Le libéralisme n'a pas le vent en poupe en ce moment, mais cela n'a pas empêché les libéraux de trouver quelques parades. Comme je disais la semaine dernière, le libéralisme a ceci de génial : il ne peut jamais avoir tort tant qu'il existe, quelque part dans le monde, un État quelque part qui intervient d'une quelconque manière dans la vie, et surtout dans la vie économique. Ainsi, tant que cette vision anarchiste ne s'est pas imposée, le libéralisme ne peut pas avoir tort. C'est juste pour vous prévenir. J'ai essayé d'encadrer ce qui est devenu l'un des arguments principaux des apologistes libéraux en ce moment : l'idée selon laquelle la crise des subprimes serait due à un excès de régulation étatique.
Mais il y a un autre argument encore plus savoureux que j'ai plaisir à vous présenter aujourd'hui. Je l'ai trouvé sur le blog d'un libertaire québécois qui, dans un billet tout de même assez intéressant (car les libéraux purs et durs sont tout de même des gens qui réfléchissent, il faut l'admettre), propose cette autre lecture de la situation (je me permets de citer un peu longuement) :
Il faut toutefois garder une chose cruciale à l'esprit: la réglementation — ou l'absence de réglementation — n'explique pas pourquoi il y a eu une bulle et un crash dans le secteur immobilier, mais bien pourquoi la bulle s'est développée surtout dans ce secteur. La bulle inflationniste a été causée par l'expansion monétaire, pas par ces politiques. Avant cette crise par exemple, il y en a eu une dans les marchés émergents (crise asiatique, du rouble, du peso, etc. vers 1996-98) puis dans le secteur des hautes technologies qui connaissait un engouement irrationnel à la fin des années 1990.
Cette fois elle a émergé dans l'immobilier. Mais elle aurait émergé quelque part de toute façon parce que l'argent créé par les banques centrales doit bien se rendre quelque part. Le surplus de liquidités finit toujours par émerger dans un secteur ou un autre même s'il est difficile de prévoir d'avance où ce sera. Sans ces politiques néfastes dans le domaine immobilier (ou avec une réglementation sévère qui aurait empêché toute la spéculation qui a eu lieu), la bulle aurait simplement émergé dans un autre secteur.
Il faut donc garder ces deux types de cause à l'esprit quand on parle des causes de la crise actuelle. La croissance monétaire est la cause fondamentale, alors que les interventions étatiques dans le domaine de l'immobilier ne sont qu'une cause accessoire.
En somme (et pour ceux qui n'ont pas lu la citation), les bulles sont la conséquence de l'inflation monétaire qui est le fait des banques centrales. Cette fois la bulle a eu lieu dans le secteur immobilier, mais elle aurait pu développer dans n'importe quel secteur, un peu comme les buboses de la peste qui peuvent apparaître à différents endroits du corps sans que cela change la nature de la maladie.
Je n'y avais jamais pensé à ce problème. Pour un libéral pur jus, l'argent lui-même est suspect, parce qu'il est "produit" par les états. Sa seule existence fait que le reste de l'économie est, pour nos libéraux bien aimés, corrompu par le vice de l'interventionnisme. Et puis, quand on pense qu'il y a des banques nationales et centrales qui décident de la valeur de l'argent... ça doit donner des cauchemars aux libéraux, se disant que le paradis libéral est encore bien loin. Quelle serait l'alternative, pourtant ? Le retour à l'or ? Le troc ? Adam Smith a pourtant bien montré l'intérêt de l'argent dans le développement des marchés... Voilà des problèmes que nous n'avons pas à résoudre, heureusement.
Donc, pour revenir à notre bulle inévitable, créée par une surabondance d'argent dans le monde, ce qui fait forcément rire, c'est que finalement, la crise n'est pas la faute des individus qui l'ont provoquée. Même si le libéralisme n'arrête jamais de chanter les mérites de la responsabilité individuelle, surtout comme argument contre toute forme de protection sociale, dès lors qu'il s'agit de traders qui s'en mettent plein les poches, soudain la faute est collective, les acteurs individuels sont dépassés par des forces historiques. Pauvres golden boyZ...
Le billet de ce libertaire date du 7 octobre. Entre temps, le Très Grand Homme (TGH) a sauvé la planète simplement en déployant quelques roulages de mécaniques bien dosés, et, suivant l'exemple de Gordon Brown, le véritable inventeur de la solution Européenne, a promis, à coup de centaines de milliards, de soutenir le système bancaire international. L'inflation monétaire créée par la titrisation des prêts immobiliers prédateurs qui avait en effet fabriqué de l'argent qui n'existait pas va être validée par l'ensemble des états du Premier Monde. La bulle de savon va devenir une bulle de marbre. Dans la crise, on avait peur "mais tout cet argent finalement n'existe pas!". Aujourd'hui, les états sont là pour dire "mais si il existe ! tiens, voilà, prends-en !"
Si donc notre libéral-libertaire a raison, les états sont en train de créer une nouvelle bulle qui multiplie par... combien ? dix, cent, mille ? ... la bulle d'hier. Dans quel secteur se fera la prochaine bulle, quand tout cet argent facile créera l'impression que la poule aux oeufs d'or est enfin revenue ?
Tous ces efforts aboutissent donc à éviter la claque qui aurait dû mettre les pratiques financières en phase avec la réalité. On a préféré modifier la réalité plutôt que d'accepter les conséquences de la bulle. L'intervention des états va différer la claque. Pour combien de temps ?
4 commentaires:
C'est une belle manière de voir les marchés : quand il y a trop d'argent disponible, ça fait des bullles puis ça explose pour revenir à une situation moins argentée. Ca pourrait être une belle démonstration de ce qu'est le marché, une sorte de baudruche à ne pas prendre pour une lanterne !
:-)
Oui, les états mettent la main à notre poche pour remplacer de l'argent virtuel par de la monnaie fraîche, sonnante et trébuchante. Il me semble pourtant que l'orthodoxie supposerait qu'on laisse le marché se purger des acteurs ayant faits les mauvais choix...
Comme quoi, il s'agit bien d'un marché de dupes !
:-)))
monsieur p.,
Voilà le problème : il n'y aura pas de purge. On va dézinguer qqs imprudents, on supprime des parachutes par-ci par-là, mais sinon la claque ne viendra jamais.
D'une certaine façon, il fallait bien éviter la claque, car elle se serait très vite fait sentir par les plus vulnérables, comme d'habitude. D'un autre côté, c'est étrange quand même de valider finalement les excès du marché sans aucune véritable sanction financière.
Euh, là, je ne vous suis, pas, la claque est à venir au contraire ! Vous allez voir comment vous allez être accueillis par les banques maintenant, ça va être pire qu'avant. Les licenciements se ramassent à la pelle,le chômage va bondir cet hiver et la croissance tiens,y en aura pas, les prix des denrées vont augmenter, nan, on va tous avoir un hiver rude, je plains surtout les PMe PMI, 2009 va être raide.
M.,
Ah mais je ne parlais pas de la claque pour nous, pauvres mortels occupés à nous nourrir, nous réchauffer et autres activités économiquement dérisoires. La claque dont je parlais, celle qui ne viendra pas, c'est celle que les banques auraient dû se prendre. Ce sont elles qui vont s'en sortir le mieux de cette histoire, et je trouve que là, même les libéraux devraient être d'accord que c'est n'importe quoi, voire dangereux.
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