21 avril 2011

Comment faut-il que le PS réponde à la question de l'immigration ?

Visiblement, le cocktail idéologique à base de xénophobie que la droite nous prépare pour 2012 continue d'être le grand sujet du moment. C'est ce qui me préoccupe alors que, paradoxalement, je pense que l'enjeu essentiel pour la gauche va être de pouvoir parler d'autre chose. Ce qui ne sera pas évident.

Les sondages continuent de mettre Marine Le Pen au centre des choses, et, en raison des considérations géométriques de l'élection à deux tours, les grandes questions et fantasmes idéologiques se heurtent à la grande passion, assez maladive, de la presse : qui va être le candidat du PS ?

Une chose me paraît certaine : le candidat de la gauche se fera massacrer au second tour s'il n'a pas une stratégie efficace vis-à-vis des questions d'« immigration » et d'« Islam ». Je mets des guillemets parce que ce n'est pas vraiment l'immigration qui inquiète les gens qui sont inquiets par l'immigration, et la même chose vaut, ou presque, pour l'Islam. Il y a deux ans je parlais d'une «purification symbolique de la Nation », et c'est encore à peu près ça.

Nicolas J. pose le problème clairement:

La campagne est lancée. Deux thèmes : le pouvoir d’achat et l’immigration.

Comme en 2007. Comme en 2002. Comme en 1995.

[…]

C’est reparti.

La gauche doit répondre. Sur ces thèmes.

Et dans un billet où Juan interroge, avec une maîtrise et un franc-parler réjouissants, Philippe Cohen, celui-ci souligne bien l'urgence idéologique de la situation :

Mais je crois que cette polémique renvoie à des questions qui se posent à toute la gauche et, au-delà à tous les républicains : pourquoi la gauche ne profite-t-elle pas vraiment de la plus grosse crise financière de puis 1929 ? Pourquoi l’affaiblissement de Nicolas Sarkozy profite-t-il davantage au Front national qu’à la gauche ou au centre ? Pourquoi les gens du peuple, et notamment les classes d’âge actives (les 24-49 ans) sont-ils si séduits par Marine Le Pen ? Nous ne pourrons éviter de répondre sérieusement à ces questions si nous ne voulons pas laisser un boulevard à quatre voix au Front national.

Au lieu de répondre à ces questions, une partie de la gauche préfère stigmatiser ceux qui osent aborder les thématiques du FN. Ainsi, il ne faudrait parler ni de l’immigration, ni de l’insécurité grandissante, ni des excès de l’islamisme radical. Déjà stupide en soi, cette logique aboutit aujourd’hui à une impasse : puisque Marine Le Pen parle du chômage et de la crise de l’euro, il faudrait aussi éviter ces questions ? Il faut que les responsables de la gauche se réveillent !

(En passant: il me semble inutile d'aborder la dispute assez stérile avec Sophia Aram. Je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas plusieurs façons de réagir et résister au Front National.)

Les remarques de Philippe Cohen sont effrayant et je suis à peu près d'accord avec son analyse de l'échec du PS auprès de l'électorat populaire. Il y a un malaise profond chez ces électeurs, et il est bien triste que ce malaise se manifeste dans cette réaction xénophobe. Je continue à penser, néanmoins, que la forme inacceptable que le malaise à finir par prendre est surtout due au fait qu'aucun autre discours politique n'était adressé à cette tranche de la population. (J'ai abordé cette question l'autre jour.) Le PS n'a jamais était un parti populaire, et, après l'évaporation du PCF, n'a jamais entrepris de le devenir. Depuis 2002, exactement neuf ans aujourd'hui, donc, il paie le prix de cette incapacité à s'adapter.

Tout cela pour dire que « l’immigration », « l’insécurité grandissante », ou les « excès de l’islamisme radical » ne sont les vrais problèmes. D'où le problème de la gauche : si elle se montre « dure » sur l'immigration, l'Islam etc., elle ne l'est jamais assez pour ceux qui sont vraiment dans la paranoïa, et elle perd sa crédibilité de gauche. Et si elle reste dans la logique de la condamnation morale et le front républicain, elle passe complètement à côté de cet électorat qui, plus qu'aucun autre, a besoin de la gauche. C'est vraiment à pleurer.

L'enjeu, pour 2012, et après, va être de trouver une manière de neutraliser la question (la « bonne question » à laquelle ils apportent des « mauvaises réponses »). Je le dis en gras : *la gauche ne doit pas valider l'idée selon laquelle c'est la faute des « immigrés »*. C'est suicidaire, répugnant et tout le reste. Mais je suis d'accord qu'il faut répondre, quand même. Faut trouver. Il reste quelques mois.

8 commentaires:

Briouwat a dit…

Sur le même sujet je vous conseille l'article de Sophia Aram dans le Monde
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/11/l-insupportable-banalisation-mediatique-du-front-national_1505881_3232.html

omelette16oeufs a dit…

Briouwat

Oui, j'ai failli le citer, et puis j'ai pensé que ça allait m'amener trop loin. La banalisation est d'abord politique : l'UMP a déjà presque tout siphonné au Front National.

A2N a dit…

Bonjour,

Le FN a réussi à se placer au centre du terrain politique en raison surtout de l'incurie des professionnels de la politique. Quant aux médias, il n'y a rien de nouveau sous le soleil, à savoir qu'ils vont dans le sens où le vent souffle. Il suffirait que la nouvelle égérie du FN leur dise que les " immigrés" pratiquent le cannibalisme pour que certains journalistes en fassent des choux gras. C'est à cela que l'on mesure le niveau du journalisme à la française. Nicolas Sarkozy n'a t-il pas profité du suivisme médiatique en 2007 ?
Plus grave, et c'est là que réside l'incapacité des politiques, notamment du PS, à se sortir du piège tendu par le FN, c'est le fait qu'ils se sentent obligés de surenchérir sur les thèmes de prédilection de ce parti raciste.Pour preuve, Manuel Valls, c'est à cela qu'on le reconnaît, ne vient-il pas de sortir un livre sur la sécurité; ce qui ne peut que convenir aux frontistes qui y voient l'occasion de conforter leurs thèses sur les liens existant entre " l'immigration" et " l'insécurité". Or, et c'est l'évidence même, ce n'est pas la surenchère sécuritaire qui donnera du travail aux résidents basanés mais Français des quartiers dits " sensibles". C'est encore moins le le vote de lois d'exception pour " gérer" ces zones peuplés de " sauvages" qui fera oublier qu'il y a une réel racisme structurel dans cette société, d'où le fait que l'on préfère évoquer "l'Islam" et " l'immigration" pour ne pas ouvertement parler des Noirs et Arabes. C'est dire si le PS serait bien inspiré de proposer un programme économique fort, innovant et courageux, afin de donner un élan nouveau au pacte républicain. A défaut, il ne faudra pas pleurer lorsque la fille Le Pen s'installera à l'Elysée en 2012. Il ne s'agit plus d'utopie, puisque Nicolas Sarkozy a passé son temps à se comporter en VRP FN, légitimant ainsi les thèses autrefois nauséabondes de ce parti de " vrais Français"...

A2N

Didier Goux a dit…

« Je mets des guillemets parce que ce n'est pas vraiment l'immigration qui inquiète les gens qui sont inquiets par l'immigration »

Relisez cette phrase que vous avez écrite : elle vous dira pourquoi Mme Le Pen va continuer à monter malgré vos moulinets de bras et vos pseudo-interrogations.

omelette16oeufs a dit…

A2N,

Oui. Il y a un suivisme général qui inclut le PS. Cette fois c'est l'Elysée qui a donné le "la". Le PS apparaît vraiment comme dominé, en termes de message et d'agenda. Valls ne fait que ce que Chévènement avait commencé sous Jospin... avec les résultats que l'on sait. La gauche se fera encore laminée sur la question s'ils ne changent pas de stratégie.

Didier Goux,

Ah bon ? J'étais persuadé que ce billet allait arrêter tout de suite la montée de votre chère Marine.

Didier Goux a dit…

Oh, “ma chère Marine” est extrêmement exagéré ! Disons que je m'amuse beaucoup de voir tous les gauchistes de la blogosphère se tordre en tous sens, tels des asticots dans la musette du pêcheur, psalmodier du matin au soir des "yaka" et des "ifaukon" afin de conjurer le spectre du fascisme qu'ils croient discerner sous le casque blond de la dame, tout en s'interdisant, a priori et par principe, de voir pour quelles raisons le populo leur a dédaigneusement tourné le dos pour aller se jeter dans les bras du repoussoir universel.

Je vous assure que le spectacle que vous offrez (le "vous" est collectif…) est du plus haut comique. et quelque chose me dit que ce comique va encore gagner en intensité et saveur à mesure qu'on va se rapprocher du grand barnum de 2012.

omelette16oeufs a dit…

Didier Goux,

C'est qu'on réfléchit entre nous sans avoir peur d'être critique. Tant mieux si le spectacle vous plaît. C'est nécessaire avec un PS qui en général se débrouille très mal, communique très mal, s'oriente très mal.

Sinon, le vrai problème politique n'est pas Marine Le Pen, mais Sarkozy, Guéant, Hortefeux, Buisson.

Didier Goux a dit…

Voilà, c'est ce que je dis : si vous vous obstinez à penser que le problème est tout entier dans les hommes politiques (ceux-ci ou ceux-là, peu importe), vous vous condamnez à demeurer totalement inefficaces. En tout cas “inaudibles” suivant le mot imbécile fort à la mode.

(Bon, et j'arrête là mon squat intempestif…)