30 juin 2007

Ca va mieux en l'écrivant

Suivre à la trace, en la démystifiant, la logique du pouvoir sarkozyen est un travail essentiel, et on ne peut que se réjouir de l'arrivée de ce réseau de bloggeurs, spontané et ad hoc des SarkoWatch. Je suis très content de voir que cet humble blog figure dans les listes que Juan publie de temps en temps. Au passage, je salue le travail de veille que fait Juan: plus de 600 billets depuis le 6 mai 2007, c'est énorme, c'est même épuisant. Surtout, ces billets, au fil du temps, vont devenir une ressource précieuse. Milan Kundera disait, au début du Livre du rire et de l'oubli que « la lutte de l'homme contre le pouvoir, c'est la lutte de la mémoire contre l'oubli ». Grâce à Sarkofrance, nous n'allons pas oublier grand'chose.

C'est peut-être aussi l'occasion pour moi de préciser un peu plus ce que j'entends ici, au Pire Racaille. Comme beaucoup des « blogs du 6 mai », celui-ci a démarrer dans l'émotion et la précipitation. Au fil des jours et des semaines, et surtout au fil des billets, le bloggeur découvre petit à petit comment il entend « blogger ».

Malgré le degré auquel notre société est devenue télévisuelle, je suis persuadé que les mots jouent un très grand rôle dans la formation de l'opinion, et que la réflexion critique sur les discours politiques est une forme d'action qui est tout sauf vaine. Démonter les hypocrisies de la droite sarkozyste, ainsi que celles des médias qui les relaient, c'est là où les blogs peuvent, collectivement mais sans concertation, jouer un rôle non négligeable. Si je peux participer, même sur une échelle microscopique, ma goutte d'eau un peu salée dans la mer, à changer la saveur de la grande soupe médiatique, j'estimerai que le temps passé à tapoter ici n'aura pas été perdu.

(Ce temps n'est pas de toute façon perdu, tellement le fait d'écrire, d'affûter, de préciser ses idées est, en soi, un grand bonheur.)

En plus d'essayer de décrypter les faits et gestes de notre Lider et de ses médias, je voudrais, très modèstement, tenter de réfléchir sur des discours qui pourraient, un jour, être efficaces contre la droite. Le souci de l'efficacité politique me semble primordial. Si je défends Ségolène Royal, c'est que, à mon avis, qui, mieux que quiconque parmi ses rivaux de gauche, elle a compris qu'il ne faut pas hésiter à employer son image à des fins politiques, devenir soi-même une « people » afin de lutter à armes égales avec Sarkozy, et généralement jouer le jeu politico-médiatique qui est la réalité du monde d'aujourd'hui. Car on peut dénoncer la peopleisation de la politique et la superficialité des débats, mais il est politiquement suicidaire de se comporter, au nom d'un purisme politique, socialiste ou simplement de gauche, comme si cette transformation de la société ne concernait pas la sphère politique, comme si elle n'a pas eu lieu, comme si Loft Story et la Star Ac' n'étaient pas passés par là.

Est-ce se corrompre, d'agir ainsi ? Peut-être, mais toute la pureté politique de l'univers ne servira à rien si elle empêche d'occuper le pouvoir. Et bien sûr, je ne propose pas d'aller aussi loin que Sarkozy dans la démagogie et l'illusionisme. Ni même d'emprunter ces techniques du tout. Simplement, il faut savoir, pour un(e) candidat(e) de gauche, exister sur ce terrain, qui n'est plus du tout celui des débats idéologiques du passé. Même si pour cela il faut abandonner les arguments traditionnels du socialisme, même s'il faut parler d'autre chose que solidarité, justice sociale et le rôle du capital dans la société. Je sais que cela peut paraître choquant, de la part de quelqu'un qui se considère férocement à gauche.

Retour vers l'avenir

Les deux derniers billets que je viens de publier (celui-ci et celui-ci), ainsi, sans doute, que deux autres à venir, sont publiés avec plus de deux jours de retard, en raison d'un routeur qui ne routait plus.

Je vivais dans la France d'il y a deux jours. Je me rattrappe.

Le Monde roule pour qui ?

Depuis deux jours, mon routeur me ferme l'internet. Par conséquent, ceci arrive un peu tard, mais je ne pouvais pas laisser passer ce petit article dans Le Monde du 27 juin, intitulé « Nicolas Sarkozy embarrasse l'opposition en lui offrant un statut ».

Si l'on met de côté le titre pour l'instant, l'article lui-même est assez anodin. Il raconte les réunions du TGH avec divers membres de l'opposition, ainsi qu'avec Balladur et Le Pen. Ne pouvant aller s'adresser lui-même à l'Assemblée nationale, Sarkozy fait venir l'opposition chez lui. L'article souligne que cette démarche va de pair avec la présidentialisation du pouvoir.

Est raconté notamment un échange entre François Hollande et le TGH : Hollande dit qu'il ne veut pas être « complice » de cet exercice du pouvoir, et Sarkozy lui répond : « Je ne vous ai rien demandé. Je ne vous raconte pas ça pour savoir ce que vous en pensez ». Vive le dialogue !

Bref, rien d'extraordinaire. Le problème, c'est le titre, qui n'a rien à voir avec le contenu de l'article. Tout d'abord, Sarkozy n'offre aucun statut, hormis l'invitation à l'Elysée, et la promesse de continuer avec ce type d'entretien. Le seul « statut de l'opposition » en vue est celui sur lequel Jean-François Copé est censé plancher, et qui sera rendu public début juillet. Ce statut n'était pas discuté, apparamment, par Sarkozy et ses invités, et il est seulement évoqué en toute fin d'article. Par ailleurs, l'article précise même que les propositions de Sarkozy en termes de « rééquilibrage des pouvoirs » sont très en-deçà de celles de Royal et Bayrou. Si l'opposition a un « statut », c'est qu'elle l'a gagné aux législatives.

Et, deuxième chose, l'opposition n'est pas du tout embarrassée. Hollande flaire bien la manipulation sarkozyzte et en fait la remarque. Si quelqu'un est embarrassé, c'est le TGH lui-même, qui s'énerve lorsqu'on ose critiquer son petit jeu.

Je ne sais pas comment les choses se passent au Monde. Toutefois, le décalage entre ce papier et son titre laisse supposer que ce ne sont pas les auteurs de l'article, Philippe Ridet et Patrick Roger, qui ont écrit le titre, mais plutôt un éditeur qui se conforme à une ligne beaucoup plus pro-UMP, selon laquelle « l'ouverture » sarkozyzte serait un énorme problème pour le PS.

Ce n'est pas la première fois que je remarque cela. J'ai déjà parlé d'un article d'Ariane Chemin (co-auteure de Femme fatale), paru quelques jours après l'élection présidentielle, qui était beaucoup plus nuancé que son titre, nettement anti-Royal. Je donnerais les liens si mon routeur le voulait bien, mais je crois que le titre était « Ségolène Royal : l'ambition insatiable ».

Est-ce Alain Minc qui passe dans la salle de rédaction pour apporter sa petite touche ? Le coupable pourrait tout aussi bien être cet esprit de conformisme aux stéréotypes dominants qui fait qu'un titre apparaît plus accrocheur, plus vendeur lorsqu'il caresse le lecteur dans le sens de ses idées reçues.

C'est quand même déspespérant, quand le démenti du titre est dans l'article lui-même.

Update: Je viens de tomber sur une très bonne analyse d'un autre papier par Philippe Ridet.

De la délicate situation de nos ministres

Les tout premiers signes donnés par Nicolas S., encore fraîchement bronzé par le soleil malto-méditerranéen, indiquaient déjà que le vrai pouvoir allait être, définitivement, à l'Elysée.

Le désaveu de Valérieu Pécresse (merci à Juan pour le lien) ne fait que confirmer ce que pensaient les mauvaises langues du tout début du mandat : les ministres ne sont plus ou moins que des porte-parole.

L'épisode Borloo-TVA-sociale suit le même schéma, tout en étant moins schématique. Sous l'énorme pression du « Le Très Grand Homme (TGH) fait toujours ce qu'il dit, toujours, toujours, toujours », Borloo n'ose pas « mentir » (sur TF1, en plus) au sujet d'une hausse de la TVA, d'autant plus qu'il sait que le TGH songe déjà à cette hausse. La vraie confusion sur cette question ne vient pas de Borloo, ni même de Fillon, mais de Sarkozy lui-même. Et paf! Borloo se retrouve écologiste.

Il y a donc une faiblesse dans le système sarkozyen : l'existence même de ces ministres. La presse continue à leur poser des questions, malgré tout, et les ministres continuent à faire semblant d'être des ministres (ils sont quand même fiers), et d'y répondre, au risque d'être désavoués, ou remplacés, à leur tour. Pour finir, ce sera un problème pour Sarkozy lui-même, car à force d'affaiblir, désavouer ou même virer ses ministres, c'est son pouvoir à lui, le TGH, qui sera menacé. (Toutes proportions gardées, évidemment.) Pourquoi avez-vous nommé tant d'incompétents qui vous obligent à faire tout le travail? Bref, c'est un piège qui peut se refermer sur lui, s'il ne fait pas attention.

Sarkozy avait conseillé aux ministres débutants de ne pas faire d'entretien : « Un ministre n'a jamais perdu son job parce qu'il a refusé un interview. L'inverse... » Après Woerth, Borloo, Pécresse, Morin et les hésitations sur le deuxième porte-avions, tous les membres du gouvernement doivent trembler dès qu'ils devinent la présence d'un micro ou d'une caméra. A la place de Fillon, je me rendrais discret aussi. La question deviendra alors : Sarkozy peut-il survivre politiquement sans un gouvernement ? ou malgré la perception d'un gouvernement faible ?

Je me rassure (un peu) de voir, ou d'espérer, que l'exercice du pouvoir est plus complexe que ce qui peut être géré par les rapports de force qu'instaure le TGH. Son obsession de tout focaliser sur lui-même sera sûrement sa principale faiblesse au cours des années à venir.

Le vrai test viendra quand il faudra que Sarkozy discipline l'un ou l'autre des ministres de « l'ouverture ». Heureusement qu'il ne leur a rien confié de très important.

28 juin 2007

Quelques réflexions sur la stratégie de Ségolène Royal

Au PS, les choses se durcissent: annonce de la rupture conjuguale Hollande-Royal, intervention de Royal où elle parle de la crédibilité du SMIC à 1500 euros, Conseil National du PS très critique de la campagne présidentielle, absence de Royal à cette réunion, énervement général, Fabius qui rend Ségolène Royal responsable d'une défaite que le PS aurait pu éviter... Qu'est-ce que j'ai oublié ? Cette série d'événements devrait sans doute remonter jusqu'au fameux message téléphonique que Royal laisse sur le répondeur de Bayrou entre les deux tours des législatives, malgré l'avis du Premier Secretaire du PS. La série commence avec le premier cas de "désobéissance" de l'ex-candidate vis-à-vis des hauts responsables de son Parti.

Visiblement, Ségolène Royal cherche la bagarre, et il faudra réfléchir sur sa stratégie. On trouve une bonne analyse chez Papito, selon laquelle il y aurait plusieurs objectifs à ces manoeuvres:

  • "Eviter toute autocritique";
  • Preparer "sa prise de pouvoir au PS";
  • "Déclencher le débat";
  • "s'installer comme véritable force d'opposition au gouvernement";
  • "capitaliser sur sa 'marque'"
  • "provoque[r] ou tout au moins anticipe[r] la scission"

Il est clair que Ségolène Royal compte agir vite pour profiter de la visibilité conférée par la campagne pour solidifier sa position de grande figure du PS, et apparaître comme celle qui serait la mieux placée pour rénover et/ou refonder le parti. De plus, elle cherche apparamment à provoquer une durcissement des positions au sein du PS. C'est la finalité de ses déclarations sur le SMIC : concrétiser l'opposition; obliger la résistance anti-Ségo, plus ou moins latente jusque-là, à se cristaliser, à devenir plus rigide et donc plus fragile. Son absence au Conseil National confirme cette stratégie : laisser (ou force) ses ennemis à se montrer, à prendre position. Avant de... avant quoi ? Avant de trouver le moyen de donner la parole aux militants.

"Je ne laisserai s'installer l'idée qu'il y aurait d'un côté les responsables du parti, de l'autre les militants" disait François Hollande après le Conseil national. Pourtant, les deux dernières consultations signifiantes des militants, qui ont choisi le "oui" à la Constitution européenne et Royal comme candidat à la présidentielle, ont suscité des mouvements de fronde dans les échelons supérieurs du parti, chez les hauts responsables qui ne se sont pas sentis concernés. On objectera que François Hollande n'est pas celui qui a trahi les militants, mais c'est bien lui qui a décidé de ne pas virer Laurent Fabius (ou Montebourg!), et de rabibocher le parti malgré une différence politique énorme, mille fois plus grave que le manque de crédibilité du SMIC. Hollande écoute les militants, mais ce qu'ils disent n'est pas forcément respecté par les huiles du parti, qui agissent en fonction de leur conscience (Fabius, l'européen).

Si la stratégie de Royal est d'accentuer le conflit au PS jusqu'à la crise, pour forcer une consultation des militants qui solidifierait sa place dans le parti, sans doute comme Première Secretaire, c'est effectivement un jeu dangereux. Est-ce l'électrochoc qui pourrait faire sortir le PS de sa torpeur habituelle, où l'on épilogue sur les manières de décider comment aborder la mise en place des préalables à une urgente rénovation ?

Sur le plan psychologique, tout se passe comme dans une famille où l'on évite les sujets qui fâche. Ségolène est-elle en train de préparer le grand déballage?

26 juin 2007

Le SMIC, le SMIC, le SMIC

L'énervement socialo-socialiste contre les remarques de Ségolène Royal sur le SMIC à 1500 euros continue. Il y a même une pétition pour envoyer l'ex-candidate directement en prison, sans empocher les 1500 euros brut.

J'avais manqué ce billet de Dragouik, qui remet les pendules à l'heure. Ou du moins quelques pendules, car il y en a tant en ce moment...

25 juin 2007

Ministère du petit blanc

En plus de tout le reste, de toutes les autres raisons d'être horrifiés, en colère, outrés par l'existence de l'ignoble Ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, il a y quelques autres raisons pour le trouver inepte et odieux.

Tout d'abord, l'existence même de ce ministère confère une grande crédibilité institutionnelle à l'idée que l'immigration est une menace à l'identité nationale, en gros une menace identitaire pour la France. Sarkozy n'est pas si loin que ça de ces apologistes du colonialisme qui croient que la France est sur le point de devenir une république islamique, ou d'autres salades.

Pire encore, à mon avis, ce ministère de la police et de la propagande (identité nationale) existe pour des fausses raisons, et est appelé à accomplir un travail qui relève plus du fantasme que de la réalité. « L'immigration » dont il s'agit, dans le réflexe identitaire que Sarkozy a réussi à reprendre pendant la campagne, au dépens du FN (mais pas de ses idées), est une sorte de fantasme d'une France post-coloniale qui ne veut pas assumer son passé. Même dans les médias les plus mainstream, on entend souvent cette formule hypocrite issus de l'immigration, pour désigner des citoyens français dont les parents et grand-parents sont aussi des citoyens français. L'immigration tant redoutée par ceux à qui plaît ce nouveau ministère n'est pas celle de 2007 ou 2008, mais celle des cinquante dernières années. Dans une ancienne version de son programme, Jean-Marie Le Pen proposait de revenir sur les naturalisations faites depuis, je crois me souvenir, 1973! Sarkzoy et Hortefeux ne feront pas cela, mais leurs gestes sont destinés à ceux qui aimeraient bien pouvoir le faire.

Royal et le PS: ça commence

Pas le temps de faire un vrai billet sur tout ce qui se passe autour de Royal et du PS en ce moment, alors je renvoie à deux morceaux qui méritent d'être lus: ceci, chez Crise dans les médias (les commentaires sont intéressants), et ceci, chez Intox2007.

Retour sur "le SMIC à 1500 euros"

La déclaration par Ségolène Royal, selon laquelle elle ne trouvait pas "crédible" la proposition socialiste d'un SMIC à 1500 euros brut dans cinq ans, continue à faire du bruit à gauche. J'en ai parlé l'autre jour, mais j'y reviens.

Prenons certains des commentaires à ce billet au Cabinet de subversion, ou encore ces remarques d'Olivier Bonnet

Dernier dérapage en date : elle annonce que le SMIC à 1500 euros bruts et la généralisation des 35 heures figuraient dans son programme mais qu'elle jugeait ces deux mesures non crédibles.

On dirait que la majorité des anti-Ségo-de-gauche ont lu, plutôt que les paroles de Royal elle-même, les remarques de Mélenchon: Est-ce que cela signifie que si elle avait été élue, après les avoir promises, elle ne les aurait pas appliquées ?

La question n'est pas celle du mensonge, tout d'abord, mais de l'efficacité en communication politique. Royal, si on l'écoute vraiment, ne dit pas qu'elle pensait que le SMIC à 1500 brut dans cinq ans n'était pas souhaitable, mais que, puisque dans cinq ans le SMIC sera de toute façon à 1500 euros brut, qu'il était ridicule de le faire ainsi figurer dans le programme présidentiel. Que ce n'était pas de la bonne communication, parce que tout le monde le comprenait de travers: les smicards y voyait de la tiédeur, les bas salaires croyaient qu'ils allait être rattrapés par le SMIC, les autres voyaient une sorte d'utopisme socialiste en mal d'idées.

Il n'était donc pas du tout question de ne pas appliquer cette mesure : son défaut était qu'elle serait appliquée de toute façon.

Bref : ce n'était pas efficace, pour quelqu'un qui veut gagner une élection présidentielle. On ne peut plus gagner l'élection présidentielle en théorisant sur le capital et le prolétariat. Surtout quand le PCF n'existe plus et que les seules voix à chercher sont vers le centre...

24 juin 2007

Comparaison et raison

A toutes fins utiles, je reprends quelques lignes d'un entretien de François Mitterand, alors premier secrétaire du PS, publié dans *Le Monde*en décembre 1979, où le futur président interrogé sur « les libertés et l'Etat » convoquait sa lecture admirative du livre de Marguerite Yourcenar L'Oeuvre au noir:

Zénon est l'un des personnages les plus passionnants de la littérature moderne. Il cherche et il meurt, apparemment vaincu mais l'esprit libre, vainqueur. A cet égard, j'ai été très intéressé tout autour de Zénon par la vie et l'activité des sectes [l'histoire se passe au XVIe siècle], qui, comme maintenant, n'avaient pour objet que de s'autodétruire, la seule préoccupation de chacun étant d'avoir raison contre son frère. L'esprit de secte ou l'anti-liberté. Tout dogme qui veut prouver par la contrainte tue l'homme avec la liberté.

Ce n'est pas tant le contenu des propos qui m'intéresse même s'il résonne plaisamment aujourd'hui à l'ère Sarkozy, ni la récupération ironique qu'on pourrait en faire contre Mitterrand lui-même, que le geste de la référence et la qualité de la réflexion. Ni mitterrandienne, ni yourcenarienne, je ne peux m'empêcher de constater que ce type de discours et de référence paraît impensable aujourd'hui dans la bouche d'un quelconque de nos politiques. Pourtant je me refuse à croire que c'est un signe des temps ou que Mitterrand constitue l'exception.

En démocratie, un leader doit avoir des qualités de leader. Si on peut certes reconnaître à Sarkozy quelques unes des qualités que Machiavel décrivait comme propres à l'exercice du pouvoir, n'oublions pas que ces qualités sont celles du Prince, c'est-à-dire celles du pouvoir en régime autocratique.

23 juin 2007

La puissance industrielle pour vos amis

En réfléchissant un peu plus, à la suite de ce que j'écrivais tout à l'heure, j'en viens petit à petit à penser qu'effectivement Sarkozy est prenable sur la question de l'économie, en termes justement de sa compétence personnelle.

Le saga de la TVA sociale montre qu'il sait à peu près ce qu'il faut dire pour plaire au bon peuple et se faire comprendre d'eux, ce qui n'est pas négligeable. Mais "au fond" (comme il aime tant dire, le Très Grand Homme (TGH)), il est lui-même assez brouillon dans ce domaine. La confusion dans la communication autour de cette question ne vient pas de Borloo, mais du Grand Lider Maximo lui-même.

En évoquant à plusieurs reprises, depuis quelque temps, l'idée de taxer les importations, et même de le faire grâce à la TVA sociale, Sarkozy conforte ses supporters dans leur peur de la puissance économique de la Chine, bouc émissaire des délocalisations. Ce type de déclaration montre que Sarkozy est resté dans une vision économique essentiellement industrielle -- nos usines contre les usines chinoises -- qui concerne encore peut-être PSA et Renault, mais qui est obsolète pour une partie croissante de l'économie.

Sarkozy n'est donc pas un moderne. Et il n'est pas un vrai libéral. Comme pour beaucoup d'autres domaines, en économie Sarkozy semble s'enfermer dans la logique d'une lutte pour son camp, contre l'ennemi gauchiste.

TVA: Faire ce qu'il doit dire pour avoir l'air de faire ce qu'il dit

Petit à petit, je visionne l'entretien du Très Grand Homme (TGH) sur TF1. C'est plus digeste si on n'avale que des petits bouts. (J'en ai déjà parlé ici.)

Encore une fois, Nicolas Sarkozy se sent obligé de répondre aux critiques de Ségolène Royal, ce qui est, malgré tout, une forme de reconnaissance : la seule opposante qui compte, c'est elle.

Plus précisément, le TGH répondait au problème d'une "TVA sociale anti-délocalisation" par expérimentation. En effet, comment savoir si une TVA va réduire ou pas le pouvoir d'achat? Donc, on essaye (maintenant dans des domaines précis), pour voir.

La position de la "TVA sociale par expérimentation" n'est pas le résultat d'une mûre réflexion économique, mais la conséquence d'une série de prises de position.

"Au fond", comme le TGH aime commencer ses phrases, Sarkozy reprend l'intégralité de l'analyse de Jean Arthuis sur la TVA sociale: le rapport entre la TVA et les charges salariales, celui entre la TVA et la délocalisation, et l'idée d'une absence d'inflation dans l'espoir que les entreprises baissent leurs prix. Voici ce qu'Arthuis n'a de cesse de proclamer:

Le président de la commission des Finances du Sénat Jean Arthuis a prôné mardi une hausse du taux de TVA allant "jusqu'à cinq points", tout en assurant qu'"il n'y aura pas de supplément de prix". "Je suis désolé de voir les socialistes se livrer à un exercice de désinformation", car "la TVA sociale, c'est (...) constater que nous finançons la santé et les politiques familiales par des cotisations assises sur les salaires", a-t-il expliqué sur RTL, confirmant son souhait de voir une réforme "forte". L'ancien ministre de l'Economie et sénateur (UC-UDF) de la Mayenne a souligné que les choses fonctionnaient "bien lorsque l'économie nationale était relativement étanche. Aujourd'hui, nous sommes dans un économie mondialisée". "L'idée, c'est de retrouver la compétitivité pour recréer du travail en France, et donc d'alléger les charges sociales et compenser par un supplément de TVA", a-t-il précisé. Mais "il ne s'agit pas d'accroître les prélèvements obligatoires". Pour Jean Arthuis, "la TVA sera la même sur les produits, mais l'exonération des cotisations sociales permettra de baisser le prix hors taxe et le supplément de TVA n'entraînera pas un supplément de prix". Et d'assurer: "Il n'y aura pas d'inflation". (Je souligne, o16o)

C'est là l'essence du paquet idéologique que Sarkozy peine à vendre aux Français, qui, allez savoir pourquoi, ne croient pas que les vertueuses entreprises vont automatiquement baisser leurs prix à la réception du cadeau fiscal qu'on leur offre. Sentant que cela ne passe pas, Sarkozy fait ce qu'il fait toujours quand les arguments commencent à lui manquer, il s'engage.

On observe cette façon de faire des pirouettes à maintes reprises pendant l'entretien (pourtant avec des questions très complaisantes), avec des conclusions dans le style : "je fais pas ça pour perdre, je fais ça pour gagner"; "j'ai pas été élu pour échouer, mais pour réussir". Cette technique ne marchera pas très longtemps, mais convient à cette période post-campagne.

Donc, Sarkozy s'engage sur la TVA: il n'y aura pas de hausse de la TVA si cela pourrait réduire le pouvoir d'achat. Il l'a dit, donc c'est vrai, car il fait toujours ce qu'il dit. Du moins, il dit toujours qu'il fait ce qu'il dit. On verra.

Mais avec cet engagement perso-présidentiel, il y a un gros problème: comment savoir ce qui va se passer ? En fait, Sarkozy se heurte à un problème de fond dans la science économique. Une économie est quelque chose d'extrêment complexe, il est difficile, même pour des économistes, de prévoir tout ce qui va se passer. Les interactions sont multiples, concernent des acteurs assez divers, etc. Sarkozy n'est pas un économiste, et on commence à comprendre que, malgré son passage à Bercy, qu'il ne maîtrise pas si bien que cela les questions économiques. Ce que montre le papier dans le Canard Enchaîné de cette semaine, qui révèle que l'actuel directeur de cabinet d'Eric Woerth, avait, sous le règne de Thierry Breton, rédigé une petite étude qui, dans les termes du Canard, "flinguait" les deux mesures sarkozyztes phares : les heures sup' et la réduction des impôts sur les intérêts des prêts immobiliers.

Sarkozy n'a pas la tête théorique -- il le dit pendant l'entretien d'ailleurs. Il veut de l'action, de l'action et toujours de l'action. Donc, enfin on y arrive, il va expérimenter la TVA sociale avant de l'appliquer. Mais c'est encore ignorer la complexité de la question. Dans le meilleur des cas, les véritables effets d'une telle modification ne seraient visibles qu'au bout de plusieurs années, le temps de comprendre l'effet de cette politique sur le comportement des consommateurs, sur les budgets des entreprises, sur leurs pratiques salariales, et sur d'éventuelles délocalisations qui dépendent de bien d'autres facteurs encore.

Quand on ignore la théorie économique, on fait des expériences "concrètes". Surtout, le TGH laisse ses prises de position succèssives l'oblige à suivre une ligne très peu sage, et surtout, très peu praticable. Il m'étonnerait beaucoup de voir Sarkozy attendre trois, quature, cinq ans pour évaluer les effets de son expérimentation, lui qui affectionne tant l'action.

Plutôt que de ressembler à un "rouleau compresseur", la politique de Sarkozy évolue rapidement en fonction d'une série de prises de position tactiques : je dis ceci pour river le clou à un tel (ou une telle, plutôt), et je dis cela pour répondre à un autre. Et au fil des ces prises de position, son projet se modifie, au point de devenir ridicule et impraticable. La qualité de la politique est bien à l'image de la qualité du discours qui sert à vendre tout cela aux pauvres Français.

Update: Suite du feuilleton.

22 juin 2007

Sarkozy serre la comm'

Sur le site du NouvelObs (et via Bakchich), cette mini-fuite du Conseil des Ministres, qui nous montre comment Sarkozy entend gérer sa nouvelle boîte :

Ce matin au conseil des ministres Nicolas Sarkozy a mis en garde les plus jeunes des ministres, leur recommandant de ne pas trop s'exposer médiatiquement : "Un ministre ne perd pas son job parce qu'il a refusé une interview. L'inverse en revanche..."

La comm', c'est Sarkozy, et Sarkozy, c'est la comm'.

21 juin 2007

Royal la rebelle

Jean-Luc Mélenchon s'indigne parce que Ségolène Royal avoue qu'elle ne trouvait pas "crédible" (vidéo ici) la proposition socialiste du SMIC à 1500 euros.

Voilà pourquoi il faut laisser une plus grande liberté politique aux candidats présidentiels. L'idée de concocté un grand programme et ensuite de choisir un candidat avait un sens pour rafistoler un PS meurtri par la dissidence contre la Constitution Européenne, et peut avoir un sens dans un régime parlémentaire où les élections législatives auraient plus de signification, mais est un catastrophe dans une élection présidentielle, où c'est le/la candidat(e) qui doit assumer complètement son programme.

Le problème n'est pas celui du purisme socialiste, mais de la communication politique : dans un régime présidentiel où il y a une confusion totale entre la personnalité d'un candidat et sa politique, des synthèses politiques fabriquées lors des congrès ne peuvent qu'être contre-productives.

Gouvernement issu de la diversité?

Vite fait: c'est un sujet délicat et complexe, mais il est nécessaire de pouvoir établir un point de vue critique sur le nouveau discours sarkozyste de la diversité raciale, éthnique, "d'origine" qu'incarne le gouvernement Sarkozy-II.

Juan de chez Sarkofrance en a déjà touché un mot, en comparant notamment avec Condoleeza Rice dans l'administration Bush Jr.

Abstraitement, c'est bien que le gouvernement de la France soit un peu moins masculin et un peu moins blanc. Ou encore: symboliquement, c'est bien, c'est important. Mais pour que ce symbole signifie quelque chose pour plus de quinze jours, il faudrait qu'il soit appuyé par une politique, des politiques. Pour l'instant nous n'avons rien vu de la sorte.

Plus généralement, Nicolas Sarkozy semble déterminé de remplacer la politique par le jeu des personnalités. Une politique de droite passe mieux si elle est présentée par un personnage de gauche. Les injustices envers les populations issues de l'immigration (combien cette expression hypocrite me donne des boutons!) seront-elles mieux reçues lorsque c'est Rachida Dati qui les cautionne ? Et ainsi de suite.

Le sélectionneur de la République

L'entretien, hier, du Président de la République, sur TF1, avec les très complaisants Claire Chazal et PPDA (qui suggère des mots lorsque Sarkozy hésite), est assez étrange à regarder. Je suis surpris par un décalage chez le Très Grand Homme (TGH) entre un ton très solonnel -- Qu'est-ce que c'est grave d'être Président de la République -- et un langage très peu soigné, du genre : "Mais bon, voilà, c'est pas possible" ou "je dis pas que j'ai réussi". Dans mon souvenir, son langage était beaucoup plus soigné lors du débat avec Ségolène Royal; j'irais jusqu'à le créditer d'une certaine clarté pédagogique (sans parler de la validité du contenu, bien sûr) qu'il semble avoir laissée de côté. L'entretien d'hier mélangeait bizarrement les genres : le solonnel avec la mise en scène du "Bureau Oval" de Sarkozy, le familier lorsque Claire Chazal se permet de couper la parole du Président; le Très Grand Homme d'Etat et le type sympa, franc. Avec Chirac, on était censé deviner le type sympa derrière l'orateur crispé. Avec Sarkozy, les deux se superposent.

La première remarque de fond je voudrais faire sur cet entretien (j'y reviendrai si j'ai le temps...), concerne la métaphore sportive. C'est très loin d'être une nouveauté : nous avons été suffisamment abreuvés des "match Ségo-Sarko", des "en finale" pour le second tour, et ainsi de suite. Et bien sûr, il y a eu le jogging (un peu moins maintenant, d'ailleurs). Hier, dans son entretien au Parisien, Sarkozy parlait de l'élaboration du nouveau gouvernement:

La soirée électorale de dimanche, il l'a passée à la Lanterne, comme la précédente. Les résultats tombaient ; lui dînait avec son épouse et deux couples d'amis. Nicolas Sarkozy se surprend presque lui-même d'avoir passé ces soirées folles si sereinement, loin de son bureau et de l'excitation générale. « Comme cela, quand je suis arrivé lundi ici, j'étais frais, raconte-t-il. J'ai appelé François (NDLR : Fillon) pour qu'on prenne tout de suite les décisions. » (C'est moi qui souligne, o16o.)

"J'étais frais", comme un basketteur qui arrive dans le match au moment décisif, qui joue vite, etc. (Plus frais qu'au G8, où il a été de monter un escalier.)

Maintenant, on voit la composition du gouvernement comparée au travail du sélectionneur qui doit créer son "équipe A". Et là j'en viens à la nomination de Bernard Laporte en tant que Secretaire d'Etat. Nicolas Sarkozy admire la "pensée structurée" de Laporte, et surtout:

J'ai toujours beaucoup apprécié la façon dont il expliquait victoire et défaite, problèmes et réussites.

Je dois m'arrêter là pour l'instant, mais permettez-moi de rire un bon coup. Je ne suis pas le rugby, donc je n'ai jamais vu les interventions de M. Laporte, et je ne doute pas une seconde de leur très grande pertinence. Mais quand même : s'il y a un exercice suprême de la langue de bois, c'est le commentaire d'après-match : "J'avais de bonnes sensations", "on n'a pas été assez percutants", "des problèmes de réussite", "les jambes n'ont pas suivi", etc. etc. A priori, cette nomination me semble assez anodine, même si Lilian Thuram aurait mieux incarné l'ouverture ; ce qui n'est pas anodin, en revanche, c'est le fait d'élever le langage du commentaire sportif au rang du discours politique. Ou plutôt: de le placer au dessus du discours politique.

20 juin 2007

Le videur national (à méditer)

Via Sarkofrance, ces paroles prononcées par Nicolas Sarkozy et relatées par Antonin André sur le site de M6:

Il y aura bien un pôle de gauche dans la majorité présidentielle, Nicolas Sarkozy confie d’ailleurs avoir eu des contacts directs avec certains socialistes. « Je referai de l’ouverture, à la fin de l’année dans un autre cadre…J’ai mon idée… » Il n’en dira pas plus…Mais l’appétit du Président est loin d’être rassasié… « J’ai vidé l’extrême-droite, maintenant je vais m’occuper du centre- gauche», promet-il…

Méditons...

Le cigare du pouvoir

Je commence juste à lire l'entretien du Très Grand Homme (TGH) dans Le Parisen quand je tombe sur ceci:

Il se dit « détendu ». La preuve : il fume un cigare. « Si je ne le suis pas, je ne fume pas, explique-t-il.

La droite n'a plus peur de s'emparer du symbole (phallique) traditionnel des grands patrons. Voilà la rupture que nous attendions tous.

Mais quand le TGH n'est pas détendu, que fait-il ? Du jogging ? Pour effacer les effets du cigare. Et le cigare, pour effacer les effets du jogging. C'est tout de même bizarre. Il prépare son public à avaler toutes les contradictions.

Plus sérieusement : ces déclarations sur le cigare sont clairement là pour encourager les Français à se laisser aller dans la fascination du grand homme. "Ah bon! Il est détendu. Ah bon! il fume des cigares."

Le cigare, c'est une version portable du yacht de Bolloré : je suis un grand, un puissant, je fume des cigares.

19 juin 2007

Borloo et la phrase assassine

La question de la TVA "sociale-anti-délocalisation" a joué un grand rôle dans le vote de dimanche qui a permis à la gauche de reprendre une quarantaine de sièges à l'Assemblée, alors même que le seul inconnu devait être l'ampleur de l'invincible "Vague bleue". En elle-même, la hausse de la TVA est impopulaire, mais surtout, cet épisode a montré un nouveau visage du gouvernement Sarkozy, un gouvernement qui cafouille, et qui cherche à dissimuler ses véritables projets pour après l'élection. Dans un sens, la "TVA sociale" a fourni un exemple de ce que pourrait être une droite sans contre-pouvoir. (Même si nous n'avons toujours pas de véritable contre-pouvoir.)

Et c'est Laurent Fabius qui a posé la question par laquelle tout a commencé.

Ce soir-là, le soir de la seule "Vague bleue" qu'on aura vue, finalement, la droite triomphait, et ne s'est pas méfiée de la petite question de Fabius. Borloo, en particulier, avait en permanence un grand sourire goguenard, si content d'avoir atomisé le PS. Aujourd'hui il est devenu le bouc-emissaire de l'UMP, au point même où Sarkozy le punirait en lui donnant l'ancien siège de super-ministre d'Alain Juppé... (On n'était pas dupes, mais ce n'est pas bon signe pour l'écologisme UMP, que ce soit une punition pour un ministre de s'en occuper.) Et, surtout, sur TF1, après le second tour, Borloo n'avait plus son gros sourire de vainqueur.

Selon le journaliste Christophe Jakubyszyn, dans un tchat au Monde, "c'est presque un cas d'école d'erreur de communication politique." C'est surtout une démonstration de comment, avec une simple phrase, on peut faire de l'opposition efficace, surtout face à une droite qui, en dépit de toutes les ouvertures et toutes les consultations, se croit invincible.

18 juin 2007

Royal, Hollande, Bacqué

Libé publie un entretien avec Raphaëlle Bacqué, qui, au vu de l'annonce de la rupture du couple Royal-Hollande, trouve que le livre qu'elle a écrit avec Ariane Chemin était parfaitement justifié.

Je m’étonne que la presse française continue d’attendre l’autorisation des responsables politiques pour publier des informations qui ont clairement un retentissement politique. Ce qui m’a frappé, dans les critiques qui nous ont été faites, c’est la confusion de nos confrères entre ce qui relève du politique, du people et du privé. Ariane Chemin et moi-même avons fait très attention en évoquant la vie de couple de Ségolène Royal. Nous n’avons pas parlé de son intimité, seulement des événements de sa vie privée qui avaient un impact politique. Nous pensons que c’était légitime.

Sur la question du droit des journalistes d'enquêter sur la vie privée des hommes et femmes politiques, et de publier ce qu'ils trouvent, je n'ai rien à reprocher à Bacqué et Chemin. Ce n'est pas le moment d'encourager la timidité des journalistes ! Le problème n'est pas là, dans l'idée d'une violation de la vie privée. Hollande, Royal et les autres sont des grands, ils savent, ou devraient savoir, gérer ce genre de situation.

Ce qui reste à démontrer, en revanche, c'est la thèse selon laquelle le drame du couple aurait eu des répercussions politiques. Bien sûr, il est impossible d'imaginer que le fait d'être en couple n'a pas joué, tout au long des carrières des deux protagonistes. En revanche, je n'ai pas encore vu la preuve de ce qu'affirme encore, dans l'entretien sus-cité, Raphaëlle Bacqué:

Le coming out de Ségolène Royal montre qu’il y avait bien un conflit privé qui a retenti sur la vie politique. De nombreux responsables socialistes — Jean-Marc Ayrault, Claude Bartolone, Julien Dray, Manuel Valls — le reconnaissent aujourd’hui.

Le problème, au fond, c'est que Ségolène Royal et François Hollande se sont comportés, sur le plan politique, comme s'ils n'étaient pas un couple (et, pour ce qui concerne Hollande en tout cas, sur le plan perso aussi...). Mais n'est-ce pas là, justement, ce qu'on peut souhaiter de mieux? Lorsqu'ils ont des désaccords, des rivalités politiques, c'est toujours le politique qui prime. C'est normal, de ce point de vue, qu'ils ne fassent pas équipe. Chacun a un rôle à joué, un destin à géré, etc.

Bacqué affirme que de nombreux haut responsables au PS sont d'accord avec sa thèse, mais n'offre même pas d'exemple d'un débordement de la vie du couple sur la sphère politique.

En revanche, il est parfaitement compréhensible qu'il soit plus commode -- sur tous les plans --pour Ségolène Royal et pour François Hollande de se séparer publiquement, mais cela ne confirme pas la thèse selon laquelle la vie personnelle serait derrière toutes les péripéties qui ont eu lieu au PS depuis quelques mois.

17 juin 2007

Ouf

Oui: ouf.

Car la défaite de la gauche ce soir est tellement en-deça de ce à quoi nous nous étions si bien préparés par des médias cherchant à noyer cette élection. Finalement, le « rouleau compresseur » sarkozyzte n'aura pas fonctionné. La gauche perd, mais regagne du terrain, augmente le nombre de ses sièges au parlément, sauve plus que les meubles, etc.

Et dégomme Alain Juppé au passage.

(Sans parler de Carignon, ce qui me fait encore plus plaisir.)

Il est permis d'espérer que la lune de miel sarkozyste est terminé, ou du moins en train de se ternir légèrement. Surtout, surtout, nous n'aurons pas à supporter le triomphalisme d'une droite persuadée qu'absolument tout lui est dû, et que le fameux « peuple qui s'est levé » le 6 mai lui est pour toujours acquis.

A chaud donc, il me semble que le point le plus positif à retenir de cette petite victoire ou petite défaite, c'est l'inflexion qu'elle inflige au trajectoire sarkozyste.

Cependant, mon opinion sur l'utilité de l'Assemblée Nationale n'a pas changé.

16 juin 2007

TVA-euphémisme

François Fillon estime que "TVA sociale", ce n'est pas un euphémisme assez fort, alors il faut préférer TVA anti-délocalisation.

Je trouve que même "anti-délocalisation" est insuffisant. Je propose : TVA-pour-sauver-les-gentils-lapins.

15 juin 2007

Toujours aussi "fatale"

(NB: ce message a été écrit il y a deux jours)

Je suis dans le train et je n'ai pas le courage de refeuilleter Le Monde pour trouver toutes les références, mais voilà, le thème du jour, c'est l'idée que les disputes du couple Royal-Hollande sont en train d'être projetées sur la scène politique. Le voyageur en face de moi dans le train lit Le Canard, et je vois dans la référence au rouleau de patisserie que ils enchaînent sur cette même idée. Je suppose qu'une scène de ménage au PS est beaucoup plus drôle.

C'est le même thème qui s'est exprimé autour du livre de Bacqué et Chemin : tout s'explique par le couple. D'abord par le couple.

Il est facile de tout gloser ainsi, parce que tout le monde semmble implicitement d'accord sur le fait qu'un couple ne devrait exister en politique. Toutefois, le reproche que l'on devrait faire à un couple politique serait celui du népotisme. Comme on ne trouve pas d'indice d'un quelconque favortisme, ni dans le sens Hollande-Royal, ni dans le sens inverse, on en conclut, au contraire, à un règlement de comptes conjugal.

Ce que je trouve étrange dans tout cela, c'est que ce qui choque le plus, du moins dans la presse, c'est de voir que Royal et Hollande se comportent comme s'ils n'étaient pas un couple, mais comme s'ils étaient, par exemple, ex-candidate à l'élection présidentielle et premier secretaire d'un grand parti de gauche. Du même bord, mais avec des ambitions et des idéologies qui ne s'accordent pas tout à fait. En effet, c'est odieux.

Je m'étais juré de ne pas parler de machisme dans ce billet, mais ça y est, j'y arrive quand même. Car dans ce "drame" bien plus médiatique que conjugual, c'est en général Ségolène qui est représentée comme l'illégitime et François qui est dans son bon droit. Hollande côtoie un peu trop une journaliste blonde, mais nous sommes censés être choqués avant tout par l'intervention de Royal pour écarter ce danger pour le couple. Royal défie une nouvelle fois l'autorité du chef de famille en téléphonant à Bayrou, Hollande est le digne gardien de la ligne socialiste.

Bref, nous ne sommes pas encore sortis des stéréotypes qui ont si bien fonctionné pendant la campagne. Je ne devrais pas m'en étonner, mais il est difficile de ne pas m'en émouvoir.

Royal: la stratégie Bayrou

(NB: ce billet a été écrit il y a deux jours.)

Que faut-il penser du désormais célèbre coup de fil de Séglène Royal à François Bayrou, que finalement tous les chefs de parti dénoncent, Hollande comme Bayrou ? Bourde de "Ségo la gaffeuse", image que certains n'hésiteront pas à nous resservir, ou bien manoeuvre astucieuse, qui concerne autant les législatives que la guerre du PS qui aura lieu ?

François-Mitterrand-2007 n'est plus là pour nous donner sa version de cette tactique. C'est dommage, car j'ai l'impression qu'il aurait su l'apprécier. Voici ce que j'y vois. Bien sûr, nous ne saurons que dans quelques mois comment ce geste téléphonique se jouera au PS, au MoDem, à gauche en général.

  • Royal se pose en figure majeure du PS, se donne une envergure à nouveau présidentielle. Celle qui s'oppose véritablement à Sarkozy, tandis que les autres acceptent la défaite et se préparent à la bagarre intestine. Le Monde daté d'aujourd'hui parle d'un PS à deux têtes; DSK se trouve obligé de rester dans la lecture hollandienne de la stratégie.
  • Royal crée une nouvelle pression sur le MoDem, moins sur Bayrou que sur ses cadres, qui voient qu'il y a tout de même un peu de "soupe" à obtenir à gauche, et que la stratégie du "ni-ni" permanent risque de s'avérer nihiliste. Je ne connais pas assez bien les dynamiques internes du MoDem pour savoir à quel point ses nouvelles structures sont prêtes à tout sacrifier pour l'ambition présidentielle de son fondateur.
  • Royal devient, ou reste, celle qui "fait bouger les choses", qui n'accepte pas la défaite prévue sans au moins tenter quelque chose de nouveau. Même si ce "nouveau" n'est qu'une façon de rejouer l'entre-deux-tours, dans une situation qui devrait être plus favorable au PS. Ses concurrents apparaissent comme préférant perdre des sièges plutôt que de remettre en cause les "principes" (comme le dit Hollande) qui ont si bien servi au PS jusqu'à présent.
  • Enfin, Royal montre qu'elle est prête à effectuer des changements assez importants, si elle devait être la prochaine Première Secretaire du PS. C'est là qu'il y a peut-être une faiblesse dans la stratégie (ou la tactique) ségoléniste, car on ne sait pas encore ce qu'elle proposera sur le plan idéologique, hormis un rapprochement purement stratégique avec la gauche du centre. Si j'ai une critique à énoncer sur la campagne présidentielle de Ségolène, elle concernerait ce point : la pensée de ce qui pourrait être cette nouvelle gauche ne s'est pas assez développée. Le chévenementisme et l'exploration des discours sécuritaires, pas plus que l'alliance avec le centre ne suffisent pas à fonder une nouvelle idéologie. L'idée d'y arriver en créant des espaces de dialogue (Désirs d'avenir, la démocratie parcipitative, le "débat" avec Bayrou) était séduisante, et a des vrais mérites, mais ne pouvait pas résister à l'apparence de solidité du programme de notre Très Grand Homme (TGH).

12 juin 2007

Ligne de partage

Dans le Figaro de ce matin -- qui reste 10 centimes moins cher que Libé et 20 centimes moins cher que Le Monde -- on trouve ceci, une analyse qui va sans doute devenir la ligne interprétative la plus courante de ce premier tour des législatives:

La déroute de la gauche à ce premier tour des législatives éclaire d'un nouveau jour le scrutin présidentiel. Forte des 47% de suffrages exprimés qui s'étaient portés sur son nom le 6 mai, Ségolène Royal s'est refusée à parler de "défaite". Ses proches ont expliqué que les dix-sept millions de voix alors recueillies étaient annonciateurs de succès futurs. La victoire écrasante de la droite qui se profile désormais à l'Assemblée nationale dément un tel optimisme. La candidate socialiste était simplement parvenue à coaliser en sa faveur diverses oppositions au candidat de l'UMP -- de l'extrême gauche au centre -- sans qu'il s'agisse d'un cocktail électoral stable. La France avait franchement voté à droite le 22 avril comme le 6 mai. Elle confirme aujourd'hui spectaculairement ce choix.

Si je comprends bien ce qu'écrit ici Eric Dupin, l'UMP serait plus populaire que Nicolas Sarkozy, puisque les 47% de Ségolène Royal ne s'expliqueraient que par l'animosité de certains à l'égard du Très Grand Nicolas (TGN). Lorsque les Français ont la possibilité de voter directement pour l'UMP sans passer par la case Sarkozy, ils sont encore plus à droite. La France aime son UMP!

Il y a pourtant de bonnes raisons de ne pas souscrire à cette analyse. Tout d'abord, l'abstention : les Français ont compris que l'Assemblée Nationale ne sert plus à rien, et qu'il servait encore moins d'aller voter dans une élection décidée d'avance. Le PS fait un meilleur score que Royal au premier tour de la présidentielle (25.87%), mais la relative neutralisation de Bayrou et le MoDem hier y est sans doute pour beaucoup. Il me semble étrange de lire dans ce résultat une sorte de désaveu de Ségolène Royal (qui n'était pourtant pas candidate!). Le total des forces non-UMP (c'est-à-dire incluant le MoDem) hier s'élèvait aussi à 47%, comme si la ligne de partage n'avait pas bougé du tout. Bref, Ségolène ou non, la ligne bleue s'arrête à 47%. Juan chez Sarkofrance a raison de parler d'une "vaguelette bleue" (désolé, pas de lien précis). La nature du scrutin efface cette réalité, et je n'ai toujours pas vu ce chiffre, 47%, cité dans les médias (mais je suis un peu déconnecté du web en ce moment, alors j'ai pu le manquer).

La logique institutionnelle de cette élection quinquennatisée est aussi un facteur important. Pourquoi, en effet, voter une cohabitation pour un président fraîchement élu ? Du coup, l'opposition ne peut pas proposer de programme : pour quoi faire ? L'opposition condamnée à l'inaction totale, n'a pas à proposer, et par conséquent, apparaît comme une force purement négative. Il ne faudrait pas, sans doute, se laisser aller à ce fatalisme institutionnel, réagir, d'une quelconque manière. Le PS n'était pas, n'est pas, en position de réagir ainsi, tant que les rivalités continuent à être si déchirantes. Il est assez étonnant que le parti fasse un score qui serait parfaitement respectable si les autres participant à feu la Gauche Plurielle existaient encore.

Il faut admettre que Nicolas Sarkozy a très bien joué l'entre-deux élections. Hier soir, je n'en pouvais plus d'entendre les représentants de l'UMP se féliciter de son gouvernement d'ouverture, la kouchnerture du gouvernement. C'est typique du comportement du Très Grand Homme : une fois élu, il cherche aussitôt à obtenir encore plus.

Bref, tout va super bien.

11 juin 2007

La nouvelle majorité UMP au Secretariat National

J'entends, en passant, Patrick Devedjian à la radio ce matin, se félicitant naturellement de la Vague Bleue d'hier, et commentant le statut de la future opposition et du parlément en général. "L'Assemblée, dit-il à peu près, ne sera pas une chambre d'enregistrement." Avant d'insister sur le fait que les députés ont beaucoup de travail pour bien élaborer leurs lois. Lois, il va sans dire, qui seront dictées par... j'allais dire : par le gouvernement, mais évidemment je voulais dire : par l'Elysée. Le Sécretariat National aura donc pour fonction de décider du nombre et de la place des virgules dans les textes qu'il recevra. Nous voilà rassurés. Et moi qui disais que l'Assemblée ne servait plus à rien...

Devedjian continue en soulignant à nouveau le sacrosanct esprit d'ouverture du gouvernement Sarkozy, censé, visiblement, rendre obsolète l'idée même d'une opposition. La prise du pouvoir de l'UMP ressemble de plus en plus à la démarche d'une grande entreprise qui, pour maintenir son monopole sans qu'on puisse le remettre en cause, garde en vie artificiellement quelques concurrents potiches. Sarkozy est en train de réussir son OPA sur l'opposition.

Hier soir sur TF1, Delanoë s'énervait assez bruyamment contre la droite, se plaignant un peu vainement du peu la place qu'aura la future opposition. Ce n'est pas l'opposition juste parce que Sarkozy lui octroie quelques miettes de pouvoir, disait-il en substance. Ce qui est vrai, même si la faiblesse de l'opposition ne peut pas être tout à fait la faute du pouvoir sarkozyën... à moins d'accepter implicitement que c'est lui qui doit décider de combien de sièges le PS occupera. Nous n'en sommes pas encore là, en tout cas pas tout à fait. A vrai dire, je suis persuadé que le nombre de sièges occupés par l'opposition importe très peu dans ces dernières années de la Ve République.

Dernière remarque avant de laisser partir ma connexion à l'internet : j'étais surpris de voir les comportements de Fabius et Delanoë sur le plateau de télé hier soir. Delanoë était en grand forme et cherchait visiblement à s'imposait comme un personnage clé de la contestation (je préfère à "opposition" pour l'instant). Fabius semblait décidé à le laisser faire. Avant-première du nouveau Delanoë ?

10 juin 2007

La faille

Depuis l'élection du Très Grand Homme (TGH), j'ai le sentiment, avec la suppression de l'Assemblée Nationale, c'est-à-dire le quinquennat et le calendrier jospinien, que nous sommes entrés dans une phase terminale de la Ve République, dans laquelle Sarkozy va pousser à leurs limites toutes les défaillances de la république gaullienne.

Un récent courrier d'un lecteur de Libération (désolé, pas de lien -- suis toujours sans connexion) nous rappelle qu'avec la majorité à l'Assemblée que les sondages nous annoncent, l'UMP sera en mesure de modifier à volonté la Constitution sans avoir à passer par un accord avec l'opposition. Si, par exemple, l'UMP voulait rendre Sarkozy président à vie, il n'y aura plus aucun obstacle légal. La Ve République était conçue pour éviter la fragmentation politique ; nous sommes aujourd'hui devant une unification politique que l'on n'avait pas imaginée, et contre laquelle il n'y a aucune parade constitutionelle.

Fillon, la droite, la gauche et plus encore

Sans internet fixe, je tombe sur le compte-rendu dans Libération (du 6 juin, page 2) des paroles de François Fillon au meeting UMP de Lyon. Bien sûr, depuis que le poste de premier ministre a été sarkozyzé, et réduit au statut de valet du "hyper-président", Fillon doit ressentir de s'affirmer comme il peut, et taper virilement sur la gauche est un moyen comme un autre.

Les sarkozystes sont en train de se lâcher, de plus en plus, en laissant apparaître tout le fiel accumulé depuis 12 ans contre le premier président de la première Union de la Majorité Présidentielle. Ainsi Fillon se permet de se moquer de Chirac, qui ne parlait aux Français "que le 14 juillet et le 31 décembre". Histoire de s'accomoder d'un président qui s'exprime tout le temps, et du coup prive le loyal Fillon d'une certaine visibilité, ou d'une certaine crédibilité. On peut se demander pendant combien de temps le brave François se contentera de son rôle subalterne. Comment ne pas finir par avoir la grosse tête lorsqu'on est premier ministre, quand même. Il se sentira obligé de taper sur ses ministres bientôt, pour montrer qu'il en a...

Mais revenons à ses attaques contre la gauche...

On ne peut pas s'attendre à des paroles très mesurées, dans un meeting UMP, à Lyon de surcroît, donc il ne faut pas trop s'en émouvoir. Mais il y a dans ces attaques quelque chose de nouveau qu'il faudrait réussir à cerner.

Prenons par exemple ceci:

Le Parti socialiste hurle au débauchage et à la traîtrise, parce qu'il sait, au fond de lui-même, que cette ouverture révèle sa vacuité intellectuelle et son conservaisme politique. La gauche s'énerve parce qu'elle sent que nous sommes en train de bousculer les frontières idéologiques et partisanes derrière lesquelles elle prospérait au chaud.

Je ne sais pas dans quel univers parallèle Fillon estime que la gauche prospérait. Cette idée fait partie de la stratégie de "rupture" : convaincre, incroyablement, la France qu'elle a été gouvernée jusque-là par la gauche. Comme si le quatrième mandat de Mitterrand venait de s'achever. Enfin la droite vint!

Le paradoxe de la droite dans une démocratie, c'est qu'elle doit convaincre le plus grand nombre de soutenir des gouvernments qui vont favoriser l'élite économique, contre eux. Je sais que cela fait très "lutte des classes", c'est démodé, et, pire, ce n'est pas l'angle je préfère pour analyser la situation politique moderne. Pourtant, les mesures de Sarkozy, en prenant systématiquement chez ceux qu'on appelait jadis "les pauvres" pour faire des cadeaux à ceux qu'on appelera toujours "les riches", sont en train de rendre pertinent à nouveau cette vieille histoire. Ce sera peut-être l'héritage de Sarkozy : le renouvellement de la conscience de classe.

Le problème aujourd'hui, c'est que les droites trouvent beaucoup de raisons pour convaincre les électeurs à se faire flouer: le FN, visant le prolétariat blanc raciste (ou plutôt en le créant, ce qui est bien plus malin), en a fait son fond de commerce, au point où Sarkozy a repris la lecture lepeniste de la situation post-coloniale. La sécurité est le thème par excellence, accompagné d'une dose de racisme parfois, capable de convaincre de voter contre ses intérêts économiques, puisque l'insécurité, réelle ou imaginée, touche davantage les classes les moins aisées. En ne faisant que des bêtises sur ce sujet lorsqu'il était à l'Intérieur (dérives liées aux primes au "rendement" individuel pour les policiers, suppression de la police de proximité), mais en en parlant très fort (Kärcher, Racaille), Sarkozy s'est fait le symbole d'une France sécurisée. Les heures sup' du "travailler plus pour travailler plus" sont de la même manière construites pour laisser les honnêtes gens imaginer qu'on pense à eux, alors qu'en réalité ce n'est qu'une façon d'enfin "baisser les charges" (j'ai l'impression qu'on n'utilise plus cette expression) pour les entreprises.

C'est curieux d'entendre que l'ouverture du gouvernement Sarkozy est la démonstration de la "vacuïté intellectuelle" de la gauche. La gauche en ce moment ferait mieux d'être un peu plus vide intellectuellement. L'ouverture sarkozyen est possible, justement, parce qu'il n'y a aucune théorie de la société dans cette droite qui faire de la rupture en reprenant les mêmes têtes et les mêmes idées. Sarkozy possède bien une théorie de la centralisation du pouvoir, mais il ne faut pas se faire d'illusions sur le contenu des "réformes" qu'il va mener: ce sera ce que la droite a voulu imposer depuis des décennies, sans oser jusqu'à présent surmonter ses "complexes": imposer des restrictions sur l'immigration, baisser les charges sociales, défaire les 35 heures, remettre en cause l'Etat providence...

Les deux derniers éléments dans cette liste pourraient surprendre: Sarkozy dit ne pas vouloir remettre en cause les 35 heures. Finalement il va profiter des 35 heures pour arriver au but véritable (et traditionnelle) : réduire les charges patronales. La suppression des charges sur les heures sup' va non seulement encourager les employeurs à rallonger considérablement la durée réelle du travail, et ce en faisant des économies, autant d'argent qui manquera au système de partage auquel les Français floués continuent à faire confiance. Le maintien de l'Etat providence (retraites, allocations chômage, RMI) sera d'autant plus difficile que l'Etat-UMP continuera à mettre la main sur ses ressources. (Il y avait un excellent article chez Betapolitique à ce propos, mais je ne peux pas retrouver le lien en ce moment.)

Il y a quelque chose de typiquement français dans cette manière d'ajouter une nouvelle mesure (heures sup') pour en "corriger" une autre (35 heures), sans rien abroger, et ce au prix d'une nouvelle complexité administrative. (Rappelez-vous la suppression de la Pentecôte par Raffarrin.)

6 juin 2007

Omelette en vadrouille

Je ne serai pas devant mon écran habituel pendant une semaine, et mes billets risquent d'être un peu plus sporadiques que d'habitude.

Une question...

Les sondages donnent à l'UMP systématiquement un énorme avantage, en sièges, pour ces élections législatives.

Or, si je ne m'abuse, les sondeurs ne font pas des sondages département par département, et encore moins circonscription par circonscription.

Les resultats de l'élection présidentielle étaient favorables à Ségolène Royal dans un grand nombre de départements, mais moins que son Très Grand rival de l'UMP.

Je n'aime pas me trouver dans cette situation où l'on cherche des raisons pour croire que les sondeurs se trompent, mais j'ai quand même l'impression qu'ils sont en train de traiter ces législatives comme une élection nationale, comme une nouvelle présidentielle, en somme.

Mais quelque chose m'échappe, sûrement.

4 juin 2007

Photo-Sarko

Chez Betapolitique, j'avais beaucoup apprécié l'article d'André Gunthert sur la photo officielle du Grand Lider Number Uno.

Mais il faut absolument lire aussi celui-ci, à la Boîtes aux images.

Et lisez jusqu'au bout! Promis, ça vaut le coup!

Psycho-Psarko

Sarkofrance a le clip « clandestin » de Sarkozy en train de parler en off à des associations de Nanterre en février 2007. Apparamment le clip est assez connu, mais je ne l'avais pas encore vu. Il vaut la peine surtout parce qu'il donne un aperçu de la personnalité du Grand Homme, et de comment cette personnalité est reflétée dans sa vision de la société et de la politique.

Au début du clip, Sarkozy fait son autoportrait en « jeune des quartiers », c'est-à-dire comme quelqu'un qui ne fait pas partie des élites du pouvoir, et qui a monté tous les échélons tout seul. Il n'a pas fait une Grande Ecole, et comme le Canard nous le rappelait la semaine dernière, il n'était ni bon élève, ni bon étudiant, réussissant son bac et son DEA de justesse.

Sarkozy se comporte comme quelqu'un qui a subi une blessure émotionnelle. Je n'ai pas beaucoup regardé du côté de ses biographes, mais dans ce clip on commence à comprendre au moins une partie de cette blessure. La guerre menée avec Chirac et Villepin n'était pas, pour Sarkozy, un simple combat avec des rivaux politiques, mais une lutte pour la survie, la fin de partie dans une quête de reconnaissance sociale. D'où, à mon avis, l'imagination de la violence que l'on retrouve sans cesse, comme dans cet entretien que raconte Birenbaum où il était question de Clearstream et du rôle de Villepin :

Nicolas Sarkozy, qui se mit alors à me mimer la scène, se montra en tout cas explicite au sujet du rôle qu’il prêtait dans l’affaire à son successeur au ministère de l’Intérieur : "J’ai pris Villepin comme ça [par le col] et je lui ai mis le nez dans sa merde. Comme ça !" me lança-t-il, brutalement. Presque comme s’il l’avait vraiment fait. Le tout était accompagné d’un drôle de rictus qui me laissa penser que cette véritable guerre irait finalement jusqu’au sang entre ces deux hommes.

Impressionant, non? On comprend qu'une fois élu il ait voulu s'entourer d'une petite armée de garde-corps.

Comme beaucoup de self made men, Sarkozy n'a pas de compassion pour ceux qui n'ont pas fait comme lui. « Je n'ai pas baissé la tête, moi. » Ayant subi (et encore, il faudrait vérifier, mais je n'arrive pas à me résoudre à me procurer une biographie de Sarkozy, et encore moins de la lire...), ou croyant l'avoir subi une blessure identitaire devant les élites sociales, Sarkozy ne cherche pas à éliminer ces obstacles pour les générations futures (réponse de gauche), mais au contraire estime que si lui, Nicolas S., a réussi, d'autres peuvent le faire aussi, tout le monde peut le faire. C'est un modèle de la société et de la transformation de la société a lui tout seul.

Se battre contre les élites, oui, mais à condition d'en faire partie. D'où la grosse montre (et comme disait le Canard Enchaîné: grosse montre prêtée pour le débat, car aucun bijou ne figure sur la déclaration fiscal des Sarkozy), le yacht de Bolloré, et le « frère » Arnaud Lagardère.

Et pour l'exercice du pouvoir, c'est la lutte pour la survie. Baiser les autres pour ne pas être baisé soi-même. Se méfier des élites de droite, ne faire confiance qu'à l'argent et aux démonstrations de pouvoir.

Et faire du jogging.

2 juin 2007

Hypnose électorale

Il a été souvent question, ici chez La Pire Racaille, des contours du pouvoir et de l'Etat émoussés par les pratiques sarkozyztes.

On pouvait même penser qu'il ne restait plus que les élections pour freiner l'appétit de pouvoir du Très Grand Joggeur.

Comme s'il n'y avait pas déjà assez de raisons pour déprimer, Olivier Bonnet relève un nouveau sondage qui suggère que les Français et les Françaises vont voter UMP non parce qu'ils souhaitent une majorité UMP, mais parce que c'est comme ça.

La suppression de l'Assemblée Nationale par Lionel Jospin a donc atteint le libre arbitre des électeurs.

La droite et la droite

Je me demande: avec tous les stratagèmes employés par Nicolas Sarkozy pour vérouiller le pouvoir présidentiel, le Président cherche-t-il à se protéger de l'opposition (pourtant plus ou moins en miettes), ou d'éventuels rivaux dans son propre camp?

1 juin 2007

Darcos : la dette envers la dette

Je lis, dans Le Monde daté d'aujourd'hui, ceci:

« Je suis membre d'un gouvernement qui a reçu mandat d'alléger la dette de l'Etat. Je ne pourrai pas m'en abstraire », affirme M. Darcos.

Ce dont il s'agit, c'est une stratégie pour rendre les enseignants plus performants, plus rentables.

Laissons, pour l'instant en tout cas, la question des réformes de l'Education Nationale. Elle va revenir sur le devant de la scène tôt ou tard. Je suis... comment dire ? ... déçu de voir que, lorsqu'il s'agit de l'éducation, par exemple, la réduction de la dette devient soudain impérative, incontournable, tandis que lorsqu'il s'agit de faire un cadeau de 2 à 5 milliards aux entreprises pour prouver qu'en effet le travail crée le travail (et pas les financements de l'Etat), ou de baisser l'ISF, nous sommes dans l'investissement, dans la « pause » d'une réduction jamais commencée.

Jusque-là, chacune des nouvelles mesures proposées par le gouvernement Sarkozy coûte cher à l'Etat, et, en réduisant « structurellement » (comme disent les économistes) les recettes possibles (baisse de l'ISF, heures non-imposables, intérêts non-imposables), limite d'autant plus la possiblité d'une réduction future. On attend la croissance, mais même la croissance sera moins rentable qu'auparavant.

Bref: la réduction de la dette sera une raison de ne pas dépenser pour payer des fonctionnaires, mais cette raison ne sera pas appliquée ailleurs. Darcos risque d'être l'un de seuls ministres à ne pas « s'abstraire » au Grand Allègement National.

(Toujours ce rêve de dégraisser... mais regardez ce qu'est devenu Claude Allègre.)

Rachida Dati : premières impressions

Premier paragraphe de l'entretien de Rachida Dati dans le Monde:

Le sens des interventions de Nicolas Sarkozy n'a jamais été la remise en cause du travail des juges ou de leur indépendance. La justice a pour fonction de protéger la société, de défendre les victimes, et non de protéger les délinquants. Je veux remettre les victimes au cœur de la justice et donner à celle-ci les moyens de mieux lutter contre la délinquance la plus grave, celle qui crée le plus de troubles. Les Français ont élu le président de la République sur un projet, qui incluait ce que nous proposons pour la justice.

Pour s'échauffer un peu, relevons d'abord ce même thème de la légitimité politique : "Les Français ont élu le président de la République sur un projet, qui incluait ce que nous proposons pour la justice." Ils n'arrêtent pas avec ça, et on se demande pendant combien de temps ils pourront tout fonder sur la campagne présidentielle. C'est bon pour les premiers mois d'un mandat, mais quand nous en serons au troisième ou quatrième projet?

Mais parlons plutôt de ce que dit la Garde des Sceaux sur la justice. Premièrement, cette phrase Le sens des interventions de Nicolas Sarkozy n'a jamais été la remise en cause du travail des juges ou de leur indépendance. Pourquoi la forme négative ? En effet, Nicolas Sarkozy n'a pas dit pendant la campagne qu'il mettrait la magistrature sur une courte laisse et qu'elle servirait surtout à le venger de la manipulation Clearstream et à protéger Arnaud Lagardère. Ces choses là ne se disent pas, et la France qui se lève quand le réveil sonne n'aurait pas compris. On ne peut pas dire, en revanche, que ce soit un signe très fort dans le sens de l'indépendance de la justice.

En regardant la forme que prend le pouvoir sarkozyen, ce qui saute aux yeux, c'est le brouillage des contours des domaines du pouvoir: entre les branches exécutives et législatives, entre l'Etat et l'entreprise, entre le pouvoir et l'UMP, entre le pouvoir et la presse (TF1, LCI, Paris-Match (à tel point que même les journalistes de la revue protestent, mais aussi l'auguste Monde), entre la présidence et le gouvernement, et ainsi de suite. Il restait (ou : il reste) à savoir quel serait l'attitude de Sarkozy vis-à-vis de la justice.

Etant mauvais esprit, je dois dire que la chose se présente mal, sans qu'il y ait véritablement encore de confirmation. Il y a d'abord les antécédents de notre Lider Bien-Aimé lorsqu'il était à l'Intérieur (merci à Juan à Sarkofrance: ça fait froid dans le dos). Ensuite, vous avez cette expansion permanente du pouvoir avec brouillage des frontières. Une justice indépendante est, évidemment, l'un des contre-pouvoirs les plus essentiels à l'état de droit (mais pas forcément "de droite"). Puis la nomination d'une Garde des Sceaux qui, malgré ses qualifications, est d'abord connue comme figure essentielle de Team Sarkozy, et ses déclarations assez tièdes sur l'indépendance de la magistrature. Et on rajoute sa proposition pour rendre la Justice plus efficace:

Je veux mettre en place une véritable gestion des ressources humaines de la magistrature. Il s'agit pour moi d'un chantier prioritaire. Je souhaite que les magistrats soient accompagnés tout au long de leur carrière, que leurs compétences soient mieux identifiées, que leur parcours soit mieux valorisé, en interne et en externe, qu'il y ait une meilleure adéquation entre compétences et fonctions. Les talents de la magistrature ne sont pas suffisamment reconnus à mes yeux.

A première vue, on dirait une gentille réorganisation, simple renforcement de la DRH de la Justice. Peut-être que ce sera que ça. Espérons. Le problème que j'anticipe (en mauvais esprit, vous êtes prévenus), c'est que cette gestion améliorée de la carrière des magistrats soit une manière d'exercer un contrôle plus subtil des juges. Même s'il n'y a plus, ou moins, des coups de fil pour donner des ordres ("lâchez Arnaud, c'est un pote au patron"), les juges qui deviennent embêtants pourraient ainsi recevoir des mauvaises notes, ou surtout, savoir à l'avance qu'ils risquent d'en recevoir s'ils s'acharnent trop sur des dossiers "sensibles".

Et j'arrive maintenant au sujet qui m'intéressait en premier. Reprenons une autre phrase du milieu du texte cité en début de post: La justice a pour fonction de protéger la société, de défendre les victimes, et non de protéger les délinquants. Ce que je trouve inquiétant, c'est l'idée que le rôle de la Justice est d'intervenir dans un combat entre des groupes déjà constitués, les victimes et les délinquants. Bien sûr, il y a dans notre Grande Nation des délinquants et des victimes, et moins il y en a, des deux camps, mieux c'est. Cela va de soi. Mais, moi, qui suis non seulement mauvais esprit, mais aussi un grand naïf, je croyais que le rôle de la justice était de décider si quelqu'un est, ou non, un délinquant, et, le cas échéant, de le punir. Mademoiselle Dati procède comme s'il fallait prendre parti dans une lutte entre deux groupes déjà définis. La présomption d'innocence, c'est-à-dire la protection non des victimes, mais de ceux qu'on accuserait d'être délinquants, sera réservé aux cols blancs, avec mention spéciale pour les hommes politiques.