31 mai 2007

Image du pouvoir, version 0.3

Sarkozy et les siens introduisent le thème de la légitimité du pouvoir, et François Fillon saute dessus, tout en embrassant le cumul des mandats et en tout mélangeant, exécutif et législatif, la France et la Sarthe, etc. Tout cela, j'en ai déjà parlé.

Juste un mot, donc, pour dire que ce qui semble se préparer, c'est une idée de la démocratie où la bénédiction par les urnes confère un pouvoir qui ne doit pas rencontrer d'opposition. Le seul contre-pouvoir, dans la démocratie sarkozienne, c'est l'élection. La lutte politique, une fois que les postes sont distribués, c'est du mélodrame pour les nostalgiques de l'inefficacité de la IVe République, mais n'a rien à voir avec l'exercice du pouvoir.

Et puis, il y a un autre angle sur cette histoire qui me trottait dans la tête depuis un moment, mais que Guy Birenbaum vient de souligner avec beaucoup de force: derrière tout cela, il y a tout ce que les sarkozystes pensaient de Villepin (et de Chirac) mais n'osaient pas dire. Villepin l'inélu (et Chirac, le mal-élu).

Et pendant ce temps-là, à gauche...

Beaucoup de réflexions en ce moment sur le choix d'un leader de la gauche et du PS (ici et ici, pour commencer), surtout depuis que Sarkozy a tenté d'adouber Bertrand Delanoë, comme s'il n'y avait pas assez de problèmes de personnes au PS. Sans doute qu'il ne pourrait jamais y en avoir assez pour Sarkozy.

Je parlerai plus tard de la question Bayrou (j'ai plusieurs idées en tête que je n'ai pas mise dans le bon ordre), mais pour l'instant c'est peut-être plus urgent de regarder la compétition du PS avec lui-même.

François Mitterrand 2007 estime que Fabius ne peut plus être un candidat sérieux. Même si aujourd'hui il fait la morale aux ambitieux de son parti, ce n'est pour cacher le fait que c'est lui qui a largement contribué à diviser le PS en ne pas respectant le vote des militants sur la Consitution européenne. On reproche à François Hollande d'avoir cherché à étouffer les conflits internes en créant une unité de façade, mais c'est essentiellement Fabius qui est responsable de cette situation qui aurait pu (dû ?) mener à l'explosion du parti. Entre autres effets néfastes, la divergence de Fabius peut être vu maintenant comme le présage de, comment dire ?, une certaine "distance" prise par certains vis-à-vis de la victoire de Ségolène Royal à l'intérieur du PS.

Il est très difficile aujourd'hui de savoir si Hollande a eu raison de vouloir tout rabibocher pour la présidentielle, mais on peut facilement imaginer des scénarios catastrophes où les deux PS subissent des échecs bien plus lourds que celui de Ségolène Royal.

Quant à DSK, la stratégie de "disponibilité permanente" va finir par lui enlever toute allure de meneur de jeu, si ce n'est pas déjà fait. Être "disponible" n'est pas la posture de quelqu'un qui pourra devenir un chef, mais plutôt celle de quelqu'un qui espère devenir premier ministre. Et encore...

Ce qu'on oublie dans la discussion de ces personnages, c'est que désormais ce ne sera pas l'alignement politique qui va déterminer si l'un ou l'autre peut vaincre la sarkodroite. Il ne suffit pas de se dire social-démocrate et puis d'attendre que les électeurs qui eux-mêmes s'identifient comme social-démocrates viennent vous chercher. La victoire désormais n'appartiendra qu'à celui (ou celle!) qui sera capable de mobiliser un certain imaginaire, d'exister dans ce monde d'images superficielles qui est désormais le pays de merveilles habité par le seul Président de la République, ordonné par Suffrage Cosmique.

En d'autres termes, la politique ne pourra plus se conduire comme une guerre de position. Hésiter entre centre-gauche et gauche-centre, se redéfinir, comme Fabius, en antilibéral pour occuper un poste apparamment délaissé : ces stratégies, même si elles n'ont pas perdu absolumment toute pertinence ne suffiront plus pour imposer un candidat présidentiel. Ce sera désormais des guerres de mouvement, où, pour changer une nouvelle fois de métaphore, il faudra créer la demande plutôt que de simplement se conformer à elle. Et quand je parle de créer la demande, et que j'ai l'air d'être un spécialiste de marketing ou de force de vente, c'est parce que nous sommes dans l'ère de la publicité et de la communication. (Qu'on l'aime ou pas.)

Ainsi, des compétence requises pour être candidat (dans notre régime ultra-présidentiel), c'est celle de l'image qui est la plus importante. La sacrosancte "connaissance des dossiers" n'est en fait qu'un élément de plus dans le paraître : il faut avoir l'air de connaître les dossiers. Déjà les mesures proposées par l'ultra-compétent Sarkozy sont en train de se révéler impraticables ou inconstitutionnelles. Quelqu'un de véritablement compétent aurait prévu toutes ses objections, n'est-ce pas ? Ségolène Royal avait raison d'attaquer Nicolas Sarkozy sur ce terrain pendant le débat, même si l'attaque n'était pas si bien menée. Mais Sarkozy sait très bien comment avoir l'air de savoir de quoi il parle. C'est une question de communiquer par les images. La campagne de Ségolène Royal n'était pas parfaite de ce point de vue, mais il est clair qu'elle dispose de plusieurs longeurs d'avance sur ses rivaux actuels.

29 mai 2007

Modeste proposition

Puisqu'il est si vital que la jeunesse connaisse la lettre de Guy Môquet, pourquoi donner cette mission aux enseignants (qui sont, comme chacun le sait, des fonctionnaires), alors qu'il serait mille fois plus efficace de la confier à TF1

Le Monde, Colombani, Minc, Publicis, Bolloré, Sarkozy, Lagardère...

A lire absolument. Guy Birenbaum a posté l'entretien aux Inrocks avec Laurent Mauduit, ancien directeur adjoint de la rédaction au Monde.

Les relations entre le pouvoir, la presse, les très grandes entreprises, c'est ahurissant. Alain Minc apparaît comme étant au coeur de cette toile.

Et c'est Le Monde, même pas TF1.

28 mai 2007

Lagard'Elle: la paille ou la poutre ?

Un moment que l’idée me trotte dans la tête, que l’agacement, la petite gêne insistante à la lecture d’un magazine dont je fréquente régulièrement les pages depuis des années viennent chatouiller le désir de leur donner lieu d’expression. Oui, depuis la dernière campagne présidentielle, l’hebdomadaire Elle n’est insidieusement plus tout à fait le même, pour ceux ou celles que l’antipathie pour l’élu de la droite rend un peu plus sensibles que d’autres à la question. Après avoir, avant les primaires du PS, chanté un peu fort les louanges de Ségolène Royal, quelque chose s’est passé, difficile à cerner, dans le choix des sujets, les mots, le ton, le refus même de s’engager pour une femme et pour des idées sociales et humanitaires que le magazine a toujours eu – du moins le croit-on – pour mission de défendre. Depuis l’automne dernier, le duel Sarko-Sego est pourtant omniprésent dans les pages de Elle, cuisiné à des sauces variées selon les rubriques, Psycho (de la psycho-couple au jeu du test), Enquête, Humour, plusieurs éditoriaux, drôles ou sérieux, au point de fatiguer, ce dont le journal lui-même prend acte sous la plume d’Alix Girod de l’Ain pour s’en amuser d’un « je persiste et signe » blagueur.

Le journal n’a pas vocation politique et on ne lui contestera pas le droit de traiter le sujet avec une liberté absolue et de toutes les manières qu’il le souhaite. Seulement voilà, la liberté ne paraît pas si grande. Et le détachement si complet. La tendance à ramener les éditoriaux à de plaisantes platitudes décrivant (par exemple), selon un stéréotype bien installé, l’affrontement idéologique comme un sport où le meilleur l’emportera, l’absence, dans les dernières semaines, de prise de position véritable (ne serait-ce que sous couvert d’un « c’est mon opinion ») en faveur de la candidate, alors qu’il paraît difficile de croire qu’aucun membre de l’équipe de rédaction n’ait eu cette vocation ou ce désir (est-ce possible?), tout ceci est étrange. Elle n’est pas un lieu pour l’engagement? Il l’a été en d’autres occasions à de nombreuses reprises. Pas dans le débat pour l’élection à la présidence de la République française? Mais pour quelles raisons ce sujet seul recommanderait-il la discrétion? J’ai pu, c’est possible, manquer telle ou telle intervention dans tel ou tel numéro. En ce cas, j’aimerais qu’on me le signale pour me soulager d’un (petit?) poids. Il est vrai, certes, qu’aucune déclaration objective ne prête allégeance au leader de la droite au détriment de la représentante de la gauche. Pourtant, la complaisance à parler de Sarkozy est incontestable et son triomphe – puisque c’est en ces termes héroïques qu’il convient de parler de la présidence et de son prématuré succès d’estime – lui laisse définitivement une place que les semaines électorales– objectivité oblige – le contraignait à partager. Même s’il ne s’agissait que de tenir son rang dans le mouvement général des magazines à grand tirage dits populaires et bien oui, je le redis, Elle a changé.

Parcourant ce matin les premières pages du numéro de la semaine, la dernière paille – « the last straw » comme disent les anglophones – vient cette fois piquer plus que chatouiller le dos du chameau et me pousser à saisir mon clavier. Une paille, je dis, mais bien visible: quatre pages dans les pages d’info de l’hebdo composées habituellement de flash tendances et micro-actu pêle-mêle, quatre grandes pages suivies sur le style de Cecilia. Certes Elle, c’est la mode, les femmes, les vêtements. Mais quatre pages, alors que Ségolène Royal n’avait eu droit qu’à une malheureuse page chargée de décrypter « objectivement » une tenue, soin confié d’ailleurs, comme c’est bizarre, à l'une des journalistes auteurs de Femme Fatale, dont les éloges furent on ne peut plus mesurés. Il est vrai qu’il ne s’agissait pas de la « première dame de France ». Les pages consacrées à la femme du président, elles, sont résolument celles de zélatrices. Reprenant la mise en page habituellement réservée aux actrices et top models, celle de l’histoire d’un look au fil de photos choisies, Cecilia y est présentée comme la reine de la fidélité... à ses classiques et à sa coupe au carré (sans ironie aucune, et que la coupe soit visiblement très différente d’une photo à l’autre, sauf à n’avoir qu’une idée très vague de ce qu’est « une coupe », ne perturbe aucunement l’auteur de l’article, peu importe ce qu’on voit, seul importe ce qu’on dit), comme une élégante en pantalon, « l'anti-Ségo », qui « fait voir la vie autrement », comme « la victoire du cœur sur les carats ». De Jackie Kennedy, dont les photographies en regard ornent l’une des pages, (comparaison déjà devenue poncif et que le magazine ne se soucie même pas de renouveler), à la princesse des coeurs, on reste stupéfait devant tant d’enthousiasme et de lyrisme à un sou sans second degré lisible. Ou de vue basse. Allez, mauvaise langue (on n’est pas lectrice de Elle pour rien), on se console en se disant que si l’on cherchait la paille, c’est bien la poutre qui se trouvait dans l’oeil de nos chère rédactrices en cette fin de mai. Car elle fait pâle figure Cecilia à côté de Jackie O. On en rirait presque tant le contraste est flagrant. Ce n’est pas grave, direz-vous, rien de très consistant. Non, mais, il n’est pas de détail anodin dans cette orchestration des images et ce trafic de formules innocentes par les media les plus en vue. Je fais confiance à mon malaise. Et pour adopter la rhétorique politique à la mode, celle du bon sens près de chez vous, je dirai pour terminer cette histoire, qu’il n’y a jamais de fumée sans feu....de paille ou de poutre.

27 mai 2007

Le divin Président

Le discours de Nicolas Sarkozy à l'Hôtel de Ville de Paris est, à première vue simplement sentencieux et cérémonial, rempli de banalités pour faire passer le temps, tout en lançant un avertissement à Delanoë et au PS en général, le PS des municipalités et des régions qui garde encore un peu pouvoir. Toutefois, en regardant de plus près, le discours, malgré sont côté pompeux, contient un condensé du sarkozyzme qui nous attend.

Commençons l'explication de texte par cette phrase où le Président de la République explique pourquoi Paris est si central à la France, et pourquoi la décentralisation est si difficile:

Il y a dans la prééminence de Paris quelque chose qui ne dépend pas seulement de la volonté humaine mais qui est consubstantiel à la façon dont la France s'est construite.
Dans l'interprétation « laïque », la signification de la phrase pourrait être :la « prééminence de Paris » est une réalité historique, culturelle, et sociale difficile à modifier avec les outils dont dispose un Etat moderne. En filigrane, on pourrait même penser que cela veut dire que le gouvernement Sarkozy ne va pas s'acharner à transférer des compétences aux régions gouvernées par la gauche.

Mais pour dire cela, est-il besoin de parler des limites de « la volonté humaine » et de la consubstantialité entre la réalité de la France et le « génie » de son histoire ? Une seconde lecture se superpose à la première, que l'on pourrait résumer, sans vraiment exagérer, par : la prééminence de Paris fait partie du Mystère de la France et de sa Destinée Sacrée. La décentralisation et le transfert de compétences aux régions se heurte donc à la volonté Divine qui a fait que la France est ce qu'elle est aujourd'hui. Car ce « je ne sais quoi » qui échappe à la « volonté humaine » est justement « consubstantiel » à la France elle-même.

Ainsi, Sarkozy peut se réaffirmer dans son rôle de guide spirituel du pays :

Et quand on préside aux destinées de la France, on se doit de connaître l'histoire de France.
Je ne sais pas pourquoi il se sent obligé de nous dire qu'il connaît bien son histoire, ou en tout cas qu'il devrait la connaître... cela doit faire partie des grandes responsabilités morales qui vous tombent dessus, par révélation, quand vous devenez président. « Présider aux destinées de la France » pourrait être, je suppose, une expression assez banale pour un chef d'état, s'il n'y avait pas ce contexte religieux (déjà développé depuis au moins la campagne présidentielle) où le Président se replace encore une fois devant ses devoirs :
C'est pour moi une obligation, mais il faut comprendre, c'est une obligation morale, ce n'est pas seulement une obligation politique.
C'est moral parce qu'il est, en tant que berger du peuple, responsable de cette grande Destinée. Et, très logiquement, c'est tout à fait immoral de s'opposer à ce que veut le Berger de l'Etat et du Peuple.

Encore une fois, tout cela n'est pas théologique ou relgieux, à proprement parler, sauf si l'on reconnaît que Sarkozy cherche à appuyer son pouvoir sur une sorte de « religion révélée de l'Etat ». C'est cela qui me surprend constamment dans les discours de Sarkozy et qui, il me semble, n'a pas été souvent relevé par les commentateurs.

Il y a pourtant une finalité politique à ce jeu, car le Président Sarkozy qui se permet de participer aux meetings de son parti politique, annonce qu'il sera, par l'obligation morale que je viens de citer, intraitable avec les « jeux politiciens ».

Alors même que les Français attendent autant de la politique comme ils l'ont montré en votant massivement aux élections présidentielles, rien ne serait pire que le sectarisme et que l'intolérance. C'est toute la France qui s'est rendue aux urnes lors de la dernière élection présidentielle.

Quant à moi, je n'ai pas l'intention de céder, ni au sectarisme, ni à l'esprit de clan, ni à l'intolérance. Je vais continuer à tendre la main à toutes les femmes et à tous les hommes de bonne volonté qui aiment leur pays et qui veulent le servir.
Toute opposition politique revient à s'opposer aux devoirs moraux du Président, et est donc immoral. En revanche, Sarkozy, en tendant la main « à toutes les femmes et à tous les hommes de bonne volonté » n'a rien à faire que vous soyez de gauche ou de droite, à condition que vous l'acceptiez comme sauveur de la France et que vous vous mettiez de son bord politique.

Ainsi, tout est relié très proprement. La hauteur de la fonction, qu'il avait songé à « habiter » en s'enfermant dans un monastère (mais en choisissant plutôt le yacht...), l'immense poids de la responsabilité morale qui lui incombe, servent à l'élever au-dessus de la politique. L'ouverture à gauche de son gouvernement coïncide avec cet effacement des contours politiques. S'opposer à Sarkozy serait alors s'opposer à cette grande force mystico-patriotique incarnée par l'ancien maire de Neuilly.

Silence blog

Ces derniers temps je me levais trop dur et je travaillais trop tôt. Conséquence : pas de posts. Maintenant ça repart.

25 mai 2007

C'est la voiture d'occasion qu'il vous faut

Il semblerait que Lagardère n'a pas encore pris le contrôle au Monde, qui révèle que, exactement comme les mauvais esprits (comme moi) avaient deviné, mais sans disposer des chiffres pour le prouver, la baisse des droits de succession proposée par Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de tous les Français, à tour de rôle, en fait, ne bénéficiera qu'aux riches.

Ce printemps, avant le premier tour, je suis tombé sur un numéro de Femme actuelle où Sarkozy avait rencontré un groupe de lectrices. (Tout cela est par mémoire, car je n'ai pas les références. Mes excuses à Femme actuelle.) L'une d'entr'elles lui pose la question des loyers trop chers. Une question qui aurait dû aller dans le sens de Ségolène Royal et l'idée de la « vie chère ». Sarkozy, très habilement, profite de la question pour parler des droits de succession. C'est une stratégie imbattable : dans un premier temps on fait appel au bon sens : « payer des droits de succession, c'est pénible, Sarko va m'aider. » Si jamais quelqu'un va réfuter l'argument, la réponse sera trop tard, et surtout trop technique, pour entamer la bonne volonté initialement acquise.

Bien sûr, Sarkozy n'a pas inventé ce système pour berner les électeurs, mais j'ai dû constater (une nouvelle fois) qu'il était très habile, très en phase avec le « bon sens des gens », et en même temps cynique.

24 mai 2007

La légitimité du pouvoir à la sauce Fillon

En promettant de virer de son gouvernement tout ministre battu aux législatives, François Fillon voudrait renforcer, une nouvelle fois, la légitimité démocratique du gouvernement Sarkozy. Cette rengaine de la légitimité démocratique revient avec une telle régularité qu'on ne peut pas ne pas la trouver louche.

Je sais qu'en principe la droite française est une droite républicaine, très attachée aux valeurs démocratiques, etc. etc. Cependant, on ne les a pas entendus protester quand ils étaient les bénéficiaires de la réélection de Jacques Chirac à 80 pour cent des voix, et de sa décision de prendre son élection pour une validation des politiques menées jusqu'alors.

Il y a forcément quelque chose derrière cette recherche de légitimité. Qui, bien entendu, ne commence pas avec Fillon. Ce thème est largement présent, aussi, chez le Sarkozy de la campagne présidentielle.

La nouvelle variante, de l'obligation de resultat pour les ministres-députés, fait donc du cumul de mandats le signe de la démocratie, alors que c'est bien sûr le signe d'un resserrement du pouvoir entre les mains d'une classe politique plutôt réduite, ainsi qu'une confusion démocratique de plus qui brouille les distinctions entre les différents niveaux de l'Etat. (J'avais oublié celle-là.)

Surtout, en faisant l'élection dans une seule circonscription la preuve d'une légitimité nationale, Fillon s'appuie sur une image de démocratie, plutôt que sur une réalité démocratique. Pourquoi les électeurs de la Sarthe auraient-ils le privilège de choisir le Premier Ministre de la France tout entière ? Et cette tentative de nous servir l'image de la chose plutôt que la chose elle-même va évidemment fonctionner parfaitement. Ce sont des paroles vides qui serviront, effectivement, à renforcer cette perception de légitimité. Sauf si la France acquérait, soudain, un esprit critique qu'elle semble avoir perdu.

UPDATE: Rali en parle aussi.

On en a pour 10 ans

Très bon résumé de la situation dans un article chez Betapolitique.

L'UMP, c'est vous

Olivier Bonnet remarque la phrase de François Fillon, à propos de la participation du chef de l'état, Lider Numéro Uno, Monsieur Nicolas Sarkozy, au grand meeting de l'UMP:

"Nicolas Sarkozy est un homme politique, il a besoin de ce contact avec les militants de sa famille politique, avec les Français", a déclaré le Premier ministre François Fillon, pour expliquer la participation présidentielle à un "grand meeting" de campagne pour les législatives, annoncée hier par ses soins. Formidable contradiction dans cette phrase : contact avec les militants de sa famille politique ou avec les Français ?
Olivier Bonnet insiste ensuite sur le fait que les 19 millions d'électeurs qui ont voté Sarkozy n'est pas la même chose que l'intégralité des Français.

Il est important, en effet, de signaler ce genre de confusion, qui relève de ce dont je parlais hier soir. L'équation entre les militants UMP et "les Français" s'inscrit dans la série des suppressions de distinctions entre le pouvoir et le parti, le parti et la société, qui nous mènent vers une suppression du politique. Finalement, l'UMP, c'est la France. Finalement, TF1, c'est l'Etat. Finalement, il n'y a pas d'opposition.

23 mai 2007

L'image du pouvoir, version 0.2

Le pouvoir sarkozien sera unifié. C'est-à-dire que les distinctions sur lesquelles sont fondées l'état de droit (mais pas l'Etat de Droite, apparamment) vont progressivement s'éffriter. Et c'est déjà parti : confusion entre le rôle du président et celui du premier ministre, entre les pouvoirs de l'Elysée et ceux du gouvernement et des ministères (Conseil National de Sécurité, centralisation de la police), confusion entre l'Etat et les grandes entreprises (le yacht de Bolloré, l'intervention d'Arnaud Lagardère au JDD), confusion entre l'Etat et l'UMP (lire le billet d'Olivier Bonnet), confusion entre le pouvoir et la presse (le JDD encore, mais surtout les récents passages de différentes personnes entre les deux camps), confusion des responsabilités des administrations avec un découpage ministériel inédit, et même confusion entre la droite et la gauche avec un gouvernement d'"ouverture" qui brouille les cartes (et la perception populaire de l'action gouvernmentale) encore plus.

Dans les premiers jours après l'élection, je voyais plutôt un univers complétement Sarkocentrique, où tout s'organisait autour d'un seul homme. Evidemment, il ne faut pas abandonner cette image. Aujourd'hui, les nouvelles nominations dans la Police confirment cette tendance. Mais à cette image-là, il faut ajouter celle d'un bloc de pouvoir qui s'étend à tous les aspects de la vie publique. Sarkozy sera dans tout, et tout se ramenera à Sarkozy.

La démocratie et l'état de droit se définissent par un ensemble de frontières, comme celles qui resteignent le pouvoir de l'exécutif, mais aussi toutes celles que j'ai nommées plus haut. Pour l'instant, je n'ai encore rien lu sur la politique judiciaire qui sera celle de la nouvelle Garde des Sceaux. Dans la campagne, c'était plutôt Ségolène Royal qui insistait sur l'Etat impartial. Plus encore, ces frontières, ces limites claires et nettes sont celles sur lesquelles on peut s'accrocher pour s'opposer. Dans le monde qui se prépare, j'ai l'impression qu'il n'y aura pas véritablement d'opposition. Les opposants seront marginalisés, comme ceux qui n'arrivent pas à passer le portier de la boîte de nuit, et le bon peuple n'aura pas à être importuné par eux.

22 mai 2007

Vous avez aimé...

...les journalistes qui travaillent désormais chez Sarkozy ?

vous allez adorer le directeur adjoint de la campagne de Sarkozy à la direction de TF1 !

A ce stade, pourquoi faire semblant de maintenir les distinctions entre Lagardère-Bouyges-l'UMP-la République Française ?

El Mondo

Rue89 suit les derniers événements au Monde, notamment la défaite de Colombani aux élections internes.

La situation financière du Monde, dans un autre papier chez Rue89, paraît complexe et fragile. Surtout, il y a un risque que l'influence d'Arnaud Lagardère se renforce.

L'annexe

Chez LCI, on est forts... ou du moins malins et têtus.

Pour preuve, un bref article sur des propos de Ségolène Royal intitulé: L'hommage intéressé de Royal à Sarkozy. Bizarre, se dit-on naïvement, qu'est-ce qu'elle fabrique, Ségolène...?

Si on prend la peine de lire l'article, on comprend très vite le propos pourtant très clair de Royal:

"Des propositions de mon pacte présidentiel contestées par Nicolas Sarkozy sont aujourd'hui dans un projet de loi comme le revenu de solidarité actif ou l'éco-développement".
Le titre logique aurait été plutôt "Sarko rend hommage à Ségo...".

L'inversion des noms dans le titre de l'article, et l'ajout du qualificatif "intéressé" sont là pour prolonger cette image d'une femme qui change d'avis facilement, qui se plie aux circonstances de façon calculatrice.

On sait que LCI est "l'annexe" de l'UMP. Il faut que ce soit constamment signalé.

UPDATE: oooops! je n'ai pas mis la bonne citation, même si celle-là n'est pas mal, voici celle dont je voulais parler:

Ce projet se met en place avec la personnalité avec laquelle j'ai travaillé sur ce sujet pendant la campagne présidentielle. C'est un hommage en quelque sorte qui est rendu à bien des volets de mon pacte présidentiel"
Voilà pour le mot "hommage". Le reste est pareil.

Tout l'UMP court

Dans mon souvenir, c'est à Jimmy Carter que l'on doit l'image du président-joggeur:

Les présidents Clinton (qui a même fait un tour à Paris lors de sa visite en 1997) et Bush Jr. ont confirmé la tendance. Mais chez nous, pouvoir et jogging sont devenus des enjeux politiques depuis l'inoubliable séquence 100% UMP à la Baule en 2005:

On se souvient de la dernière université d’été de l’UMP à La Baule, où le duo Villepin-Sarkozy a tenu la vedette, fomentant plus d’un climax. L’épisode dit du jogging est de ce point vue éloquent dans le processus iconologique. Villepin invite Sarkozy à un jogging au petit matin sur la plage. Ce dernier y répond d’abord favorablement, puis se rétracte sous les conseils de ses proches, lui suggérant que l’image présentant un athlétique Villepin à ses côtés irait à son désavantage.

Le président de l’UMP invoque alors une maladie diplomatique, mais accepte de prendre le petit déjeuner avec le Premier ministre au terme de ses exercices matinaux. L’« événement » filmé par une kyrielle de caméras montre alors un Nicolas Sarkozy visiblement affecté devant le spectacle d’un Dominique de Villepin sortant de l’onde, courant sur la plage entouré d’une nué de journalistes. Avantage : Villepin.

Beaucoup de commentaires sur notre joggeur national (ici et ici pour commencer).

C'est bien sûr, comme beaucoup l'ont déjà dit, une manière d'envahir l'espace médiatique, d'exister chaque jour.

En s'affichant ainsi en jogging avec son nouveau premier ministre, Sarkozy insiste, je trouve, un peu lourdement sur la chose. (Il fallait sans doute réparer l'insulte de La Baule.) Normalement, pour être efficaces en termes d'image, les entraînements des chefs d'états doivent apparaître comme très spontanés, sans arrière pensée.

Courir avec son premier ministre est certes très Ve République, et cette nécessité de montrer les numéros un et deux de l'Etat en train de faire du sport ensemble est une bonne démonstration de l'invasion de l'image dans le fonctionnement même du gouvernement. Je veux dire : désormais, les relations politiques, relations très sérieuses, doivent trouver une expression en image. Je suis sûr que l'exercice du pouvoir sarkozien suivra fidèlement le principe de ce mélange permanent d'un Sarkozy "people" et un Sarkozy qui « habite sa fonction ».

Toujours entre le yacht et le monastère...

Je n'ai pas le temps de poursuivre la réflexion aujourd'hui, mais il y a aussi quelque chose à explorer du côté de cette culture du corps. On y reviendra.

21 mai 2007

Point presse

Les relations entre notre nouveau Leader Numéro One et la presse font déjà beaucoup de bruit, et c'est tant mieux. J'ai déjà parlé de l'episode de Cecilia l'abstentioniste, qui sera emblématique de la situation, car il a permis une narration où l'Argent (joué par Arnaud Lagardère) décroche vraiment son téléphone.

Un autre épisode, qui a fait un moins de bruit est raconté par Rue89. Selon cette information, la chaîne LCI (c'est-à-dire TF1) aurait annulé sa collaboration avec Le Monde sur l'émission, Le Monde des idées, à cause d'un papier dans le journal rapportant les propos anonyme d'un sarkozyste quittant les studios d'Europe 1 :

'Je file à LCI', lance dans les couloirs l'un des invités. 'Je fais les deux annexes de l'UMP.
Et Guy Birenbaum a quelques informations supplémentaires qui exposent un peu plus les ficelles.

Et depuis quelques jours, on parle beaucoup des nominations des journalistes Cathérine Pégard du Point à l'Elysée et Myriam Lévy du Figaro à Matignon. Connaissant les orientations politiques de ses deux publications, on ne peut pas être véritablement surpris, même si l'esprit d'ouverture de Nicolas Sarkozy aurait dû évidemment le conduire à débaucher plutôt des journalistes chez Libé ou L'Huma.

Dans son numéro du 19 mai, Le Monde consacre à la question un assez long article. Je me suis dit, "Ah, enfin un mot critique sur le copinage entre le pouvoir et les médias." Les trois vaillants journalistes, Guillaume Fraissard, Sylvie Kervel et Daniel Psenny, vont même jusqu'à citer la réaction du blogosphère, dont ils disent que c'est là où l'on trouve les réactions les plus sévères. Cependant, ils ne fréquent pas la même "blogosphère" que moi, apparamment, car ils ne citent qu'une réaction assez tiède sur un forum du Point, et un autre, défendant les journalistes portant désormais les couleurs de l'UMP, sur le site du Monde. Je cite, tellement c'est tiède et à côté de la plaque:

Un président conseillé par des journalistes, c'est logique. Car, depuis quelques années, on a constaté qu'il y avait un microcosme politique-affaires-média et il est naturel que des circulent d'une place à l'autre dans ce petit cercle.
Je rêve. Les dominés (de l'information) se félicitant de l'imbrication des médias et du pouvoir.

Mais il n'y a pas que les participants aux forums du Monde pour défendre les consoeurs sarkoziennes. L'article n'a d'autre but que d'excuser Pégard et Lévy en citant tous ceux qui sont passés du journalisme au pouvoir depuis des décénnies. En somme, c'est normal que quelqu'un qui suit la politique décide d'en faire. Dans un entretien avec le sociologue Jean-Marie Charron, on apprend que cela date de la Révolution française, et que Jaurès a fondé L'Humanité (dont l'objectivité journalistique n'a jamais une seule fois était questionnée, comme on sait), alors qu'il était député.

Circulez, il n'y a rien à voir ! C'est décevant, vu que le journal a pris la peine de traiter cette histoire, qu'il n'ait cherché qu'à l'enterrer. Qu'il y ait eu, "depuis la Révolution française", des passages entre la presse et le pouvoir n'excuse pas ce genre de connivence. La question n'est pas de savoir si les journalistes font des bons hommes-ou-femmes politiques, mais de savoir ce qu'on écrit lorsqu'on travaille pour le Point ou le Figaro, ou chez LCI, ou Europe 1, et que, dans quelques mois on va passer de l'autre côté. L'article du Monde énonce, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde : "A force de suivre au polus près les politiques, des journalistes finissent par épouser leurs idées", mais ne se demande pas, incroyablement je trouve, quelle influence cela exerce sur leurs productions journalistiques. Ce n'est malheureusement pas si étonnant, car typique de la résistance très molle, voire la passivité du journal devant les excès sarkozistes.

Car le problème au fond n'est pas que deux journalistes politiques décident d'entrer dans la bataille. Elles font ce qu'elles veulent, après tout. Mais pour chaque Catherine Pégard et chaque Myriam Lévy, qui franchissent carrément la séparation entre presse et pouvoir, combien y a-t-il de journalistes semblables qui ne sont pas tout à fait aussi bien connectés, ou qui pour diverses raisons décident de maintenir ce qu'on doit finir par appeler leur "couverture" journalistique.

Comme pour Cécilia, Lagardère et le JDD, cette histoire n'est que le signe d'un problème sous-jacent beaucoup plus difficile à cerner, à monter en épingle. L'influence du pouvoir et de l'argent sur les médias est d'habitude plus souterraine, et donc plus dangeureuse. C'est pour cela qu'il faut une autre sorte de vigilance, comme dans le compte-rendu télévisuel que nous donne Sauce. Il n'y a rien de véritablement repréhensible dans aucun acte ou parole précis, mais la somme des orientations et présupposés finit pas donner au terrain de jeu une pente artificielle et néfaste.

19 mai 2007

Le culte de la compétence

Un article déjà ancien (le 23 février, la préhistoire, quoi) sur Betapolitique, où Roman Pigenel comment l'intervention des "Spartacus" contre Ségolène Royal. Pour R. Pigenel, cette intervention réveillait plusieurs fantasmes politiques chère à la gauche, mais qui à mon avis concernent une bonne partie de l'électorat :

  • 4) le culte de la compétence technocratique

  • (5) le rêve naïf du super-gouvernement d’union sacrée (antécédents historiques glorieux : Première guerre mondiale, gouvernement de la Résistance, plus récemment Allemagne de Merckel), rassemblant tous les « meilleurs » et relevant d’une arithmétique naïve (compétence de droite + compétence de gauche = deux fois plus de compétence). Largement de quoi faire frémir dans les chaumières … et doper les ventes des quotidiens.

J'inclus ici le premier juste pour rappeler à quel point ce meme de la compétence n'était pas un thème de campagne banal, mais plutôt un piège que la gauche s'est tendu pour elle-même, sachant qu'elle devait affronter l'ultra-compétent Sarkozy, ancien ministre des finances, de l'intérieur, et de l'impact médiatique.

Mais surtout, c'est le deuxième point qui me semble intéressant pour juger le supposé élan d'ouverture du gouvernement Sarkozy (il vaut mieux dire cela, plutôt que "gouvernement Fillon"). L'idée, souvent mise en avant par François Bayrou, d'ailleurs, que pour bien gouverner il suffit de prendre, un peu partout, le "plus compétents", signifie la fin de la politique. On revient à l'entretien d'embauche comme modèle démocratique. Tout le monde a raillé, à un moment ou à un autre, la Pensée Unique. Le culte de la compétence, c'est la Pensée Unique érigée en modèle politique, ou plutôt en remplacement de la Pensée Politique.

Même avec François Bayrou, un tel système, qui supprime les différences droite/gauche, aurait laissé un pouvoir (politique) énorme au président, étant celui qui décide qui est compétent, et, de façon finalement dissimulée, ce qu'on doit faire avec toutes ces compétences (question politique à nouveau, mais dont il ne faut rien dire).

Avec Sarkozy, c'est pire.

Deux thèmes possibles pour les législatives

  1. Contre le vérrouillage du pouvoir

    La gauche, de même que les Bayroutistes, peuvent prolonger leurs arguments développés pendant la campagne présidentielle, en faveur des contre-pouvoirs. Il ne me semble pas très difficile de dénoncer "l'ouverture" du gouvernement de Sarkozy, et encore moins de faire peur (oui, j'ai dit peur : c'est une élection, il faut essayer de gagner, et en plus, j'ai moi-même peur, alors ce n'est même pas hypocrite...) justement face à cette grande machine politique. Le yacht de Bolloré pourrait être très utile. Mais essentiellement, le message doit être qu'il faut une présence à l'Assemblée pour des contradicteurs.

  2. Pour les libertés individuelles

    La gauche doit occuper ce terrain. Sarkozy doit être associé au fichage génétique et au flicage en général. La gauche, le PS, peut très bien se présenter comme garant de ces libertés pendant le règne de Sarkozy.

A lire

Un post très important, à lire chez Guy Birenbaum.

Du cumul des mandats comme socle de la démocratie

François Fillon sera candidat à l'Assemblée Nationale, car : «le chef du gouvernement doit faire confirmer sa légitimité par le suffrage universel.» (Libération).

Il y a quelque chose de sarkozyste dans cette façon de s'exprimer sur le pouvoir. Notamment ce mot de légitimité qui revient encore.

Quand on décrypte la publicité, en général les points sur lesquels le publicitaire insiste le plus sont les points faibles du produit. On dit que quelque chose est nouveau justement quand c'est la même lessive que l'on vend depuis des années. Sarkozy comme candidat de la "rupture" en est un très bon exemple. Mais cette façon d'insister sur la légitimité est un peu plus complexe. Car, en réalité, personne ne dispute la légitimité du Président Sarkozy, ni celle de son gouvernement. Il a gagné l'élection, c'est bien lui le président. Il y a sûrement un élément dans les profondeurs du psyché présidentiel qui fait que Nicolas ne se sentira jamais tout à fait "à la hauteur", ce même élément qui le pousse à s'entourer d'hommes armés, mais je pense que cette fois l'explication est plus politique que psychologique.

La légitimité dont il s'agit, légitimité démocratique, ne peut qu'être celle qui justifiera des futures applications du pouvoir qui, elles, ne seront pas perçues comme étant démocratiques.

Il ne faut pas oublier que Sarkozy fut élu en promettant de restaurer l'Autorité. Voici ce qu'il a dit le soir de son triomphe :

Je veux réhabiliter le travail, l'autorité, la morale, le respect, le mérite. Je veux remettre à l'honneur la nation et l'identité nationale. Je veux rendre aux Français la fierté d'être Français. Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres.
Pour l'instant, les mots "ouverture" et "légitimité" ont la vedette, mais on peut être certain que "autorité" n'est pas si loin que cela.

18 mai 2007

Images d'une gauche décalée

Libération publie quelques remarques intéressantes par Dominique Reynié, prof à Sciences-Po Paris, notamment sur comment Nicolas Sarkozy est en train de dominer complétement l'espace politique et médiatique :

Il captive et risque pendant quelque temps de confisquer à son profit tout l’espace politique. Le PS et Bayrou peuvent soit s’opposer et comme rien n’a encore été fait ni ne le sera vraiment avant les législatives, ce sera considéré comme mécanique ou de mauvaise foi, soit chercher eux aussi à mettre en œuvre cette modernité et ce renouvellement mais là, ils n’ont plus vraiment de cartes dans leur jeu. La seule, finalement, pour la gauche, c’est de mettre en avant Ségolène Royale, la femme candidate.

Ce n'est vraiment pas le moment pour les éléphants du PS à jouer à leurs jeux. Débattre pour savoir quelles lignes sont nouvelles ou anciennes ne leur servira à rien. Curieusement, on se retrouve presque exactement dans la même position qu'à dix mois de l'élection présidentielle, où seule Ségolène Royal est capable de rivaliser avec Sarkozy en termes d'image.

Quand comprendront-ils que c'est l'image qui compte pour moitié, pour 70%, pour... ?

Gouvernment de parade ?

Sarkozy sort son nouveau gouvnernement qui, somme toute, confirme les tendances déjà dessinées depuis au moins quelques jours. Pour l'instant, ce gouvernement ne m'intéresse pas.

Quelques remarques de détail, cependant : est-il significatif que l'ancien Ministère de l'Intérieur est devenu celui de la "Sécurité intérieure" ? La séparation instaurée entre le Ministère de l'Education Nationale et celui de la Recherche et l'Enseignement supérieur est curieuse aussi : une manière de protéger le dossier Recherche des affres de l'Education Nationale ? Darcos le lettré pour affronter les profs, et la fidèle Pécresse pour la plus juteuse Recherche ?

L'état, c'est lui

Sur Betapolitique, on trouve un autre article intéressant qui posent quelques questions intéressantes sur la stratégie dite "d'ouverture" du Président Sarkozy. Sur le fond, l'auteur, Christian Sautter, rejoint un peu ce que je disais l'autre jour à propos de l'entrée qui maintenant paraît certaine de Bernard Kouchner au gouvernement.

Là où cela devient intéressant, c'est dans la réflexion sur le rôle du gouvernement que cela implique.

Il est pour le moins étrange, dans une démocratie parlementaire, de constituer son gouvernement en picorant sur tous les bancs de l’Assemblée. Les gouvernements d’union nationale sont l’exception dans notre pays et ne surgissent que dans les périodes de conflit mondial. Personne ne croit que flatter l’ambitieuse faiblesse d’une éminence du Parti socialiste amènera celui-ci à soutenir les projets du Président. Je vois donc, dans cette communication bien orchestrée sur le recrutement de ministres de gauche, soit une opération de désinformation, qui se dissipera d’ici à fin de la semaine avec l’annonce du nouveau gouvernement, soit l’aveu que le gouvernement n’aura pas grande importance dans la nouvelle direction de notre pays.

Ainsi, pour quelqu'un comme Kouchner, mais aussi, finalement, tous les membres du gouvernment Fillon, y compris ce dernier, d'ailleurs, la question de la légitimité électorale ne se posera pas, ou peu, car la marge de manoeuvre politique sera très limitée.

Christian Sautter évoque également la création du futur Conseil National de Sécurité qui serait, selon le Figaro :

UNE VRAIE structure pour con­seiller le président de la République sur les questions diplomatiques et de sécurité, un peu comme à la Mai­son-Blanche, avec le National Security Council (NSC). Cela fait des années que l'idée de créer à l'Élysée un Conseil national de sécurité se promène dans les cerveaux, à droite comme à gauche d'ail­leurs. Mais cette fois-ci, l'affaire semble sérieuse. Nicolas Sarkozy l'a annoncé comme candidat. Et il semble que le nouveau chef de l'État soit décidé à créer ce « NSC à la française », outil collant bien avec sa philosophie de l'exercice du pouvoir présidentiel.
L'idée est apparamment de réorganiser des renseignements intérieurs, en créant
une Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) coiffant, RG, DST et SDAT, devrait donc voir le jour. Tout serait réorganisé en fonction des missions : antiterrorisme, contre-ingérence, intelligence économique, suivi des phénomènes so­ciaux et de quartier... (Figaro )
mais aussi de tout chapeauter avec une coordination des divers services tournés vers l'étranger : armées, renseignements, diplomatie.

Bref, Sarkozy semble déterminé de maintenir ses habitudes sécuritaires acquises pendant ses années à l'Intérieur, comme par exemple son équipe de sécurité renforcée, même au risque de fâcher la Gendarmerie, et de se créer des accès comparables aux ministères de la Défense et des Affaires Etrangères, lui donnant, effectivement, la possiblité de court-circuiter les ministres concernés, et surtout un accès très direct aux différents services de renseignements.

A cela, il faut ajouter son traitement de l'UMP. Les fidèles s'énvervent de ne pas avoir leur part de soupe, et le Président ne veut pas que l'UMP ait un chef unique. Rali écrit à ce sujet :

Et comme dans les dictatures africaines, il refuse de laisser la présidence du parti unique de la droite, l’UMP, à un individu. Il souhaite qu’il y ait une direction collégiale avec des caniches (sic) qui obéiront au doigt et à l’oeil au président des français. Aurait-il peur de l’émergence d’un renouveau à l’UMP? de l’émergence de sang neuf ?
Comme pour la protection rapprochée, cette mesure paraît légèrement paranoïaque. En tout cas Sarkozy agit très vite pour assembler un système de pouvoir centré autour de lui, quitte à prendre le prérogatives des autres branches de l'Etat s'il le faut.

La stratégie Kouchner est bien sûr censée renforcer l'UMP pour les législatives, en supprimant au passage une partie des arguments de François Bayrou, déjà en posture difficile. Mais plus profondément, c'est le signe de l'affaiblissement du gouvernement lui-même, et un signe dirigé vers l'UMP, qui ne doit pas se montrer gourmand.

J'ai ce soir le sentiment que Sarkozy va pousser cette Vème République et son régime présidentiel jusqu'aux limites de la démocratie. Sans vouloir le diaboliser, bien sûr.

17 mai 2007

Fillon (mort de rire)

Passation des pouvoirs, dans l'allocution du nouveau premier ministre:

Dans un monde de six milliards d'êtres humains, les 60 millions de Français doivent rester unis.

Sans parler de tout ce que cette phrase laisse sous entendre de xénophobe, ne trouvez-vous pas que c'est tout simplement débile ?

Des seniors et du vote rationnel

Chez Betapolitique, Thomas Milou s'intérroge sur la signification du vote des "seniors" dans l'élection présidentielle:

Si leur vote ne s’était pas distingué de celui du reste de la population, Ségolène Royal aurait emporté l’élection avec 52% des voix. Au sein de cette classe d’âge, les quelque 7 millions d’électeurs de plus de 70 ans ont joué un rôle considérable dans l’issue du scrutin puisque 68% d’entre eux ont choisi Nicolas Sarkozy.

Il y a là un paradoxe pour le moins étonnant si l’on songe que Sarkozy a axé une bonne partie de sa campagne présidentielle sur le changement, la jeunesse et le dynamisme. Paradoxe aussi lorsque l’on songe que l’un des thèmes favoris de sa campagne était celui des heures supplémentaires et de la « revalorisation du travail » et que ce sont finalement… les retraités qui ont adhéré à ce projet !

Sans du tout remettre en cause ce très bon article, je vois une autre leçon dans ce paradoxe qui n'en est pas un.

Le vote des seniors n'est un paradoxe que si on suppose que les électeurs votent toujours selon leurs propres intérêts. Quoi, nos vieux ont voté Sarkozy par altruisme ? Pour nous sauver de nos erreurs de jugement ? Non : les électeurs ne sont pas altruistes non plus. Simplement, vieux et jeunes, ils ne sont pas capables de juger de leur propre intérêt, et encore moins de calculer l'effet de tel ou tel programme sur leurs intérêts.

On sait bien, tous, pour l'avoir expérimenté dans nos entourages. Les choix des électeurs sont très rarement fondés sur des informations ou des analyses concrètes, mais sur des impressions qui riment plus ou moins avec ce que l'électeur en question trouve qui ne va pas dans la société, ou qui lui fait peur, etc. Et c'est là presque le meilleur des cas. Encore plus souvent, dans mon expérience en tout cas, le choix est presqu'exclusivement affectif. C'est là où le machisme fait son entrée discrète sur la scène. Pas un machisme rationnel, mais ce machisme qui fait qu'on dit : "Ségolène Royal, je ne la supporte pas".

(Thomas Milou souligne, d'ailleurs, est c'est très intéressant, que c'est chez les seniors, et surtout les "seniores", que l'idée même d'une femme présidente a rencontré le plus de résistance.)

La théorie politique serait beaucoup plus simple si l'on pouvait compter sur les électeurs d'être lucides et rationnels. Le plan Alzheimer proposé par Nicolas Sarkozy, même s'il y avait une possibilité que la contribution française à la recherche sur cette question porte des fruits tangibles, ne concerne pas en réalité nos vieux d'aujourd'hui, mais plutôt les générations suivantes quand elles arriveront à l'âge des victimes de la maladie. Ce n'est pas pour cela que cette mesure pouvait porter chez les seniors, toutefois, mais plutôt pour des raisons affectives : parler l'Alzheimer, c'était envoyer un signe vers ces électeurs-là, reconnaître quelque chose qui leur fait peur.

L'effacicité politique exige ce type de communication, où la réalité est symbolisée dans le discours politique. Un "projet" n'est pas choisi parce qu'il sera véritablement efficace, mais parce qu'il paraît efficace. Ségolène Royal semble avoir compris que le discours de gauche devait être plus symbolique qu'économique, mais ce discours symbolique était insuffisamment développé. Pour cela il faudra du temps, mais ce sera difficile s'il faut en même temps, au sein du PS, résister aux incessants appels à un retour à l'économique.

16 mai 2007

C'est fait 2.

Sarkozy est président.

On n'a même plus Chirac pour nous protéger.

15 mai 2007

S'y croire

J'étais en train de lire certains des discours de campagne du président élu, et soudain je me suis senti choisi par une force étrange pour poster les mots suivants dans cet humble blog:

Ce jour-là, ce qui me frappa, ce furent l'écoute et l'attention, ce fut la communion, ce fut la gravité presque religieuse, ce fut l'espérance, ce fut non les applaudissements mais cette sorte de prière silencieuse que cent mille personnes m'adressèrent : il faut faire quelque chose, cela ne peut pas continuer ainsi, nous devons changer notre façon de faire de la politique.

Les italiques, c'est moi. Le texte, c'est Nicolas Sarkozy, le 29 avril 2007 à Bercy, en train de raconter son premier meeting de la campagne, Porte de Versailles.

Normalement, je ne suis pas quelqu'un qui cherche la petite bête au nom d'une laïcité incorruptible. Ce n'est pas un problème de laïcité ici. La religion ici, c'est n'est pas l'Eglise. C'est Sarkozy lui-même.

Kouchner

Il y a beaucoup de discussion, et surtout d'énervement, en ce moment autour de la perspective d'avoir Bernard Kouchner comme ministre dans le premier gouvernement de Nicolas Sarkozy.

J'ai déjà dit ce que je pense de la stratégie dite d'ouverture de Sarkozy, qui pourrait sembler d'une très grande générosité envers les forces politiques vaincues. Ce ne sera pas, cependant, comparable aux gouvernements de coalition que l'on voit parfois dans les autres pays européens, ou même à ce qu'aurait pu être, si la gauche avait gagné, une grande ouverture vers le centre. Car dans ces deux cas, ceux qui arrivaient dans le gouvernement en provenance d'autres partis auraient une certaine légitimité électorale.

Kouchner ou Védrine dans un gouvernement Sarkozy n'y seraient que par aumône politique. Ils devraient l'intégralité de leur pouvoir à un seul homme.

C'est ainsi que fonctionne la machine sarkozienne, de converti en converti, de « pote » en « pote ». Des individus qui se rallient au pouvoir, dans l'espoir d'y gagner quelque chose. Et on voit comment ceux qui y croyaient sont déjà déçus, car ils croyaient autant en leur bonne étoile qu'en la politique de leur homme fort.

Donc « l'ouverture » n'est pas véritablement une ouverture, car il n'y aura aucun partage du pouvoir. Au contraire, il s'agit d'élargir le socle du pouvir d'un seul homme. La pyramide sera d'autant plus haute que sa base sera large.

UPDATE: La phrase de F-Mitterrand-2007:

De mon point de vue, il n’avait jamais été question « d’ouverture » pour la bonne et simple raison que ce concept est dénué d’existence politique.

14 mai 2007

Explication de texte : Sarkozy parle à l'UMP

Nicolas Sarkozy devant l'UMP, en train de démissionner en tant que président du Parti (cité dans Le Monde) :

"La haute idée que je me fais de la fonction présidentielle (...), la nécessité pour le président de la République d'incarner l'autorité de l'Etat, de parler pour tous les Français, de faire en sorte que chaque Français puisse se reconnaître dans ce qu'il dit et dans ce qu'il fait, la nécessité qu'aucun d'entre eux ne puisse douter de son impartialité, me font l'obligation morale de cesser d'exercer les fonctions de président de l'UMP", a-t-il ajouté.

Je voudrais juste remarquer que l'on retrouve encore les mêmes thèmes que précédemment, mais qui méritent d'être détaillés à nouveau. A première vue, on a l'impression que c'est simplement un discours pompeux habituel. Je pense néanmoins que ce n'est pas seulement cela.

La haute idée que je me fais de la fonction présidentielle...
C'était cette même « haute idée » qui avait motivé le plan A (avorté par yacht interposé), de l'après élection, la retraite monacale pour « habiter la fonction ». Préférant se montrer en chevalier de Malte, Sarkozy n'a pourtant pas oublié cet axe de sa communication. La « hauteur » de la fonction : Sarkozy devient enfin « grand ». Faire honneur à la fonction, c'est évidemment faire honneur à la personne qu'il sera, lui, Nicolas, pendant les cinq, dix, quinze ans à venir. Je n'ai pas encore la preuve définitive (même si le monastère imaginaire fait pencher largement dans ce sens), la « hauteur » dont il s'agit est, je crois, celle d'une sorte de religion de l'état.
la nécessité pour le président de la République d'incarner l'autorité de l'Etat

« Habiter la fonction », c'est à apprendre à devenir l'incarnation de l'Etat. « L'état, c'est moi », je crois l'avoir déjà entendue, celle-là. Mais peut-être devrions-nous apprendre à remercier l'Etat de nous avoir donner l'un de ses fils pour l'incarner. (L'autre fils est au MEDEF, bien sûr.)

Et bien sûr, c'est surtout incarner l'autorité, valeur suprême du secte. Autrement dit, « l'autorité » comme valeur prônée par Sarkozy tout au long de la campagne, le contraire des barbarismes de mai 68, c'est finalement l'autorité personnelle de Sarkozy, incarnation de l'Etat.

de parler pour tous les Français, de faire en sorte que chaque Français puisse se reconnaître dans ce qu'il dit et dans ce qu'il fait
J'ai déjà parlé de Sarkozy en intercesseur. Il parle pour, à notre place, et nous nous reconnaissons dans ce qu'il dit.
la nécessité qu'aucun d'entre eux ne puisse douter de son impartialité, me font l'obligation morale de cesser d'exercer les fonctions de président de l'UMP

Pas un seul français ne pourra plus douter de l'impartialité de l'Incarnation de l'Autorité, tellement il est haut et capable de parler à notre place. Evidemment, il ne pouvait pas continuer à garder les manettes du Parti, même de l'UMP.

Lorsque Sarkozy cherche à nous donner l'impression qu'il sort du politique, méfiance!

L'obligation est carrément morale. On sait que Sarkozy est ravi d'avoir remis ce mot au goût du jour, et du coup de nous avoir sortis enfin des affres de mai 68 (quarante ans, ça commençait à faire un peu long, d'ailleurs). Ce qui est moral ici, c'est son devoir envers sa très haute fonction. Il serait immoral de ne pas être à la hauteur (de laisser entrer des mésquines considérations politiques). Préparons-nous à ce type de pirouette : « vous les socialistes, gauchistes, etc., vous dites cela par calcul politicien, tandis que Moi, l'Incarnation de l'Autorité de l'Etat, je m'oppose à vous par un devoir Moral. Voyez, je ne puis faire autrement. »

L'ouverture à gauche du président élu, dont on parle beaucoup en ce moment, est à comprendre aussi dans cette même logique. Il faudra attendre pour voir comment Sarkozy va l'organiser cette Union au-delà de l'Union de la Majorité Présidentielle.

1986 versus 1968

Tour d’horizon des publications politiques aujourd’hui, l’article de Sylvain Bourmeau dans les Inrockuptibles « Un tout petit pays » va très clairement à ce qui me semble l’essentiel rappelant par là-même que c’est ce même mensuel qui avait donné un nom à la « guerre contre l’intelligence « : la victoire de Sarkozy est le résultat d’une longue évolution, d’une « révolution culturelle souterraine » qui a commencé il y a vingt ans. 86, année des privatisations, de la création de M6, des fils de la pub...et justement du livre de Ferry-Renaut, La pensée 68. 1986 et non 1968 est la date référence, celle qui détermine les valeurs de droite d’une majeure partie de la France comme le prouvent les données du Centre d’études de la vie politique française citées dans l’article. Ce sentiment de rage qui prend parfois au ventre à écouter certaines déclarations de l’ex-président de l’UMP tient alors bien à une manipulation éhontée et qui fonctionne: faire passer pour actuelle une idéologie connue de tous parce que déjà entrée dans l’espace public des discours et des stéréotypes et prôner ainsi la rupture et la mise en place de nouvelles valeurs qui ne sont autres que les valeurs en cours et qui bénéficient ainsi de deux atouts:

  1. on ne s’aperçoit pas qu’elles sont nouvelles parce que 20 ans, ce n’est pas assez pour prendre de la distance

  2. dans le mesure où l’on baigne dedans, elle nous sont inconsciemment familières donc sympathiques

La rhétorique sarkozy n’est même pas une rhétorique politique, elle est celle de la communication individualiste en général, de la défense de soi par la mauvaise foi et du renversement fictif des rôles – « tu permets que je parle » étant, chacun le sait, non la demande justifiée d'accès à la parole mais l’ordre intimé à l’autre, jusque là pourtant déjà réduit au silence, de continuer à se taire -- dont on a tous fait l’expérience dans sa vie privée. S’en servir brillamment sur la scène publique et au service du discours politique, c’est être sûr d’être compris. Si Segolène Royal a montré une autre voie au discours politique dans le débat du 2 mai, je crois que Sarkozy n’est pas en reste, car nous n’étions jamais allés aussi loin dans la démagogie verbale, c’est-à-dire dans un usage du langage qui ne s’interdit aucun des recours aux mauvaises tendances de l’homme.

Autre sujet d’étonnement: si le retour à l’ordre et les événements de l’Algérie qui ont suivi la Libération de 1945 et l’avènement de la Ve république étaient vivement et brillamment contestés par des Edgar Morin, Dionys Mascolo ou Robert Antelme, que dire aujourd’hui alors que la Ve république va fêter ses 50 ans? Ne faut-il compter que sur Marie Darrieussecq (ou à peu près), dont je salue l’engagement, pour mettre les mots et l’expérience de la pensée critique au service de la défense de ses idées?

La presse libre de se taire

L'empire Sarkozy déjà épinglé pour interférence dans les médias ! Enfin, je fais semblant d'être surpris, car évidemment ce n'est que la suite d'une longue histoire.

C'est grâce à Rue89 que l'on peut même parler de tout cela, et on peut se consoler un peu du fait que l'internet fournit un nouvel accès aux faits. Le récit publié par Rue89 de comment Largardère Active Média, propriétaire du Journal de Dimanche, serait intervenu pour empêcher le journal de révéler l'abstention de Cécilia Sarkozy, donne beaucoup de détails sur les acteurs et la chronologie de cette intervention. Cette version des faits est bien sûr niée par la rédaction (voir ici par exemple). Jacques Espérandieu, le directeur de la réadaction du JDD, insiste:

"C'est moi qui ai pris la décision de ne pas passer le papier, j'assume totalement en mon âme et conscience".

Le Monde publie, hier, un papier qui résume l'histoire à un conflit entre deux versions. Rue89 dit qu'il y a eu intervention de Lagardère, le JDD nie. Puisqu'il s'agit de coups de fil entre M. Espérandieu et ses patrons dont on ne pourra jamais savoir le contenu, le lecteur reste dans le doute. Comment savoir, en effet? On ne saura peut-être jamais.

Fin de l'histoire ? Oui, mais pas de l'interprétation. La question ne devrait pas être : « Arnaud Largadère a-t-il vraiment décroché son portable pour dire à Espérandieu d'étouffer l'histoire ? » Nous sommes censés penser que si que M. Espérandieu a agit librement, il n'y a aucun problème. Mais c'est là justement tout le problème. Personnellement, je préférais que Largardère ait dû téléphoner, menacer, car cela voudrait dire que la presse cherche activement à faire son travail, et qu'il faut une influence extérieure pour l'en empêcher. La version « non scandaleuse » (où Espérandieu agit seul) est bien plus inquiétante, car dans ce cas, la presse se musèle toute seule.

On objectera qu'Espérandieu pouvait avoir de bonnes raisons de ne pas publier l'abstention de Cécilia, sachant que « le vote est une affaire personnelle ». Oui, le contenu du vote est personnel, et c'est pour cela qu'il y a l'isoloir et l'envéloppe. Si Cécilia a voté pour Ségolène Royal, effectivement, ce n'est pas notre affaire. En revanche, le fait de voter ou non n'est pas privé. Le registre électoral est un document public. Rien ne vous empêche de passer le dimanche devant les bureaux de vote pour voir qui s'y présente. Nous sommes ici très loin des paparazzi qui poursuivent les célébrités jusqu'à dans leurs yachts... D'autant plus que les votes des hommes et des femmes politiques sont habituellement photographiés, filmés, relayés par la presse. On savait déjà que le mari de Cécilia avait voté sans sa femme. Et comme Cécilia va être la nouvelle Bernadette Chirac, il est permis de dire qu'elle est désormais une figure publique.

Pour revenir à l'essentiel de l'histoire, l'autocensure est bien plus grave que la censure. Si Largardère est intervenu, ce n'est pas sans un certain coût, un certain risque. Si Espérandieu savait tout seul qu'il devait cacher l'histoire, il n'a fait que faciliter la vie à ses censeurs.

13 mai 2007

Fatale

Pour commencer, un peu de musique.

Je viens de regarder l'entretien des auteures de Femme fatale. Ce qui surprend, toujours dans cette histoire, que j'ai mentionnée l'autre jour déjà, c'est comment on peut être femme et machiste, féministe et machiste, voir ségoléniste et machiste. Car à entendre Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, elles sont plutôt pro-Royal. Elles dénoncent la misogynie dont Royal fut victime au PS et elles disent même (je ne sais plus laquelle des deux le dit, Bacqué sans doute) qu'avec une meilleure préparation, Royal aurait été « imbattable ».

D'accord. Mais alors, regardons le titre de leur livre, ou le titre du récent article d'Ariane Chemin dans Le Monde : Femme fatale et Ségolène Royal : l'insatiable ambition. Ce sont leurs éditeurs (masculins) qui leur imposent des titres racoleurs et complaisants ? Je n'ai pas lu le livre, mais il est clair que ce qui va rester dans les esprits, au-delà des histoires conjugales, c'est ce titre. Fatale pour qui ? Pour les hommes du PS, pour Hollande. Toujours ce même schéma : la femme qui sort de son rôle, de son régistre autorisé devient « Fatale » ou « insatiable ».

J'ose à peine imaginer quelle serait la réaction populaire et surtout médiatique à une femme politique avec un appétit de pouvoir comparable à celui qu'affiche avec tant de fièrté Nicolas Sarkozy.

Je continue à être surpris par la fréquence des réactions extrêment fortes à la personnalité même de Ségolène Royal. Je ne me souviens pas d'un personnage politique suscitant des rejets aussi catégoriques. Combien de fois n'ai-je pas entendu : « Ségolène Royal, je ne la supporte pas ». Il est parfaitement clair, pour moi, que de telles appréciations sont dues à une incapacité, aussi bien chez les femmes que chez les hommes, à admettre un tel bouleversement de l'ordre symbolique-politique-sexuel.

12 mai 2007

Ayrault

Dans Marianne, je lis, tout d'un coup:

Le chef de file des députés PS considère que "les 17 millions de voix qui se sont portées sur Ségolène Royal" le 6 mai doivent "être le levier de la rénovation du PS et de la gauche".

"Elle a acquis un niveau de popularité important. Elle a attiré des catégories populaires que nous ne touchions plus. Elle a bousculé nos scléroses. Ce serait une folie de ne pas le comprendre. Pendant la campagne présidentielle, il s'est passé quelque chose qui transcende les courants du PS", assure M. Ayrault.

Selon lui, "ceux qui pensent qu'il doit y avoir une différence entre le pacte présidentiel (de Ségolène Royal) et le projet pour les législatives se trompent".

S'il dit tout cela, c'est qu'il n'est pas tout à fait un éléphant, ou quoi?

La soupe et un univers UMP

Lorsque, sous prétexte de décentralisation ou déconcentration, ou d'"aménagement du territoire, on construit un nouveau tronçon de TGV ou section d'autoroute entre Paris et une grande ville de province, on sait que c'est moins une faveur que l'on fait aux provinciaux, qu'une extension de Paris. Marseille ou bientôt Strasbourg deviennent des sortes de banlieues lointaines de la capitale.

La récente « ouverture » de Nicolas Sarkozy à des figures un peu oubliées ou marginalisées de la gauche va dans ce sens : étendre le pouvoir sarkoziste ou UMPéiste en ratissant large. Très large.

Aucune nécessité politique n'oblige le nouveau président à amadouer la gauche. Est-ce par souvenir des gouvernements du Général qui incluaient des communistes ? est-ce par un souci bienveillant d'équilibre politique ?

Je ne le crois pas.

Après avoir raflé les élus UDF, Monsieur Sarkozy est en train d'agrandir son empire. Pour changer de métaphore, disons qu'il est en train de négocier une série de rachats d'entreprises plus petites pour étendre son empire et s'ouvrir de nouveaux marchés. Et peut-être faire des économies d'échelle.

Autrement dit, on se dirige vers une encore plus grande unification du pouvoir. Après l'Elysée, l'Assemblée Nationale, le Sénat, le Conseil constitutionnel, les médias, le showbiz, le CAC-40, l'UDF, pourquoi lui faut-il acquérir aussi une partie de la gauche ?

On a souvent représenté Sarkozy comme l'homme qui voulait toujours plus. Maintenant qu'il a l'Elysée, qu'est-ce qu'il peut vouloir de plus, en effet ? Constituer un pouvoir politique qui ne supporte plus aucune contradiction, ou pour lequel toute contradiction sera aussitôt marginalisée. Non seulement un état UMP, mais presque une société UMP.

Et sans ramener la situation à la psychologie de Sarkozy, et à la blessure (quelle qu'elle fût) qui est à l'origine de sa soif de pouvoir, il suffit de regarder son comportement pendant les cinq dernières années dans sa lutte contre Chirac. A coup d'alliances individuelles avec les différents personnages de l'UMP, avec des gens qui étaient persuadés que leur avenir était avec Sarkozy, il a réussit à agrandir sa sphère d'influence jusqu'à marginaliser Chirac dans son propre parti. Et c'est là qu'intervient la soupe. On l'a déjà vu avec les élus UDF. C'était tellement facile que maintenant le président s'attaque carrément à la gauche.

Vous allez dire que je suis parano, que je suis dans la politique-fiction. Peut-être. C'est le rôle des blogs, après tout, de dire ce qui ne peut pas se dire ailleurs. J'ai peut-être tort. Sarkozy cherche peut-être à joindre toutes les forces de la société dans un grand cercle chantant, où tout le monde se donne la main.

Mais je ne le crois pas.

UPDATE: Chez Libé, les commentateurs se méfiant de Sarkozy pensent que cette "ouverture à gauche" n'est qu'un écran de fumée pour mieux tromper tout le monde. Moi, je ne vois pas pourquoi Sarkozy ferait des gestes dans ce sens si c'est pour reculer après, lui qui n'aime pas afficher les signes de sa faiblesse ou de ses échecs.

Commentaires

Je viens de me rendre compte que je n'avais pas ouvert les commentaires. Maintenant c'est fait.

11 mai 2007

Analyse droitière

Sur Le Monde, un chat intéressant avec Xavier Jardin à propos du nouveau Leader Number Un. Ce sera à relire de temps en temps pendant les cinq prochaines années.

Le Poitou

Ségolène Royal ne sera pas députée.

En termes de stratégie, je suppose que cela veut dire qu'elle reste dans une logique présidentielle. La présidence de région a été pour elle une référence importante dans sa campagne et elle veut la garder.

Ne pas aller à l'Assemblée Nationale (et c'est là où les choses se compliquent) signifie qu'elle ne cherche pas la domination du PS, ce rôle revenant plus naturellement au Premier Secretaire. Je rappelle l'analyse de François-Mitterrand-2007 sur le problème que cette situation pose, et vraisemblablement, posera.

En somme, Royal souhaite rester la spécialiste de l'élection présidentielle, et ne souhaite pas s'embourber dans les querelles du PS. C'est risqué, mais il y a des avantages certains. Notamment, le fait de rester dans un rôle de président de quelque chose.

10 mai 2007

On refait le match!

Tandis qu'à droite Chirac prenait le petit poussin Sarkozy sous son aile pour lui montrer comment se tenir quand on est président ("allez, c'est pas mal, mais il faut te détendre un peu, tu te forces un peu trop... t'inquiète, ça viendra"), les plumes de gauche se sont donné pour but de démolir le ségolénisme, regrettant justement que ce ne soit pas du ségo-leninisme.

J'en ai déjà parlé hier, mais avec quelques heures de plus l'attaque devient plus sérieuse. Moins de terreur devant les jupons et plus de politique. Le machisme d'hier évacué, on a pu commencer à parler politique. Un petit consensus semble être en train de se faire, selon lequel la faute de Ségolène Royal (oui, je sais : faute encore, en ne s'en sort pas avec ces histoires de bonne-femme), aurait été de n'avoir pas respecté les valeurs un socialisme traditionnel, laissant ainsi échapper le vote populaire. C'était plus ou moins la thèse de Michel Onfray hier, avec sa nostalgie pour un socialisme d'avant 1983 et la naissance de la "schizophrénie" mitterrandienne. Aujourd'hui, toujours dans Libé, Emmanuel Todd, dans un entretien, met les points sur les i, chiffres à l'appui.

Todd fait plusieurs remarques intéressantes, particulièrement sur l'apport des voix FN à Sarkozy. Hier Le Vaillant disait que quitte à perdre, il préférerait perdre avec DSK ou Fabius plutôt qu'avec Royal. Todd pense même ("sans pouvoir le démontrer" bien sûr) que DSK ou Fabius auraient pu gagner. Si le bon sens du moment veut que DSK êut été mieux placé pour le rapprochement avec le centre, étant lui-même pré-sélectionné pour être le premier ministre de François Bayrou, Todd rejoint un nouveau bon-sens-du-moment selon lequel Royal n'était pas assez à gauche. Car si Fabius pouvait battre Sarkozy, d'après Todd, c'est qu'il aurait pu dégainer sur le pouvoir d'achat. La faute de Royal était d'avoir abandonné l'économique pour les considérations identitaires.

Sans pouvoir le démontrer, je pense que Dominique Strauss-Kahn ou Laurent Fabius auraient pu gagner, parce que l'un et l'autre, chacun à sa façon, auraient ramené le débat sur le pouvoir d'achat. Face à la thématique identitaire, la gauche n'a en effet qu'une seule réponse possible : l'économie. Or, avec l'aide de Jean-Pierre Chevènement, Ségolène Royal s'est déplacée à son tour sur le registre identitaire. Cela est apparu comme une légitimation du discours sarkozyste.

Je suis assez d'accord que l'influence chevènementielle n'était pas stratégique, et a sans doute non seulement validé les discours de Sarkozy, mais lui a facilité largement son excursion chez l'extrême droite. Mais ce qui est contestable, c'est l'idée que la gauche doit rester toujours sur le terrain économique, et qu'en plus, sur ce terrain, elle serait imbattable. Avec le pouvoir d'achat, on dégomme Sarko.

Le grand mérite de la campagne de Ségolène Royal, c'est d'avoir tenté d'occuper le domaine symbolique et politique autrement que par l'économique. On voit maintenant que c'était un peu brouillon, car ces choses là ne s'inventent pas du jour au lendemain, même si ce ne sont que des mots. Jusqu'à la semaine dernière on la félicitait d'avoir réussi à moderniser le PS en quelques mois. C'est là une partie essentielle de sa modernisation.

Tout d'abord, la faiblesse de cette approche est face à une logique sarkozienne du genre "le travail crée le travail". Même les "prolétaires" savent aujourd'hui que la croissance économique leur sera bénéfique. Quand on voit comment les publicités des centres Leclerc utilisent une iconographie et un vocabulaire contestataires en affichant leur "lutte" contre les prix, il est évident que la seule notion de pouvoir d'achat ne suffit pas pour ancrer une politique à gauche.

Mais plus profondément, c'est une erreur monumentale que de croire que les électeurs sont autant de sujets rationnels votant uniquement en fonction de leur propre intérêt économique. Justement, les cousins FN des électeurs populaires que la Royal centriste n'a pas su garder (pas plus, en 2002, que Jospin ou même le trop bo-bo Robert Hue -- sous l'influence de Beigbedder -- d'ailleurs) ne votent pas selon leur intérêt économique, mais plutôt contre lui, car ils sont pris dans un symbolisme raciste et nationaliste qui leur semble plus important que leur intérêt immédiat. Une élection présidentielle est l'occasion d'une grande redéfinition de la République, ou, avec Sarkozy, la Nation. Des orientations du discours qui ne coûtent pas une centime (genre "rien à se reprocher pour le colonialisme") peuvent néanmoins être décisives.

L'erreur stratégique était de vouloir suivre le FN et l'UMP sur ce terrain, comme si c'était le seul domaine de symboles possible. Il est urgent de développer d'autres valeurs qui permettent d'identifier la gauche comme étant une gauche véritable.

Hollande et les militants timides

Excellente analyse de la situation au PS par François-Mitterrand-2007.

Raffarin

Un entretien dans Le Monde avec J-P Raffarin, qui dit:
Comme toujours quand il est dans l'opposition, le PS va se radicaliser. Un espace restera disponible au centre gauche.

Toujours ce yacht...

Le yacht de Sarkozy (ou plutôt de Bolloré) n'a rien de surprenant. Comme le signale Le Monde, Sarkozy n'a jamais caché ses goûts de luxe et ses amis riches.

Ce n'est surprenant, ou même choquant, que sur le plan symbolique, sur le plan de la communication. Le plus étrange reste le passage fulgurant du monastère au yacht, comme je l'ai déjà dit. Le yacht fait partie de l'autoportrait que le nouveau président est en train de faire.

Ces vacances sont à comprendre dans la logique du culte de pouvoir. Nous somme prévenus, l'une des valeurs essentielles de la présidence de Sarkozy sera, comme il le disait le soir du 6 mai, "l'autorité". (J'aurai encore une ou deux choses à dire sur ce discours d'ailleurs.) Le yacht, le copinage avec Vincent Bolloré, ce sont autant de signes de la puissance du grand homme, un peu comme sa grosse montre.

Il y a une autre dimension, cependant, dans ce portrait : c'est Sarkozy en tant que "people". Il sait pertinement qu'exister sur ce plan est une des clés à la puissance de son image. Se ballader sur un yacht, c'est exister comme Johnny.

UPDATE: Claude Askolovitch écrit, naïvement je crois, sur cette question :

Ce n'est pas le yacht qui coince dans cette histore, ni le fric, ni le soleil... c'est l'insouciance. L’innocence fantastique des grands. Nicolas Sarkozy, tellement le centre de son propre univers, tellement persuadé que les cadeaux qu’on lui fait ne l’engagent pas, qu’il ne comprend pas que le temps des invitations est révolu? Président Sarkozy, qui ne voit pas que Vincent Bolloré, toujours tycoon français, ne peut plus être l’ami Vincent dès lors que lui, Sarkozy, n’est plus seulement l’ami Nicolas?

A mon avis il ne faut pas sous-estimer la com' chez Nicolas Sarkozy. Le message dans cette affaire, c'est justement qu'il est assez grand et assez puissant pour se payer le luxe de se foutre de ce que le peuple pense de lui, sachant qu'inconsciemment on va l'admirer pour cette démonstration de sa supériorité.

UPDATE 2: Sarko a vu juste : tout le monde s'en fout. 58% des français ne sont pas choqués.

Retour du refoulé

Ce billet devait s'appeler "Les couteaux sortent", mais, après des péripéties blogistes, le texte d'origine fut perdu, et le train des lectures et des pensées est déjà arrivé dans une nouvelle gare...

En tout cas, cela commence avec une série d'articles dans la presse. D'abord un portrait de Ségolène Royal dans Le Monde intitulé L'insatiable ambition. L'effet est plus fort si on ne lit pas l'article, pas si méchant. Le titre est aguicheur par sa complaisance envers, encore une fois, un stéréotype machiste. L'indépendance de SR envers son propre parti, et envers son homme, serait le signe du caractère insatiable de cette femme. Et on sait ce que cela veut dire, pour une femme, d'être insatiable. Quel joli scoop, d'ailleurs, que d'annoncer que les candidats à l'élection presidentielle sont ambitieux. Il faudrait voir combien on a dit de Nicolas Sarkozy qu'il est insatiable.

A peu près en même temps, Libération ouvre ses colonnes à François Lafon, pourtant "maître de conférences en histoire" et "auteur de Guy Mollet, itinéraire d'un socialiste controversé, donc spécialiste en socialisme. M. Lafon profite de sa tribune pour dénoncer L'imposture Ségolène Royal. Echauffé par notre lecture du titre de l'article déjà cité du Monde, on se doute bien qu'une femme qui se fait passer pour un homme politique ne peut ne pas être dans l'imposture. L'éditorial dénonce plus précisément le prétendu renouveau que représenterait Ségolène Royal, mais l'historien-éditorialiste mélange un peu les pinceaux, et assez curieusement ne semble pas prendre la mesure des conflits entre Royal et les éléphants qui seraient, si on suit le raisonnement, complices dans l'imposture. Tout commence avec les primaires au PS.

Au nom de la rénovation de la vie politique, le Parti socialiste s'est lancé dans des primaires où le people l'a emporté sur la cohérence politique. Celle qu'on a osé présenter comme symbole de la modernité politique n'avait-elle pas été plébiscitée lors du vote interne par tout ce que le vieil appareil socialiste compte de ringardise ? Il suffit pour s'en convaincre de se référer à ses résultats obtenus lors du scrutin interne dans les fédérations les plus verrouillées du Nord, du Pas-de-Calais, de l'Hérault ou encore des Bouches-du-Rhône.

Bizarre que le "vieil appareil socialiste", de surcroît vérouillé, ait choisi Ségolène Royal contre les chefs de file habituels. L'énorme avantage de la lecture en ligne des journaux, c'est que parfois les réfutations fournies par les lecteurs eux-mêmes sont immédiatement visibles. Finalement, Ségolène Royal n'aurait été qu'un joli visage choisi pour masquer l'inéptitude et l'obsolescence du PS tout entier. Eléphante parmi les éléphants.

Et puis on apprend que deux journalistes -- et il faut préciser, malheureusement, deux femmes (le malheur ce n'est pas que ce soient des femmes, mais que je doive le préciser) -- dont Ariane Chemin, l'auteur du premier article de ce recensement du Monde vont sortir un livre sur le couple Royal-Hollande qui expliquerait la décision de Ségolène de présenter ainsi que ses mauvaises relations avec le PS par un problème conjugal, à savoir la jalousie chez Ségolène suscitée par une jolie journaliste (blonde, paraît-il). Encore une fois, les lectrices de Libé sont vigilantes et dénoncent l'infantilisation de la candidate. Toute cette campagne n'aurait été que la vengeance d'une brune, un débordement féminin. A croire que Ségolène aurait tourné la tête du petit ami d'Ariane Chemin : en effet, comment expliquer autrement toute cette hostilité (de femme)?

Enfin, Michel Onfray, pourtant très drôle lorsqu'il décrit son entretien "philosophique" avec Sarkozy, reproche assez platement au PS et à Ségolène Royal d'avoir renoncé à la vraie gauche (d'avant François Mitterand - on ne revient pas sur les valeurs de 1968 mais sur celles de 1983), et Luc Le Vaillant (journaliste chez Libé) cherche tout simplement à "en finir avec Calamity Sego". Monsieur le Vaillant, pourtant très à gauche, affirme avoir préféré voté Chirac contre Le Pen plutôt que Royal contre Sarkozy. Il aurait même préféré perdre avec DSK ou Fabius. On peut comprendre que Ségolène Royal ne soit pas assez à gauche pour lui, et qu'il n'ait pas apprécié la tentative de rapprochement avec le centre, après tout c'est son droit. Mais là où il perd toute crédibilité, c'est dans sa troisième tirade, où il reproche, à peu près, à Ségolène Royal d'être une femme.

La stricte égalité entre les sexes, qui ont chacun droit au masculin, au féminin et à la présidence de la République, ne peut s'accommoder d'une candidate tirant argument de sa nature, quand toute l'ambition de la gauche a toujours été de lutter contre l'état de... nature.

Pas mal non ? Le rôle de la gauche, c'est de supprimer définitivement la différence des sexes. D'ailleurs, Ségolène Royal, comme tous les citoyens "a droit au masculin, au féminin". Elle n'avait que choisir le masculin pour cette campagne, ç'aurait été beaucoup plus confortable pour tout le monde. Après tout, on est en République et on est de gauche!

Pourquoi tant de haine ? pourrait-on dire. On sent, à lire tant de bêtises, qu'il y a, à gauche, comme un grand soulagement : c'est fini, on a perdu, on peut maintenant déverser librement, sans risque de trahir son camp, toutes les frustrations engendrées par cette femme qui n'est pas restée à sa place. La candidature a déstabilisé l'ordre du monde, et chez certains cela était proprement insupportable. Le plus curieux, c'est que le machisme n'était pas là où on aurait pu l'attendre, mais plutôt chez les femmes (et même sans compter Michèle Alliot-Marie, qui s'est pourtant distinguée à cet égard) et à gauche. Maintenant l'ordre "normal" des choses peut se rétablir, la blessure infligée au psyché national va se refermer.

Rapports de force

François Hollande quitte le PS. C'est la fin de François Hollande. DSK quitte le PS. C'est la fin de DSK (sauf s'il rejoint Bayrou). Laurent Fabius quitte le PS. C'est la fin de Laurent Fabius. Ségolène Royal quitte le PS. C'est la fin du PS.

8 mai 2007

Le yacht de Bolloré

Cette nuit, j'ai mentionné en passant la transformation de l'emploi du temps du nouveau président, du monastère au yacht, et je vois qu'entretemps la question est devenue le premier mini-scandale de l'ère Sarkozy, avec François Hollande qui se bagarre déjà.

(Dans vingt ans, on rigolera en disant : les scandales du premier mandat de Sarkozy n'étaient rien à côté de ceux du quatrième. Et pourtant il a réussi à se faire réélire encore. Non, désolé, mauvaise plaisanterie.)

C'est bien que la gauche ne se laisse pas intimider et saisisse la première occasion pour monter au créneau. Il vaut mieux taper sur Sarkozy que sur ses frères (et soeurs) socialistes. Soit.

Ce qui est intéressant dans cette histoire pour ce qui concerne la personnalité de Sarkozy, ainsi que son futur comportement politique, c'est d'abord l'instabilité. D'où est venue cette idée d'une retraite dans un monastère ? J'imagine l'heureux élu se rendant compte, après cinq minutes : "mais qu'est-ce qu'on se fait chier dans un monastère" et sortant le portable: "Vincent?" Le monastère répondait à un besoin symbolique, mais les vacances au bord du yacht sont plutôt l'affirmation de la liberté de l'homme désormais supérieur, qui déjà trouve qu'il n'a aucun compte à rendre. Semblable en fait aux interminables vacances de George W. Bush dans son ranch texan. En tout cas, on passe de l'un à l'autre, du monastère au yacht, en l'espace de quelques heures. Confusion et instabilité, d'un côté, et de l'autre le mépris du super-patron.

La légitimité du pouvoir

Le mot "légitimité", associé au pouvoir acquis à l'élection presidentielle revient peut-être un peu trop souvent dans la bouche de Sarkozy et des siens pour être entièrement innocent. (Qu'est qui serait entièrement innocent dans leur bouche collective ?)

J'ai le soupçon que nous allons souvent entendre ce mot pour justifier des extensions surprenantes du pouvoir presidentiel. Déployons les antennes.

BHL...

...le dit très bien.

Efficacité politique

L'analyse de Ségolène Royal était, dès le départ, assez fine, et même consensuelle: les français n'en pouvaient plus d'avoir des leaders sur lesquels ils n'avaient aucune prise démocratique. Le "non" à la Constitution Européenne, les manifestations contre le CPE, les défaites de la droite aux élections régionales et européennes allaient dans ce sens. Le renforcement du pouvoir présidentiel avec le quinquennat et la modification des calendriers électoraux avaient de surcroît achevé la possibilité d'une véritable opposition politique. D'où la (véritablement, à mon avis) bonne idée des différents gestes en faveur de l'écoute, la participation des citoyens, la responsabilité, etc.

Ce qui était véritablement en cause, cependant, c'était le chiraquisme. Surtout: le cynisme politique de Chirac, qui se servait de la hauteur institutionnelle de son mandat pour faire le dos rond en toute circonstance. En profitant ainsi des protections politiques offertes par l'institution, Chirac -- dont le nom était très curieusement absent pendant la campagne, comme si les deux protagonistes craignaient de paraître moins présidentiels que lui -- avait en effet montré les limites de la démocratie sous la Ve République.

Et donc ce qui était une bonne formule pour contrer Jacques Chirac n'a pas été efficace contre Nicolas Sarkozy, qui a réussi à évader toute responsabilité pour sa participation aux gouvernements du dernier quinquenat de Chirac.

Pire, les différentes manifestations de cette analyse ont contribué à affaiblir Ségolène Royal. La souplesse et l'écoute, l'esprit de la négotiation, tout cela a systématiquement désservi la candidate, autant de signes de son incompétence ou de sa faiblesse.

Tant pis pour l'analyse fine, apparamment. Celle de Sarkozy a dû être formulée en quelques secondes : "Les Français veulent du solide. Et y'en a marre des fainéants et des arabes." Malheureusement, c'est d'une efficacité politique redoutable.

Ascèse

De la campagne présidentielle, Sarkozy dit à la fin du débat du 2 mai que c'était pour lui comme une ascèse. Quelques jours plus tard, alors que les sondages nous assurent qu'il sera élu, on apprend qu'il a déjà choisi le lieu où il ira se recueillir. Et maintenant, plutôt que de composer son gouvernement, il va s'enfermer dans un monastère en Corse. Curieux pour quelqu'un qui trouve stupide le connais-toi toi-même socratique. Ce qui explique pourquoi finalement ce sera plutôt le yacht.

Certes, il cherche à donner de la profondeur à son personnage, et créer, avec le plateau des Glières, des symboles. Mais ce qui est assez inquiétant, c'est une certaine dérive vers le sacré. Point commun avec Tony Blair et George W. Bush? Si Blair semble agir avec une conscience chrétienne (lorsqu'il envoie ses soldats se battre contre les infidèles, par exemple), et si Bush se croit, en bon protestant fondamentaliste, plus ou moins en dialogue permanent avec son sauveur, Nicolas Sarkozy semble déjà se peindre dans un rôle beaucoup plus catholique, comme une sorte d'intercesseur avec l'Esprit de la Sainte Patrie. Dans le discours qu'il a prononcé le soir du triomphe, c'est bien le rôle qu'il se donne:

Je veux leur dire que je serai le Président de tous les Français, que je parlerai pour chacun d'entre eux.

Parler à qui ? Ou plutôt : parler à Qui ? Sarkozy l'intercesseur.

Il y a quelque chose d'embryonnaire là, quelque chose qui n'a pas encore eu le temps de se développer. Mais j'ai confiance...