7 décembre 2012

Après l'austérité, l'austérité

 

Je parlais l'autre jour de la dévaluation interne, cette technique économique très avancée qui consiste à augmenter la compétivité d'un pays de l'Eurozone (qui ne peut pas pratiquer la dévaluation "externe" traditionnelle par le biais de sa monnaie) en appauvrissant sa population. Les gens sont plus pauvres, consomment moins – ce qui améliore la balance commerciale – et surtout travaillent pour beaucoup moins, ce qui permet de réduire les prix à l'exportation.

Dans la théorie, ce système doit aussi faire baisser les prix, rendant le tout moins douloureux pour les gens qui se trouvent dévalués. Malheureusement, il y a beaucoup de raisons de penser que les prix ne peuvent pas baisser, ou en tout cas pas autant que les salaires.

Prenons par exemple le secteur agricole, qui représente d'ailleurs une grosse part des exportations françaises. Si les salaires des consommateurs baissent en France, et que ceux-ci continuent à manifester leur désir de se nourrir, le marché va-t-il corriger les prix en fonction de cette nouvelle donne ? On peut penser que l'essor du discount alimentaire va déjà dans ce sens. Mais cela fait penser aussi que s'il y avait auparavant un peu de marge de manoeuvre du côté de la distribution, il y en a beaucoup moins aujourd'hui. On sait que la grande distribution fait tout ce qu'elle peut pour obliger ses fournisseurs à accepter de très mauvais prix. Et pour les agriculteurs eux-mêmes, ils sont, pour beaucoup, coincés entre leurs coûts, c'est-à-dire le prix du pétrole, et le prix de leurs produits, souvent fixés sur l'échelle internationale.

La dévaluation interne et la baisse des salaires en France ou même en Europe ne feront pas baisser le prix du pétrole. Et même si nos agriculteurs pouvaient produire pour moins cher, ou accepter moins de marge sur leurs produits en vivant plus frugalement, ils n'auraient aucun intérêt, quand même, à vendre en dessous du prix international. Le blé et le maïs ont beau être "made in France", leur prix ne l'est pas.

L'économie est internationale, mais votre salaire est bien local.

 

On revient donc au point essentiel : dans l'avenir super-compétitif du grand saut en avant que la Crise nous oblige à faire, il va falloir rester pauvres. Toute progression des salaires remettrait en cause la compétivité de la Nation. Votre employeur veut vous payer moins, mais pas parce qu'il est méchant, c'est pour votre bien, pour le bien de tout le monde.

L'austérité est présentée comme une sorte de cure provisoire, de la douleur au court terme, ou plutôt au moyen terme, qui sera récompensée plus tard. Sauf que dans la logique de la compétivité, la récompense sera pour les investisseurs. Ceux qui travaillent doivent rester profile bas et se satisfaire de la fiereté de contribuer à la réussite de l'économie, qui, si elle le pouvait, se débarasserait d'eux une fois pour toutes. Je le disais il y a quelques mois : l'économie est ailleurs. Nous n'intéressons plus les acteurs économiques en tant que consommateurs, nous ne sommes plus qu'un coût à réduire.

De même, le chômage doit rester élévé pour maintenir la pression sur les salaires et encourager la "souplesse" du marché du travail. Si jamais la récession se termine un jour, chômage et salaires ne bougeront pas. Il font partie du package.

Cette logique se voit également dans le vocabulaire de l'austérité. Nous avons vu que l'austérité, dont le but est de réduire le déficit, coûte cher en termes de déficits : les recettes des Etats baissent et les dépenses sociales augmentent. Comme l'austérité voit toujours les choses de bon côté, on nous explique que c'est normal : ce qui compte, c'est le déficit structurel, qui est, en gros, le déficit social. Pour les austérautistes, les déficits encourus à cause de l'austérité sont conjoncturels et sans importance ; ce sont les déficits structurels qui vont plomber l'avenir ; leur destruction mérite toutes les souffrances.

Comme nous sommes dans la métaphore des "finances publiques malades" auxquelles il faut appliquer un "traitement douloureux" avant d'obtenir une future "guérison", nous sommes invités à considérer l'austérité – le "traitement" – comme une phase provisoire, passage difficile qui sera récompensé. Pourtant, comme pour la dévaluation, la logique des déficits structurel montre bien que l'austérité doit être permanente. Réduire le déficit structurel futur veut dire : réduire définitivement les dépenses sociales.

 

Bien sûr, même à court terme, on s'aperçoit que l'austérité marche de moins en moins bien, comme en témoigne la récession actuelle qui se généralise en Europe. Plus grave encore, c'est le fait que la pensée "austérautiste" prépare un paysage socio-économique, et politique, dont les conséquences seront graves et définitives.

4 commentaires:

t0pol a dit…

tu aurai pu rappeller que UK s'enfonce dans la depression et que pour l'encourager à continuer son AAA va etre raboté .

omelette16oeufs a dit…

Oui, et la Finlande aussi (pourtant grosse donneuse de leçons à la Grèce).

Je garde ça sous le coude pour le prochain billet !

Nyantho a dit…

Mais quand même, au niveau monétaire c'est élémentaire, à asphyxier la demande comme ça, les prix vont forcément en pâtir, quand tout le monde aura crevé de faim.

omelette16oeufs a dit…

Nyantho,

Certes, l'inflation ne va pas exploser. Mais la déflation des prix (ou plutôt le ralentissement de l'inflation) ne suffira pas à rattraper celle des salaires. Il y a beaucoup de prix qui simplement ne peuvent pas baisser : l'énergie surtout, l'alimentaire (comme j'explique), les importations...

Le resultat de l'opération, c'est quand même un appauvrissement général, en termes de pouvoir d'achat. Et ce n'est même pas un effet secondaire, c'est l'effet souhaité !