Nous sommes, semble-t-il, désormais dans la culture du résultat. C'est le Très Grand Homme (TGH), Nicolas Sarkozy, qui a fait advenir cette chose en France. Auparavant, ce n'était pas la culture du résultat.
La référence est très clairement au monde des affaires. Cette idée de "résultat" correspond à peu près à l'exigeance de résultat pour la direction d'une grosse boîte qui doit répondre aux actionnaires. Le rendement serait à peu près l'équivalent des dividendes que ces mêmes actionnaires entendent empocher. Je devine que "faire du chiffre" doit être issu du vocabulaire des commerciaux censés réussir beaucoup de ventes.
L'idée de gérer l'Etat comme une entreprise est aussi vieille que les droites modernes, en France et ailleurs, et le fait que Sarkozy et les siens empruntent ce vocabulaire n'est pas si surprenant. Cela va de paire avec un style "chef de boîte" que le TGH affectionne.
Bien sûr, on est un peu plus choqués quand une expression comme "faire du chiffre" est associée à la justice, notamment les expulsions de sans-papiers. Pourtant, ce n'est pas l'invention de l'ignoble Brice Hortefeux, mais plutôt celle du Très Grand Homme lui-même quand il n'était que Ministre de l'Intérieur, qui alors exigeait du chiffre de ses policiers. Voir à ce sujet Ruptures, le livre de Serge Pontelli.
Le problème avec cette "culture du résultat" ou cette course aux chiffres, dès lors qu'il s'agit de la justice, et non la production de Nike ou d'armes pour la Libye, c'est qu'elle donne à la justice une orientation guerrière, qui la réduit à une lutte contre un camp, contre les délinquants, contre les clandestins, comme si ces "camps" pouvaient de toute façon fournir une quantité infinie de "soldats" ennemis. Cet esprit clanique est omniprésent chez Sarkozy, dans tous les domaines de la réflexion sociale. Le but de la justice n'est plus la justice, mais de marquer des points dans le "conflit des civilisations" supposé exister à l'intérieur même de la France.
Comme le dit très bien Serge Portelli,
la mission de l'Etat n'est pas de "produire" des gardes à vue, des expulsions ou toute autre mesure de contrainte. L'Etat a au contraire, parce que nous sommes en démocratie, l'obligation de limiter l'emploi de la force à ce qui est strictement nécessaire. La Déclaration des Droits de l'Homme n'est pas soluble dans la statistique.
En poussant jusqu'à l'absurde, on peut imaginer une société parfaitement juste, sans crime, sans délinquants, sans clandestins, où la justice aurait réussit son oeuvre. Pourrait-elle alors continuer sur le chemin du chiffre, même s'il fallait trouver des coupables chez les innocents? Serait-ce encore juste?
Voilà l'un des aspects les plus sombres de cette histoire : faire du chiffre suppose l'existence des crimes et des coupables avant même qu'ils existent. Et même si, faute de criminels réels, on doit multiplier des gardes à vue bidons simplement pour plaire au patron.
Il semblerait, de plus, que cette prétendue "culture" du résultat ait pour finalité non pas davantage de justice, par exemple, mais de rendre palpable -- et je veux dire : médiatiquement palpable -- l'action d'un homme politique. Le bonheur ou la justice présents dans une société sont difficiles à mesurer. En comptant les gardes à vue, Sarkozy rend visible sa propre activité, quel qu'en soit le résultat réel. Autrement dit, dans la culture du résultat, le résultat n'est pas ce que l'on prétend. Le vrai résultat est celui que l'on mesure en unités de bruit médiatique, et en votes.
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