie à des questions qui se posent à toute la gauche et, au-delà à tous les républicains : pourquoi la gauche ne profite-t-elle pas vraiment de la plus grosse crise financière de puis 1929 ? Pourquoi l’affaiblissement de Nicolas Sarkozy profite-t-il davantage au Front national qu’à la gauche ou au centre ? Pourquoi les gens du peuple, et notamment les classes d’âge actives (les 24-49 ans) sont-ils si séduits par Marine Le Pen ? Nous ne pourrons éviter de répondre sérieusement à ces questions si nous ne voulons pas laisser un boulevard à quatre voix au Front national.

Au lieu de répondre à ces questions, une partie de la gauche préfère stigmatiser ceux qui osent aborder les thématiques du FN. Ainsi, il ne faudrait parler ni de l’immigration, ni de l’insécurité grandissante, ni des excès de l’islamisme radical. Déjà stupide en soi, cette logique aboutit aujourd’hui à une impasse : puisque Marine Le Pen parle du chômage et de la crise de l’euro, il faudrait aussi éviter ces questions ? Il faut que les responsables de la gauche se réveillent !

(En passant: il me semble inutile d'aborder la dispute assez stérile avec Sophia Aram. Je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas plusieurs façons de réagir et résister au Front National.)

Les remarques de Philippe Cohen sont effrayant et je suis à peu près d'accord avec son analyse de l'échec du PS auprès de l'électorat populaire. Il y a un malaise profond chez ces électeurs, et il est bien triste que ce malaise se manifeste dans cette réaction xénophobe. Je continue à penser, néanmoins, que la forme inacceptable que le malaise à finir par prendre est surtout due au fait qu'aucun autre discours politique n'était adressé à cette tranche de la population. (J'ai abordé cette question l'autre jour.) Le PS n'a jamais était un parti populaire, et, après l'évaporation du PCF, n'a jamais entrepris de le devenir. Depuis 2002, exactement neuf ans aujourd'hui, donc, il paie le prix de cette incapacité à s'adapter.

Tout cela pour dire que « l’immigration », « l’insécurité grandissante », ou les « excès de l’islamisme radical » ne sont les vrais problèmes. D'où le problème de la gauche : si elle se montre « dure » sur l'immigration, l'Islam etc., elle ne l'est jamais assez pour ceux qui sont vraiment dans la paranoïa, et elle perd sa crédibilité de gauche. Et si elle reste dans la logique de la condamnation morale et le front républicain, elle passe complètement à côté de cet électorat qui, plus qu'aucun autre, a besoin de la gauche. C'est vraiment à pleurer.

L'enjeu, pour 2012, et après, va être de trouver une manière de neutraliser la question (la « bonne question » à laquelle ils apportent des « mauvaises réponses »). Je le dis en gras : *la gauche ne doit pas valider l'idée selon laquelle c'est la faute des « immigrés »*. C'est suicidaire, répugnant et tout le reste. Mais je suis d'accord qu'il faut répondre, quand même. Faut trouver. Il reste quelques mois.

20 avril 2011

Ma campagne (1)

Finalement, je ne me présenterai pas à l'élection présidentielle. Je ne participerai pas aux primaires socialistes. C'était une décision lourde à prendre, mais je veux prendre mes responsabilités et éviter d ajouter à la confusion à gauche.

Libéré de cette perspective, je peux dors et déjà essayer de contribuer aux efforts de toute la gauche en vous livrant les grandes lignes de ce qui aurait été ma campagne. Cela prendrait peut-être plusieurs billets, on verra.

Le titre d'abord : « Les énergies de la France » Gros clin d'oeil, évidemment, à l'écologie, énergies alternatives, sortie du nucléaire, économie verte, mais aussi l'idée d'une économie plus dynamique, plus inventive, plus décentralisée, passer moins par les grands groupes et plus par les PME, mettre l'accent sur le local, etc. Plus encore, les « énergies » en question seraient celles de tous ces talents brimés par le centralisme, le copinage, les castes, mais aussi par la crispation d'un racisme subtile et silencieux.

Je continuerais de dévoiler les éléments de ce programme, élaboré en secret depuis des mois et qui poursuit un peu mes « gauchitudes », au fil des billets.

18 avril 2011

Comment Sarkozy va gagner en 2012

« Moi, je la sens bien » dit Sarkozy de sa réélection en 2012. Je suis d'accord avec lui, sauf que je dirais plutôt que je la sens mal, très mal. Pour beaucoup de raisons : les divisions et cafouillages prévisibles de la gauche ; le fait que Sarkozy contrôle encore mieux les médias aujourd'hui qu'en 2007, surtout la télévision, et que, en tant que Président, il dispose de toutes les ressources de l'État, notamment le contrôle de l'agenda politco-médiatique. Et c'est là le plus gros problème…

Très simplement : Sarkozy fera tout ce qu'il peut (et il peut beaucoup) pour transformer l'élection présidentielle 2012 en référendum sur l'Islam. Dans les mois précédant l'élection, nous allons vivre dans un tourbillon médiatique, vacarme dirait Juan, où il n'y aurait pas d'autre question que l'Islam et « l'immigration ». On sortira tous les faits divers possibles, les seconds couteaux, genre Hortefeux, feront des déclarations qui mettront le feu aux poudres et qui occuperont l'attention des téléspectateurs pendant des jours et des jours. Cinq années d'échecs et d'erreurs ? Effacés devant le péril identitaire.

Pour le candidat socialiste, les journalistes n'auront pas d'autres questions : comment réagissez-vous quand le P. de la R. dit que les musulmans n'ont que… blah blah blah ? Et quand ce pauvre candidat voudra parler de telle mesure économique, tel ou tel échec de cinq ans de Sarkozy, cela va apparaître comme une sorte de détail technique à côté de la grande question passionelle du moment, cette « interrogation » sur l'Islam, sous couvert d'une laïcité de pacotille, montée de toutes pièces. Le candidat de gauche dira : Si je suis élu, j'indexerai ceci sur cela…, ça aidera les ménages etc. et la droite répondra : Voulez-vous vraiment des minarets dans votre quartier ?

La seule façon de résister, à mon humble avis, sera non d'apporter d'autres réponses aux mêmes questions, mais de ridiculiser intégralement la question. Pas facile, je sais.

16 avril 2011

Redresser l'avenir

Il y a quelque chose d'étrange dans le langage du PS depuis que le projet est officiellement lancé, un rapport étrange au passé et au futur. La phrase de Martine Aubry nous met la puce à l'oreille : « l'avenir aimera de nouveau la France ». D'accord c'est paradoxal et accrocheur, légèrement publicitaire ; il faut s'attendre à ce genre de chose. Mais qui est vraiment cet avenir qui aime et n'aime pas ?

Dans un dossier PS intitulé justement L'avenir aime la France (qui n'est pas trop mal en analyse, assez faible en propositions) :

Après quatre siècles d'hégémonie, les nations occidentales vieillissent et semblent résignées à cultiver leur passé plutôt qu'à se projeter dans l'avenir. (page 7)

On dirait qu'ils ont réfléchi pas mal à ces histoires de passé-présent-futur-futur antérieur. Les grandes lignes du projet ont quelque chose d'étrange aussi, de ce point de vue :

  • Redresser la France et proposer un nouveau modèle de développement
  • Retrouver la justice pour bâtir l’égalité réelle
  • Rassembler les Français et retrouver la promesse républicaine

« Redresser », « retrouver » (x2) : n'est-ce pas un peu : c'était mieux avant ?

La promesse de « changement » (nom officiel du programme) Avec « l'avenir » et , suggérer que l'avenir va nous faire revenir au passé. L'idée d'un protectionisme européen va dans ce sens, par exemple : recréer les circonstances (industrielles) où le bon vieux socialisme serait à nouveau pertinent (Sans mentionner que c'est une idée parfaitement impratiquable puisqu'un consensus européen sur la question est impossible, et que la guerre économique qui s'ensuivrait ne serait pas forcément bonne pour tout le monde : on aime oublier notre dépendance vis-à-vis de la Chine…)

Et après ce retour redressé et retrouvé, revenons à cette France et l'avenir qui l'aime. Je n'ai rien contre cette formule ; elle est accrocheuse, paradoxale et maligne. En même temps, et c'est pour ça que c'est malin, elle fait la synthèse entre une idée de progrès (l'avenir) et quelque chose de vaguement patriotique : aimer la France. Ce n'est pas répréhensible, bien entendu, mais cela m'inquiète un peu. C'est comme s'il fallait que la gauche réagisse au succès de Marine Le Pen aux cantonales et à l'obsession xénophobe du pouvoir actuel. Ce n'est pas pour dire que le PS est devenu xénophobe à son tour (ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit), mais qu'il est souvent coupable, depuis des années, d'une sorte de molesse, un suivisme qui essaie de prendre en compte tout l'éventail des points de vue politiques. C'est un peu comme si le succès de Marine Le Pen et les mesures et déclarations islamophobes et xénophobes du gouvernement finissaient pas persuader les médias et les politiques que ces questions (prières de rue, etc.) passionnaient toute la population, mais à des degrés différents.

C'est une erreur, parce que cette bagarre-là concerne le FN et l'UMP. Il y a un groupe d'électeurs qui peuvent basculer entre les deux camps s'ils perçoivent que l'un ou l'autre va mieux convertir leurs vagues peurs de l'altérité en réelles mesures politiques. C'est la théorie, en tout cas, de Nicolas Sarkozy, qui semble savoir que sa réélection dépend de sa victoire dans cette lutte. Or, cela ne concerne pas le PS : ces électeurs là ne viendront pas au PS, même s'il affiche des timides petits signes patriotiques. Le reste de la population n'est pas obligatoirement hypnotisé par ces manoeuvres.

Mais, vous me direz, il y a beaucoup d'électeurs de gauche qui ont été tentés par l'extrême droite (et par le Très Grand Homme (TGH) lui-même en 2007). Bien sûr, et c'est un problème. Mais le problème n'est pas que le PS n'est pas assez xénophobe pour faire jeu égal avec la droite. Le problème, c'est que le discours populaire du PS n'existe plus, n'est plus lisible, ne porte plus. Peu à peu, on en vient à penser que le mythique électeur populaire ne veut que du racisme. Evidemment, si c'est tout ce qu'on lui propose… D'où l'urgence de fabriquer un discours populaire et de gauche pour combattre la diversion haineuse.

(PS: Le « coup du drapeau » et les autres effets chévènementestes étaient à mon avis l'erreur idéologique principale de la campagne de Ségolène Royal : ce type démarche énerve les gens de gauche et ne convainc personne à droite.)

12 avril 2011

La burqa, suite et début

Mes amis s'énervent contre les provocatrices en burqa. Il y a quelque chose de violent dans leurs propos qui m'attriste un peu.

Juan écrit :

Cette loi ne sert pas à grand chose, mais ces deux provocatrices ne méritent que le mépris. Voir l’une des deux s’exprimer à la télévision, le visage voilé intégralement, réclamer sa liberté de religion est exaspérant. Une vraie connerie qui n’a rien à faire dans notre France laïque et républicaine.

Casse-toi, ma chérie. Casse -toi.

Jegoun est plutôt Law & Order :

Si vous voulez vous habiller en Burqa, allez dans des pays où s’est toléré…

Vous avez le droit de préférer vivre en Afghanistan ou en Iran, c’est votre droit, votre liberté, je m’en fous. Dans mon pays, on ne s’habille pas en burqua. On ne se déguise pas en prison.

Alors je m’associe à mes camarades blogueurs Juan, Marc et Dagrouik et je dis : cassez-vous.

Marc fait un billet pour dire qu'il est d'accord avec Juan et pour rappeller sa position : interdire la burqa c'est résister au communautarisme.

Dagrouik est d'accord aussi:

Moi je lui dit plus directement : Casse toi pauvre conne! Va faire la leçon là où il manque la démocratie que tu nies et que tu utilises en meme temps.

Je sais que mes amis sont motivés par la laïcité, par des considérations sur l'égalité des femmes, mais cette idée que ces femmes, provocatrices, certes, doivent « se casser » me trouble quand même. Car c'est ce qui se dit le plus souvent à propos des « immigrés » : si vous n'aimez pas la France, rentrez chez vous !

Dagrouik regrette l'instrumentalisation prévisible de l'affaire par la droite xénophobe:

Et non, chers lecteurs, je ne suis pas devenu Sarkozyste. Mais voir de telles bêtises qui seront en plus montées en épingle par le FNUMP ça m'énerve.

Et falconhill voudrait qu'on puisse « passer à autre chose ».

Ce qui est embêtant, c'est que maintenant qu'il y a une loi, il va suffire pour n'importe qui, femme ou pas, musulmane ou pas, d'enfiler une burqa, pour créer l'incident, engageant droits de l'homme, liberté d'expression, conflit des civilisations. La République est déormais abonnée à ce genre de provocation, car elle doit réagir. C'est la loi.

On va me dire : oui, mais la burqa c'est horrible, etc. Évidemment. Mais nous avons collectivement pris un phénomène marginal, déjà sans doute une provocation, au moins parfois, pour en faire une de ces grosses questions de société dont la presse rafolle.

Dagrouik encore :

En quoi la burqa est elle anti république ou antinomique à la laïcité ? C'est simple, son costume est une allégorie de l'univers carcéral qu'elle promeut : la femme et l'homme enfermé dans des croyances avec supériorité de l'un sur l'autre, la notion de droit divin supérieur au droit de la Nation, promeut un modèle de société basée sur des regles non égalitaires.

Justement, la burqa est une allégorie. Mais la connerie, c'était de légiférer sur une allégorie. Je ne veux pas voir cette allégorie là sur les trottoirs de ma ville ! Et les bikers avec le drapeau des Etats-Unis sur leurs blousons, sont-ils du coup solidaires des crimes impérialistes que la République ne saurait tolérer sur ses trottoirs ? Et si je me ballade avec une couronne sur la tête, ne serai-je pas en contradiction avec les valeurs fondamentales de la République ? Pourtant, les royalistes sont tolérés.

Du coup nous avons une loi stupide et inutile (les ventes de burqa vont sûrement monté en flèche), la probable multiplication des instrumentalisations par les Guéant et Buisson.

Sarkozy a compris comment instrumentaliser la laïcité tout en flattant les penchants islamophobes d'une certaine catégorie d'électeur qui lui sera très utile en 2012. Les gars, arrêtez de tomber dans le panneau.

10 avril 2011

De l'huile sur la xénophobie

En 2012, Sarkozy sera un candidat formidable, dangereux, malin. Son impopularité ne doit pas nous tromper. Ce sera, bien sûr, une élection "imperdable", mais il ne suffira pas de se présenter contre lui pour ne pas perdre. En 2012, il ne pourra plus parler de rupture, il va avoir du mal à "vider" le Front National comme en 2007. Mais 2012 ne sera pas 2007. Le parti qui le comprendra va gagner. (Aux socialistes : 2012 ne sera pas 2002 ou 1997 non plus.)

Sarkozy l'a-t-il compris ? Dans un premier temps, on est tenté de voir dans gesticulations indignes de Claude Guéant (dont la mission consiste à dépasser Brice Hortefeux en xénophobie) simplement comme la preuve que le Très Grand Homme (TGH) sait que sa seule chance en 2012 est de rééditer le véritable exploit de 2007, qui était de donner toutes les preuves de xénophobie nécessaires pour séduire le vote des rétraités et des électeurs FN en mal de grand homme, sans pour autant aliéner les droites tradi, catho et républicaines, et même en prenant des voix de gauche par ci par là chez des gens qui voulaient tomber dans le panneau pour différentes raisons.

Aujourd'hui, tout cela paraît assez compliqué.

Pourquoi, alors, cette obstination à foncer dans la même direction, alors que, justement, en plus de toutes les autres différences entre 2007 et 2011, il y a Marine Le Pen, Nationale et Sociale, qui est venu siphonner sur les terres de son papa et celles du TGH ? C'est par réflexe ou par calcul ? Devant l'obstacle bleu-marine, Sarkozy s'entoure des plus xénophobes de ses amis, baisse la tête et fonce dans le tas ? C'est peut-être cela, en effet. On dit que quand les gens ont peur pour leur boulot, ils s'en prennent aux immigrés. Sarkozy arrive en fin de CDD et il commence à voir venir la précarité.

Il y a dans le personnage de Sarkozy quelque chose qui rejette la solution sage. Croyant à sa bonne étoile, à sa gnac et ses pouvoirs infinis de séduction, il ne recule pas, pense emporter le morceau justement dans l'excés.

Pourtant, je le crois plus malin que ça. Il y a un calcul derrière ce positionnement.

Premier tour

Le premier risque d'être le plus important des deux ; le plus dangereux sûrement. En se faisant plus National que le Front, Sarkozy espère limiter la progression de Fifille tout en maintenant son attrait dans l'aile amnésique de l'électorat populaire et réactionnaire qui n'est pas encore prêt à voter FN. De plus, il compte quand même sur la droite classique pour se qualifier pour le second tour. À ce stade, la confrontation avec la gauche n'a pas beaucoup d'importance, à condition d'être au second tour.

Second tour

Ah, vous me direz, en allant aussi loin à droite, il va s'affaiblir pour le second tour ! Là, on suppose que le PS arrive à qualifier son candidat. Un duel à l'intérieur de la droite xénophobe, de toute façon, serait alors juste le prolongement du premier tour. Dans l'hypothèse d'un affrontement droite-gauche, en revanche, le calcul de Sarkozy doit être à peu près le suivant : à force de parler sécurité, paranoïa, prières dans la rue, burqa, niqab, « on est plus chez nous même chez nous »,

Sarkozy va déplacer le coeur du débat vers ces questions là. Le PS sera réduit à dire « on trouve qu'on se sent chez nous, mais ce serait mieux de sentir encore plus chez nous que maintenant », se décrédibilisant aussi bien auprès des électeurs tentés par la xénophobie qui ne seront pas convaincus de toute façon, qu'auprès des électeurs de gauche qui seront dégoûtés par leur parti.

On a souvent dit que les « débats » sur l'identité Nationale et l'Islam font le jeu du Front National. Finalement, je pense que la stratégie est beaucoup plus insidieuse : il s'agit de réduire, aux yeux, l'ensemble du débat politique (retraites, économie, justice, sécurité… oui, même la sécurité) à des questions d'immigration, de religion et de race. Les téléspectateurs n'arrivent pas à gérer beaucoup de sujets et même temps. Quelques faits divers bien placés, en février et mars 2012, bien relayés par les télévisions publiques et privées, qui obéissent à Sarkozy, feront amplement l'affaire. Le but de l'opération est de convaincre l'opinion qu'il n'y a pas d'autre sujet.

9 avril 2011

S'engager, ou pas

À l'heure actuelle, je n'ai plus de préférence pour le candidat du Parti socialiste. Moins par lâcheté que par lassitude avec le système et les pratiques du Parti, dont le but semble être avant tout de maintenir un statu quo de personnes et d'idées. Et même quand des bonnes idées s'infiltrent dans le programme, on dirait qu'elles sont devenues ternes.

C'est peut-être sur moi que le programme produit cet effet. Je l'espère.

Bref, devant la perspective de 2012, la plupart des considérations s'effacent. Le PS ne deviendra pas subitement celui dont j'ai toujours rêvé. Je m'y fais. C'est pendant les périodes un peu creuses de la vie politique, avec une opposition réduite à la simple figuration, qu'on peut se permettre de vouloir telle ou telle gauche. Maintenant, il faut essayer de gagner.

Cela ne va pas être simple. L'élection présidentielle de 2012 sera « imperdable », bien sûr, mais très facile à perdre. Les sondages voudraient que ce soit DSK le candidat le plus dangereux pour Sarkozy. Ils ont peut-être raison, après tout. Du moins, ils auraient raison si les choses se passaient normalement ; si le second tour devait être l'affrontement entre le candidat le plus fort de la droite et le candidat le plus fort de la gauche. Or, avec la menace d'un Front National qui est toujours aussi National, mais devenu plus "social", plus Socialiste… (National et Socialiste ?)… devant cette menace, la clé du jeu risque d'être la capacité des ténors d'éviter le fractionnement dans leurs camps. C'est dans cette perspective qu'une candidature de Dominique Strauss-Kahn me semble risquée, car elle aurait sans doute tendance à en encourager d'autres dans le camp de gauche. Il sera difficile pour le Front de Gauche de ralier DSK ; quant à EELV, il faudrait savoir un peu plus sur la crédibilité écologique de Strauss-Kahn, qui, à priori, semble un peu trop dans la lignée du socialisme ami des grandes entreprises, du nucléaire, etc.

Je n'ai pas de certitude là-dessus. C'est juste une inquiétude. Les choses vont devenir plus clairs petit à petit. Ou pas. Mais au-delà de ces interrogations, il y a une chose qui me semble essentielle, dans une perspective DSKïste : s'il veut vraiment être Président de la R., il faut qu'il quitte le FMI, et le plus tôt serait le mieux (pour lui). Traîner des pieds, donner l'impression d'attendre la dernière minute pour se jeter à l'eau, cela pourrait devenir son talon d'Achille. D'abord, il y aurait un très fort risque qu'il soit mal préparé à l'élection. La France parâit sans doute comme un tout petit pays vue des hauteurs du FMI, mais une élection est très dure. Et ensuite, il serait très facile, pour le candidat de la droite, de reprocher à DSK son manque d'engagement.

8 avril 2011

Malheureusement, ça se prépare

Souvenez-vous d'Emmanuelle Mignon et les Conventions thématiques de l'UMP? C'est drôle aujourd'hui de relire cet entretien où elle relate la préparation de la campagne 2007, préparation qui a commencé en 2004. Tiens, ce serait comme si, pour 2012, quelqu'un avait commencé à préparer sa campagne en… 2009. C'est Mademoiselle Mignon qui raconte :

Notre chance a été de commencer en novembre 2004. Nous avons commencé très tôt à bâtir notre programme, et j’ai senti une immense attente d’un débat d’idées. Beaucoup de choses s’écrivaient déjà sur la situation du pays. Nicolas Sarkozy, de son côté, pense que ce ne sont pas les Français qui se désintéressent de la politique mais que c’est la politique qui n’offre rien aux Français. Pour Sarkozy, il faut faire du débat d’idées, la politique, c’est des idées. Il pense qu’il faut avancer des idées et que les gens seront alors attirés par la politique, et c’est ce qu’il a merveilleusement bien réussi en imposant des débats sur les sujets sur lesquels on n’avait plus le droit de parler. Notre chance, c’est ce calendrier très précoce. (C'est moi qui souligne, o16o.)

D'accord, pour 2009, c'est loupé déjà. Je note surtout cette idée de Sarkozy, que je partage entièrement (comme quoi…), qu'il faut d'abord développer des idées, et attirer les électeurs avec des idées, plutôt que d'essayer de trouver les idées que les électeurs ont déjà.

Le programme du PS est arrivé. C'est très bien, je suppose. À peu près ce à quoi on pourrait s'attendre, mais je ne vais pas parler du fond pour l'instant. Mais quand même, est-ce en disant

7.) Pour réduire l'endettement de la France: réaffecter la moitié de nos marges financières

qu'ils éspèrent susciter l'enthousiasme des foules ? Comme je ne comprends pas bien de quoi il s'agit, je clique sur le lien, où l'on trouve l'explication détaillée, que je cite in extenso :

Pour réduire l’endettement de la France, nous affecterons à la réduction de la dette la moitié des marges financières que nous dégagerons.

Ah!

14 mars 2011

Raclons-nous la gorge avec Marine Le Pen

Quand je reprend ce blog après des absences même courtes, je ressens toujours un besoin de commencer en me raclant la gorge. Quel meilleur sujet pour se racler la gorge que l'effet sondagier de Marine Le Pen sur les enjeux de l'élection présidentielle à venir. Tout le monde en a parlé déjà (Juan, Dagrouik, Marc, pour commencer), mais, sous prétexte de raclement, j'y vais aussi.

Sur le fond, je ne suis pas surpris. J'y pense depuis l'élection à Hénin-Beaumont en 2009. C'était Marc Vasseur qui y était et qui avait vu juste :

résent au siège du Front National, trois éléments m’ont particulièrement marqué: Marine Le Pen revendique la captation d’une partie non négligeable l’électorat traditionnellement de gauche sur font de crise sociale. A aucun moment, elle n’a parlé de l’immigration. Enfin, elle veut faire sienne la nécessaire remise en cause des pratiques politiques au-delà, du seul « tous pourris ».

Le laboratoire héninois peut faire apparaître un nouveau Front National en profitant de la lente déliquescence du PS à travers un discours tourné davantage vers l’électorat populaire. Celui-là même qui après avoir transité un temps vers Nicolas Sarkozy, peut demain se tourner, plus durablement et à nouveau vers le FN.

Le succès du FN version Fifille est l'échec de la gauche, et du PS en particulier, de proposer un discours audible et signifiant pour l'électorat populaire. Du temps de Mitterrand, il y avait le PCF pour faire ce travail, mais depuis rien. En disant "rien", je ne compte pas le fait d'aller serrer des mains sur les marchés.

Et mes contradicteurs PS pur jus (si j'en ai) diront, "mais si, le PS a essayé d'intégrer du sécuritaire anti-immigré" dans son discours. Enfin, non, ils ne diraient pas cela, mais ils le pourraient, en pensant à Chévènement en particulier. Et c'est là où l'on finit intégralement exaspéré. Oui, la sécurité pourrait être une question de gauche. Si la sécurité était vraiment la question. Car elle ne l'est pas, du moins lorsque la droite xénophobe – terme qui devrait servir à regrouper le Front National et une bonne partie de l'UMP – la sort à toutes les sauces, et surtout la sauce électorale. La "sécurité", version droite xénophobe, est une sorte de cruche où l'on verse tous les ressentiments, frustrations et paranoïas de l'aliénation post-industrielle. L'"immigration" est la même chose avec une dimension de nostalgie post-coloniale supplémentaire.

Bref, ni l'une ni l'autre ne sont des thèmes véritablement populaires, mais, pour une partie de la population, aussi bien de gauche que de droite paraît-il, c'est tout ce qui reste pour exprimer un désarroi grandissant. Désarroi, c'est important d'ajouter, qui n'est pas identitaire, qui ne s'explique pas par la présence de quelques burqas, mais qui est avant tout social, économique, politique. En ajoutant les pourcentages des chômeurs, de précaires et tous ceux qui se sentent économiquement menacés, il devient clair que le vivier pour un vote inquiet, égoïste et contestataire ne cesse de grandir.

Le succès de Sarkozy en 2007 était de mettre la main sur une partie de ce sentiment. Cela ne marchera pas en 2012 puisqu'il ne peut plus promettre de tout faire péter comme en 2007. Croyant toujours à sa bonne étoile et à son propre charme, il va tenter de jouer le tout pour le tout en jetant de l'huile sur le feu, avec les conséquences que l'on sait. Sarkozy perd, "son" discours gagne, mais au profit d'une autre qui est mieux placée.

J'espère que la gauche finira par comprendre que la seule solution face à ce discours est de le discréditer, et non pas d'essayer de montrer que, nous aussi on pense comme cela, juste un peu moins que l'UMP et beaucoup moins que le Front National. Le discréditer en le neutralisant : "vous êtes encore à parler de l'immigration, quelle bande d'andouilles ?" plutôt que "nous, on fera presque autant de charters, mais en classe affaires". Et, puis surtout, le discréditer en le remplaçant par un autre discours, par autre chose qui va répondre au désarroi, à l'inquiétude par quelque chose d'audible et de concret. Il ne suffit pas de savoir que le PS tente de défendre, dans la mesure du possible, les classes moyennes. Pour gagner des élections il faut proposer un grand tableau. "Tous propriétaires de vos HLM" était sans doute bébête, mais c'était surtout concret.

La fin du communisme et la mondialisation ont mis fin aux grands discours d'espérance. Il faut trouver autre chose. Pas des bêtises, il ne faut pas insulter les gens, mais une vision synthétique, compréhensible et positive.

Et, surtout, et là c'est très important car sinon tous vos efforts seront en vain, il faut absolument lancer ce discours le plus tôt possible. Il y a eu tellement de temps perdu, presque toute une génération. Il faut démarrer en 2008 si possible. 2009, c'est déjà un peu tard mais sans doute jouable. Dépêchez-vous.