30 mars 2012

Compétence ?

En 2007, quand aucun des candidats à l'élection présidentielle n'avait déjà exercé la fonction présidentielle, et que le futur Très Grand Homme (TGH) avait réussi à se délester de son passé chiraqien, la question de la compétence avait joué en sa faveur, ainsi qu'en faveur de François Bayrou, et au détriment Ségolène Royal. C'était un argument difficile à démêler : Sarkozy était encore nimbé de son temps passé aux Finances et à l'Intérieur ; le passé ministériel de Royal était plus lointain, et les téléspectateurs avaient surtout retenu l'image de l'ancienne ministre à la maternité, ce qui avait contribué à rappeler le fait que c'était une femme, à la compétence, donc, intrisèquement discutable et à qui il fallait poser des intérros sur les sous-marins nucléaires. Passons.

En tout cas, cette fois, sans trop réfléchir, je pensais que la compétence allait naturellement disparaître en tant que critère. C'était oublier de compter sur le vide idéologique du camp de droite, sur le fait que Jean-François Copé entend préserver toute son intelligence et ses idées géniales pour 2017. Donc la compétence ressort. Pourtant, je croyais, naïvement je l'accorde, que sur ce point Sarkozy s'était complètement grillé. La plupart de ses "réformes" économiques les plus emblématiques, à l'image du Paquet, ont dû être abrogées, il s'est montré particulièrement malhabile en politique étrangère, ce qui aurait dû être, à en croire l'instinct des "gens" qui se méfiaient de Royal et sa capacité à "représenter la France à l'étranger".

C'était donc oublier que la comm' n'a pas besoin d'avoir d'attache dans le monde réel. Ainsi, la compétence revient, d'abord avec le fameux off, où le Président de la R. décrète que François Hollande est "nul". Ensuite, parmi d'autres, on retrouve cet édito de Philippe Tesson qui tacle le peuple français, coupable d'avoir atteint la conclusion inverse, après cinq années d'observation. Il s'agit d'un sondage BVA/Le Parisien du 27 mars, sur la "crédibilité" des candidats. Sur 13 catégories, Hollande bat Sarkozy onze fois ; sur "l'insécurité" ils sont à égalité et sur "l'Europe" Sarkozy devance Hollande de 2% (33% à 31%).

Le peuple est, bien sûr, incompétent pour juger de la compétence des hommes politiques. C'est du moins la conclusion de Philippe Tesson, qui déborde d'ironie.

De même s'agissant de la santé, par exemple, où il recueille 41 % contre 22 % pour l'actuel président ! On ignorait qu'il eût tant de compétences, tant de talents sur tant de sujets. Le peuple a vraiment de l'instinct.

Oui, vous avez bien lu : "le peuple a vraiment de l'instinct". Il faudrait d'abord noter le petit glissement de langage, de la "crédibilité" du sondage à la "compétence" de Tesson. On voudrait que la compétence soit une valeur quantifiable, nombre de diplômes, nombre d'années d'expérience. Le TGH n'a pas beaucoup de diplômes, mais il a été Président pendant cinq ans, donc il gagne. Il a sûrement appris des choses, pendant ce temps, c'est vrai, et je ne parle même pas de tous les sujets de pathos qu'il a évoqués à Villepinte. Mais surtout, ces cinq années ont servi à lui ôter toute crédibilité sur ces sujets.

Et voilà le vrai problème du TGH : quand il dit "je vais résoudre problème X ou Y", tout le monde a désormais assez d'"instinct" pour savoir que sa compétence se limite à sa capacité d'utiliser les différents sujets pour communiquer dessus. L'instinct du peuple n'est pas si mauvais, pour une fois, car il a finit par comprendre que le fait de soumettre systématiquement l'intégralité de la politique aux besoins de comm' du moment nous conduisait inévitablement hors sujet.

Et l'ironie, si nous pouvons nous permettre d'emprunter cette arme à Monsieur Tesson, en toute modéstie, c'est que, quand Nicolas Sarkozy dit : "Hollande est nul", on comprend aujourd'hui qu'il ne parle que des capacités à communiquer et à jouer le jeu politique. Pour le cas Sarkozy, le peuple, avec son instinct, a finit par se rendre compte depuis longtemps.

29 mars 2012

Frapper Sarkozy sur ses points forts

Hemingway, sur l'excellent Ze Rédac (qui est arrivé sur la scène pendant l'une de ces périodes où ce blog dormait sur ses deux oreilles), dit quelque chose d'important : il faut "porter le fer sur les faiblesses de Sarkozy".

Dans un moment où le match est serré et se tend, François Hollande a besoin autour de lui d’une équipe qui n’hésite pas à monter à l’assaut pour son chef tenu à un rôle au dessus de la mêlée. Et c’est aux poids-lourds, à ceux que l’opinion entend, de jouer ce rôle. Plus on se rapproche de l’échéance et plus François Hollande a besoin que les éléphants barrissent et chargent, comme Ségolène Royal l’a fait avec son sens du moment opportun la semaine dernière en accusant Nicolas Sarkozy d’avoir peur de perdre son immunité présidentielle et d’être ainsi rattrapé par la justice.

Nous avons, ici, déjà souligné l'efficacité des interventions de Ségolène Royal. Elle a réussi, en quelques mots, à arrêter net tout une ligne importante dans les éléments de langage des sarkozystes dans les premiers jours suivant "l'annonce" de candidature, à savoir François Hollande "léger avec la vérité". Et comme le souligne Hemingway, en remettant les "affaires" sur la table, elle a frappé fort, et s'est montrée la seule, ou presque, au PS, à savoir cogner fort quand il fallait. (De là à dire que ça n'aurait pas fait de mal d'avoir quelques seconds couteaux cogneurs en 2007…)

Taper sur les points faibles de Sarkozy est important, mais il ne faut pas non plus oublier les points forts. Regardez ce que fait le bonhomme : il ne se contente pas d'exploiter les faiblesses de Hollande, il passe presque plus de temps sur les points forts de son adversaire, en miroir plus ou moins de ses propres points faibles (s'il perd, Sarkozy pourra enfin entamer une psychanalyse). Le mensonge est un bon exemple, le "flou" du programme un autre, puisque Sarkozy n'avait même pas de programme.

S'il est possible de gagner la bataille des images et des idées, dans un système médiatique pour qui Sarkozy reste le coeur même de l'actualité et la source ultime du buzz, c'est en anéantissant les points forts du candidat. Là, on se heurte bien sûr à un nouveau problème : quels sont, en effet, ces fameux points forts ? Il ne serait pas très intéressant d'expliquer que Sarkozy n'est pas assez xénophobe, par exemple. Je ne vois que le sauvetage de l'Europe. Si j'étais un second ou même troisième couteau au PS, c'est là-dessus que je concentrerais mes munitions. François Hollande a lui-même ouvert la voie, d'ailleurs, avec sa promesse de revenir sur le travail du Très Grand Homme (TGH) et de réaffronter Merkel. Si cette forteresse rhétorique pouvait tomber, je ne sais pas ce qui resterais de Sarkozy.

28 mars 2012

Un programme UMP, ce n'est pas la mer à boire

Il y a presque trois ans, j'ai tenté d'imaginer le processus d'élaboration d'un programme et le choix d'un candidat à l'UMP. Alors que le Courageux Président-Candidat n'en a toujours pas, de programme, je commence à me demander ce qui aurait pu faire dérailler une telle mécanique.

Voici, en tout cas, ce que j'écrivais alors :

Voici une reconstruction fictive du processus de sélection d'un candidat et d'un programme UMP.

Chef : Ça va être qui le candidat ?

[divers cris de : Moi! Moi! Moi!]

N° 1 C'est moi le candidat. Je suis le plus fort. J'atomise tout le monde.

MAM Non, vous ne m'atomisez pas.

N° 1 Ah, non, je me permettrais pas, d'ailleurs. Mais je suis quand même plus fort que vous. [sourire goguenard]

N° 4 Il faut d'abord faire un programme !

[Grosse rigolade dans la salle.]

Chef : On n'est pas au PS, imbécile! De toute façon, le "programme", c'est toujours le même : il faut baisser les charges et les impôts.

N° 4 Mais on ne peut pas faire une campagne là-dessus…

Chef Après c'est au candidat de raconter des trucs pour se faire élire. C'est libre. Tu fais ce que tu veux : écolo, socialo… Nous, on s'en fout.

[Consultation des militants UMP. N° 1 reçoit plus de 90% des voix]

27 mars 2012

La triangulation thématique

Habituellement, quand on parle de "triangulation" à propos de Nicolas Sarkozy, cela veut quelque chose comme l'histoire de la burqa : les droites républicaine, catholique et islamophobe y trouvent leur compte ; la gauche se trouve divisée (ou elle devrait l'être, en tout cas) entre les défenseurs de laïcité et défense des femmes, et ceux des droits individuels et du multiculturalisme. Sarkozy peut tour à tour être xénophobe et faire semblant d'être à gauche, il n'y a plus que lui qui parle et l'affaire est dans le sac.

Il y a une autre forme de triangulation, plutôt thématique celle-ci. La triangulation, en navigation, permet de déterminer un point inconnu à partir de deux ou plusieurs points connus. Dans la comm' sarkozyënne, le point inconnu, c'est plutôt le point indicible, c'est-à-dire la xénophobie anti-musulmane pure et dure. Celle-ci reste interdite pour un candidat, à la différence de Marine Le Pen, qui espère attirer aussi des électeurs non-xénophobes. D'où l'intérêt de la triangulation, une certaine organisation thématique qui permet de suggérer ce qu'on ne peut pas dire.

Le problème, pour le Très Grand Homme (TGH), est de trouver comment tirer un profit électoral des meurtres de Toulouse et Montauban. Dans un premier temps, tout est axé sur la dignité, la présidentialité et, surtout, la très régalienne Sécurité. Jean-François Copé a fait ce qu'il a pu pour saper les deux premières valeurs, et le "Aznar à l'envers" tant souhaité n'a pas eu lieu. Reste donc la sécurité, mais elle n'est pas suffisante, notamment parce que Marine Le Pen double Sarkozy à droite, en voyant dans chaque bateau et chaque avion de multiples Merah en puissance :

"Combien de Mohamed Merah, dans les avions et les bateaux, qui arrivent chaque jour en France ? Combien de Mohamed Merah, dans les 300 clandestins qui arrivent chaque jour en Grèce via la Turquie, première étape de leur odyssée européenne ?"

Alors le TGH, dont l'un des thèmes de campagne majeurs est que son rival dit une chose aux uns et une autre aux autres, alors notre TGH joue le raisonable :

"Dès qu'il y quelque chose d'outrancier à dire, on peut compter sur Marine Le Pen", a jugé M. Sarkozy, qui était interrogé, lundi 26 mars sur France Info, à vingt-huit jours du premier tour de l'élection présidentielle. "Dire 'immigration égale Mohamed Merah', qui est né en France, cela n'a aucun sens."

Mais à peine 24 heures plus tard, le courageux Président cherche à rattrapper Le Pen comme il peut, en accréditant le lien entre terrorisme et immigration :

Nicolas Sarkozy a annoncé mardi une accélération des expulsions des "extrémistes" présents en France et assuré que toutes les personnes tenant des "propos infâmants" contre la France ne seraient pas autorisées à entrer sur le territoire national.

Tout le jeu de la triangulation thématique consiste à charger, clandestinement, la barque. Quand on dit "sécurité", l'électeur xénophobe entend "protection contre les 'Arabes'" ; quand on dit "maîtriser l'immigration", l'électeur xénophobe entend "moins d'Arabes" ; quand on dit "terrorisme", l'électeur xénophobe entend "danger islamiste". Ensemble, tous ces mots forment une phrase. Cette phrase ne peut pas être prononcée par un candidat qui espère encore récupérer quelques voix non-xénophobes. La triangulation permet de la suggérer sans la dire.

25 mars 2012

Retour au village

Il y a quelques semaines, j'essayais d'expliquer, dans la communication politique de Nicolas Sarkozy, l'usage d'un trucage d'échelle :

L'un des fondements du sarkozyzme, ou plutôt de la communication sarkozyzte, consiste à profiter du fait que les gens ont du mal à imaginer 65.350.000.000 personnes en même temps. Il est préférable d'imaginer la France comme une sorte de petit village idéal

Depuis j'ai appris qu'il n'y a pas 65 milliards de français, mais seulement 65 millions. Je continue néanmoins à soutenir qu'il est difficile d'imaginer autant de monde, et que les communicants en profitent pour transposer des grandes questions de société sur le plan d'une France imaginaire, où l'on peut raisonner en termes moraux, à partir de quelques figures emblématiques : le chômeur (fainéant, tricheur), le pédophile (récidiviste), l'"Arabe" (communautariste), l'immigré (voir l'"Arabe"), le terroriste (qui vient d'arriver au village ; voir l'immigré). J'en oublie sûrement.

Aujourd'hui, au village, dans le rôle du "prof" nous avons celle qui a offerte une minute de silence à Mohamed Merah. Roman Pigenel montre bien qu'elle ne représente que "0,00012 % des enseignants français. Dans le village, en revanche, elle les représente tous. Telle est là réalité du village.

C'est une technique à bonne résonance communicative, car les téléspectateurs suivent plus facilement quand il y a un nombre limité de personnages, tout comme pour les émissions de télé-réalité. Le changement d'échelle permet de procéder à d'autres manipulations aussi, comme le retour aux années soixante (période de référence pour l'électorat des retraités). Ce qui est chouette avec ce système, c'est qu'il permet de proposer des mesures qui auraient peut-être (ou peut-être pas) un sens il y a cinquante ans.

Alors que Marine Le Pen imagine des "Mohamed Merah" arrivant quotidiennement par centaines, le délire de Claude Guéant est encore plus malsain :

Face au « terrorisme islamiste » qui s'est exprimé lors des tueries de Toulouse et Montauban, il y a « deux fronts » selon Claude Guéant : « le front extérieur », celui des commandos venus de l'étranger, mais aussi « le front intérieur, ce terreau dans lequel on recrute des extrémistes ».

Le "terreau" où l'on recrute les terroristes de demain, ce n'est, à suivre sa logique, que l'ensemble de cette population "d'origine musulmane" qui reste socialement exclue. Que ce "terreau" constitue un "front intérieur" signifie en somme que la Guerre des Civilisations a déjà commencé et que l'ennemi (même sous forme de "terreau") est déjà présent dans le quartier d'à côté.

Malgré l'interdiction présidentielle de "toute amalgame", le raccourci est en train de se faire. Dans le village, jusqu'à la semaine dernière, le rôle de l'"Arabe" était assuré par un jeune délinquant brûleur de voitures impliqué dans un trafic de fausses cartes Vitale. Celui-là vient d'être remplacé par Merah, ou par un "Merah potentiel".

20 mars 2012

Le Petit Père du peuple fait peur aux petits

Ceci n'est pas un billet sur la récupération politique.

Nicolas Sarkozy, dans un collège parisien explique aux enfants qui l'entoure qu'ils auraient pu, eux aussi, être les victimes du tueur qui a frappé à Toulouse et à Montauban. Sur Twitter, les parents dans ma TimeLine sont choqués par cette façon de faire peur. Les phrases sont effectivement assez fortes : "réfléchissez à cela". Les films de la scène montrent notre Chanoine devant les enfants avec un peu un air de prêtre, moralisateur avec des attitudes pédagogiques. Peu importe : c'est un moment hautement symbolique et le Président de la R. doit faire comme il peut, avec son style. Voyez comment je suis indulgent.

Alors en lisant ces phrases, je me dis que ce n'est peut-être pas si grave, les collégiens peuvent l'encaisser. Avec les images, en renvanche, ce que j'ai trouvé décevant, maladroit, léger, pas à la hauteur, petit, c'est que Sarkozy a en fait terminé son discours sur la peur, sur le "ç'aurait pu être vous". Ensuite il part, avec ses journalistes, laissant les enfants réfléchir. Il manquait le "mais" : /c'était horrible, ça nous concerne, mais… / Mais c'est la République, mais c'est la France, mais nous ne pouvons pas laisser cela s'installer, mais nous sommes meilleurs… mais n'importe quelle bêtise pontifiante pour ne pas les laisser, nous laisser, devant l'abîme de la peur sans fin.

Ce qui est bizarre, et qui montre une méconnaissance de son rôle (il a "appris", mais pas tout), c'est justement le fait de ne pas chercher à rassembler, réhausser, mais au contraire de laisser nos enfants en suspens, devant la peur. Le récit ne se termine pas, il nous lâche au moment où le grand méchant loup va dévorer tout le monde.

Mon anti-sarkozysme primaire est plus fort que moi, et donc je vois dans cette pédagogie râtée le signe que, dès que la campagne présidentielle aura "repris", ce sera sur le thème de la peur et de l'insécurité. On veut nous faire du mal, il faut quelqu'un pour vous protéger. Je ne sais pas encore quelles acrobaties permettront de faire oublier la haine qui est derrière les événements de ces derniers jours, mais l'une d'entre elles c'est de mettre l'accent sur la victime, non sur les victimes réelles, qui ne sont pas, certes, oubliées, mais sur la victime en chacun de nous, les victimes potentielles. En effet, le "vivre ensemble" est mis en cause ici, et si l'on veut vraiment réfléchir, il serait plus sain, plus digne de penser à ce qui, en nous, en notre société, nous empêche de tomber dans la haine, la méfiance et la barbarie. Si l'on va réfléchir, réfléchissons à ce qui nous empêche d'être le bourreau.

19 mars 2012

La xénophobie n'est pas un jeu

Les mots ont un sens, parfois ils se traduisent en actes. Du tueur qui a frappé à Toulouse et à Montauban nous ne savons pas quelle idéologie haineuse il invoquait pour prendre la vie de ses victimes. La responsabilité de l'acte est la sienne, mais il y a une seconde responsabilité bien plus large et diffuse : celle de tous ceux qui ont contribué à renforcer les discours de haine envers l'autre.

16 mars 2012

Produit médiatique

Hyperprésidence, omni-président : il est certainement pertinent de voir en Nicolas Sarkozy un symptôme des deséquilibres du Ve République, surtout sa version quinquennassée. Sarkozy estime que son rôle est de "résoudre les problèmes". Mettre les "corps intermédiaires" dans le viseur, c'est un pas de plus vers cette vision de l'Etat où seul le Chef prend les décisions, tout le reste étant une émanation de cette volonté exécutive.

Je ne regarde pas souvent les émissions politiques, mais celle d'hier soir, Des Paroles et des Actes me fait penser que Nicolas Sarkozy n'est pas seulement un produit des dérives de la Constitution, mais aussi celui d'une culture médiatique qui existe en symbiose avec l'idéologie du super-héro, celle de l'Homme Provi-télévisuel.

Hier soir, François Hollande n'était pas à l'aise. Pourtant il avait des réponses à toute les questions, même si la plupart du temps il n'avait pas le temps de développer suffisamment sa pensée. (Et là je ne parle pas encore de la séquence de l'insupportable Jean-François Copé.) Le téléspectateur bienveillant comprenait le réalisme et la mesure de Hollande, mais les "joutes" du plateau politique ressemble de plus en plus à des jeux vidéo où la rapidité du réflexe et l'habilité avec la manette priment sur toutes les autres qualités. Réalisme et mesure passaient pour faiblesse et indécision. La machine n'admet pas que la réalité de l'exercice politique est plus complexe que ce qui peut être exprimé en une phrase de moins de six mots.

La séquence Copé – je ne dis pas "débat", car ce n'en était pas un ; "confrontation" si vous voulez – était proprement pitoyable. Le Monde résume ainsi :

était venu avec – semble-t-il – une stratégie établie : ne pas laisser parler M. Hollande et le pousser dans ses rentranchements. Ce qu'il a fait avec brio, mais au détriment de la compréhension de l'émission. Les deux hommes se sont coupés sans cesse, s'envoyant des chiffres à la figure, dans un brouhaha souvent pénible.

C'est assez généreux de parler de "brio" et de dire que les "deux hommes se sont coupés sans cesse". La stratégie de Copé était effectivement de détruire toute possiblité de "débat", c'est-à-dire utiliser le format de l'émission, en le subvertissant, afin d'arriver à son objectif : débiter les éléments de langage de l'UMP ("indécis", "plaire à tout le monde", "dépensier") et priver François Hollande de trente précieuses minutes de temps d'antenne.

Que Copé ait "réussi" n'est pas tout à fait évident, malgré les félicitations du Très Grand Homme (TGH) ("Mes premiers mots seront d'abord pour dire à Jean-François Copé combien on a été fiers de lui à la télévision"). Bernard Cazeneuve a peut-être raison quand il dit que "Copé s'est blessé avec sa tronçonneuse". Espérons. Toujours est-il que son comportement est révélateur de cette tendance qui devient de plus en plus la marque de l'UMP sarkoyën, cette tendance à tout fonder sur la manipulation médiatique, le coup de comm', l'attitude. (Comment, sinon, en effet conduire une campagne, comme Hollande le disait très bien, "sans bilan et sans programme".) Quand Sarkozy lance "en tant que Président, ça je peux pas l'accepter", le journaliste n'ose pas pousser plus loin pour voir qu'elle foudre divine le TGH déploierait si sa volonté n'est pas respectée. François Hollande, en revanche, explique patiemment, mais s'il était un peu crispé, mais trop patiemment pour les journalistes qui doivent bousculer leur interlocuteur si la réponse définitive à tel ou tel problème complexe n'arrive pas au bout de quatre ou cinq seconds.

Je reste donc avec le regret que François Hollande n'ait pas pu faire la démonstration justement que c'était justement là ce qui le distinguait de son adversaire, ce refus de rester dans l'illusion et la facilité, son refus de masquer la complexité et la difficulté des problèmes, son refus d'entretenir l'illusion de la toute puissance du Président. Pour cela, il aurait fallu plus de quatre seconds, hélas.

13 mars 2012

Brouiller pour mieux règner

La prestation du Très Grand Homme (TGH) sur TF1 hier soir, ainsi que le croisement des courbes (du premier tour) laissent une abondance de sujets à traiter. Pour repartir sur l'episode Paroles de candidat d'hier, je voudrais revenir à ce que je disais hier :

En 2007, Sarkozy, aidé beaucoup je crois par Emmanuelle Mignon, réussissait à se placer sur chaque question en créant la confusion sur la répartition gauche/droite.

C'était un peu plus tard, mais avec la burqa la technique marchait bien : les droites républicaine, catholique, souverainiste et xénophobe trouvaient forcément leur compte ; à gauche, les arguments de laïcité et droits de femmes semaient le doute également, prenant le dessus sur les considérations des droits individuels, des réalités d'une société, oui, multiculturelle moderne.

[…]

Aujourd'hui, on a quand même l'impression que cette méthode de brouiller les pistes est moins efficace, ou même plus efficace du tout.

Et je donnais comme explication le succès relatif depuis deux ou trois ans de Marine Le Pen, qui, grâce à ce que les communicants appelleraient sa "pédagogie", a rendu visible, lisible, compréhensible les ficelles des brouillages de piste de Sarkozy.

Hier soir, j'ai vu que Sarkozy avait retrouvé le chemin du brouillage. L'idée était sans doute lancée déjà à Villepinte, mais elle est devenue claire (dans toute sa confusion) pour moi hier, et encore plus claire ce matin quand j'ai observé des "vrais gens" en train d'essayer de démêler tout cela.

Nous avons donc les éléments suivants :

  1. Les étrangers viennent en France pour bénéficier de nos minimas sociaux.
  2. Les comptes sociaux sont en déficit à cause des étrangers.
  3. La mondialisation est dangereux, avec risque de délocalisation. La finance aussi.
  4. La frontière entre la Grèce (pays représentant la faiblesse) et la Turquie (pays représentant l'Islam et tous ses dangers).
  5. Le "Buy European Act" va protéger l'Europe des étrangers. (Le Japon n'achète que l'eau.)
  6. Revenir sur Schengen va nous protéger des étrangers.

Je dois oublier une ou deux pièces dans cet non-argumentaire, mais déjà on peut voir comment ça marche. Fondamentalement, il y a un mélange de l'économique (délocalisation, mondialisation, déficits) et de la petite cuisine xénophobe (trop d'étrangers). Sans vraiment le dire, Sarkozy distille l'idée (idée totalement absurde, bien entendu) selon laquelle en fermant ses frontières, la France s'enrichit et se protège des Chinois.

Jamais Sarkozy et les siens ne le diront aussi clairement. La technique consiste à multiplier les juxtapositions de ces idées. À force, les thématiques se concrétisent dans la tête des gens qui finissent par croire que le TGH a résolu tous leurs problèmes.

12 mars 2012

L'irresponsable politique

Aujourd'hui je n'aurai pas le temps de faire un vrai billet, mais il y a deux choses que je voudrais dire pendant que nos souvenirs de le discours du grand tournant dans la campagne de Sarkozy sont encore frais. Grand tournant, j'ai dit ? Je voulais dire grand virage, histoire de tourner en rond, ou de retourner en 2007.

D'abord, donc : Schengen.

Ce que je trouve presque triste, c'est qu'une grande figure de l'Europe actuelle – oui, Sarkozy, en tant que Président de la R. F., est malgré tout une grande figure en Europe en ce moment – puisse, même complètement acculé électoralement, se baisser jusqu'à proposer de démanteler l'Europe juste pour avoir quelque chose à dire. Car même si Nicolas Sarkozy est battu pour enfin aller dans son monastère, il restera le fait qu'un Président français a suggéré que chaque pays pouvait revenir sur les traités fondamentaux de l'Union, traités qui ont force de loi, ne l'oublions pas. Sarkozy estime qu'il s'est montré suffisamment européen pour se le permettre. Qu'est-ce qui empêchera n'importe quel pays européen, la Pologne ou l'Autriche avec un nouvel Haider, de faire la même chose. Depuis hier, le vers est dans le fruit.

(Et qu'on ne vienne pas me dire que François Hollande fait la même chose en proposant de renégocier avec Merkel : ce n'est pas encore un traité, mais simplement un accord ; l'accord n'a que quelques mois, et Hollande a annoncé son intention quasiment au moment même où l'accord était formulé.)

Hier, donc, Nicolas Sarkozy a volontairement rendu l'Europe plus faible, uniquement pour sauver un ou deux meubles électoral. Irresponsable. Le petit Louis, avec sa tomate, ne ferait pas mieux.

La deuxième chose que je remarque, et là je vais faire un peu moins le gauchiste qui couine (plutôt que de simplement accepter la domination de la démagogie, de la mauvaise foi et de l'irresponsabilité narcissique), c'est que si on pouvait vraiment revenir cinq ans en arrière, ce discours de Villepinte aurait sans doute marché un peu mieux. En 2007, Sarkozy, aidé beaucoup je crois par Emmanuelle Mignon, réussissait à se placer sur chaque question en créant la confusion sur la répartition gauche/droite.

C'était un peu plus tard, mais avec la burqa la technique marchait bien : les droites républicaine, catholique, souverainiste et xénophobe trouvaient forcément leur compte ; à gauche, les arguments de laïcité et droits de femmes semaient le doute également, prenant le dessus sur les considérations des droits individuels, des réalités d'une société, oui, multiculturelle moderne. La tentative d'appliquer le "travailler plus pour gagner plus" aux enseignants devait être sur le même modèle. Les gesticulations sur Schengen et l'Europe, au delà de leur absurdité propre, sont censées donner une dimension "populaire" à une une politique résolumment anti-sociale, tout en bottant en touche sur les vraies questions : "faute à l'Europe".

Et je dirais même que toute la dérive droitière des dernières semaines suit cette même logique, comme, d'ailleurs, toute la filière Hortefeux/Guéant depuis des années. Aujourd'hui, on a quand même l'impression que cette méthode de brouiller les pistes est moins efficace, ou même plus efficace du tout.

L'une des raisons est bien sûr que maintenant nous avons un vrai bilan, et non plus seulement des annonces et des promesses. Il est toujours possible de promettre d'être à la fois A et B même quand A est le contraire de B, mais il est bien plus difficile de passer au delà de la promesse. En plus, nous avons aujourd'hui le personnage "Sarko" qui s'est avéré, même pour le grand public, bien plus désagréable que ce qu'ils avaient imaginé entre 2002 et 2007.

Mais je pense que la vraie raison de l'échec de cette triangulation paradoxale "droite extrême/gauche populaire", c'est que justement ce qui paraissait paradoxale en 2007 est aujourd'hui limpide. Et ce chez les électeurs. Pourquoi ? Parce qu'entretemps ce créneau a été amplement développé et expliqué par cette Marine Le Pen dite "sociale", qui il y a quelques mois était au dessus des 20% d'intentions de vote. C'est elle qui a véritablement poursuivi le discours, se la approprié. Les petites dérives xénophobes de Besson, Hortefeux et Guéant paraissent un peu vieillotes, retrospectivement.

10 mars 2012

Aidez-moi Obi-Wan Kenobi. Vous êtes mon seul espoir.

Depuis quelques semaines, ou plus longtemps encore, on note cette thématique de la victimisation chez Sarkozy. Romain Pigenel montre bien que cette tendance à la victimisation est une corde sur laquelle la droite n'hésite pas à tirer. Avec Sarkozy, c'est, comme toujours, beaucoup plus poignant encore. Dagrouik s'interroge sur cet "Aidez-moi, aidez-moi" sur lequel le Très Grand Homme (TGH) termine ses meetings. Carla Bruni suggère même que Son Mari serait en train de se tuer, littéralement, avec son boulot : “Il travaille 20 heures par jour, donc j’ai peur qu’il (rires) meure, qu’il tire trop sur la corde”. A la télé, Sarkozy parle de ses malheurs personnels : Cécilia qui l'oblige à aller au Fouquet's, sur le yacht de l'autre. Et maintenant l'hystérie du jour, c'est qu'il songe à prendre chemin de Lionel Jospin en cas de défaite.

Je suis d'accord avec Romain : ce n'est pas de la bonne comm', c'est suicidaire, en effet. Pourquoi, alors, se montrer si faible, si fébrile. Veut-il incarner la précarité que tant de français vivent au quotidien, leur persuader qu'en lui rendant son boulot à lui, qu'eux aussi retrouveraient, quelque part, un peu de la stabilité qui leur manque ? C'est sans doute un peu tiré par les cheveux.

Ça se joue sur le terrain affectif. Comme s'il était persuadé qu'au fond, les Français ne pouvaient pas se passer de lui. Comme le type qui menace sans cesse de quitter sa copine, ou de se jetter dans la Seine si elle le quitte. "Tu verras quand je ne serai plus là. C'est toi qui va regretter, pas moi. " (Pardon : "tu verras quand je serai plus là", la suppression du "ne" fait partie des réformes réussies du quinquennat.)

Comment, en effet, pourrions-nous nous passer de notre Petit Père du Peuple ? Il rêve encore d'avoir un surnom affectif comme "Tonton" (et pas "Povcon"), d'être l'homme providentiel. Il ne comprend pas que politiquement, il est tout sauf protecteur et tout sauf rassurant. Il ne comprend pas qu'il a grillé toutes ses cartouches après un an de mandat et que son narcissisme, ce narcissisme qui le pousse justement à vouloir être la synthèse des aspirations de son pays, est devenu trop visible en tant que tel pour une grande majorité de ses sujets.

Les véritables hommes providentiels et petits pères du peuple, du moins ceux qui réussissent à se faire passer pour tels, ne demandent pas au peuple de leur venir en aide. Cela paraît évident. Le problème pour notre Très Grand Homme (TGH), c'est qu'à force de vivre dans et pour la scène télévisuelle, et d'encourager notre voyeurisme admiratif, de nous intéresser à lui plus qu'à ses politiques (pour lui faire confiance), il s'est mis à croire lui-même à son propre feuilleton, au point qu'il pense devoir "faire appel au public", comme dans la téléréalité. Le public veut (d'après les analyses du TGH) prolonger la saison de la Star Ac' encore plus qu'il ne veut traiter de ces tristes sujets comme le chômage qui n'ont pas d'existence télévisuelle du tout.

Cette élection va être la lutte entre la réalité et la téléréalité ? Pas tout à fait, parce que pour gagner, il ne faut pas non plus sous-estimer le poids de la téléréalité.

8 mars 2012

On veut quelqu'un d'autre

Sarkozy dans le poste, (Des Paroles et des actes), n'a pas fait l'exploit qu'il lui fallait pour tout bousculer et renouer avec les shadow électeurs du "sarkozysme honteux" (ils veulent piquer même ça au Front National ?). Le compte-rendu dans Mediapart est assez juste, je trouve :

On pourrait considérer l’exercice comme relativement réussi si l’on s’en tient à des standards pourtant devenus largement obsolètes. Après tout, le Sarkozy sortant n’a-t-il pas démontré :

  • une pugnacité à toute épreuve, jusqu’au vindicatif
  • une capacité à faire une fois de plus d’habiles mea-culpa […]
  • une stratégie de premier tour visant à rassembler droite et extrême droite (la lutte contre l’immigration en porte-étendard) ; et une stratégie de second tour annonçant l’élargissement au centre […]
  • […]
  • et enfin, une capacité à se battre pied à pied et par tous les moyens possibles (jusqu’aux plus inélégants) avec celui qui est considéré comme l’un des plus redoutables débatteurs de la gauche, Laurent Fabius.

Pour rester dans le pur commentaire télévisuel, retenons le premier et le dernier points : pugnacité et "capacité à se battre pied à pied avec" Fabius. En effet, Sarkozy n'a jamais pas été démonté, desarçonné, humilié ; il n'a jamais été à court de mots. Pourtant, ce n'est plus suffisant, et j'imagine que les sarkozystes convaincus (ils sont parmi nous, quand même un quart des électeurs, théoriquement) étaient contents, mais que le reste de la population n'a pas dû beaucoup s'émouvoir.

François Bonnet, dans le papier que j'ai cité, résume bien le problème : L’essentiel tient en une immense lassitude et une parole dévaluée. Au terme de dix années d’omniprésence médiatique, nous connaissons trop Nicolas Sarkozy.

Tout cela m'a fait pensé à une scène dans Tootsie (1982) avec Dustin Hoffman. J'ai cherché mais je ne le retrouve pas le clip. Ma narration va devoir suffire.

Hoffman, pas encore tranvesti, passe une audition, est rejeté et proteste.

– La lecture n'est pas la problème. Vous n'avez pas la bonne taille.

– Je suis trop petit ? Je mettrai des talonettes.

– Non, vous êtes trop grand.

– Ce n'est pas grave, j'ai déjà des talonettes. (Hoffman commence à enlever sa chaussure.)

– Nous voulons quelqu'un de différent.

– Je peux être différent !

– Nous voulons quelqu'un d'autre.

6 mars 2012

Nouvelle victime à droite de la fièvre halal

La fièvre halal continue de faire des ravages à droite. Juppé résiste encore, comme NKM, mais après Sarkozy, François Fillon a succombé. Ne voulant pas passer inaperçu – ou est-ce juste un symptôme de la maladie ? –, il a trouvé bon d'inclure la religion juive dans l'anathème :

S'exprimant à titre personnel, le Premier ministre a estimé sur Europe 1 que "les religions devaient réfléchir au maintien de traditions qui n'ont plus grand chose à voir avec l'état aujourd'hui de la science, l'état de la technologie, les problèmes de santé".

Ils n'ont qu'à faire comme les chrétiens, comme les catholiques. Tellement plus moderne et plus simple, surtout dans un pays avec ses racines vous-savez-bien-quoi, soeur de l'Eglise.

L'énormité est tellement énorme (signalons au passage que Rachida Dati s'est jetée dessus), et François Fillon n'est ni Claude Guéant ni Christain Estrosi ni même Nadine Morano, qu'elle mérite un peu d'interprétation.

Le contexte est la lutte UMP/FN. Marine Le Pen, à part une petite excursion nostalgique à Vienne, a globalement laissé tomber les références anti-sémitique qui constituaient le fond de commerce de son père. Soudain, Fillon trouve le moyen de ramener la religion juive dans ce que la droite appelle désormais un "débat" (Copé).

La conclusion est simple : soit, alors qu'il parlait sur Europe 1, François Fillon a perdu brièvement l'usage de son cerveau, soit il y a une véritable initiative de mettre la main sur les antisémites frustrés par les silences de Le Pen, fille.

5 mars 2012

Halal : LOL

Le coup des 75% a effectivement donné aux journalistes l'occasion de se livrer à l'une de leurs platitudes préférées, cette fois sous la forme "Hollande copie Sarkozy".

Nicolas Sarkozy battu à son propre jeu ! En proposant de créer une tranche supérieure de taxation à 75% des très hauts revenus, François Hollande a fait du Sarko à sa manière. Voilà le maître dépassé. Hollande avait si bien décortiqué le "coup d’éclat permanent" de son adversaire qu’il ne lui restait plus qu’à l’appliquer.

Tant mieux, de toute façon : il ne fallait absolument pas faire une campagne Jospin 2002 pour espérer battre Sarkozy en 2012.

Ce qui apparaît au fil des semaines dans cette campagne-ci, c'est que la capacité de Sarkozy de mobiliser les médias et l'opinion tourne en rond. Depuis cinq ans, nous avons développé des anticorps. Monsieur Poireau :

Loin d'agir sur nos consciences comme il était prévu, tout cela n'a bientôt plus été pour nos perceptions qu'une sorte de ronron, un bruit de fond sans importance. Comme nous éludons parfois d'entendre ce que nous dit la publicité télévisée, nous nous sommes échappés par distraction de cette propagnade.

Le candidat-président-candidat paraît incertain, un coup libéral, un coup xénophobe, un coup peuple. Et il prend les pieds dans le tapis médiatique.

On dit que Hollande fait du Sarkozy, mais Marine Le Pen y arrive aussi, ou du moins à faire du Guéant, ce qui est déjà pas mal. Cette histoire de viande halal sera, je l'espère en tout cas, reconnue un jour pour la merveille de mysticification et de manipulation que c'est. Je m'attendais, depuis des années, à ce qu'une "question de société" visant les musulmans allait déballer sur nos écrans à peu près maintenant. Je pensais que ce serait peut-être les prières de rue. Le Très Grand Homme (TGH) parle de la burqa à chaque occasion, faisant comme si le PS s'était opposé à la loi qui l'interdit. Et puis non, finalement, ce sera la viande halal, sujet introduit dans la sphère politique, au hasard d'une émission télé, par #MLP.

Je ne perdrai pas votre temps en exposant la stupidité de la question (il y a quelques infos ici et bonne mise en pièces républicaine et laïque par Mélenchon ici). Ce qui est vraiment drôle ou tragique ou consternant ou tout cela à la fois, c'est comment, sur les six cerveaux du Président, les quatre les plus droite se sont laissés abuser par leurs propres méthodes.

La première de Sarkozy est assez logique. À Rungis, il se pose en défenseur des braves gens qui bossent :

"C'est une polémique qui n'a pas lieu d'être. 200.000 tonnes de viande sont consommées chaque année en Ile-de-France. 2,5% sont de la viande casher et halal", explique M. Sarkozy. "Ici, les gens travaillent dur et se donnent du mal. Il fait les respecter", poursuit le candidat UMP, en s'engouffrant dans les salles réfrigérées des grossistes en viande.

Le ver était déjà dans le fruit, pourtant, car qu'est-ce qu'un Très Grand Homme (TGH) ferait à Rungis à six heures du mat', alors qu'il pourrait être au chaud avec Carla et la petite ? Sarkozy le communicant devait voir le potentiel de la thématique : le réflexe islamophobe, la peur primordiale de l'empoisonnement, le cuit et le cru… "Pourquoi cet imbécile de Guéant [n']y a-t-il pas pensé avant, plutôt que de perdre son temps avec la prière de rue, qui n'a toujours rien donné ?" En revanche, Sarkozy l'énervé croit que tout problème peut être règlé avec un déplacement présidentiel et des images sur TF1, et que prendre de la hauteur ne sert à rien. Donc il va à Rungis pour éteindre le feu, et ce faisant, bien sûr, atteint l'objectif inverse, jettant de l'huile de dessus. Comme d'habitude. Il doit bien y avoir un problème avec le halal, si le Président se déplace…

Resultat des courses : le halal se retrouve dans le Programme Présidentiel, il y aura (si je suis réélu) une nouvelle dimension spirtuelle dans la boucherie:

La première grande proposition du jour fut « l'étiquetage des viandes en fonction de la méthode d'abattage ». On était gêné, comme toujours, quand on voyait l'ancien vainqueur de 2007 sombrer dans la caricature. « Reconnaissons à chacun le droit de savoir ce qu'il mange, halal ou non ». (C'est Juan qui commente.)

Guéant s'en va avec son bidon d'essence pour parler halal dans les cantines scolaires, au point que NKM le critique et que Copé trouve le moyen de le défendre le plus maladroitement possible en le désignant comme un extrêmiste :

Le député-maire de Meaux a néanmoins défendu le ministre de l'Intérieur, en estimant qu'il ne fallait "pas non plus caricaturer les propos" tenus. "C'est très facile de les sortir de leur contexte" et avancé que "parce que c'est le ministre de l'Intérieur, il a forcément dit quelque chose de politiquement incorrect".

Bref, les communicants se font communiqués, et on rigole.

4 mars 2012

Le chômage imaginaire (et les solutions imaginaires)

Ce matin, Juan propose une admirable démystification de la logique sarkozyënne du chômage, chiffres à l'appui. Prenons ceux-ci :

Début février, Nicolas Sarkozy avait à nouveau avancé le nombre de 500.000 offres d'emploi non-satisfaites. On peine à trouver la preuve de ce qu'il avance. Relevons d'abord qu'en janvier, Pôle emploi a collecté 271.000 offres, dont seulement 40% qualifiées de « durables » (plus de 6 mois); notons aussi que, toujours en janvier, quelque 236.000 offres ont pu être satisfaites.

Nicolas Sarkozy voulait vendre sa proposition de référendum sur la formation des chômeurs. Son idée, encore floue et pas explicitée dans ses documents de campagne (*), serait de contraindre les chômeurs à suivre une formation puis de les contraindre à accepter une offre correspondant à cette formation.

L'idée derrière le réferendum contre les chômeurs, c'est bien sûr de faire passer la responsablité de crise économique sur ses victimes, de dévier le problème sur un plan moral, qui est compréhensible sur le plan individuel, mais qui n'a aucun sens sur le plan collectif.

C'est pour cela qu'il est si crucial pour le TGH, ce chiffre imaginaire des 500.000 postes prêts à accueillir des chômeurs, si seulement ceux-ci ne restaient pas scotchés à leurs télés à attendre tomber leurs allocs. Si trouver une formation peut être une stratégie payante pour un individu, qui passe devant ses concurrents pour l'embauche. En revanche, sur le plan collectif, si tous les chômeurs se forment, cela ne crée pas de nouveaux emplois : la concurrence devient plus rude, c'est tout. De telles iniatives ont un sens quand l'économie va bien et que le chômage est dû à un besoin de mieux adapter l'offre à la demande. La requalification aurait alors un sens. Ce n'est pas notre problème aujourd'hui ; le problème, c'est l'absence de demande. C'est une réalité macroéconomique qui n'est pas la faute des chômeurs…

Encore une fois, les propositions de Sarkozy renvoient à l'imaginaire des Trente Glorieuses, où il y en avait effectivement assez pour tout le monde à condition de s'adapter au marché du travail. Encore une fois, une mesure pour rien, sinon pour botter en touche, rendre les autres responsable pour ses propres échecs.

3 mars 2012

75%

Sur France Inter hier matin, l'un des commentateurs disait, en somme, que François Hollande, avec la tranche à 75%, "faisait du Sarkozy" en sortant une mesure qui n'était pas dans son plan pour la fiscalité (d'où les gémissements du Président sur "l'improvisation"), et qui a surtout un impact symbolique et médiatique. Effectivement, les socialistes doivent toujours se comporter comme des sages petits écoliers, tandis que Sarkozy se réserve toute la gamme d'effets de manche, manipulations et distorsions, ce à quoi il s'entraîne depuis tant d'années. L'espace politico-médiatique, en somme, appartiendrait à Nicolas Sarkozy.

Non, ici à la Pire Racaille, nous admirons cette peau de banane lancée sous les talonettes de la droite. Nous admirons comment les grandes figures de cette droite, même Juppé, s'y sont engouffrées : "racisme financier", "confiscation fiscale", etc.

La vraie "révolution" fiscale, c'est plutôt ceci :

Deuxième mesure : une tranche exceptionnelle d’impôt sur le revenu à 45 % sera créée pour les revenus supérieurs à 150 000 euros par an et par part. Un peu moins de 0,5 % des Français sont concernés par cette disposition.

Ce genre détail n'a presqu'aucune existence médiatique, même si au final il va rapporter bien plus que les fameux 75%. L'annonce de cette nouvelle tranche permet de représenter, médiatiquement et avec une belle séquence de réactions, ce qui était déjà dans le programme.

Ce qui, finalement, me fait le plus plaisir dans cet épisode, c'est que, pour une fois, une véritable mesure très symboliquement "à gauche" puisse produire de tels effets. Il faut savoir doser, et Hollande a l'air de savoir le faire, mais c'est un reversement important : plutôt que de courrir après la droite en proposant des versions allégées du programme de l'UMP, le PS réussit un coup jusque dans les sondages avec de la vraie gauchitude.

1 mars 2012

Nicolas Sarkozy, son combat

Le sarkozyzme n'est pas une pensée politique mais un style de communication. J'ai lu ça quelque part, mais je ne sais plus où. Plus encore, la particularité de ce style de communication politique, c'est d'inverser la relation entre communication et politique : plutôt que de communiquer pour défendre une action politique, l'action politique est soumise aux besoins de la communication. L'État, autrement dit, est un excellent outil de communication. On pourrit la vie à des milliers de Roms pour renforcer une partie de son image, sans le moindre souci des effets non-télévisuels.

Si on arriver à faire, brièvement, abstraction de tout le bruit et des manipulations, la vision politique de Sarkozy se résume à la vieille guerre de la droite contre l'État Providence et plus généralement contre toute entrave à la puissance économique (contre les impôts, les "assistés", les syndicats, les profs, les cheminots, la justice… etc.).

"Ensemble, tout est possible" voulait dire ça : tout faire péter pour "libérer la croissance". Tout le monde n'a pas compris, dès 2007, que "ensemble" signfiait : "Moi, Nicolas Sarkozy, avec les pleins pouvoirs". C'est une conséquence du narcissisme d'état et d'une sorte de léninisme néo-con pour mener l'assaut contre la solidarité et les autres vieilleries qui nous plombent.

Mais derrière tout cela, toujours l'obsession : moins d'impôts, moins de charges, moins de retraites, moins d'assurance chômage, moins de sécu, moins d'éducation. Aucune mesure sarkozyënne, même la plus clivante, n'échappe à cette règle.

Le problème aujourd'hui, c'est que Sarkozy ne peut plus rien proposer de neuf : non seulement les tentatives des cinq dernières années n'ont rien donné, mais toutes les nouvelles "Idées" ne peuvent être que des nouvelles variations sur le même vieux thème. Le combat contre le social, c'est un combat du toujours moins.

Il est souvent dit que la mondialisation avec ses menaces de délocalisation va tuer le modèle social français, mais sa première victime a été en réalité la formule magique de cette droite : "moins de charges, plus de thunes, plus de bonheur pour tout le monde". La boucle entre "patrons" et "ouvriers" passe aujourd'hui par l'Asie. Le célèbre "étatisme" du Très Grand Homme (TGH) n'est qu'un cache-misère idéologique : son système économique et idéologique ne fonctionnant pas, Sarkozy a vite compris que le seul moyen de le sauver était de mettre la main à la poche.

Donc, pour 2012-2017, les étagères de la boutique à idées doivent être bien vides. Toute véritable intervention nouvelle, comme par exemple de renforcer réellement l'éducation et la recherche, est idéologiquement interdite. Du coup il ne reste plus que les mesurettes symboliques (référendum contre les chômeurs et les étrangers) ou les bricolages allant dans le même sens que tout ce que nous avons déjà subi (augmentation des heures des enseignants). D'une certaine façon, cette élection presidentielle va être l'occasion de voir si la communication pure, et la soumission totale du politique à la comm', peut suffire à faire élire le bonhomme.