23 mai 2011

Jeter un homme en pâture

Sur les plateaux télé et dans les éditos de la presse papier, l'« affaire DSK » aura suscité mille fois plus d'interrogations sur l'usage des images et du traitement journalistique du sexe des politiques que sur les actes dont l'accusé est accusé. Je ne compte plus le nombre de fois que j'ai lu que Strauss-Kahn a été « jeté en pâture », ou qu'on parle de sa « mise à mort ». À la soirée télé consacrée à l'audience de demande de liberté conditionnelle, le fait qu'un grand jury ait retenu les sept chefs d'accusation, jugeant donc que le fait de passer quelques nuits en prison largement plus grave. C'est la vision myope de l'information en temps réel, certes, mais je crois que c'est encore plus symptomatique de ce qui se passe dans cette affaire.

Au delà des réactions stupidement machistes ou stupidement stupides, les médias ayant peu d'informations réelles à transmettre, ils se sont focalisés sur la "victimisation" de celui qui est accusé de tentative de viol et de l'injustice de la justice américaine qui l'aurait "jeté en pâture", "jeté aux chiens", en le laissant se faire photographier avec ses menottes. Dominique Wolton, dans son rôle, à la télé, à la radio et dans la presse écrite, de grincheux scientifique, dénonçant toutes les dérives de l'internet, peut disserter des heures sur l'horreur médiatique infligée au pauvre homme, mêlant un anti-américanisme à une peur bleue de la démocratisation de l'information. Wolton mériterait un billet pour lui tout seul, d'ailleurs, mais voici un avant-goût :

Les Américains, grands pourfendeurs des libertés individuelles, ont foulé au pied toutes les valeurs que nous avons en commun.

Ou encore (je n'invente pas, promis !) :

On assiste à une incompréhension réelle entre les deux pays, identique à celle qui a eu lieu pendant la seconde guerre en Irak.

Jean Daniel a également parlé de mise à mort, évoquant un gouffre culturel entre la France et les États-Unis. C'est presque comme si Obama avait annoncé l'annexation de l'Alsace-Lorraine. Prochain débat : fallait-il utiliser l'arme nucléaire pour venger Strauss-Kahn.

Et tout ce bruit, à cause de quoi ? Parce que le monde a vu Dominique Strauss-Kahn menotté, hagard et "débraillé". Mise à mort en effet.

Certes, ce n'est pas sympa de se retrouver partout sur la toile avec les mains dans le dos, entouré de flics avec les cravates que l'on connaît. Bien sûr. La véritable mise à mort de Strauss-Kahn, s'il faut poursuivre dans ce langage hystérique et hyperbolique, n'était pas ces fameuses photos, mais bien le fait d'être inculpé d'un crime terriblement grave, en désaccord total avec, oui, l'image qu'avait le grand public de l'homme. Le problème, pour DSK, ce sont les faits, non les images. L'effet sur son image serait à peu près identique si nous étions limités aux simples informations écrites : "DSK arrêter pour viol, puis inculpé sur sept chefs d'accusation".

Pourquoi donc tant de haine ? Parce que ces gens, de BHL à Wolton, ne vivent, apparamment, que dans l'image, que dans cet univers profond de seulement quelques pixels. La véritable brutalité du crime dont Strauss-Kahn est accusé n'y a pas sa place, ne peut, à la rigueur, même pas être représentée ou pensée. Ainsi on préfère se lamenter sur le fait que ce héros national a été privé de maquilleuse avant ses audiences, justement pour échapper au réel.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

On dit tentative de viol, parce qu'on traduit de l'américain et qu'on suit aussi la définition du viol aux US.
Mais pour traduire conformément au droit français ce dont il est accusé, c'est de viol qu'il s'agit, et pas de tentative

omelette16oeufs a dit…

Anonyme,

En effet, vous avez raison.

Romain / Variae a dit…

Sauf que même si les faits sont démentis et DSK blanchi, les images resteront. C'est ça, la mise à mort.

omelette16oeufs a dit…

S'il est blanchi, on saura qu'il est blanchi. Les menottes signifient l'accusation, qui est un fait historique. Qu'on ait trouvé son sperme sur le chemisier de la femme de chambre me paraît mille fois plus dommageable pour son "image" que les menottes, y compris dans l'hypothèse d'un acquittement, alors que nous n'avons aucune photo pour l'attester.