19 septembre 2007

La stratégie Valls

Ca va faire maintenant trois ou quatre semaines que je me dis qu'il faut faire un billet sur Manuel Valls. Pour des raisons conjoncturelles, je me suis, pendant ce temps, davantage occupé à approfondir mon anti-sarkozysme primaire plutôt que de commenter ce qui se passe à gauche. Mais pour parler de la gauche, il faut d'abord que je me débarrasse de Valls. Même si CSP se charge de le dégommer régulièrement, il y a des éléments qui me perturbent encore.

Commençons par un peu de lecture.

Le 21 août, un entretien dans les augustes pages du Figaro, où M. Valls s'acharne à renforcer tous les thèmes du sarkozysme:

Nous avons un président hyperactif. Cela ne me choque pas. Les Français lui ont donné la légitimité pour agir. Si l'hyperactivité ne peut pas être sa seule marque de fabrique, je me garderai bien d'un jugement hâtif. [...]

Légitimité? S'ils étaient malins, les socialistes s'abstiendraient de prononcer ce mot dans la même phrase que le mot "Sarkozy", ou même, que dis-je, dans le même paragraphe, ou le même jour... L'immense "légitimité démocratique" de notre immense président est ce qui justifie toutes les dérives, le cas le plus visible étant celui de Rachida Dati dans sa conception de son rôle vis-à-vis des procureurs. (L'autre prétexte à dérives est bien sûr : "c'était une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy".) Mais reprenons Valls en vol.

Nous sommes au bout d'un cycle: une grande partie des idées de gauche se sont épuisées. Pour que le PS retrouve une crédibilité, il doit être porteur d'un projet vraiment différent. Cela demande du temps et beaucoup de travail. Si nous ne changeons pas en profondeur notre logiciel, nous resterons durablement dans l'opposition. Face à la droite, nous devons nous opposer en trouvant le ton juste, contrôler l'action du gouvernement, mais aussi proposer. Nous pouvons faire un bout de chemin avec la majorité, à condition qu'elle nous entende, sur des sujets qui peuvent faire consensus. Je pense aux moyens qu'il faut donner à la justice, à la lutte contre la criminalité ou encore au dossier de l'immigration. (C'est moi qui souligne, o16o.) [...]

Ce que je souligne ici, c'est l'énorme erreur stratégique qui consisterait à appuyer la droite sarkozyste justement sur le point où il faudrait au contraire commencer à faire payer au Très Grand Homme (TGH) ses flirts avec l'extrême droite pendant la campagne. S'il y a bien une domaine où Sarkozy n'est pas légitime (politiquement, moralement), c'est bien celui-là. Si la gauche doit "faire un bout de chemin avec la majorité" sur cette route-là, précisément, on doit se demander s'il y aura encore des endroits où il faudrait laisser l'UMP s'embourber tout seul.

Nous sommes dans une économie de marché, il faut l'admettre définitivement. Nous devons dire également que le travail est une valeur, que nous ne sommes pas favorables à une société de l'assistanat. [...]

Le deuxième sujet essentiel, c'est celui de l'autorité, qui est en crise. Une société a besoin de règles et d'ordre. L'autorité, républicaine, est une valeur de gauche, car son bon exercice permet de créer et de préserver le lien social, le « vivre ensemble ». [...]

Et c'est là où crie "Arrête!" (Ou: "arrêtez", je m'imagine plutôt en train de vouvoyer Manu Valls.) C'est presque le texte même du discours de Sarkozy le 6 mai :

Le peuple français s'est exprimé. Il a choisi de rompre avec les idées, les habitudes et les comportements du passé. Je veux réhabiliter le travail, l'autorité, la morale, le respect, le mérite. Je veux remettre à l'honneur la nation et l'identité nationale. Je veux rendre aux Français la fierté d'être Français. Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres.

Bien entendu, cette approche ne se limite pas à ce seul entretien au Fig. Le voici le 10 septembre:

Le député-maire PS d'Evry Manuel Valls a déclaré lundi qu'"il faudra aligner les régimes spéciaux sur le régime général", reconnaissant l'utilité d'une réforme évoquée dimanche par le Premier ministre François Fillon.

"Il faut dire la vérité aux Français, il faut être clair, (...) il faudra aligner les régimes spéciaux sur le régime général", a-t-il déclaré sur RTL, reprenant des propos tenus également dans "Les Echos".

"C'est une question d'abord d'équité, et puis aussi une question financière parce que nous savons que demain il y aura pour ces régimes (spéciaux, NDLR) beaucoup plus de retraités que d'actifs", a-t-il expliqué.

La gauche n'a qu'à suivre le bon exemple de la droite. Toute contestation est inutile et, surtout, infondée.

Ce qui est ahurissant, ce n'est pas tant que Valls cherche à se placer plutôt à droite de la gauche, même si je trouve cette stratégie criticable et vouée à l'échec, c'est qu'il semble ne pouvoir parler qu'en validant tous les thèmes de Sarkozy.

Pourquoi faire ainsi? CSP y voyait, au début, des signaux genre Michel Rocard, pour laisser savoir à l'Elysée que Valls serait favorable à une place dans l'ouverture. Mais il semble clair que Valls se voit bien dans le PS, et que toutes ces remarques ont été faites pour avancer à l'intérieur du parti, et même pour participer à sa mythique réfondation.

C'est ainsi qu'on en vient à comprendre la stratégie de Valls. Valls veut être le Sarkozy de la gauche. C'est une manière d'avoir raison contre ses camarades car il se sait que les fondements de son discours son appuyés par les médias et sont en train d'être intégrés dans le "sens commun" d'une grande partie de l'électorat, y compris, malheureusement, celui de gauche. Autrement dit, Valls veut prendre pour lui un peu de la "rupture" sarkozyenne. Être sarkozyste, même quand on est au PS, c'est, semble-t-il, être moderne, lucide, pragmatique, et dans l'air du temps.

Et pourtant, même quand elle n'est engagée que par un seul malin, c'est une démarche catastrophique. Car Valls, même individuellement, est en train de saper les arguments d'opposition du PS. Le débat qui devrait se tenir entre le PS et l'UMP pourrait devenir un nouveau prétexte pour la bagarre interne au PS.

Donc : non, on ne peut pas être d'accord avec l'"analyse" sarkozyenne de la société française et de tous ses problèmes et baser son opposition sur des considérations de méthode. Autant alors disparaître en tant que force politique. Je ne sais pas quel est l'avenir du PS, mais je sais que ce n'est pas avec Sarkozy.

3 commentaires:

t0pol a dit…

Très bon billet, clap-clap , la stratégie de Valls est étrange...

Heureusement que tout le PS n'est pas derrière lui. Vivement qu'on clarifie tout ça.

Anonyme a dit…

Le problème ce sont ces socialistes qui croient parler au nom du parti socialiste ne font que contribuer à brouiller les cartes. Stragtégie hautement sarkozienne s'il en était !

o16o a dit…

@dagrouik: Merci! J'ai l'impression que la stratégie de Valls tend à le singulariser au sein du PS. C'est une technique rhétorique et un positionnement pour marquer des points en interne.

@jon: Valls a trouvé une nouvelle manière de discréditer le PS!