30 avril 2012

La "vraie" différence est quand il n'y a pas de différence

« Je n’accepterai pas qu’il n’y ait plus aucune différence entre être français et ne pas l’être »

– Nicolas Sarkozy, meeting de Toulouse, 29 avril 2012

"Je n'accepterai pas", ou plutôt "j'accepterai pas" (nuance cruciale, cette syntaxe décomplexée), c'est une formule fétiche du Très Grand Homme (TGH). Elle est commode, car elle n'implique aucune action. Si la chose visée ne peut pas être arrêtée, le TGH peut continuer à "ne pas l'accepter" (ou à "pas l'accepter"). Il a beau "pas accepter" le chômage, par exemple, il est toujours là. "(Ne) pas accepter" est un état sans date d'expiration. On continue à "pas accepter" jusqu'à ce que les gens oublient. C'est de la résistance bon marché, qui ne mange pas de pain, et qui "passe bien en meeting". Ou à la télé, dès fois.

29 avril 2012

Difficile de faire campagne quand on n'a rien à dire

Ce sera bref.

Depuis vingt-quatre heures, ou un peu plus, Nicolas Sarkozy semble soulagé d'avoir un sujet sur lequel il peut railler la gauche. DSK est parfait, car bien sûr il y a du sexe, ou il y en avait, et donc les médias relaient, les gens écoutent. Un bon sujet pour quelqu'un comme Sarkozy. Le fait que la réalité de l'affaire, c'est qu'une sorte d'entretien a été publié, plus des bonnes feuilles qu'un entretien d'ailleurs. En somme, il ne se passe rien, ou presque, mais cela n'empêche pas la campagne Sarkozy de réagir : fortement, vivement, déspespérément, maladivement.

28 avril 2012

UMP : Soudain, comme ça, Sarkozy est devenu xénophobe ?

Il y a désormais un consensus médiatique : Nicolas Sarkozy court après le Front National, pille son programme, est parti dans une "course à l'échalote". La chose est admise, par les médias et par un certain nombre de membres de la majorité. La course après le Front National existe désormais aux yeux du plus grand nombre. Seul Sarkozy lui-même peut encore nier, avec sa fausse naïveté siropeuse habituelle, qui lui permet de dire une chose et son contraire selon les publics.

En préparation pour le cataclysme annoncé, une partie de l'UMP commence tout doucement à prendre ses distances avec son candidat et ses excès. L'Express, par exemple, nous dit que "Gaullistes, centristes, humanistes… Tous tiennent à rappeler que l'UMP n'est pas qu'une droite qui fait la course au FN."

Peu à peu, les "modérés" de l'UMP semblent prendre leurs distances. On rend Patrick Buisson responsable de tout. C'est un gourou qui aurait hypnotisé le Très Grand Homme (TGH) :

« C’est un gourou total! Il a une influence irrationnelle sur le président, qui l’appelle trois fois par jour », raconte, dépité, un membre de l’équipe de campagne.

Surtout, les "grands" de l'UMP, ceux qui souhaitaient une campagne avec un vrai capitaine, une vraie barque et une vraie tempête, voient dans Buisson l'explication de leurs ennuis actuels :

Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, et le chef du gouvernement, François Fillon, accuseraient même Patrick Buisson d’avoir favorisé l’extrême droite au premier tour. "Voilà où Buisson nous a conduits, râle Alain Juppé le 22 avril au soir, selon 'Le Canard Enchaîné'. Il devait faire baisser le Front et Marine Le Pen fait 1,6 million de voix de plus que son père [en 2002, NDLR]".

C'est la faute à Sarkozy, mais encore plus la faute à Buisson, avec ses pouvoirs occultes, qui aurait poussé son Président dans une sorte de démence.

Après l'élection les couteaux vont sortir et nous verrons beaucoup de créativité dans les manières de prendre de la distance vis-à-vis de Nicolas Sarkozy. Le culte de l'homme fort, et la peur d'être designé comme responsable de la défaite suffisent à tenir presque tout le monde. Bientôt ils vont pouvoir chanter tous : "ce n'était pas nous, nous on est les gentils". (Enfin pas tous : il y a aussi ceux qui ne rêvent que d'avoir l'occasion de partir d'un virage droitier sans retour. Ils suivront leur chef sans doute.)

Donc, à tous ces humanistes, modérés, "vrais gaullistes", adultes responsables, républicains "authentiques", je voudrais simplement suggérer que c'est un peu tard de se réveiller, et que cela fait cinq ans que dure la dérive droitière, xénophobe et anti-républicaine de Sarkozy. Et je voudrais suggérer que cela ne dérangait personne à l'UMP tant que leur "soupe" n'était pas menacée par une défaite, qu'il n'y a pas eu beaucoup d'objecteurs de conscience parmi leurs rangs. Je voudrais surtout leur faire comprendre que ce n'est pas en criant "Patrick Buisson ! Patrick Buisson !" qu'ils vont pouvoir se laver de tout ce qu'a fait Sarkozy à cette République dont ils se réclament.

Ce qui se passe actuellement n'est que le dévoilement au grand jour de ce qui se prépare depuis cinq ans, ou davantage encore. Un coup d'accelérateur juste en arrivant devant le mur, mais pas un coup de volant. L'UMP modéré a-t-il oublié Hortefeux, Besson et Guéant ? Patrick Buisson avait-il mangé les cerveaux de ces augustes défenseurs des droits de l'homme avant de réussir à atteindre les sept cerveaux de Sarkozy ? Le pacte avec le diable fut réalisé en 2007, ou avant, quand l'UMP a réussi à siphonner les idées du Front National. Le "diable" ce n'est pas le FN, ou la famille Le Pen, mais leurs idées, qui salissent tous ceux qui les reprennent.

N'essayez donc pas, chers "modérés", de vous détacher soudain de Sarkozy. Vous étiez là, vous étiez au courant, vous avez profité. Pour être humaniste il fallait se réveiller plus tôt.

27 avril 2012

Trop d'étrangers ? Répondre à une question piégée

Avez-vous arrêté de battre votre femme ?

Euh… je n'ai jamais…

Oui ou non ! Pas d'esquive !

Pujadas, hier soir, pose encore à François Hollande la question : "y a-t-il trop d'étrangers en France ?" Hollande dit, une fois de plus, qu'il n'expulserait pas les étrangers en situation régulière, mais expulserait ceux en situation irrégulière. Pujadas le presse sur sa "conviction" ou son "sentiment" intime : "trop d'étrangers ?"

François Hollande ne veut pas répondre "non, il n'y en a pas trop", sachant qu'aussitôt la droite l'accusera de vouloir les portes à "toute la misère du monde". Il ne va pas quand même dire "oui, il y en a trop", justifiant ainsi tous les fantasmes xénophobes de la majorité anti-républicaine de l'UMP. Et le format télévisuel, les exigences de la communication ne permettent pas à Hollande d'expliquer que la question est terriblement biaisée, piègée et sortie tout droit de la rhétorique sarko-mariniste. (Voilà un concept : le sarko-marinisme. Seulement cinq réponses sur Google pour l'instant.)

Bien évidemment, la question, débarrassée de sa fausse naïveté, est plutôt : "est-ce que notre problème, ce n'est pas l'excès d'étrangers ?" En poussant, on remplace "étrangers" par "immigrés" (la question c'est "l'immigration" après tout), on ajoute un peu de "halal", un peu du "vote communautaire", une dose de "Tariq Ramadan" et la triangulation thématique s'enclenche. Plutôt que parler des flux migratoires nous sommes en train parler, encore une fois, de la place de l'Islam dans la société.

Hollande répond effectivement en refusant la question, sans pour autant dire qu'il la refuse. Il essaie de prendre de la hauteur, il parle en homme d'État : expulser ou ne pas expulser ? Le téléjournaliste veut de l'émotion, du sentiment, veut finalement qu'il se place dans la dimension sarkozyste, ce monde imaginaire, celui du petit village français, où tout est symbolique et où la réalité importe peu. Hollande évite de se laisser entrainer sur ce terrain et c'est tant mieux. Le prix à payer, du moins aux yeux des journalistes, c'était de sembler "esquiver" la question, et de tomber dans l'un des autres éléments de langague de l'UMP.

La journaliste du Monde sur le plateau n'hésite pas à enfoncer le clou, et c'est ce qui apparaît dans le résumé que le journal publie ce matin :

Le candidat PS, qui passait le premier, s'est efforcé de se poser en opposition à son adversaire et d'apparaître aussi "présidentiel" que possible, même s'il a parfois donné l'impression d'esquiver.

Si c'est le prix à payer, tant pis. Je garde le regret, cependant, que le candidat n'ait pas explosé la question elle-même. C'est toujours plus facile de trouver des réponses après coup. Voici la mienne :

Trop d'étrangers en France ? Vous voulez dire : est-ce le problème de la France qu'il y a trop d'étrangers ? Le candidat sortant, comme d'ailleurs la candidate du Front National, voudraient nous faire croire que les "immigrés" sont la cause de tous nos problèmes, le chômage, les déficits de nos comptes sociaux. C'est une manière de nous détourner des vrais problèmes et des vraies solutions. C'est ça l'esquive.

Edit: Voir le billet de Dagrouik publié presque simaultanément.

25 avril 2012

Les électeurs du Front National et la gauche

Depuis longtemps, sur ce blog, je fustige la xénophobie et son exploitation par le pouvoir sarkozyste. Puisque je parlais de Sarkozy, de l'UMP, d'Hortefeux, Besson et Guéant, et surtout de la communication et des idées, je ne me suis pas préoccupé de ceux qui vote réellement pour Marine Le Pen. Ce qui m'interessait, c'était la responsabilité des responsables politiques qui exploitaient certains sentiments.

Et avant de commencer, il faut savoir que je crois beaucoup à la dimension pédagogique des discours politiques. Sarkozy et Le Pen ne s'alignent pas sur une xénophobie qui est simplement là déjà ; ils apprennent à leurs électeurs à être xénophobes, à comprendre l'ensemble des questions sociales et économiques à travers la lentille de l'islamophobie, qui a remplacé l'antisémitisme dans les rouages du populisme de droite.

Cela ne veut pas le racisme et la peur de l'autre n'existeraient pas sans Sarkozy et la famille Le Pen. Le rôle est de valider, d'encourager ce sentiment, de le nourrir et d'enrichir son application à une vision du monde. Ainsi va le trafic des raccourcis habituel : insécurité ? immigation ; chômage ? immigration ; déficits ? immigration ; Europe ? fermer les frontières (ou sortir de l'euro). Tous les bouleversements des vingt dernières années -- mondialisation, désindustrialisation, deuil des Trente Glorieuses -- sont remplacés dans ces représentations par un équivalent en carton-pâte où tout tourne autour de la figure de l'immigré et la nostalgie d'un passé d'avant la décolonialisation. (Car, comme je l'ai dit tant fois déjà, "l'immigré" qu'on voudrait empêcher de penétrer dans l'espace Schengen, est en fait ce Français dont les grand-parents sont nés au Maghreb.)

Mais les électeurs eux-mêmes ? Et Hollande et le PS, que doivent-ils faire devant ce 19% ? Aujourd'hui Marc Vasseur touittait ceci :

à la louche FN : 1/3 fachos (un peu moins je pense) 1/3 réac droitards 1/3 déclassement/oublié (un peu plus)

Cela me paraît assez raisonnable. (Voir aussi ZeRedac.) Ce qui voudrait dire que la différence entre un FN à 12% et un FN 19%, c'est ce gros tiers qui, si tout était transparent et logique, ne serait pas à sa place chez Le Pen.

La démarche de Hollande me semble parfaitement claire et justifée à cet égard :

Sur l'immigration, j'ai dit ce que j'avais à dire. Je m’adresse à ceux qui ont fait le choix et qui l'ont fait par colère, par frustration, souvent des ouvriers, des employés, à ceux qui connaissent le chômage. Et quand vous regardez une carte sur le vote FN et une sur le chômage, vous avez parfois coïncidence. Je ne dois pas les laisser de côté.

Mais le message peut-il passer ? C'est là que revient le problème "pédagogique". Hollande a beau dire : si on combat la précarité, vous allez être mieux, vous aurez moins peur de l'Islam. Celui qui a ainsi succombé aux mystifications du Front National ne peut plus comprendre les choses ainsi, et ne croit pas de toute façon à la capacité des instances politiques de résoudre ses problèmes concrets. Reste donc l'immigré comme "problème" fantasmatique, dans une immédiateté qui prend le dessus sur les subtilités de la macroéconomie.

Il y a donc un effort à faire envers ceux que Marc désigne par "déclassement/oubliés", un effort de communication, certes, mais c'est seulement sur le long terme. L'État Français et le Front National, ensemble, font leur propre "pédagogie" depuis cinq ou dix ans, pour le premier, et des décénnies pour le second. Il sera difficile d'effacer cela rapidement.

Pour la droite (ancienne droite républicaine), les choses sont plus compliquées encore, ce que montre le très fort rejet de Nicolas Sarkozy, justement chez les électeurs de l'extrême droite. On parle de 44% seulement de report de voix en faveur de ce dernier. C'est faible. Le succès de Sarkozy en 2007 était fondé dans l'illusion qui consiste à faire croire que les défenseurs du grand capital vont améliorer la vie des déclassés simplement en chassant les Arabes. La dérive actuelle du chef de l'État montre que pour maintenir l'illusion, il doit aller de plus en plus loin dans le sens de la xénophobie. Comme un héroïnomane qui sans cesse besoin d'augmenter sa dose. Chantons avec Carla : tu es ma came….

24 avril 2012

Sarkozy, un homme faible

Sarkozy est en train de rater sa sortie.

Il a été dit suffisamment que son mandat ne laissera aucun symbole positif, genre abolition de la peine de mort ou même suppression du service militaire obligatoire. Le passif en revanche est assez lourd. Les adorateurs fidèles pouvaient encore espérer que la ligne "il a obéi tranquillement à Merkel pendant la crise" assurerait à leur héros au moins une image de grand homme d'État.

Il pouvait perdre tranquillement et même se dire victime collatérale de la crise qui a balayé tant d'autres chefs d'État européens. Il pouvait tenter de sauver les meubles en se montrant à la hauteur, digne.

Dupont : Nous bander les yeux ?… Jamais de la vie : un Dupont veut voir la mort en face…

Dupond : Je dirais même plus : un Dupond veut voir la fort en masse !…

Mais non. Il sera de ceux qui s'aggrippe à leur fauteuil jusqu'au dernier moment, comme il gardait le stylo roumain. Ne rien lâcher. Parfois, Monsieur le P., le brave est celui qui sait renoncer. Sarkozy est en train de parfaire le portrait que l'on gardera de lui : celui qui était toujours prêt à s'abaisser pour plaire. Souvenez-vous de ses discours siropeux à Washington, Londres et Rome où s'est senti le besoin de séduire les plus forts, même parfois contre son propre pays. Il n'est pas difficile d'imaginer que son ascension fulgurante dans les rangs du RPR était due à cette tendance à flatter ses supérieurs.

Manque de chance (mais c'est plutôt karmique) : le dernier "plus fort" auquel il aura affaire pendant son mandat, ce sera les électeurs du Front National. Et comme d'habitude, son intérêt personnel va prendre le dessus. Il est difficile de dire qu'il sert encore une cause, tant il est prêt à trahir les idéaux qu'il était censé défendre. La seule cause qui reste est la sienne, et pour l'avancer il part séduire les électeurs de l'ennemi héréditaire du mouvement gaulliste, en donnant des gages de crédibilité républicaine à cette force de mystification qui trafique le malheur des gens avec une illusion xénophobe fondamentalement dangereuse, fondamentalement et irrévocablement anti-républicaine.

C'est la dernière "France" qui lui reste à séduire. Il n'hésite pas, il se lance, s'abaisse, nous rabaisse en même temps, détruit ce qui lui restait de crédibilité historique dans la vaine tentative de grappiller quelques points. Bassesse, faiblesse, petitesse, mesquinerie, narcissisme.

Si c'est bien cette image que l'histoire gardera de Nicolas Sarkozy, il aura tout fait pour la mériter.

23 avril 2012

L'échec de Charles Millon

Les plus jeunes parmi vous ne se souviennent de Charles Millon, UDF, droite catho (pro-peine de mort, anti-avortement), ministre de la défense sous Chirac. Aux élections régionales de 1998, en Rhône-Alpes, il se retrouve dans la position de Nicolas Sarkozy aujourd'hui : il avait besoin des voix du Front National pour garder le conseil régional. Peu après (et après son exclusion de l'UDF, due notamment à François Bayrou ; Madelin quitte l'UDF en même temps) il fond son propre "mouvement", La Droite. L'idée était que la droite dite républicaine ne devait pas se priver du Front National, puisque celui-ci faisait naturellement partie de La Droite.

L'épisode des régionales 1998 a été le début de la dégringolade personnelle de Millon. L'idée d'une grande droite allant de Hitler à de Gaulle et même jusqu'à Tocqueville, n'est pas morte pour autant. C'était la droite décomplexée avant l'heure, et on peut être certain que Millon n'était pas le premier à regarder les resultats en se disant que si on additionnait les scores RPR, UDF et FN, la droite, ou La Droite, serait imbattable pour toujours. Ou du moins pour mille ans, ou quelque chose comme ça.

Si Nicolas Sarkozy, ainsi que les inséparables Copé et Fillon, se retrouvent depuis hier dans la même position que Millon, il y a plusieurs différences importantes, la première étant qu'ils ont à séduire des électeurs et non pas des élus, comme c'était le cas pour Millon. La seconde, c'est que depuis cinq ans, c'est déjà La Droite, ou sa réincarnation, qui gouverne la France, Sarkozy se faisant élire sur un programme faisant la synthèse idéologique de l'UMP et du FN. Il n'y a pas de sens de parler d'une coalition pour une élection présidentielle, mais l'élection de 2007 y ressemblait fortement, sur le plan des idées sinon sur celui des personnes.

Depuis 2007, Sarkozy, Besson, Hortefeux et Guéant ont fait ce qu'ils pouvaient pour mener une politique qui devrait plaire au Front National. La synthèse n'était pas seulement dans les mots

La question devant les électeurs cette année est donc : veut-on reconduire La Droite ? L'échec du premier tour, avec le retour massif des électeurs FN vers leur pays d'origine (on les aime, mais on les aime chez eux), signe l'échec de cette stratégie et l'échec de l'idée même d'une Grande Droite.

Le problème, c'est que ce qui motive le Front National, son moteur xénophobe, n'est pas compatible avec la droite conservatrice. Je ne parle même pas de compatiblité avec la République. (Nous sommes décomplexés maintenant, n'est-ce pas ?) L'électeur xénophobe, pour diverses raisons, veut toujours plus, et n'a rien à faire justement de défendre le capital. Il est tout sauf conservateur. J'écrivais l'autre jour :

Maintenant que Sarkozy a cinq ans de bilan derrière lui, que les xénophobes souffrent tout autant de leur xénophobie, qu'il n'est plus possible de promettre de tout faire péter ("pourquoi ne l'a-t-il pas déjà fait ?"), il ne peut plus générer cette charge émotionnelle qui fait rêver les oppressés de leur race. C'était prévisible, d'ailleurs. Et maintenant, pitoyablement, il doit prononcer les mots : "venez avec moi, on trouvera des 'solutions'". Mais le malade ne veut pas d'une "solution", sinon il ne serait pas malade. Il veut tout faire péter, comme toujours.

L'électorat du Front National ne veut pas du système, ne veut pas de la réalité, ne veut pas de l'UMP, ne veut même pas des mesures de Claude Guéant, aussi odieuses qu'elles soient. (Individuellement, les électeurs se trompent, arrivent entre les mains de Marine pour diverses raisons, plus ou moins bonnes. Ce ne sont pas tous des enragés : je parle plus des idées que des gens qui sont attirés par les idées. Le drame aujourd'hui c'est que presque vingt pourcent des électeurs souhaitent se mettre hors du jeu.)

Donc La Droite ne marche pas, et ce n'est pas à cause des grands principes républicains bafoués. Même décomplexée, La Droite ne marche pas parce qu'elle se fracture de l'intérieur. Elle ne marche pas parce que le Front National n'y retrouve aucun intérêt.

20 avril 2012

Chers gauchistes : le vote réel

La Ve République, et à plus forte raison sa version post-septennat, et encore plus la version peoplisée, focalise toute notre et notre énergie sur une seule élection pour choisir un seul bonhomme. Les coalitions sont impossibles. On est censés se reconnaître en la personne de l'homme providentiel que nous choisissons parmi les dix hommes (et femmes) providentiel(le)s. Le système favorise les manipulations et les brouillages entre personalité, image et politique. Mais c'est comme ça. J'en ai parlé l'autre jour.

La tentation, donc, pour le vrais gauchistes, est de profiter de l'occasion pour s'exprimer, dire que les réalités sur lesquelles est fondé le discours politique qui passe pour "raisonnable" déforment les représentations, limitent nos options, tuent la politique. Moi-même je ne suis pas insensible à ces analyses, surtout pour leur dimension critique. C'est comme le marxisme : il reste un excellent instrument de diagnostic, mais un horrible instrument pour réparer les torts qu'il identifie si bien.

Le problème c'est que, en dépit de tous les beaux principes démocratiques (et surtout individualistes, voire romantiques), si vous utilisez votre vote dimanche pour vous exprimer, vous allez le gaspiller, voire renforcer votre ennemi.

  • C'est irresponsable de penser que de toute façon Hollande va gagner au second tour. Vous laissez les autres faire le travail, en vous contentant de vous exprimer. Que ferez-vous si les sondages n'existaient pas ?
  • En admettant qu'il accède au second tour, le score de François Hollande au premier compte beaucoup. Un Sarkozy affaibli par un mauvais score au premier tour sera pendant les quinze jours à venir d'autant plus vulnérable, plus désespéré, d'autant moins épaulé par ses fidèles camarades.
  • Dire Hollande/Sarkozy, même combat, c'est oublier tout ce qui s'est passé depuis cinq ans, c'est oublier que Sarkozy a gravement perverti le fonctionnement de notre démocratie, qui avait déjà ses problèmes avant qu'il s'en mêle. Sa réélection validerait son comportement pendant le premier mandat et ouvrira la porte à des nouvelles dégradations pendant le second.
  • Pour peser à gauche, pensez plutôt aux législatives. Je sais que ce n'est génial, mais c'est aux législatives que les pourcentages de la composition du vote à gauche à un véritable sens.

Dimanche, avec votre vote, posez-vous la question : quel choix va faire le plus de bien à toutes les personnes réelles qui sont affectées par la conduite de la politique du pays ?

18 avril 2012

Sarkozy défait par l'excès de sa propre puissance

Échec et excès se trouvent bizarrement associés, dans ce qui devraient être les derniers jours du règne du "Monarque". Le paradoxe de Sarkozy, c'est aucun président jusqu'à présent n'a amassé autant de puissance politique, médiatique, financier, autant de réseaux. Le principal parti d'opposition a passé la plus grande partie du quinquennat affaibli par "l'ouverture" et engagé surtout dans des querelles et des luttes internes. L'UMP, malgré quelques petites rivalités inévitables, est restée globalement unie derrière son futur candidat. Le rival chiraquien fut neutralisé par l'affaire Clearstream. Le principal danger à gauche se retrouve embourbé dans de sombres histoires éroto-judiciaires. De bien de points de vue, c'était le paradis sarkozyste sur terre.

Cette situation aurait dû garantir une réélection facile. Tout était boulonné. Je me souviens d'avoir dit, à de nombreuses reprises, "certes Sarkozy est impopulaire maintenant, mais c'est parce qu'il n'y a personne en face". En plus des ses énormes avantages stratégiques, on savait que Sarkozy était un excellent tacticien électoral.

Le fidèle sarkozyste, lisant ces mots, objectera, hagard : "mais la crise ! mais la crise ! Vous oubliez la crise, espèce de sale gauchiste à la mauvaise foi grande comme le trou de la Sécu !" Cela n'a sûrement pas aidé, je reconnais, mais une fois que le fidèle sarkozyste aura réussi à se maîtriser, je lui ferai juste remarquer que l'impopularité de son champion date d'avant les subprimes. Ses Ray-Bans et ses fiancailles à la hussarde avec un top', son "pov'con" et autres fautes de goût avaient déjà commencé à plomber son image.

Pour montrer à quel point je voudrais être bienvieillant envers le Chef de l'État, je dirais que malgré Carla, les Ray-Bans et la crise, tout pouvait encore être rattrapé. Il avait le temps, trois ou quatre ans pour se "représidentialiser" ou encore trouver une nouvelle manière de séduire la France. Il avait le temps et les ressources, même si on oublie l'ombre des 50 millions (80 millions de dinars) de l'ami Mouammar.

Qu'est-ce qui s'est donc passé ?

Pour une partie importante de la population, y compris beaucoup des "braves gens" qui étaient la cible principale de Sarkozy en 2007, le Très Grand Homme (TGH) est devenu parfaitement, définitivement imbuvable. Ce mouvement de foule peut s'expliquer de diverses façons, et je suis sûr que les historiens s'interrogeront longuement là-dessus.

L'extrême personalisation de l'action politique, ainsi que la centralisation du pouvoir sont, ensemble, responsables de son échec. La personalisation expose chaque petit défaut, et le projete sur l'écran géant du pays entier. Combinée avec le poids du pouvoir, la personalisation fait que quand le Président est léger, il paraît lourd et trop léger à la fois ; quand il est lourd, le bonhomme n'est pas à la hauteur du personnage qu'il voudrait incarner. Il voudrait dominer en fascinant, mais la fascination conduit vite ridicule des moindres gestes.

Tous les avantages du Président-Candidat et du Candidat-Président ont finit par l'écraser. Dans un système sans contre-pouvoir, Sarkozy a réussi à en créer un, un contre-pouvoir populaire, le refus d'une majorité des français d'être dominés par le système médiatico-politique. Plutôt que de mettre en cause tout le système, ils en veulent à celui qui se glorifie d'en être le marionnettiste-en-chef. Sarkozy s'est finalement écrasé lui-même, sous le poids du trop plein des pleins pouvoirs.

11 avril 2012

L'économie est ailleurs

Lors des débats sur la hausse de la TVA – dite "sociale", puisqu'elle permet aux gens qui gagnent le moins d'augmenter leur participation au financement des services sociaux – on avançait cet argument qui me semblait, à l'époque, assez étrange : la hausse de la TVA serait une manière de taxer les importations en provenance de notre grand ennemi économique, la Chine. Je ne voyais pas comment on pouvait l'affirmer, puisqu'avec la TVA, on ne peut pas cibler les produits par leur origine industrielle. Parallèlement, la hausse de la TVA ne devait rien coûter aux consommateurs parce que la concurrence ferait baisser les prix. Cet argument là, je ne le comprenais pas non plus, une taxe comme la TVA étant justement neutre en termes de concurrence : si on augmente le prix de l'iPhone que j'ai envie d'acheter, ce n'est pas comme si j'allais me rabattre sur des poireaux français.

Les mois passent et je pense à autre chose. Puis, hier, alors que je commençais à songer à faire un billet pour expliquer mes réserves sur Mélenchon, sujet complexe et subtile s'il en fut, je tombe sur cet édito dans les Échos, plein de mépris et dédain pour les électeurs de Front de Gauche (partagés, d'après l'auteur, entre des staliniens quasi terroristes et des bobos conformistes). Le succès de Mélenchon doit être un grand soulagement pour certains, qui peuvent sortir des vieux arguments et clichés qui n'ont pas servi depuis la chute du mur. Bref, notre éditorialiste, Henri Dubreuil, finit son billet sur le SMIC à 1 700 euros :

Il reste malgré tout primordial de combattre les idées mortifères d’un diable rouge ayant troqué sa fourche pour une faucille. La simple idée de fixer à 1 700 euros le SMIC relève de la folie ou de la stupidité. Elle conduirait à la faillite des milliers d’entreprises à travers tout le pays. Et à ceux qui m’opposeraient la relance de la consommation, je rétorquerai : relance des importations. Couler notre économie pour faire le bonheur des Chinois ou des Allemands est tout sauf une idée digne d’un candidat à la présidentielle.

Je ne vais pas aborder la question du SMIC aujourd'hui. Ce sont les deux dernières phrases qui sont fascinantes, et qui, je pense, expliquent bien des choses sur la perception économique de cette droite si sûre d'elle.

Prenons les choses point par point :

  • Relance de la consommation = relance des importations C'est le nerf de la guerre : consommer, c'est importer. Donner des sous au peuple et il va préferer l'iPad aux poireaux.
  • Le déficit commercial, c'est la faute aux consommateurs Car effectivement, si au lieu d'acheter des écrans plats, nos consommateurs achetaient plutôt des Airbus ou, mieux encore, des Rafales ou des centrales Aréva, ils contribueraient quelque chose à l'économie française. Ce sont les jeunes qui nous coulent, avec leur langage SMS et tout ça. Abrutis.
  • Aider économiquement "les gens" c'est en réalité aider les Allemands et les Chinois Dans la guerre économique mondiale, toute aide sociale finit, peu ou prou, dans les poches de l'ennemi. C'est presque comme si les consommateurs constituaient une sorte de "front intérieur", une tentacule de l'ogre chinois, venue siphonner notre richesse nationale.

Et la conséquence de tout cela, c'est que la population, celle qui travaille et consomme, ne sert presque plus à rien. En tout cas, cela ne sert à rien qu'elle ait de l'argent à dépenser. Le "pouvoir d'achat" est, pour nos patriotes, non seulement inutile, mais une fuite potentielle de richesse. Si "les gens" veulent contribuer à la réussite nationale, la seule chose qu'ils peuvent faire c'est travailler plus en demandant moins. Il faut qu'ils transférent leur pouvoir d'achat vers les marges des grandes entreprises.

L'économie n'est plus à nous, nous ne sommes plus que des freins, ni ouvriers ni consommateurs, juste des enfants dépensiers. L'économie est ailleurs et il n'y a rien à faire. Et pour autant, mais là je commence à mordre sur mon futur billet sur Mélenchon, il ne suffira pas déclarer la "réindustralisation" ou la "démondialisation". Il va faire falloir trouver autre chose, une autre manière de réintégrer "les gens" dans leur propre économie en modifiant petit à petit le terrain de jeu pour favoriser des structures plus petites, des réseaux plutôt locaux. Il va falloir également, et c'est surtout là où François Hollande me semble avoir raison, améliorer la qualité globale du pays, surtout en termes d'éducation et de recherche. Car l'éducation et la recherche, en plus d'une augmentation de la compétitivité (si si, monsieur le Président, cela peut se dire en socialisme), ce sont des moyens de remettre l'accent sur des gens, plutôt que sur des intérêts.

7 avril 2012

"Je comprends votre souffrance"

Les petits gestes, les clins d'oeil, les sourires en coin, les mots doux discrètement lâchés, du pied sous la table… tout cela ne suffit plus. Nicolas Sarkozy se décide enfin de déclarer sa flamme aux électeurs du Front National :

«Aux électeurs du Front national, je dis que je comprends votre souffrance mais le vote FN ne résoudra aucun des problèmes» pour lesquels «vous voulez une solution», a affirmé le président-candidat, ajoutant que «chaque vote FN profitera à la gauche».

C'est vrai que Claude Guéant est parfois un peu trop subtile pour des électeurs habitués au style beaucoup plus direct de la famille Le Pen. Alors le courageux Très Grand Homme (TGH) doit mettre les points sur les "i".

"J-16. Sarkozy appelle les électeurs du FN à voter utile. Jusqu'ici,/ /tout va bien", touittait Brave Patrie. C'est très drôle, et très pertinent, car s'il y a un électorat qui ne vote pas "utile", c'est bien celui du Front National.

Quelle souffrance est-ce qu'il comprend, notre Chef d'État ? Il fait comme si l'on votait Front National parce qu'on s'inquiétait tout particulièrement des effets néfastes des populations juives et Arabes sur la Nation Française, un peu comme d'autres électeurs s'inquiètent pour l'école, leurs retraites ou les déficits.

Pourtant, depuis le temps que Sarkozy, Besson, Hortefeux et Guéant agitent des chiffons rouges de toutes les couleurs (sans beaucoup de succès, j'ajoute), ils auraient dû comprendre que la xénophobie n'est pas un sujet politique rationel. On parle d'"immigrés", par exemple, quand on veut dire "citoyens français issus de l'immigration maghrebine des années cinquante et soixante", et on expluse les uns parce qu'on ne peut pas supporter de voir les autres. La xénophobie ressemble plus à une maladie mentale qu'à une cause, ou à un "problème" auquel un Président pourrait chercher une "solution".

Sarkozy a réussi à "siphonner" l'extrême droite en 2007 parce qu'il promettait de tout faire péter s'il était élu : "tout devient possible". En promenant Hortefeux devant les électeurs FN, Sarkozy a réussi à leur suggérer sans vraiment le dire que, élu, la grande ratonnade pourrait enfin avoir lieu.

Maintenant que Sarkozy a cinq ans de bilan derrière lui, que les xénophobes souffrent tout autant de leur xénophobie, qu'il n'est plus possible de promettre de tout faire péter ("pourquoi ne l'a-t-il pas déjà fait ?"), il ne peut plus générer cette charge émotionnelle qui fait rêver les oppressés de leur race. C'était prévisible, d'ailleurs. Et maintenant, pitoyablement, il doit prononcer les mots : "venez avec moi, on trouvera des 'solutions'". Mais le malade ne veut pas d'une "solution", sinon il ne serait pas malade. Il veut tout faire péter, comme toujours.

Sarkozy s'abaisse, et nous rabaisse en même temps (il est encore Président de la R.). Ce serait comique, surtout l'appel simultané aux centristes, qui normalement n'ont pas la même idée que lui sur les "problèmes" et leurs "solutions", si ce n'était pas si grave. Nous nous rapprochons du "moment Millon", quand on décide qu'il vaut mieux pactiser que perdre sa place. Ce qui rassure, c'est que pour en être là, c'est que les choses ne vont pas très bien.

6 avril 2012

Épuisé

Le programme du Très Grand Homme (TGH) est très petit. Presque rien. "Un programme de Secretaire d'État", dit jegoun. Je laisse aux autres le soin de le démonter point par point, pour m'émerveiller sur le bide médiatique, le ratage communicationnel. À force d'envoyer NKM dire que Hollande n'avait pas de programme, Sarkozy s'est laissé pièger. Je croyais qu'il allait carrément se passer de programme, et c'est sûrement ce qu'il aurait dû faire. Sarkozy peut jouer le cancre sur autant de thèmes qu'il veut, mais malgré son aplomb habituel, je ne vois mal expliquer que, comme il n'a pas fait l'ENA, qu'il n'a pas appris à faire des trucs aussi futiles et intellos comme un programme, si il arrivait qu'on se moque de lui dans un débat par exemple.

Son programme serait victime de la crise. À part faire moins, on ne peut rien faire. Paraît-il. François Hollande a raison : "le programme, c'est le bilan en pire". Sarkozy a tellement donné depuis cinq ans, que ça devrait suffire pour dix. Il a omis son projet de passer encore plus de temps au Cap Nègre. Avec l'aide des électeurs, cela va peut-être devenir possible. J'espère juste qu'il aura des connexions facile pour faire le trajet à Bordeaux assez souvent, pour voir le gentil juge.

(Il n'y a rien non plus sur la viande halal. Les Français vont être déçus, puisque c'était leur souci principal il n'y a pas si longtemps.)

Bref, il ne reste plus rien dans le moteur. Plus d'idées, plus rien, et plus de marge de manoeuvre. Déjà que les caisses étaient vides en 2007. Toute cette action, cinq années de gesticulations, de bruit, de surexposition, pour aboutir à… rien. Pas de perspective, même bidon. Rien. Enfin si : le permis et les retraites une semaine plus tôt.

4 avril 2012

Une passion populaire

Pour défendre l'exploitation par son camp des thèmes xénophobes, Henri Guaino disait : "Ne pas prendre en compte les passions populaires expose à la colère". C'est bien la seule "passion populaire" que la droite peut citer pour pousser les "électeurs populaires" à voter contre leur propre intérêt. Mais, pour l'instant, laissons-le dans ses tentatives desespérées de rallumer la xénophobie. Guaino se trompe de passion, et de colère.

Nicolas Sarkozy est assez doué pour trouver une expression "populaire", un emballage "café de commerce" pour faire passer un programme plutôt Medef. Depuis quatre ans, cependant, il y a un sujet très populaire qu'il est difficile pour le TGH d'exploiter : l'anti-sarkozysme lui-même. Qu'il soit primaire ou populaire, ce sentiment lui a effectivement explosé à la figure, avec pour resultat ces sondages têtus, qui jusqu'à présent résistent à tous les efforts de la machine de l'Union Médiatique du Pouvoir.

Le sarkozysme est une outrance de la communication. Je pense qu'aujourd'hui nous sommes, les pro- comme les anti-, tellement dedans, encore, qu'on a du mal à se rendre compte du caractère exceptionnel de cette hystérie collective. Je sais que si, à la place de Nicolas Sarkozy, une sorte de deuxième Chirac avait été élu en 2007, je n'aurais jamais même songé à créer un blog. Je n'aurai pas été atteint de cette passion populaire. La pratique sarkozyste des médias et du pouvoir est une sorte d'excitation permanente de l'ensemble de la sphère publique, et la projection des agissements d'un seul bonhomme sur une scène démésurément grande.

S'il reste quelque chose du gaullisme chez Sarkozy, c'est la démesure mythologique. Chez de Gaulle, si l'on veut, la mythologie était censée assurée la cohésion et la fièreté de la Nation. Chez Sarkozy, elle est autoréférentielle et ne sert que les intérêts de Sarkozy lui-même. Un narcissisme médiatique et euphorie communicationnelle qui, finalement, se sont même retournés contre l'Arroseur en Chef.

Même quand il est purement négatif, ce buzz assourdissant risque de noyer les opposants à Sarkozy. Le pari de François Hollande est de battre Sarkozy sans faire du Sarkozy. On lui reproche, Sarkozy le premier, de ne pas susciter une grande vague d'adhésion populaire. À gauche, seule Ségolène Royal pouvait rivaliser avec Sarkozy en termes de comm', de dimension mythologisante, d'adhésion populaire. Cette ligne-là, à gauche, comporte certains risques. De toute façon, François Hollande ne pouvait pas l'adopter. La passion anti-sarkozyste peut lui permettre d'en faire l'économie.

Refuser d'être comme Sarkozy pourrait être la meilleure réfutation du sarkozysme, et pourrait signifier que Sarkozy n'aurait été un accident de parcours, une erreur démocratique qui aura duré cinq ans mais qui n'aura pas de suite, la rencontre malheureuse des dérives mythologique de la Ve République et l'avalanche communicationnelle du XXIe siècle. Hollande, en président "normal" serait une manière de fermer la parenthèse.

2 avril 2012

Hollande, Mélenchon, utile, gauche...

La présidentialisme a peu à peu supprimer l'importance de toutes les autres élections, du moins sur le plan national. Voter, c'est voter pour un président. Point. Ou presque point. Et en même temps, il n'y a qu'un gagnant et quasiment aucune possibilité de partage entre des sensibilités. Nous sommes entre ces deux réalités, tant que personne n'aura le courage de modifier le système en lui rendant son caractère parlémentaire, et même en allant bien plus loin dans cette direction. (Et "une dose de proportionelle", même une dose de cheval, ne servira à rien tant que l'Assemblée Nationale ne servira à rien.)

Pour l'instant, il ne peut y avoir qu'un seul. Un seul homme. D'où cette tendance au culte du sur-homme, et ces exigences (contradictoires) de quelqu'un de "sympa". On peut espérer que l'ascension et le règne de Nicolas Sarkozy serviront aux constitutionalistes du futur comme contre-exemple absolu : comment faire pour éviter cela ?

En attendant cette lucidité future, malheureusement improbable et utopique, nous voilà collés avec ce système qui centralise tout sur le petit cerveau d'un seul bonhomme. Et le moment de le choisir est aussi l'unique moment où le peuple peut s'exprimer de façon significative. Que faire si par hasard aucun des deux candidats ne vous convient en tant véhicule pour ce que vous voulez dire au pays et au monde ?

La gauche est un ensemble assez hétérogène, idéologiquement parlant, sans doute pour des raisons idéologiques justement : esprit critique, non conformisme, liberté de pensée, refus des injustices. On peut être "de gauche" pour des raisons très diverses. Il y a des différences à droite aussi, mais, vu de l'extérieur du moins, elles paraissent moins essentielles, et plutôt une question de degré que des véritables lignes de fracture. Même les Front National, ou en tout cas ses idées, a finit par trouver sa place dans la grande famille de la droite. L'UMPéisation des esprits a achevé de gommer les différences entre les libéraux et les étatiste gaullisants. Sarkozy a réussi à transformer tout cela en bouilli et réduire la pensée politique à une question de niveau de décomplexitude (ou décomplexisance ?). Après tout, pourquoi finasser sur le sens du politique, quand la seule chose qui compte est de gagner une élection tous les cinq ans ?

À gauche, donc, c'est moins décomplexé et plus compliqué, et il on a plus envie de s'exprimer. Et on se retrouve à chaque fois devant cette question du vote "utile" : voter contre celui que l'on préfère afin d'assurer l'échec du candidat que l'on redoute. Je formule la chose négativement à dessein. C'est effectivement triste, cette invitation, parfois une obligation, à se défaire de sa seule chance de s'exprimer par une sorte de calcul au bénéfice d'un Parti Socialiste en qui on ne se reconnaît peut-etre plus, d'un Parti Socialiste qui en cinq ans n'a pas su rendre assez percutant, décisif, assez sexy en somme.

D'abord, je le dis, même si c'est triste, c'est la réalité des choses, la réalité de cette Ve République faite pour fabriquer des de Gaulle en carton-pâte, rendue, par la force du quinquennat, encore plus triste et encore plus cadenassée (quinquenadassée, j'aime dire). Ignorer cela, c'est tomber dans le piège d'un système qui, en 53 ans, n'a vu qu'un seul président de gauche, dans l'illusion de l'État comme véritable reflet démocratique du peuple. Plutôt que "vote utile", je dirais : "vote réaliste".

Car ensuite, on peut parler des mérites des candidats. Personnellement, j'ai passé la plus grande partie de ces cinq dernières années frustré par cuisine interne du PS, en espérant un renouveau qui serait, en autres, un renouveau en termes de communication et de message. Le PS s'est laissé bercer trop longtemps par les sondages favorables à DSK. Longtemps, Hollande et sa "présidence normale" faisaient sourire. Aujourd'hui, il semble qu'il n'avait pas tout à fait tort. Sur Hollande lui-même, sans la perspective du choix entre lui et Jean-Luc Mélenchon :

  1. Une présidence de Hollande, même si ce n'est pas un gauchiste pur et dur, serait beaucoup plus à gauche qu'un deuxième mandat de Sarkozy (qui n'aurait même plus peur de ne pas être réélu). Rien que pour le seul domaine de la justice, la différence serait énorme. Le reste du programme est intéressant aussi, et représente une énorme différence avec ce qui a été fait depuis 10 ans, et ce qui se ferait pendant 5 ans encore avec un Très Grand Homme (TGH) réélu.
  2. Hollande ne peut pas, ne pourrait pas se placer comme Mélenchon, car là, la machine UMP à dénigrer et à faire peur se mettrait en marche. On nous parlerait presque des chars Soviétiques sur le Champs-Elysées, la bave au lèvres.
  3. Mélenchon peut réussir sa campagne parce qu'il y a François Hollande à côté, pour nous rassurer sur l'issue.
  4. Enfin, c'est une bonne chose malgré tout que "le troisième homme" de cette élection soit à gauche, et pas à droite comme en 2007. Pour cela, nous pouvons remercier le talent de Mélenchon.

Votez comme vous voulez, mais pas à droite. Et n'oubliez pas que le premier tour de la présidentielle n'est pas une élection législative.