13 mai 2012

Défaite du bonhomme, de ses idées et des idées des voisins

 

Depui la défaite de Nicolas Sarkozy, avec sa sortie presque réussie, une idée ressurgit par-ci par-là, selon laquelle la victoire de Hollande n'était pas écrasante, et que si on corrige le score pour prendre en compte l'anti-sarkozysme, lié à la seule personne de Nicolas Sarkozy (Fouquet's, pépettes, talonettes) et sans lien à sa politique, la victoire serait en réalité pour la droite. Les votes blancs en fournissent la preuve irréfutable.

Même chez Marianne, on lit : "Electeurs FN : le vote blanc a privé Sarkozy de la victoire". Évidemement, si tous ceux qui avaient voté blanc, bayroutistes et marinistes, avaient voté Sarkozy, il aurait gagné.

Rioufol résume, en parlant "d'une société qui se droitise" :

En réalité, le scrutin était gagnable, dans une société convertie majoritairement aux valeurs de la droite. Mais deux millions de Français ont préféré voter nul ou blanc, souvent dans le but de sanctionner un président ayant redécouvert trop tardivement son intérêt pour la nation.

François Hollande a gagné l'élection, mais la gauche aurait perdu.

 

Est-ce si simple ?

D'abord, nos chers éditorialistes ont tendance à faire de "l'anti-sarkozysme" (primaire ou secondaire) une affaire purement personnel, épidermique et donc pas politique.

N'oublions pas, non plus, que Nicolas Sarkozy était le président sortant. Habituellement c'est un avantage non négligeable. Cela donne donait cette allure de Grand Homme d'État qui rassure les téléspectateurs. Il avait derrière lui cinq années où il pouvait manipuler l'agenda politique à sa guise. C'est énorme, et pourtant personne n'en parle. "Son bilan, c'est son boulet" a fait des ravages, c'est sûr. Mais quand même.

Ensuite, il faut relativiser le succès de la extrême-droitisation de la campagne. Malgré des dérives difficiles à avaler pour les "Humanistes" et les centristes, et même sans doute une bonne partie du socle de la droite traditionnelle, les "démocrates chrétiens", cet aspect de la campagne de Sarkozy n'a pas donné de véritables resultats. Les électeurs FN ont fait ce qu'ils ont toujours fait :

Certes, « le report de voix du Front national n’est pas meilleur que les reports antérieurs » (un peu plus de 50 %, comme en 2007), comme le notent les politologues Nonna Mayer – directrice de recherche au CNRS et spécialiste du FN – et Dominique Reynié – directeur de la Fondation pour l'innovation politique, proche de l’UMP. « On peut s’interroger sur la stratégie de Sarkozy, qui était destinée à produire un report massif, a analysé Dominique Reynié sur France Culture. Le résultat n’est pas bon, le report n’est pas meilleur, et la droite se trouve divisée. » (Mediapart, payant)

La différence entre 2012 et 2007, ou entre 2012 et 2002, c'est que les électeurs Front National sont aujourd'hui plus nombreux, essentiellement parce que Marine Le Pen a lâché son antisémitisme hériditaire (la valse autrichienne était juste pour les LOLs) et le libéralisme anti-communiste du grand Jean-Marie.

 

La "droitisation" dont parle Rioufol n'est pas un déplacement de l'ensemble de l'échiquier. Hollande a gagné avec une marge qui n'était pas écrasante, mais confortable.

Ce qui est arrivé, c'est que Marine Le Pen a réussi à compléter l'électorat Frontiste habituel avec un second groupe, moins intéressé par un retour réel à Vichy, que par une isolation politique sans doute à multiple visages. Ce groupe n'est pas forcément un groupe : les différentes formes de malheur qui y conduisent ne lui donnent pas forcément une cohérence politique. En revanche, par l'UMP et pour le FN, ce sont des chiffres, une richesse politique incroyable pour le parti qui peut mettre la main dessus.

L'existence de ce groupe de désenchantés ne reflète pas l'évolution de la société en général. Cette déconnexion est justement leur problème. C'est la première erreur de l'UMP. La deuxième, c'est de croire pouvoir les accaparer en reprenant ligne par ligne le programme de le Pen. Et c'est pour cela, à mon avis, que la stratégie buissonière a échoué : l'essentiel n'est ni telle ou telle mesure anti-immigrés, ni un positionnement suffisamment extrêmiste sur l'échelle politique traditionnelle. Le Pen arrive à les ensorceler justement parce qu'elle est hors système. Le Sarkozy de 2007 a réussi la même chose parce qu'il a convaincu des millions d'électeurs qu'il representait la rupture.

Et pour revenir à l'interprétation de la défaite de Nicolas Sarkozy, le comportement ou même l'existence de ce nouveau groupe d'électeurs n'enlève rien à majorité qui a voté Hollande. L'existence ce nouveau type d'inécis signifie en revanche que la droite va passer une très grosse part de son énergie à ses efforts de les séduire. Nous pouvons être sûrs que ce ne sera pas beau à voir.

Donc, pour finir, Sarkozy a perdu sur ses propres idées, car il les a abandonnées au début de la campagne. Il a perdu aussi avec les idées du Front National, puisqu'il n'a pas réussi à convaincre ces électeurs de le rejoindre. Je cherche, je cherche, mais je ne vois pas de victoire cachée dans la defaite.