L'affaire DSK a pris une ampleur médiatique terrible, les choses se brouillent : il y a la dimension affective du PS, les confusions entre les cultures états-unisienne et française, différences judiciaires, différences de pratiques journalistiques surtout à l'égard de la vie privée et de la sexualité des hommes politiques que les américains (et les anglais d'ailleurs) reprochent maintenant aux journaleux français. BHL (pour qui j'ai, la plupart du temps, pas mal de respect malgré son style agaçant) s'en mêle et se ridiculise outre-atlantique en affirmant carrément :
J’en veux, ce matin, au juge américain qui, en le livrant à la foule des chasseurs d’images qui attendaient devant le commissariat de Harlem, a fait semblant de penser qu’il était un justiciable comme un autre.
Jack Lang insiste qu'il « n'y a pas mort d'homme », l'expression est bien choisie : il n'y a pas mort de femme non plus, mais le viol est encore considéré comme un crime en France. Le pire que j'ai encore vu, cependant, c'est Jean-François Kahn chez France Culture. L'extrait vaut le détour, le ton est presque jubilatoire, non seulement celui de Kahn lui-même, mais aussi celui de la journaliste. Voici la transcription. Le mot « gloussements » n'est pas du tout une exagération :
J.-F. Kahn : Je suis certain, enfin pratiquement certain, qu'il n'y a pas eu une tentative violente de viol, je ne crois pas, ça, je connais le personnage, je ne le pense pas. Qu'il y ait eu une imprudence on peut pas le… (rire gourmand), j'sais pas comment dire, un troussage,
A.-G. Slama : il appelait ça une erreur de jugement (gloussements).
J.-F. Kahn : que y ait un troussage, euh, de domestique, enfin, j'veux dire, c'qui est pas bien, mais, voilà, c'est une impression.
Pas de viol, donc, mais un troussage de domestique ? Kahn a l'air tellement admiratif du pouvoir de séduction du directeur du FMI, il ne se contient presque plus.
Le viol, il semblerait, à écouter ces hommes de gauche, ne peut pas être grave dès lors qu'il s'agit d'un homme puissant et d'une domestique. C'est un détail un peu embêtant, erreur de jugement, il en a beaucoup sur le caillou, le Dominique…
Encore, nous ne savons pas ce qui s'est passé, nous ne savons pas s'il y a eu viol ou pas. La justice est là pour nous le dire. Mais ce qui est totalement inadmissible, c'est, dans l'hypothèse du viol, de minorer la gravité du crime, crime violent. La présomption d'innocence, je veux bien. À écouter Jean-François Kahn, on a l'impression que même si Strauss-Kahn était coupable, il serait coupable de presque rien. Un petit troussage. Rien du tout. De quoi elle se plaint ?
Un viol, je rappelle, donc, est un grave acte de violence. C'est interdit, y compris en France. À côté, nous avons les discussions sans fin sur la façon de traiter du sexe dans la vie politique, le comportement des journalistes, fallait-il alerter l'opinion publique, blah blah blah. Ce que nos commentateurs médiatiques semblent oublier, et qu'on doit leur rappeler, c'est que séduire, coucher, tromper, entretenir des maîtresses ne sont pas des actes criminels. Le viol est tout autre chose, c'est une catégorie à part, c'est un acte public. Une française écrivant en anglais le dit mieux que moi :
Instead, the press chooses to highlight the words of his political allies, who describe him as a benign seducer – but "one that does not force anything". Commentators repeat that this is about his "private life". But with a non-consenting person, it is not an issue of privacy. Still, this distinction seems beyond France's leading journalists.
J'ai le soupçon que ce qui choque, c'est que la justice dans ce cas donne autant d'importance à la parole une simple femme de ménage. Elle ne devrait pas pouvoir nuire à quelqu'un d'aussi important que Dominique Strauss-Kahn, quels que soient les faits et les injustices qu'elle aurait subis.
Nous ne savons pas encore si Dominique Strauss-Kahn est coupable. Son innocence ou culpabilité ne changent rien quant à la gravité du viol en général.
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