19 novembre 2013

Krugman et Aghion (2/2)

 

Reprenons. Je parlais dans mon dernier billet de la réponse de l'économiste Philippe Aghion à l'édito de Paul Krugman, qui prenait la défense des impôts français.

L'édito de Krugman est ici : The Plot Against France et en français ici.

La réponse d'Aghion est ici : Perte du AA+ : pourquoi Paul Krugman a tort.

 

Dans le premier billet, je me suis concentré sur le premier des deux points de désaccord que soulève Aghion, qui revient à affirmer qu'il croit en la possibilité de politiques économiques capables de stimuler la croissance (comme si Krugman n'y croyait pas, lol mdr !).

Le deuxième point concerne la manière. Aghion commence cependant en disant ceci :

Ensuite, je ne partage pas l'idée qu'une politique de réduction des déficits uniquement par l'impôt est sans conséquence pour l'emploi et la croissance.

Cela paraît raisonable, mais encore une fois c'est tordre les mots de Krugman :

En fait, des recherches menées par le FMI laissent entrevoir que quand on veut limiter les déficits durant une récession, c'est l'inverse qui est vrai : des augmentations temporaires des impôts sont moins dommageables qu'une réduction des dépenses. (C'est moi qui souligne, o16o.)

Voilà : moins dommageables et non pas : « sans impact du tout », comme Aghion fait semblant de lire.

Cette phrase, toutefois, sert seulement de transition pour arriver à, visiblement, Aghion croit être le plus important. On poursuit la lecture :

La comparaison entre la France et des pays comme l'Australie, le Canada, les Pays-Bas, et la Suède suggère en fait exactement le contraire. Ces pays ont choisi de remettre à plat leurs missions publiques afin de réduire leurs dépenses, plutôt que de s'attaquer comme la France au problème des déficits principalement à travers une augmentation massive des impôts.

Il oppose au mauvais élève français ces pays exemplaires, et un peu plus loin se concentre sur la Suède :

L'exemple suédois est particulièrement illustratif : une dette publique élevée (proche de 85 % du PIB), un chômage élevé, et une production en stagnation en 1990 ; ensuite une réforme radicale de l'Etat, avec en particulier les effectifs dans le secteur public qui sont passés de 1,7 million dans les années 1990 à environ 1,3 million aujourd'hui, tandis que l'emploi dans le secteur privé est passé de 2,8 millions à 3,25 millions. Ainsi, le surcroît d'activité du secteur privé a plus que compensé la contraction du secteur public.

Ces réformes ont permis à la Suède de devenir l'un des pays les plus performants de l'OCDE, avec un taux de croissance annuel de plus de 3 % en moyenne sur les trois dernières années, et des finances publiques rééquilibrées tout en demeurant le deuxième pays le moins inégalitaire au monde.

Super, la Suède, non ? Malheureusement c'est un peu plus compliqué. Car la Suède, c'est l'exemple que l'on cite toujours pour faire ce genre d'argument, avec le Canada, qu'Aghion mentionne aussi. Et le contexte des « miracles » canadien et suèdois était bien différent du notre aujourd'hui, c'est ce que montre Marco Giuli ici. Le Canada comme la Suède bénéficiaient de la croissance de leurs voisins, les Etats-Unis et l'Europe, respectivement, et pouvait dévaluer leur monnaie. Aujourd'hui, la demande extérieure n'existe pas, car la récession est globale, et les pays de l'Europe n'ont plus la possibilité de dévaluer leur monnaie. (Merci l'Euro et la BCE, merci Angela aussi.)

Encore une fois on constate que la stratégie allemande, et l'austérité en générale, peuvent apporter les fruits souhaités dans certaines circonstances bien précises, et surtout pour des pays individuels qui peuvent, parfois, en se privant, acquérir un avantage vis-à-vis des voisins. Mais ces stratégies ne marchent pas collectivement, elles ne constituent pas un modèle universel.

 

Le plus grave, dans le texte d'Aghion, est sans doute ce qui est absent : l'évaluation des effets de l'austérité en Europe depuis cinq ans : l'Espagne et l'Irlande, exsangue ; l'Italie en mauvaise posture. Au Portugal le chômage a baissé… à 15,6 % Sans parler de la Grèce.

Ce que montre Paul Krugman, c'est que malgré tout le bruit, la France se débrouille pas trop mal. Il avait été plus précis en juillet dernier, quand il comparait la France et les Pay-Bas, la France dépensière et paresseuse étant en meilleure posture que les vertueux et austères Pay-Bas.

Aghion cherche à préserver la foi, en évitant de répondre aux véritables critiques, de plus en plus convaincants à chaque nouveau trimestre de récession ou de stagnation en Europe, contre l'austérité, en affirmant les vieux fondements de la foi austéritiste.

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