Dans le numéro d'hier (vendredi 27 et samedi 28 janvier), Les Échos ont poursuivi la casse du sarkozysme. Casse qui refuse de dire son nom, bien entendu. Cette fois-ci c'est la politique industrielle du Très Grand Homme (TGH) qui en prend pour son grade, sous la plume de Philippe Escande, éditorialiste maison. (Il serait amusant d'aller voir ce que ce même Philippe Escande pensait de l'élection de Sarkozy en 2007. Hélas, je suis toujours en vadrouille et ne peux rien googler.)
L'édito de l'éditorialiste a pour titre « La nostalgie des cheminées qui fument ». Pas très développement durable déjà. Et ce mot « nostalgie » évoque bien l'un des fondements idéologiques du sarkozysme : la centralisation et la concentration des pouvoirs (économiques et politiques) qui se justifie par un retour réactionnaire vers un passé impossible et mythologique. Pour l'industrie, ça se résume par ces « cheminées qui fument ». Ah c'était bien, cette forme de pollution des Trente Glorieuses !
Le président de la République ne perd jamais une occasion de rappeler son attachement aux usines françaises. Cela ne devrait pas faire oublier que notre pays est l'un des plus désindustrialisés d'Europe et qu'il a largement basculé dans le tertiaire.
Paf!
Je parlais des Trente Glorieuses, mais c'est peut-être même le modèle social de l'Empire qui fait véritable saliver le TGH :
Hier encore dans l'Ain, au chevet du sous-traitant Plastic Omnium, il a vanté les vertus de cette France qui transpire dans les ateliers.
Ah, ces ouvriers qui se levaient tôt pour transpirer dur ! Qui connaissaient bien leur place dans la société et qui n'osaient pas venir embêter les patrons. Comme dirait Jean d'Ormesson : « C'était bien ! ».
Philippe Escande sort tout de suite son couteau pour le plonger dans le dos de la politique industrielle française :
La France a donc développé le concept de politique industrielle, qui s'est appuyé sur l'idée que l'État pouvait choisir, impulser et accompagner l'essor des entreprises. Les dernières interventions au chevet de l'automobile relèvent de la même idée. On materne d'un côté et, de l'autre, on oriente, notamment pour protéger le coeur du dispositif, les usines menacées de délocalisation.
Il faut sauver Renault et PSA. Après il faut sauver Valeo. Et ainsi de suite. Et ce pendant que la Chine et les autres pays qui accueillent la délocalisation deviennent de plus en plus compétitif sur des secteurs de plus en plus de pointe. Des morceaux d'Airbus vont être fabriqués en Chine bientôt : c'est un signe. Et pourtant la nostalgie d'un modèle industrielle persiste. Elle est même vue comme la seule façon de sauver l'économie. Il faut résister, résister, résister. S'il faut aligner les salaires français sur ceux des ouvriers chinois, tant pis, on le fera. Parce qu'il faut d'abord sauver l'industrie, les cheminées, la fumée, etc. Et pourtant
Force est de constater que le résultat n'est pas à la hauteur des espérances. Le tableau de l'industrie française que vient de dresser l'Insee laisse songeur, d'autant qu'il couvre l'année 2007, avant la crise. Depuis une décennie, l'industrie française se ratatine. Elle perd de la compétitivité, des emplois et des parts de marché.
Pour justifier un plan de «relance» qui favorise les grands groupes, l'argument souvent avancé était que de la survie des Très Grandes Entreprises dépendait celles des PME fournisseurs. Même si l'on oublie pour l'instant que des sociétés comme Renault et PSA n'hésitent pas à s'approvisionner à l'étranger, et donc qu'un euro apporté au sommet de la chaîne ne nourrit pas forcément tous ceux qui sont en dessous, Philippe Escande va beaucoup plus loin:
s'il y a un secteur qui s'est développé ces trente dernières années en France et qui a permis au pays d'accroître son niveau de vie, c'est celui des services. Comparer le classement des trente premières entreprises entre 1975 et 2005 est édifiant. On voit disparaître des grands conglomérats et apparaître des poids lourds comme Accor, Sodexo, Adecco, France Télécom ou Air France-KLM, tous champions des services et dépourvus de la moindre usine. Les premiers employeurs de France, hors service public, s'appellent Carrefour et Veolia.
Ainsi,
l'industrie pure et dure,avec ses fabriques de voitures ou d'avions,n'est plus au sommet d'une pyramide de l'évolution qui conditionnerait tout le reste.
Tant pis pour les pyramides, même si le lider minimo les affectionne, surtout quand c'est lui (et ses amis) qui se trouvent à leur sommet.
Et cet impertinent trouve le courage pour conclure en disant :
Aider l'université plus que l'usine.
C'est dire qu'il n'y a plus de valeurs!
En plus du plaisir que suscite le spectacle d'un nouveau désaveu de la «pensée économique» sarkozyste avec tout ce qu'elle a de purement émotionnel et symbolique, d'un côté, et de centralisant et jacobin de l'autre, je crois qu'il faut en tirer des enseignements plus profonds.
L'été dernier j'écrivais, à propos des politiques industrielles :
Or, certaines industries, certains domaines ne peuvent pas être délocalisées ou ne peuvent pas être atteints par la concurrence internationale : le bâtiment, par exemple. Ça ne sert à rien de faire construire votre immeuble à bas prix au Bangladesh, si votre terrain est en France. Si l'agriculture intensive est susceptible de concurrence internationale, l'agriculture bio devrait beaucoup mieux résister, puisque la distance entre producteur et consommateur est un facteur plus décisif. De façon générale, les services vont mieux résister à ce type de concurrence, pour des raisons géographiques ou culturelles.
Historiquement, le PS, voulant défendre les intérêts des ouvriers, défend aussi un certain statut quo dans l'industrie. Il ne s'agit pas d'abandonner la défense de ces intérêts, mais de réfléchir à infléchir le développement de l'économie pour justement accentuer, renforcer ses aspects locaux.
Et oui, un petit coup de patte en passant pour le productivisme socialiste. Il faut changer un peu de recette.
L'antisarkozysme pourra devenir l'occasion de s'en prendre à ces logiques centralisantes, l'idée que toute solution passe par du massif, de l'énorme, par les centres de pouvoir et de richesse, plutôt que par des réseaux (tiens, ça fera un peu 2.0), par la circulation d'idées et de richesses, par un fractionnement heureux et constructif du pouvoir.
Puisqu'on doit supporter