15 juillet 2009

Programme ?!? Hah !

Voici une reconstruction fictive du processus de sélection d'un candidat et d'un programme UMP.

Chef : Ça va être qui le candidat ?

[divers cris de : Moi! Moi! Moi!]

N° 1 C'est moi le candidat. Je suis le plus fort. J'atomise tout le monde.

MAM Non, vous ne m'atomisez pas.

N° 1 Ah, non, je me permettrais pas, d'ailleurs. Mais je suis quand même plus fort que vous. [sourire goguenard]

N° 4 Il faut d'abord faire un programme !

[Grosse rigolade dans la salle.]

Chef : On n'est pas au PS, imbécile! De toute façon, le "programme", c'est toujours le même : il faut baisser les charges et les impôts.

N° 4 Mais on ne peut pas faire une campagne là-dessus...

Chef Après c'est au candidat de raconter des trucs pour se faire élire. C'est libre. Tu fais ce que tu veux : écolo, socialo... Nous, on s'en fout.

[Consultation des militants UMP. N° 1 reçoit plus de 90% des voix]

13 juillet 2009

Karachigate, même sans l'attentat

Petit à petit, Karachigate s'impose. Je prends pour preuve le fait que l'ancien journal de référence a enfin fait un papier sur l'enquête en cours, sans se cacher à chaque phrase derrière des "Mediapart dit que..." ou des "Bakchich dit que...", comme c'était le cas il n'y a pas si longtemps. Non, cette fois-ci il y aurait des éléments dignes d'un journal véspéral.

Qui sont les véritables auteurs de l'attentat commis le 8 mai 2002 à Karachi, au Pakistan, dans lequel onze Français de la direction des constructions navales (DCN) ont trouvé la mort ? Cette question se pose avec une force nouvelle depuis que le juge d'instruction chargé de l'enquête à Paris, Marc Trévidic, a écarté soudainement, fin juin, la piste Al-Qaida, et qualifié de "logique" celle liée au non-versement de commissions dans un contrat de sous-marins de la DCN à Islamabad.

Et on admet même qu'il pourrait y avoir une implication chiraco-balladurienne :

Cette autre piste pourrait potentiellement avoir des implications politiques explosives si elle mettait au jour un financement lié à la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995, dont Nicolas Sarkozy, actuel chef de l'Etat, était proche.

Mais...

la justice ne dispose à ce jour que de peu d'éléments, que ce soit dans le volet terroriste ou financier, pour soutenir une quelconque accusation. Seule réelle avancée des magistrats : la mise en lumière des dessous des grands contrats internationaux de la DCN (devenue DCNS après sa fusion en 2007 avec Thales) en matière de pots-de-vin [...]

À prendre avec des pincettes quand même, donc.

En tant que misérable blogueur, agent du « tout-à-l'égoût de la démocratie » (ne l'oublions pas), on ne peut pas espérer apporter des informations, mais il reste possible, et même utile, d'en commenter l'encadrement médiatique et politique. Et sur ce plan, il devient de plus en plus clair qu'il ne faut pas se laisser obnubiler par l'attentat et la responsabilité de l'attentat. Je m'explique.

Même sans l'attentat contre les ingénieurs français, le principe de rétrocommissions au bénéfice d'une campagne présidentielle est un problème en soi. Tout de même. La véritable « affaire d'État » est . Aucun niveau de pourriture dans la politique française ne saurait justifier un tel acte. Il ne s'agira jamais d'accuser les balladuriens ou les chiraquiens d'être directement responsables de l'attentat. Et comme je disais, même si l'attentat n'avait jamais eu lieu, cela n'enleverait rien à la gravité de l'accusation de rétrocommissions.

Quand Denis Olivennes interrogait le Très Grand Homme (TGH) sur la question du journaliste (courageux, soit dit en passant) de l'AFP qui lui a demandé s'il était au courant de rétrocommissions, le TGH avait dit que la question à laquelle il voulait répondre était celle là : quelle était la cause de l'attentat ? Pourquoi voulait-il cette question là ? Parce que c'est une question stupide. Même avec ses super-pouvoirs, le Président de la R. n'est pas censé savoir lire dans la pensée des terroristes, d'autant moins qu'on ne sait pas qui ils sont. L'identité des auteurs de l'attentat reste une question importante, mais désormais il y a deux questions indépendantes : celle de l'attentat et celle des rétrocommissions. Vous pouvez être certain que le camp des « balladuriens » préférera parler de l'attentat plutôt que des rétrocommissions.

Et c'est le sens du papier du Monde, qui démarre sur cette question :

Qui sont les véritables auteurs de l'attentat commis le 8 mai 2002 à Karachi, au Pakistan [...] ?

La réponse à cette question là risque de rester obscure. Elle risque aussi d'être complexe :

S'agirait-il d'une mesure de rétorsion d'une frange de l'ISI contre les Français qui ont vendu, en juin 2001, six sous-marins à l'Inde, l'ennemi juré, comme l'a suggéré Le Canard enchaîné ? Ou d'un réel attentat islamiste commis par des extrémistes pakistanais dénonçant le lâchage des talibans afghans par leur gouvernement et son alliance avec les Occidentaux ? Ou encore de règlements de comptes au sein de l'appareil militaire pakistanais, qui connaîtra même un volet judiciaire après la poursuite de généraux de la marine pour corruption ? Faute de preuves, aucune thèse ne l'emporte.

On peut toujours imaginer toutes sortes de manipulations qui auraient permis de combiner plusieurs de ces pistes dans l'organisation d'un attentat.

En revanche, la réponse à la question des rétrocommissions risque d'être très simple.

11 juillet 2009

Karachigate : l'élection présidentielle de 1995 ne connaît aucune frontière ?

Les exemples s'empilent. Ce matin je pense surtout à cet épisode où Nicolas Sarkozy a frôlé l'incident diplomatique avec le Royaume-Uni lorsqu'il s'est moqué à la télé française du plan de relance de Gordon Brown. Dans un geste typique de Berlusconi, finalement, Nicolas Sarkozy semble oublier que ses paroles puissent franchir la frontières, et même La Manche... ou encore la Méditerrannée.

Peuples s'intérrogait sur l'instrumentalisation de l'affaire des moines de Tibéhirine pour au moins brouiller les pistes sur Karachigate. Et il n'est pas le seul, car si Peuples dit « contrefeu », le Quotidien d'Oran dit « coupe feu » :

En somme, la relance de l'affaire des moines de Tibehirine a cet avantage pour Sarkozy qu'elle met en accusation ses adversaires, tout en faisant oublier celle de l'attentat de Karachi. Et peu importe qu'au passage les relations algéro-françaises en subissent l'effet destructeur.

Saura-t-on un jour si, dans ces affaires, Sarkozy et les siens oublient réellement l'existence des pays étrangers, le temps d'un coup médiatique, ou s'ils s'en foutent tout simplement, ou encore si tout cela fait partie d'une « stratégie secondaire » hyper bien conçue.

Les commentaires du Très Grand Homme (TGH) sur la question nous font pencher dans le sens de l'improvisation télévisuelle :

Nicolas Sarkozy a affirmé que ses rapports avec son homologue Abdelaziz Bouteflika n'en étaient pas affectés. "Pourquoi voudriez-vous qu'avec le président algérien mes relations s'en trouvent bouleversées? La justice est saisie, que la justice dise la vérité", s'est-il exclamé. "Moi, je m'en tiens quand même au communiqué, je crois numéro 44, du GIA en 1996 revendiquant l'assassinat des moines", a-t-il dit.

Quelle bourde diplomatique ? Moi ? (Sans commenter le fait que le TGH parle de « La Justice » sans même mentionner qu'il pense à la justice française, un détail qui en général a une certaine importance dans les relations internationales, et à plus forte raison dans les relations d'un pays avec ses anciennes colonies...) Pour le coup, l'effet de la vérité pourrait être intéressant, tant à l'époque le doute planait sur chaque massacre commis en principe par le GIA. L'hypothèse de l'implication du pouvoir avait à l'époque de sérieux arguments, et on comprend très bien que certains ne souhaitent pas rouvrir le dossier. (J'ajoute que l'on va jusqu'à supposer que Boutéflika tirer profite de la situation : Libération se demande si finalement cette histoire n'arrange pas Boutéflika qui chercherait à déstabiliser légèrement sa propre armée.)

Remarquons, au passage, cette thématique essentielle, à Karachi comme en Algérie : la possibilité, à chaque fois, que tel attentat « terroriste » soit en réalité organisé par des militaires. Je comprends mieux que Bigard ait des doutes sur 11 septembre, à force de fréquenter les couloirs du pouvoir. [Edit: phrase modifiée pour indiquer que je ne me suis pas converti au bigardisme.]

Du simple "contrefeu" médiatique, nous sommes à nouveau au bord de l'incident diplomatique, voire avec la déstabilisation d'un régime voisin. Nicolas Sarkozy n'est plus seulement Ministre du Budget ou directeur de campagne d'un candidat malheureux ; soudain (si c'est bien le cas) les manoeuvres dans la guerre des clans opposant chiraquiens et balladuriens s'emballent avec des conséquences qui dépassent largement l'investiture à l'élection présidentielle de... 1995.

Il est difficile dans ces circonstance, et en cherchant à comprendre un peu, de ne pas se laisser aller dans le sens des complots et des contre-complots, aussi « grotesque » que cela puisse paraître. L'épisode Tibéhrine de Karachigate semble confirmer le fait que, pour règler les comptes aux uns et aux autres, les « chiraquiens » et les « balladuriens » restent, encore aujourd'hui, prêts à aller très loin, aussi bien dans la torsion des coups, mais loin, géographiquement, se servant des pays du sud pour règler leurs petites affaires parisiennes.

7 juillet 2009

Ce que je n'aime pas dans le socialisme actuel

Depuis le Congrès de Reims et « l'élection » de la Première Secretaire, depuis la raclée du PS aux élections Européennes je ne me considère pas obligés de défendre le PS. J'estime que le PS occupe un créneau politique dans lequel je devrais pouvoir me reconnaître, et surtout, qui devrais être décisif dans la vie politique. Occupant ce créneau, j'estime qu'ils ont une responsabilité. Si aujourd'hui rien n'indique que le PS compte prendre au sérieux cette responsabilité, même le sympathisant lambda est en droit de se montrer plus exigeant.

L'une des conséquences heureuses du score calamiteux du PS aux européennes, donc, était le succès des écologistes. Le pôle écologique n'avait pas pesé lourd à Reims Soudain, on s'intéres, alors que soudain nous apprenons que le socialisme n'a pas besoin d'être productiviste, et même qu'il a pris un tournant historique majeur :

Le socialisme est né du rapport capital-travail dans l'entreprise. Nous l'inscrivons désormais dans un rapport capital-travail-nature.

C'est Martine Aubry qui parle, dans son entretien au Monde. Après un siècle et demi d'affrontement entre le capital et les travailleurs, on invite « la nature » à la table. La formule a au moins le mérite de vaguement refleter la distribution des forces politiques en France - UMP, PS, écolos - mais dans sa formulation même annonce son échec.

Je ne suis pas au courant des théories les plus récentes de l'écologie politique, mais je suis un peu surpris de voir le terme « Nature » réapparaire dans le discours de la PremSec. Cela a quelque chose de vieux jeu. Je regarde le site du Pôle Écolo sans trouver (sur la page d'accueil) une seule fois le mot « Nature ». Ils ne parlent que de renouvelable, voitures électriques. Idem pour Les Verts : pas une seule fois « Nature » (sur la page d'accueil). Bon, Aubry veut être théorique, elle va à l'origine des choses, tant mieux, me dis-je. Mais aussitôt, à la suite de la phrase que j'ai citée :

Mais il ne faudrait pas que la nécessaire lutte contre le réchauffement climatique et pour la préservation de nos richesses naturelles nous conduise vers une sorte de néonaturalisme, une société qui refuserait l'innovation, la création, la mobilité, et qui se replierait sur elle-même, sur la tradition, sur des tribus, des communautés. L'écologie est compatible avec le développement et le progrès.

Il fallait bien parler « Nature », mais voilà où le mot nous mène. Vers une société troglodyte, avec tout le Bureau National du PS en train de vivre de la cueillette, des « tribus »... Qui a parlé de tribus ? Pas les écologistes en tout cas. Mais cette image de la « Nature » montre bien que la Nature est bien extérieure à l'idéologie d'un certain PS. D'où la fantasmagorie, et, surtout, la crainte immédiate que l'écologie vienne freiner le progrès économique. Là où par ailleurs on parle même plus de « développement durable » mais de « croissance verte », Martine Aubry en est restée au stade du conflit entre les industriels et écolos. Et s'il faut freiner un peu le capitalisme, il commence à devenir de plus en plus clair pour moi que le socialisme titiniste est fondé sur un dialogue privilégié justement avec le Kapital.

Et voilà le problème de fond. J'ai fini par pouvoir mettre le doigt sur ce qui me gênait dans tout un pan du socialisme actuel. Marc Vasseur avait cette citation, issue d'un dossier de L'Express sur Aubry :

« « Je voulais que Martine Aubry leur (aux patrons du nord) dise en face ce qu’elle ne cessait de répéter dans ses discours, indique l’hôte des lieux. Que si la finance internationale avait été dirigée par des grands patrons sociaux du Nord, la crise ne serait jamais survenue. ». C’est Bruno Bonduelle qui a tenu à déclarer cela à propos d’une rencontre entre Martine Aubry et ces derniers...

La « solution » sociale serait à trouver justement dans cette entente avec des très grands patrons, un peu éclairés, guidés finalement par un PS très familier, très proche, l'interlocuteur privilégié dont le rôle est d'harmoniser les relations sociales tout en agissant systématiquement pour le bien de ces entreprises, dans un rôle pas si différent de ce que fait, je prends un exemple au hasard, Nicolas Sarkozy quand il arrange les choses pour ses amis du Medef. La distinction serait dans le poids donné au social, mais l'accent mis sur la réussite du capital à presque tout prix n'est pas ce qui permet de différencier les deux camps.

Admettons qu'une telle position était logique pendant les Trente Glorieuses, ou même jusqu'à ce qu'on se rend compte de la mondialisation de l'économie. Les grands patrons du Nord de la France ont eu quelques soucis, et sont loin, mais très très loin, d'être en mesure de gérer les finances du monde. Et c'est précisément dans ce monde mondialisé, où le travail se délocalise pour un oui ou pour un non que le socialisme doit devenir une véritable force critique. Il n'est plus question de faire confiance aux très grandes entreprises. Les arrangements ne seront plus favorables. La solution ne viendra pas d'une compromise entre ces forces. Il faut faire avec son temps, sortir de la nostalgie d'une époque où tout pouvait se négocier entre partenaires sociaux.

Je garde un petit espoir que le discours écologique fournira quelques éléments pour une position véritablement critique, mais il faudrait un PS qui veuille bien entendre.

6 juillet 2009

Drôle d'Epok

Dans mon dernier billet, j'ai mentionné le célèbre entretien du Chef de l'État avec Denis Olivennes, l'ancien PDG de la Fnac, reconverti, paraît-il, dans le journalisme. Les confrères blogueurs n'ont pas apprécié que ce même Olivennes considère que "internet" est le "tout-à-l'égout de la démocratie". Après avoir détruit l'art et la culture, l'internet vise donc la démocratie elle-même, donc. On peut s'interroger sur cet usage du mot même d'"internet" dans ce contexte, comme si c'était une simple chose, ou un produit unique, comme l'iPod par exemple, vendu à la Fnac. Monsieur Olivennes, l'ancien "agitateur depuis...", devrait savoir, pourtant, que l'internet n'est plus vraiment une chose, mais est devenu l'air que respire une certaine société moderne et occidentale. C'est cette même attitude qui a produit des abérrations comme Hadopi, les subventions pour la presse écrite payées par les fournisseurs d'accès, et fnac.com.

Denis Olivennes publie donc dans Epok, pardon, dans le Nouvel'Obs cet entretien qui a déjà reçu, quand même, un certain nombre d'attaques bien mérités, en commençant par les rédacteurs eux-mêmes du Nouvel'Obs, mais aussi (et surtout!) les blogueurs : Juan, Dagrouik, entre autres, et surtout Vogelsong qui nous livre un réquisitoire méchant juste comme il faut, auquel je n'ai pas grand'chose à ajouter.

Qu'est-ce qu'il y de si insidieux dans cet entretien, hormis le fait qu'il n'est pas paru dans Figaro Magazine ? Là où Olivennes passe véritablement les plats, c'est dans le détournement permanent du politique vers la "personnalité" du TGH. Souvenez-vous de ce "je ne suis pas narcissique" ou de cette magnifique explication du bling-bling :

Ces critiques avaient commencé bien avant le Fouquet’s. Cela correspondait à une époque de ma vie personnelle qui n’était pas facile et où j’avais à me battre sur plusieurs fronts.

Bon à savoir. Si j'ai des difficultés côté perso, je n'hésiterai pas à compenser par la multiplication des signes extérieurs de richesse. Se battre sur plusieurs fronts. Le pauvre.

Et pendant que nous nous appitoyons sur le pauvre petit Très Grand Homme, nous nous détournons du politique. Et c'est peut-être là où est le secret de l'alchimie Olivennes-Sarkozy : tout peut se réduire à du personnel, à des facettes de cette personalité insondable. Karachigate ? La question du journaliste ne me plaisait pas. Conception monarchique de la présidence ? Euh, j'ai grandi.

Eh bien, ici à la Pire Racaille, on s'en fout de la personalité du Président de la R., on s'en fout s'il grandit ou au contraire se rapetisse. Mais on n'est pas pour autant indifférent devant la compromission de la presse. Pourtant, cela ne devrait pas nous surprendre. (À ce propos, David Desgouilles fournit des intuitions importantes sur les liens entre Sarkozy et les « libéraux de gauche » comme Minc et Olivennes.)

Pendant les dernières semaines de la campagne présidentielle, j'entendais sans cesse : « il ne faut pas diaboliser Sarkozy ». Je ne me souviens pas de l'origine de ce thème, mais il est évident qu'aujourd'hui, déjà, après deux ans seulement, tout ce qu'on pouvait craindre est déjà en place. Sans parler des libertés individuelles, du Ministère de la Haine et de l'Identité Raciale, nous sommes effectivement arrivés à ce bloc de pouvoir médiatico-politique qu'il était déjà logique, en 2007, de redouter. L'« ouverture » est une bide politique qui ne sert qu'à maintenir la pression sur les cadres UMP. L'« ouverture » idéologique qui permet à cet homme de réseaux à peser sur presque tous les médias traditionnels est bien plus dangereuse.

3 juillet 2009

Karachigate et moi, et vous, et eux... et lui

Petit à petit, des éléments sur "l'affaire Karachi" (ou "Karachigate", puisque ainsi qu'il faut l'écrire désormais) sortent. Sortent, oui, mais sortent où ? Pas au grand jour médiatique et télévisuel, bien sûr. La presse dite écrite se contente de commenter l'enquête menée par les magistrats et par Mediapart. Le dernier papier du Monde, par exemple, est truffé de ces "Selon le site Internet Mediapart" et "Mediapart appuie sa révélation sur le témoignage d'un ancien agent de la Direction de la surveillance du territoire (DST), Claude Thévenet" sans qu'il y ait le moindre mot qui puisse mouiller l'ancien journal de référence. On informe sur ceux qui font du journalisme, mais pas plus. Ou encore, il faut parler pour soi, comme l'a fait Eva Joly dans une très bonne Opinion pour plaider contre la suppression des juges d'instruction et une redéfinition du "secret défense" qui pourraient, ensemble, rendre les Karachigates de l'avenir totalement opaque à la justice, à la presse, aux citoyens.

Dommage qu'il faut être un média alternatif, comme Arrêt sur image, pour enquêter sur cette affaire.

Le rôle des blogueurs est donc de synthétiser, de rassembler les informations. Et surtout d'empêcher cette histoire de s'éssouffler devant l'apathie médiatique. La démocratie française moderne fonctionne en montant en épingle certains petits épisodes. À partir d'une pratique vestimentaire ultra-minoritaire de certaines femmes musulmanes, nous nous dirigeons vers un grand débat national sur le sens profond de la République qui risque d'occuper nos ondes pour des centaines d'heures de débats inutiles. Karachigate n'est ni un détail, ni un fait divers, mais, si l'hypothèse la plus probable devait s'avérer, une grave affaire d'État. S'il y a bien des épisodes qui méritent de recevoir toute l'attention dont la machine médiatique est capable, Karachigate en est un.

Le rôle des blogueurs est donc de maintenir le buzz. Nous avons au moins ce pouvoir de lutter contre l'oubli programmé d'une histoire un peu trop compliquée pour servir accompagnement à la publicité de 20 heures. Cherchez #Karachigate sur Twitter et vous verrez qu'il y a en effet du buzz.

Maintenir la visibilité de Karachigate demande cependant un effort constant, une lutte contre l'inertie des médias, de l'État lui-même. On le constate au plus haut niveau, lorsque le Très Grand Homme (TGH) essayait d'humilier un journaliste AFP qui a osé lui poser une question pointue et peut-être même gênante sur sa possible connaissance de l'affaire, en tant que Ministre du Budget. Ou encore, ce qu'il n'a pas dit (mais Juan, si), en tant que directeur de campagne du malheureux Balladur.

Le clip d'un TGH se débarrassant de la question avec mépris, et avec ce célèbre "la douleur des familles et des trucs comme ça" qui a déjà fait le tour de l'internet, nous montre surtout un président qui botte en touche, ou qui fait diversion. Car dire qu'une hypothèse est "grotestque" n'est pas dire, tout simplement : "non, je n'avais pas connaissance de rétrocommissions". Il était plus simple de fanfaronner que de répondre à la question.

Du coup, lorsque l'on lui pose la question, dans cet entretien du TGH au Nouvel'Obs, déjà désavoué par les rédacteurs du même Nouvel'Obs, Sarkozy explique son comportement, indigne et grotesque, ainsi :

N. O. – Tout récemment encore, à Bruxelles, vous avez éconduit un journaliste de l’AFP qui vous interrogeait sur les rebondissements dans l’enquête judiciaire sur l’attentat de Karachi.

N. Sarkozy. – Si ce journaliste m’avait demandé: "L’assassinat de nos compatriotes est-il lié à un différend franco-pakistanais à propos de commissions non payées ?", je lui aurais répondu que je n’en savais rien et qu’il fallait que la justice aille jusqu’au bout de la recherche de la vérité. Mais la question était : "Vous étiez ministre du Budget, vous souteniez Balladur dans la campagne présidentielle, il y a l’attentat de Karachi, est-ce que vous étiez dans le coup ?" Je fais de la politique depuis trente-cinq ans, je n’ai jamais été associé à un scandale quel qu’il soit, et pourtant on a enquêté sur moi sous tous les angles. Cela devrait vous rassurer d’avoir un président pointilleux sur les questions d’honnêteté. J’en ai connu d’autres qui disaient à la télévision: "Des écoutes ? Moi, jamais." Je ne suis pas capable d’une telle hypocrisie !

Pas "capable d'une telle hypocrisie" ? Pas narcissique ? Évidemment, il aurait été très facile de dire qu'il n'en savait rien sur le lien entre l'attentat et les (rétro)-commissions. Comment sonder l'esprit d'un terroriste, n'est-ce pas, surtout quand on ne sait même pas qui était l'auteur de l'attentat ? Beaucoup plus dur de répondre : "je n'étais pas du tout au courant d'un financement pakistanais de la campagne Balladur..." Dur, dur.

Bon, admettons qu'il n'était pas, psychologiquement, préparé à répondre sur le champ à cette question, et que la dignité de sa très haute fonction l'obligeait à faire diversion, de préférence de façon indigne. Admettons. Ce que je trouve difficile à admettre, c'est que le Président de la République n'accepte pas qu'on le questionne là dessus. Il n'a pas été accusé, c'était une question relativement simple. Mais visiblement inadmissible. Et c'est cela qui est inadmissible.