L'équipe de France de football est, dans notre réalité politico-médiatique, l'idéal du nationalisme. Nos néo-nationalistes à tendance sarkozystique (c'est-à-dire tout dans la surface des choses) voudraient depuis au moins 1998 que l'enthousiasme pour l'équipe Nationale puissent se traduire vers une…oui… une Identité Nationale, moderne, étincellante, avec contrats Adidas et TF1. Les téléspectateurs français ne deviennent de supporters véritables que lorsque leur équipe connaît des succès planétaires. Quand le ballon ne tourne pas rond, le public se montre, historiquement, très critique. En cas de match médiocre, les sifflets ne sont jamais bien loin. Ce fait, pourtant, n'a jamais refroidi le fantasme du nationalisme politique aux allures sportives.
Bref: l'équipe de France, c'est la Nation. C'est pour cette raison qu'il est triste de constater qu'à la tête de la Nation footballistique, le courant s'est inversé, et qu'on va courrir après les mêmes thèmes xénophobes (mais en version plus ou moins light -- c'est l'industrie du divertissement après tout) qui plombent la vie réelle. Tant pis.
S'il y a quelque chose de positif de l'affaire, c'est que, pour une fois, nous avons la preuve, la trace de ce qui aurait dû rester de l'ordre du non-dit. Une sorte de plafond de verre, un filtre blanchissant, dont l'existence n'aurait jamais pu tout à fait être prouvée, malgré d'éventuels soupçons, vient de devenir très concret. C'est pour ça que je ne peux pas être d'accord avec Romain qui critique la gestion de l'affaire par Mediapart. Oui, ça tombe mal, politiquement, mais c'est très important de sortir ce genre de procédé.
Une partie de la confusion initiale entourait la notion des joueurs binationaux et il a même été admis que c'était un véritable problème. Il se trouve, pourtant, que les enfants de 12 ou 13 ans que l'on voudrait écarter ne sont pas des binationaux, c'est-à-dire n'ont pas la double nationalité, ils sont seulement potentiellement binationaux. Voici comment l'explique Mathilde Mathieu chez Mediapart :
Derrière ce mot abusif de «binationaux» se cachent en réalité, comme Mediapart l'a déjà expliqué, des jeunes Français, exclusivement français à ce stade de leur vie (à quelques exceptions près), qui pourraient être tentés, plus tard, d'acquérir une seconde nationalité (celle de leur mère, de leur grand-père, ou d'un autre ascendant), pour rejoindre une sélection étrangère, le plus souvent par dépit.
Et comme le dit Laurent Blanc :
«Il ne faut pas que ce soit tous les joueurs qui puissent faire ça. Parce que tous les blacks, si tu enlèves les Antillais, ils ont des origines africaines. Donc, africaines, ils vont pouvoir aller dans une équipe africaine.»
Donc « binational » signifie pouvant un jour devenir binational. Et voilà qu'on se retrouve nez-à-nez avec cette même vieille confusion, qui explique au moins les trois quarts de la logique xénophobique sarkozyënne : l'immigration, clandestine ou non, que l'on voudrait supprimer ou « mieux gérer » n'a qu'une valeur symbolique : celle qu'on voudrait vraiment supprimer, gommer, effacer, c'est celle des années cinquante et soixante, qui concerne désormais des personnes qui sont français, dont les enfants et les petits-enfants sont français. L'« immigration » d'un postcolonialisme mal digéré, en somme. L'association entre burqa et une origine étrangère relève de la même logique. Je me souviens (mais je ne retrouve pas de référence sur l'internet) que le programme de Jean-Marie Le Pen dans les années 90 comportait la révision de toutes les naturalisations faites depuis, je crois, 1973…
Du coup, la « bi-nationalité » revient à la mode, en tant que grand fléau non seulement du football mais de toute la société française.Claude Goasguen a su saisir la balle au bond:
Interrogé sur les conséquences concrètes pour les gens concernés, Claude Goasguen répond: "Cela veut dire qu'on demanderait aux gens de choisir entre deux nationalités. Ou bien qu'on aille vers une limitation des droits politiques. Car il est tout de même gênant qu'une personne puisse voter en France et dans un autre Etat. En procédant ainsi un binational se retrouverait en quelque sorte avec une nationalité et demie".
Il y aurait même une sorte de population de faux français :
"En France aujourd'hui, on ne sait pas combien ils sont, sans doute 4 à 5 millions. Je souhaite aussi qu'on aille progressivement vers une limitation de la double nationalité par le biais de discussions bilatérales avec les pays", souligne-t-il.
Un peu plus et on va nous annoncer qu'ils vont nous égorger dans nos lits dès que le signal sera donné par Moscou ou je ne sais quelle capitale musulmane.
Mais, pour Goasguen, il s'agit quand même de vrais binationaux (qui restent, pour rappel, des vrais français), tandis que chez nos purificateurs footballistiques, le joueur (de 12 ou 13 ans) binational est seulement potentiellement binational, et seulement, pour l'instant, français à 100%. L'ombre de la binationalité fantôme s'infiltre dans les mentalités pour signifier, sous le sceau d'un bon sens d'apparence (on ne va pas former l'équipe nationale de l'Algérie à Clairefontaine, tout de même). Aurait-on enfin trouvé la manière de distinguer entre un « nous » national et un « eux » français mais pas vraiment français ?
2 commentaires:
Les temps sont durs, et les tensions durent...
Joli billet.
Merci bembelly. Les tensions ont la vie dure, en effet.
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