30 décembre 2007

Le président grenouille

Louxor, Carla Bruni... pour finir, on pourrait ne plus savoir quoi en dire : toute tentative même de modeste mise en perspective sera immanquablement requalifiée en jalousie, ringardise... Raphaël Anglade écrit:

[Sarkozy] espère peut-être renvoyer la gauche geignarde au rang de pucelle effarouchée et la droite bourgeoise au rang de bigote peine à jouir.

Toute critique, toute protestation ne fait que confirmer comment le Très Grand Homme (TGH) est Grand, au-dessus des bêtises et des vieilleries. Non seulement la vie de jet-setter lui est parfaitement naturelle, un poisson dans l'eau, mais elle est, malgré sa vulgarité, le signe incontestable de sa supériorité. Et si on pousse un peu plus loin, il n'est pas difficile de voir dans cette posture une sorte de populisme à l'envers, où le TGH se représente comme l'un des héros modernes des tabloïdes, censés être l'étoffe des rêves du petit peuple, dénigrés par les "donneurs de leçons" et autres pédants moralisateurs, mais appréciés par les "vrais gens", qui d'ailleurs savent reconnaître un tout aussi vrai patron (à ses lunettes de soleil et aux mensurations de sa maîtresse...?).

Devant un tel édifice, ce n'est pas simple de savoir où commencer pour en saper les fondations. Au PS, la différence de réaction entre la plupart des cadres et Ségolène Royal. Ceux-ci dénoncent la participation de Bolloré à ce voyage, participation qui est effectivement dangereuse sur de nombreux plans. Malheureusement, sa gravité est difficile à expliquer de façon télévisuelle, surtout quand Bolloré contrôle pas mal de ce qui se passe dans nos télés. Ségolène Royal, au contraire, est plus efficace quand elle met

« en cause l'indépendance et la dignité de la fonction présidentielle», lui demandant de cesser de «provoquer par son comportement ostentatoire» (Libé).

C'est plus efficace parce qu'elle donne une forme rationnelle à un vague sentiment de révolte (mais l'UMP dirait peut-être jalousie encore une fois) ressenti, malgré tout, chez bien de supporteurs du Président dans ces mêmes classes populaires. Sarkozy est en train de bousiller sa propre position, dégrader la présidence et donc la France avec.

Quand j'ai commencé ce billet, j'étais assez pessimiste sur la capacité de réactino de nos citoyens, car il eût fallu qu'ils réagissent non seulement contre celui qui est malgré tout leur président, mais aussi, et surtout, contre le papier-glacé, contre la nouvelle narration de ce qui est censé être une grande histoire d'amour. Et pourtant, Sarkozy s'affaiblit (via Dagrouik), car le 20 et 21 décembre l'IFUP constate "une baisse de confiance massive".

Les images de Louxor qui étaient censées boucher cette faille de l'armure du TGH, pourront-elles aggraver au contraire sa situation? L'histoire avec Carla Bruni nous est vendue comme une sorte de conte de fées. Un jour, à ce rythme, ce ne sera plus la grenouille et la princesse, mais la grenouille et le boeuf, le TGH en train de se gonfler médiatiquement jusqu'au jour où...

Mais voilà le problème : y a-t-il quelqu'un, quelque chose qui pourra faire dérailler l'histoire que Sarkozy et les médias nous préparent? Ségolène Royal, en légitimant la réaction négative aux frasques présidentielles, est sur la bonne piste, mais il faudra autre chose pour que le ridicule, l'incompétence et l'outrecuidance de Monsieur Sarkozy deviennent une évidence publique.

28 décembre 2007

Citez vos sources!

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Voulant, comme toujours, suivre les bonnes pratiques de blogage, je prend exemple sur PMA et donne le classement des blogs qui ont eu la gentillesse d'envoyer des visiteurs chez moi:

  1. Sarkofrance : 965 visites! (Merci Juan!)
  2. Les Vigilants : 400 visites. C'est beaucoup et ça témoigne du succès instantanté de ce projet.
  3. Betapolitique : 392 visites.
  4. Sauce : 298 visites.
  5. Partageons mon avis : 284 visites.
  6. Intox2007 : 162 visites.
  7. Filaplomb : 100 visites.
  8. Kolkhoze.com : 84 visites (grâce à 1 ou 2 commentaires seulement, c'est bizarre).
  9. Sarkozy sous surveillance : 77 visites.
  10. Place assise non numérotée : 74 visites.
  11. Peuples : 54 visites.
  12. La France de demain : 46 visites.
  13. Lait d'beu : 41 visites.
  14. A tort ou à raison : 32 visites.
  15. Le monde de nea : 30 visites. (Au fait c'était l'ancien site...)

Voilà donc le top-15. Merci à tout le monde!

26 décembre 2007

Où je lis un peu d'histoire

Enfin un billet qui ne parle pas de Sarkozy. J'étais en train de feuilleter un bouquin d'histoire, La France de 1940 à nos jours, par Marc Agulhon, André Nouschi et Ralph Schor (Armand Colin, 1995 et 2002), et je lisais ceci:

...dès le lendemain 11 juillet 1940, Pétain promulgua trois actes constitutionnels qui réorganisaient totalement l'exercice de l'autorité suprême : la présidence de la République était abolie, le maréchal assumait à la fois les fonctions de chef de l'Etat et de chef de gouvernement. Cumulant les pouvoirs législatif et exécutif, il nommait et révoquait à son grè les ministres, tout cela sans contrôle parlementaire puisque les assemblées étaient ajournées jusqu'à nouvel ordre. [...] La disparition du principe de la séparation des pouvoirs, la concentration de la quasi-totalité de ceux-ci dans les mains du maréchal, la désignation officielle d'un héritier, Pierre Laval, le 12 juillet, montraient bien que le nouveau régime, répudiant les références républicaines, démocratiques, libérales, prenait la forme d'une "monarchie" autoritaire [...].

Le caractère personnel de l'Etat français de Vichy était encore accru par la conception que Pétain lui-même avait de l'exercice du pouvoir et par certaines pratiques du nouveau régime. Face aux Français, le maréchal voulait se comporter à la fois en chef et en père. Il était jaloux de son autorité et considérait que son pouvoir venait d'en-haut [...].

Ca fait du bien de parler d'autre chose, de temps en temps.

25 décembre 2007

Père Noël et Père Fouettard

A propos de notre Très Grand Homme (TGH), Nicolas Sarkozy, la formule "Père Fouettard ou Père Noël" est en train de devenir un lieu commun, à juste titre, d'ailleurs, tant ces deux caricatures sont finalement assez peu caricaturales.

Alors, puisque nous sommes le 25 décembre, nous avons toutes les raisons d'essayer de comprendre cette situation. Souvent, on voudrait y voir une sorte de contradiction, genre Docteur Jekyl et Monsieur Hyde. Le TGH n'est pas, bien entendu, à une contradiction près, mais, dans l'esprit de Noël, je pense que je peux trouver de bonnes raisons pour dire que les deux Pères qui habitent notre président baignent dans une entente parfaite et sans failles. Ou, pour le dire plus sèchement : il y a une continuité théorique parfaite entre les deux.

La clef du système est dans le point de vue individuel. En somme, ce n'est pas un système, du moins pas un système politique. La clef, c'est: je te donne tout ce que tu veux, tandis que les autres, on les emmerde, toi et moi. Le "je" ici ne peut qu'être Sarkozy. Il n'y a qu'un seul je dans le système. Le "tu", en revanche, peut être n'importe qui : un fonctionnaire, un FARC, un chômeur, un Guide, un électeur Front National, un socialiste "ouvert"... peu importe. N'importe quel être humain, n'importe quel groupe peut, le temps d'une phrase ou deux, se trouver à la place de ce "tu" qui va enfin recevoir ce qu'il mérite. Le Père Noël arrive, mais n'est pas très grand, et il a des chaussures à glands.

Le communisme promettait le bonheur pour tous, grâce à la mise en commun des ressources. Sarkozy, quant à lui, est plus réaliste. En plus, il croit au mérite. L'argent, il ne peut pas le fabriquer. Donc il faut le prendre quelque part. Si on le prenait chez les autres? Je te donne ce que tu veux. En plus, je le prend chez eux, les autres. De toute façon, les autres, on ne les aime pas. On les déteste, en y réfléchissant. C'est encore mieux que de promettre le bonheur pour tout le monde. Sarkozy promet le bonheur pour toi, et le malheur pour eux. Malheur bien mérité. Ils l'ont bien cherché, leur Père Fouettard.

Pour l'instant, son système marche surtout pour lui. Car le "tu", ça peut aussi être le TGH lui-même. Je (Sarkozy) te (Sarkozy) donne ce que tu veux. "Eh bien, je veux une super-augmentation de mon salaire." Tiens, la voilà ton augmentation. "Merci! Je veux aussi garder mon salaire de ministre!" Pas de problème! Pendant ce temps-là, les vieux pauvres sont appelés à payer leur redevance. Pendant ce temps-là, fait du chiffre sur les clandestins pour remercier électeurs Front National. Pendant ce temps-là... la liste est longue.

Être le Père Fouettard pour les autres, c'est finalement le meilleur moyen d'être le Père Noël pour toi (pas pour vous, cher(e) lecteur ou lectrice, évidemment, mais pour le toi mobile de la séduction sarkozyënne). Gentil, plein d'optimisme et de promesses pour toi, sévère, brutal avec eux. C'est largement mieux que l'utopie communiste, car chez eux même les autres étaient censés être contents. Alors qu'ils ne le méritaient pas du tout.

Le problème évident avec ce système qui n'en est pas un, c'est qu'il ne peut pas s'appliquer à tout le monde. Enfin, il ne pourrait pas s'il devait devenir un modèle de société. Si chacun est censé pouvoir se reconnaître dans ce "tu", il est difficile d'imaginer la société qui en resulterait, puisque évidemment, chaque tu est un eux pour les autres tu. Mais le sarkozysme n'est pas une pensée politique, c'est une technique de persuasion. Ce que l'on savait déjà.

Et sur ce, bon Noël!

23 décembre 2007

Le sarkozysme n'est pas une pensée mais une pratique

A tous les anti-sarko: si vous ne l'avez pas déjà lu, lisez cet article chez Mouvements : L'hémisphère droit. Comment la droite est devenue intelligente. Je l'ai vu la semaine dernière grâce à Betapolitique, il vaut largement le détour.

Le titre est évidemment provocateur, et ce que Jade Lingaard et Joseph Confavreux nous apprennent concerne moins l'intelligence, ou même la naissance d'une nouvelle droite théorique ou théorisée, que les techniques de l'ingénierie idéologique qui ont permis à Nicolas Sarkozy de remporter l'élection présidentielle. Il s'agit du

travail de fond [...] conduit par l'ancienne directrice des études et prospectives de l'UMP, Emmanuelle Mignon. Une offensive menée selon une stratégie idéologique troublante, mal perçue par la gauche pendant la campagne, qui emprunte à l'hélice de l'ADN sa rotation sur elle-même, tournant à la fois vers sa gauche et vers sa droite. Elle s'est traduite par l'intérêt du discours de l'UMP pour des sujets jusque-là identitaires de la gauche, s'appuyant sur les travaux de chercheurs de pointe, sans que la grille de lecture conservatrice ou libérale ne joue un rôle premier.

Ce qui impressionne, d'abord, c'est l'organisation de ce travail idéologique : d'abord Sarkozy crée une équipe qu'il confie à la (assez) jeune Emmanuelle Mignon; celle-ci, recrutée en 2004, organise dès janvier 2005 des "conventions thématiques", journées d'études et conférences. Les idées recueillies sont alors transformées en pré-programme, avec l'intervention du Boston Consulting Group (la première fois qu'une campagne fait appel à des consultants étrangers) pour faire "absorber" le programme aux cadres sarkozystes. Au printemps 2007, le programme est testé par des sondages très ciblés, les dernières mesures sont éliminées ou peaufinées. L'organisation est digne du lancement d'une nouvelle boisson sucrée, avec cette différence sans doute mineure, que l'on n'est pas en train de décider si la boisson doit avoir plus ou moins de bulles, mais des questions essentielles de notre grand vivre-ensemble.

Y a-t-il des leçons pour la gauche dans cette façon de faire? Oui, car il faut effectivement privilégier l'efficacité. Peut-on se faire élire sans son parti? Sarkozy a réussi en allant contre certaines structures et certains dogmes de l'UMP, mais grâce à des moyens très importants, y compris ceux du Ministère de l'Intérieur et de certains organes de l'UMP qu'il a su se mettre dans la poche.

Emmanuelle Mignon résume:

"Nous avons fait - je crois que c'est rare - une véritable expertise sociale au sein d'un mouvement politique. Et les valeurs sur lesquelles repose le projet de l'UMP sont d'autant plus fortes qu'elles ne procèdent pas d'une intention idéologique mais d'un certain pragmatisme.

Elle a l'air de dire que ce pragmatisme est quelque chose de bien, la nouveauté de Sarkozy par rapport à l'ensemble de ses prédécesseurs. Sauf que le pragmatisme de SarkoCorp n'est pas celui de l'éfficacité étatique, c'est-à-dire pas ce qui s'appelle une politique pragmatique, mais celui de l'éfficacité communicationnelle. Pas l'efficacité politique, mais l'efficacité du pouvoir : comment se faire élire, comment asseoir son pouvoir. Le "contenu" politique est secondaire. En somme, il ne faudrait pas vanter le pragmatisme de Sarkozy, ce n'est pas celui que l'on veut nous faire croire. Ce n'est pas la peine d'ériger le cynisme politique en valeur démocratique, après tout.

Tout cela est intéressant parce qu'il montre en détail le genre de machine politique avec laquelle on a affaire, ainsi que le niveau communicationnel désormais exigé de tout futur(e) candidat(e). Mais il y a aussi un aspect central du sarkoyzysme qui apparaît dans ce récit de la victoire glorieuse.

Tout se passe comme si la droite française avait fait siens certains des diagnostics sociaux portés par la gauche, quitte à y apporter ensuite des « réponses » de son crû. Il a fallu, pour élaborer le projet de Nicolas Sarkozy, rompre avec les analyses de droite plaquées sur la société française.

Et c'est là où apparaît toute la subtilité et la perversité du sarkozysme : tout en restant fondamentalement de droite, SarkoCorp réussi à recadrer l'ensemble des questions politiques de son temps de façon à laisser croire à une partie signifiante de la gauche que sa "réponse" n'est pas à droite, car elle n'est pas celle de la droite traditionnelle. Du coup, la critique habituelle de la gauche n'est plus adaptée. Le non-sarkozysme (sans parler de l'anti-sarkozysme primaire) apparaît comme un vestige d'une pensée caduque, tandis que le sarkozysme apparaît la voie unique (et lumineuse!) de la modernité de la pensée.

Cet article fondamental nous rappelle l'exigence d'être, quoi qu'il en soit, parfaitement moderne. Bien sûr, il ne faut pas suivre Sarkozy, ni sur le fond ni sur la forme, mais nous ne pourrons pas combattre le sarkozysme avec du vieux. Il va falloir avoir de l'imagination et de l'agilité. Le sarkozysme n'est pas une pensée politique : peu importe, presque, ce qu'on pense (quand on est sarkozyste), du moment qu'on gagne. Le sarkozysme est une pratique du pouvoir, surtout de son acquisition, une façon de modéler les idées pour qu'elles passent partout.

18 décembre 2007

Hyper-, omni-

Depuis les premières semaines de ce glorieux quinquennat, la presse mais aussi l'opposition, et, dans une certaine mesure la blogosphère de gauche, nous ont habitués à ces appellations pour notre Très Grand Homme (TGH) : hyperprésident, omniprésidence, et même hyperactivité. Quand on les considère sérieusement, on voit bien qu'ils renvoient au débordement de la fonction présidentielle et à l'usurpation de la plupart des rôles traditionnellement réservés au gouvernement. Dans un univers "normal", ces termes auraient été des critiques, autant de rappels d'une dérive potentiellement dangereux et sûrement anti-démocratique de notre chef d'état.

Ces termes évoquent aussi l'appétit médiatique du TGH, sa capacité à occuper en permanence le devant de la scène, d'éclipser quiconque qui oserait rivaliser avec sa Sainte Grandeur. (Il reste des choses à dire sur la religiosité de Sarkozy.) Dans un univers normal, le fait d'ainsi caractériser le comportement du président constituerait aussi une critique.

Le problème, évidemment, c'est que nous ne sommes plus dans un univers normal. Nous vivons désormais dans un cirque médiatique où l'image a pris définitivement le dessus sur la réalité, où Bruni peut, incroyablement, servir de contrepoids à Kadhafi. Quand on le dit avec des mots, c'est complètement ridicule, mais dans l'enchaînement des images cela passe très bien, cela fonctionne même à merveille.

Et dans cet univers, dire que le président est un "hyperprésident" ou qu'il instaure "l'omniprésidence", ou même, dans un rare instant de perspicacité hollandienne, dénoncer "le coup d'éclat permanent", ce ne sont plus des critiques, mais des hommages. Quand nous disons hyperprésident, nous rendons hommage à la puissance du Lider, nous réaffirmons sa toute-puissance médiatique, nous confirmons la perception populaire que "Sarkozy, il bosse". Car, comme dans la grande distribution, il vaut mieux, désormais, être hyper- que bêtement super-.

La résistance en images doit se concentrer sur des significations anti-médiatiques, qui brisent les superlatifs. Dire que Kadhafi a "humilié" Sarkozy, ça fait mal. Du coup il sort Carla. A ce titre, il faut saluer Libé pour leur papier sur les techniques sarkozyënnes pour manipuler l'actualité en ramenant le débat sur la personne du président, sur sa vie privée. Ce type d'analyse peut, aussi, faire mal, car elle nous sort des expressions permanentes d'un étonnement devant Sarkozy qui, pour finir, renforce son pouvoir. Mais quand lirons-nous dans la presse que Sarkozy est un beauf?

15 décembre 2007

Kadhafi, l'ange de la vengeance pour la droite sarkozyste

La vie non-virtuelle m'a privé de mon clavier la plupart du temps cette semaine. Je voulais pourtant revenir sur cette fantastique visite en France de quelqu'un qui est non seulement l'un des grands dictateurs des dernières décénnies, mais aussi l'un des grands terroristes. Cette visite fut assez étrange, car on a du mal à voir le véritable intérêt que Sarkozy y voit. Et elle est fascinante, car elle aura été un nouveau catalyseur du sarkozysme.

Il est difficile de dire à quel point l'Elysée maîtrisait la communication autour de cette (interminable) visite. Comme je disais cet été, lors du premier round, le Sarko-System fonctionne particulièrement mal avec des types comme Kadhafi, car leurs intérêts communicationnels ne sont pas du tout liés à ceux de Sarkozy, quand ils ne sont pas opposés :

En condensé, la méthode Sarkozy ne fonctionne pas lorsque son interlocuteur n'a rien à foutre de l'opinion des téléspectateurs de TF1, ou a des intérêts de communication parfaitement opposés à ceux du TGH. Les ministres des finances de l'UE étaient très gentils à côté.

Sarkozy n'a sûrement pas "l'impression d'être instrumentalisé" cette fois-ci, mais ça doit faire un peu mal d'entendre son invité faire l'éloge du terrorisme,

«Les superpuissances ont violé la légitimité internationale, le droit international et les Nations unies, et ont exécuté leurs décisions en dehors de ce cadre et donc il est normal que les faibles aient recours au terrorisme», a ainsi déclaré Kadhafi devant un parterre de 400 professeurs et étudiants.

ou de se faire contredire lorsqu'il prétend avoir abordé la question des droits de l'homme. Notre TGH, avec toutes ses convictions, toute la force de son caractère, son volontarisme, son énergie, son hyper-ci et son omni-ça (l'omni-Ça, j'y crois, en fait...), il n'arriverait même pas à trouver le courage nécessaire pour regarder Kadhafi dans les yeux en abordant la question des droits de l'homme. Ou est-ce pour éviter de partager un grand fou rire avec son nouveau pote?

Pour comprendre tout cela, regardons les récits que l'Elysée nous propose. D'abord, il y a celui où Sarkozy conduit jusqu'au bout la libération des infirmières bulgares, cette visite étant alors une sorte de contrepartie. Mais ce premier récit ne suffit pas. C'est un peu maigre, quand même. Il ne faut pas l'abandonner (Fillon va y faire référence pour justifier la visite, on y viendra), mais on rajoute autre chose pour se couvrir : les contrats, des gros sous. On le reproche à Sarkozy, mais il sait bien que l'argent et l'économie sont devenus des valeurs morales ("quoi, tu veux plus de chômage? tu veux pénaliser le pouvoir d'achat?"), et que les contrats plaisent. Le fric, après tout, est important.

C'est à ce stade de la narration que François Fillon entre en scène, (François Fillon, vous vous souvenez : un sarthois brun qui fait des courses de voitures...) décide de s'en prendre "aux donneurs de leçons":

Que les donneurs de leçon tournent sept fois leur langue dans leur bouche ! Laisser les infirmières bulgares croupir dans les geôles libyennes, ç'aurait été un crime.

La droite, victime des "donneurs de leçons", les ignobles droitsdelhommistes, les ignobles membres du PS, et toute cette racaille passéiste, inefficace, moralisateur, sûrement hypocrite, et ainsi de suite. La droite, enfin décomplexée, que dis-je, enfin libérée, telle une infirmière bulgare torturée par Kadhafi. A leurs autres crimes, les donneurs de leçons peuvent ajouter celui de vouloir "laisser les infirmières bulgares croupir dans les geôles libyennes", car, dans ce récit, les donneurs de leçons, ces moralisateurs, ce sont les méchants, à la rigueur, Kadhafi, c'est eux, tandis que le Kadhafi réel, c'est un gentil réformateur.

C'est à ce stade que l'on peut commencer à accéder à la révélation sarkozyste. En monnayant le prestige droitsdelhommiste de la France, Sarkozy peut montrer justement ce qu'il considère comme la vraie valeur de cet héritage. Combien, en contrats, valent les droits de l'homme? Combien faudrait-il qu'un dictateur paye pour que la France décide de se séparer de sa réputation de pays des droits de l'homme? Derrière l'imbécilité de cette visite, nous sommes en train de voir des valeurs quasi monétaires attribuées à ce qu'on appelait naguère des valeurs morales, politiques, humanistes parfois.

Apparamment, pour Sarkozy, ça se discute. Il ne faut pas fermer des portes. Si on peut céder cette réputation pour un prix raisonnable, pourquoi pas? Il faut être décomplexé, ça fait marcher l'économie.

Mais là, on découvre un troisième fond. Car ce récit des contrats en échange de la légitimité humaniste et humanitaire, s'évapore à son tour. En tout cas, c'est l'illusion que Nicolas Sarkozy, Très Grand Homme (TGH), a voulu projeter, avant qu'on ne révèle qu'il était vraiment en train de brader cette réputation : il n'y a pas de contrats, non plus! Ou très peu, dont certains négociés par un certain Jacques Chirac en 2004:

Le chef de la diplomatie libyenne a également précisé que certains contrats signés pendant la visite de Kadhafi à Paris ont été négociés à l'occasion du voyage à Tripoli en 2004 de l'ex-président Jacques Chirac.

Non seulement la visite humiliante de Kadhafi n'a pas abouti à des contrats, mais Chirac avait déjà fait la démonstration qu'on pouvait signer des contrats sans brader ses valeurs. Si on m'avait dit qu'un jour on verrait Chirac comme un grand humaniste...

Alors, pourquoi cette visite, si ce n'est ni pour libérer les infirmières, ni pour le business? Quel gain y avait-il à féliciter Poutine pour son élection frauduleuse? Je propose deux explications possibles.

D'abord, l'explication psychologique, ou psycho-politique. Le sarkozysme n'est pas une pensée politique mais une pratique du pouvoir fondé sur la fascination qu'exerce le pouvoir. À l'intérieur de l'UMP, Sarkozy a réussi à se créer une base en se présentant comme celui qui, de toute façon, était l'avenir du parti. Il valait mieux être avec lui plutôt qu'avec Villepin et Chirac. C'était une opération de séduction à longue haleine, et Sarkozy est, visiblement, doué pour ce genre de travail. Les meilleurs séducteurs sont aussi des narcissiques. Sarkozy a réussi à se faire aimer en mettant en avant ce que, lui, il aime chez les autres : le pouvoir, et plus précisément l'incarnation du pouvoir, donc un pouvoir virile du fait d'être très personnel, très lié à la personne qui exerce ce pouvoir. Concevoir ainsi le pouvoir est bien sûr très peu démocratique, comme toutes les pensées de "l'homme fort", mais je pense que je ne choquerai personne en disant que chez Sarkozy il y a quand même un certain amour du pouvoir pour le pouvoir. La démocratie, à la base en tout cas, consiste à dissiper un peu le pouvoir du Grand Homme, vers des électeurs, vers des institutions, vers le droit, et par conséquent elle s'accomode mal de ces incarnations du pouvoir. Devenu président, Sarkozy tombe amoureux aussitôt des despotes comme Kadhafi et Poutine. Ceux-là auront toujours (ou tant que l'on peut considérer que la France reste un état de droit...) l'avantage sur Sarkozy de disposer d'un pouvoir beaucoup plus proche de l'absolu, ce qui ne manque pas de susciter l'envie, et l'admiration, de notre TGH, qui, instinctivement, doit se lancer dans une opération de séduction. Même si, concrètement, il n'y a rien à gagner.

L'explication politique suit, en fait les mêmes lignes. L'ennemi réel du sarkozysme n'est pas Kadhafi, mais une certaine moralité politique, ou encore, tout simplement, toutes les espèces d'entrave à l'exercice du pouvoir. C'est dans ce sens que l'on peut comprendre que pour Sarkozy la presse est de gauche. Kadhafi sert le sarkozysme car il permet de faire un affront aux donneurs de leçons, aux moralisateurs et à toutes ces idées qui, un jour ou l'autre, serviront à critiquer l'action présidentielle. Donc même si c'est vraiment n'importe quoi, même si ça ne fait pas gagner de l'argent, même si ça ne sert à rien du tout, se vautrer devant les dictateurs est un moyen de casser toutes les vieilleries dont la droite a si souvent été la victime.

L'autre jour, Flo py s'interrogait sur le statut de victime dans le discours sarkozyste:

C'est peut-être ce que je déteste le plus dans le sarkozysme, cette manie de se définir comme une victime innocente. Forcément innocente. Victime des immigrés, trop nombreux, trop feignants, trop basanés, trop musulmans. Victime des fonctionnaires, trop nombreux, trop feignants, trop payés, trop grévistes. Victime des chômeurs, trop nombreux, trop feignants, trop coûteux. Victime des fumeurs, des malades, des pauvres, des vieux, des jeunes... Victime nombriliste, geignarde, avide de réparation, de vengeance.

Et Flo py a parfaitement raison: la droite, au sens très large, se croit la victime de ses victimes. Le pays colonisateur est la victime de ses anciens colonisés, les capitalistes sont victimes du prolétariat, mais aussi des rétraités et de futurs rétraités, des chômeurs, des malades etc.

Si la visite de Kadhafi révèle quelque chose sur Sarkozy et le sarkozysme, c'est le sarkozysme restera l'art de mobiliser toutes ces haines, toutes ces frustrations afin de s'emparer du pouvoir.

7 décembre 2007

Méchant

A moins d'être vraiment malade, ou, à la rigueur, un FARC soi-même -- et encore --, il est impossible de ne pas souhaiter la libération d'Ingrid Betancourt, et de trouver inhumain l'injustice qu'elle subit depuis si longtemps. Juste pour être très clair.

Et pourtant... il ne faut pas se laisser happer par la machine à communication de notre Très Grand Homme (TGH), qui sait si bien instrumentaliser nos propres sentiments. Et dans le système de communication sarkozyënne, Ingrid Betancourt permet de symboliser toute la souffrance du monde, et, surtout, toute la souffrance... de la France. Par là, je veux dire que toute cette histoire d'une intervention passionnelle du Président, même si elle est motivée, aussi, et en partie, par des sentiments honorables, va servir à maintenir l'image d'un président sympa, prêt à faire n'importe quoi pour aider les misérables, image qui va ensuite lui permettre d'être d'autant plus sévère dans les confrontations sociales et économiques.

Autrement dit, il y a un équilibre qu'il faut maintenir : il ne faut pas que le président paraisse trop méchant, trop dur. Avec Ingrid Betancourt, il trouve le moyen de continuer à être sympa, pour nous le faire payer plus tard sur des questions qui concernent non pas une seule personne, mais des millions de chômeurs, précaires, smicards, étrangers, demandeurs d'asile. Leur souffrance est trop banal pour la télé, elle n'a pas de commune mesure avec celle de l'ôtage des FARC. Et pourtant, quantitativement, elle est énorme. Et médiatiquement invisible.

Pas de nationalisme à gauche (svp)

Le grand retour de Ségolène Royal va sûrement nous conduire à pas mal de réflexions, car il y a beaucoup de choses à dire. Nicolas en est déjà à son deuxième billet sur Ségo en quelques heures. Ce n'est pas un record, sans doute, mais c'est pas mal...

Je veux commencer simplement par commenter quelques phrases qu'elle a prononcées dans son entretien au Monde :

Bref, une certaine frilosité pour aborder des questions sur lesquelles nous n'étions pas forcément d'accord, mais qui, avec un travail approfondi, auraient permis de faire émerger des choix collectifs. Je pense à la question de l'identité nationale, aux questions liées à la sécurité, au débat sur la liberté de choix de l'école par les familles, à la question de la valeur travail. Autant de valeurs fondamentales que les socialistes ont trop longtemps laissées à la droite. Ce travail a été entamé pendant la campagne présidentielle. Nous devons le poursuivre.

Ca y est : la question nationale. Je me considère comme ségoléniste, je passe mon temps à la défendre dans mon entourage, je considère qu'elle est la seule socialiste capable de communiquer de façon moderne. (Et c'est là le fondement de la pensée politque de ce blog : la gauche doit surtout gagner.) Toutefois, je ne peux qu'être déçu quand elle met la question de l'identité nationale sur le tapis. Pendant la campagne, c'était le seul élément dans son discours sur lequel j'étais en total désaccord. Aujourd'hui, cela me paraît encore plus grave, alors que la notion même d'"Identité Nationale" n'appartient pas seulement à la droite, mais à un ministère, et pas à n'importe quel ministère, mais à celui de l'ignoble, de l'infâme Brice Hortefeux.

D'un point de vue simplement tactique, c'est une erreur de reprendre à son compte exactement ces mots, "identité nationale". S'il faut absolument faire du chévénementisme, du nationalisme censé être de gauche (et à mon avis, il faut absolumment éviter de le faire), n'utilisons pas ces mots-là. Laissons les retomber dans la poubelle de l'histoire comme ils méritent. Ne leur accordons aucune crédibilité, aucune valeur.

Mais ce n'est pas une question de mots. La vraie question est plutôt celle de l'attitude de la gauche en général vis-à-vis de l'idée de la Nation. Nicolas disait ce matin, à propos de ces mêmes phrases de l'entretien :

Ben ouais, il y a des valeurs de droite ! Tiens ! Le travail. Sa valeur c'est le pognon qu'il rapporte pour qu'on vive (et le fait que c'est à peu près le seul moyen de gagner des sous honnêtement...) pas la quantité de travail.

En effet : le nationalisme est une valeur de droite. Il y a des bonnes raisons pour lesquelles le nationalisme doit être, doit rester à droite. Le problème avec la Nation, c'est que c'est une valeur qui n'est pas démocratique. Elle n'est peut-être pas fondamentalement incompatible avec la démocratie (quoique...), mais il n'est pas besoin d'aller loin pour chercher des régimes pas démocratiques du tout qui ne cessent de chanter les louanges de la Nation. La Nation, c'est Nous qui sommes fiers d'être Nous et pas Eux, les autres, ceux qui sont différents, voire bazanés. C'est l'amour de mon pays parce que c'est le mien, et non parce qu'il est démocratique. Le nationalisme est une forme d'égoïsme : moi et mes semblables d'abord, avant les autres, fiers d'être Français, Russes, Américains, Chinois...

Le nationalisme est une valeur de droite parce qu'il n'est pas démocratique et parce que c'est une forme d'égoïsme. De plus, il est profondément de droite parce qu'il est réactionnaire. C'est une réaction contre ceux qui sont différent, contre l'Autre en général. Aujourd'hui, c'est une réaction contre le monde de plus en plus international dans lequel nous vivons. C'est aussi une réaction contre l'Europe, bien entendu.

Admettons qu'il existe, dans l'électorat français quelque part, un sentiment national qu'il faudrait ne pas abandonner. Est-ce le rôle de la gauche d'assumer tout ce que le nationalisme représente, une pensée égoïste, anti-démocratique et réactionnaire, sous prétexte que ces idées existent?

Le problème avec le nationalisme de gauche, et surtout le nationalisme de gauche des pro-européens, c'est qu'il se réduit peu ou prou à quelque chose de très superficiel. Comme les drapeaux, par exemple. Car si on n'est pas contre la fermeture des frontières, si on n'est pas contre le droit du sol, si on n'est pas passéiste, réactionnaire, peut-on être crédible sur ce plan?

Il y a un danger, à gauche en tout cas, à vouloir théoriser l'"Identité National" comme stratégie de conquête ou de renouvellement. Si "reprendre à la droite l'idée de la Nation" veut dire, essentiellement, "faire en sorte que les gens peuvent être fiers de leur pays", je ne m'y oppose pas. Sauf que ce n'est plus l'identité nationale qui est en question, et ce n'est plus "la Nation" dont il s'agit. On peut être fier d'avoir un système de sécurité sociale humaine, on pourrait (éventuellement) être faire du respect des droits de l'homme, du bon traitement que reçoivent les demandeurs d'asile, du rôle de la France dans l'humanitaire, et ainsi de suite. Mais dans ce cas, il faut simplement faire ces choses-là. Les gens finiront par en être fiers. Mais dire que l'on va reprendre le thème de la Nation, c'est discréditer la gauche par manque de cohérence, et en acceptant que pour aimer son pays, il faut le faire à la manière des gens de droite.

Les idées de droite, il faut les laisser à la droite, il faut les laisser pourrir la droite, comme Hortefeux est en train de le faire.

J'arrête là, mais je n'ai pas fini avec ce sujet.

5 décembre 2007

Univers parallèle

Dans un univers parallèle, Ségolène Royal a battu Nicolas Sarkozy le 6 mai 2007. Aussi, le référendum laissant Hugo Chavez se représenter aux élections est approuvé, de justesse. Aussitôt, la Présidente Royal décroche son téléphone pour féliciter Chavez. Réaction unanime de la presse et de la droite (dans la mesure où ces deux entités ne coïncident pas tout à fait) : "Ségo Lagaffe récidive, on savait bien qu'elle n'était pas à la hauteur en affaires étrangères, voilà le résultat quand on confie l'Elysée à une gonzesse".

Sauf que dans cette histoire, il y a une invraisemblance.

Ségolène Royal n'aurait pas appelé Chavez.

4 décembre 2007

Sarkozy en Colombie

Et les choses se précisent : comme les FARC la Colombie veut Sarkozy aussi. Ça se complique. La Colombie aurait-elle aussi quelque chose à gagner, quelque chose que Sarkozy pourrait lui donner, lui qui ne cherche qu'à être le sauveur d'une victime?

Attention, quand même. Sur France Inter, l'excellent Daniel Mermet propose cette semaine une série d'émissions sur la guerre civile en Colombie. Aujourd'hui (RealMedia) (j'écoutais en voiture, j'ai peut-être manqué des bouts), il parlait d'un village qui tourne le dos aux deux côtés. Ils en ont marre des militaires qui se rapprochent d'eux, non pour les protéger des FARC, mais pour se servir d'eux comme bouclier humain, entraînant tout une spirale d'ennuis qui coûtent souvent la vie à des innocents.

Bref. Je suis très loin d'être un expert sur la situation en Colombie, mais je ne vois pas pourquoi un chef d'état français irait là-bas parler avec des spécialistes de l'enlèvement. La réaction (attention, c'est encore le Fig) de l'Elysée est ambiguë, cependant:

Peu de temps après, un haut responsable de la présidence a indiqué que toute réponse demandait «un peu de réflexion».

La présidence française a ajouté «n’avoir pas l’impression d’être instrumentalisée par quiconque» et ne pas souhaiter «se précipiter sur chaque porte qui s’ouvre».

Pourquoi pas "non" tout de suite? "Un peu de réflexion" ? C'est dans le vocabulaire sarkozyen? J'aime tout particulièrement : "n’avoir pas l’impression d’être instrumentalisée par quiconque". En général, quand on est instrumentalisé, on n'en a pas l'impression, justement.

Encore une fois, Sarkozy devient une cible pour ce genre d'opération, en raison de cette réputation qu'il a si rapidement acquise, non pas la réputation d'un héros qui sort les pauvres de leurs situations, mais celle d'un type qui est prêt à lâcher beaucoup d'argent, pouvoir, crédibilité, pour étayer son propre narcissisme.

3 décembre 2007

Ne pas confondre les mots et le pognon

Comment définir le sarkozysme? Dans la blogosphère proche, il y avait il y a presque trois mois une rafale de billets qui ont essayé de le définir : Eric, Nicolas, Juan et CSP s'y sont mis. J'étais trop occupé à l'époque pour pondre ma contribution, même si évidemment le sujet m'est très cher.

La visite du Très Grand Homme (TGH) en Algérie donne l'occasion de formuler l'un des aspects essentiel de ce qui n'est pas une pensée politique, mais une pensée communicationnelle (l'un des premiers préceptes du sarkozyzme, c'est que, dans toute circonstance, la communication prime sur n'importe quelle autre considération).

Voici, donc : les mots ne coûtent rien, le pognon est pour les amis.

Cela veut dire, en somme, que les déclarations sont faciles : facile de se choper des voix chez Le Pen, il suffit de dire des conneries ; facile de neutraliser les écologistes, on fait un Grenelle pour rien pour laisser tout le monde s'exprimer. En revanche, dès que l'argent entre en jeu, il faut servir les siens.

La visite en Algérie, donc. Juan écrit :

A-t-il eu peur, Nicolas Sarkozy ? Toujours est-il qu'il a bien vite oublié ses grands discours de campagne sur les bienfaits de la colonisation et contre la "repentance" une fois arrivé sur le sol algérien: "Oui, le système colonial a été profondément injuste, contraire aux trois mots fondateurs de notre République: liberté, égalité, fraternité."

Pourquoi ce revirement? Sarkozy devient-il tout doux? Oui, car il va signer des contrats, se montrer à nouveau dans le rôle du VRP national, montrer que pour ça il est aussi fort que l'était Chirac. Il fallait dire des conneries pour se faire élire, maintenant il faut en dire d'autres, aux algériens, pour faire du fric. Ce n'est pas grave, tout cela, c'est juste des mots, ça ne coûte rien.

L'émotion et le principe de réalité

En pensant un peu plus à ce que je disas hier sur Sarkozy et les FARC, je réfléchissais un peu plus sur ce que disais Nicolas vendredi dernier:

Il parait qu’Ingrid Betancourt est vivante. Je suis bien content pour la famille mais je m’en fous à peu près autant que de la vie sexuelle de Leonid Brejnev. Ca fait des années qu'on nous parle de cette dame que je ne connais pas. Pourquoi m'en parle-t-on ? Elle a choisi de vivre dans un pays où la coutume veut qu'on enlève les gens. Elle s'est faite enlever : c'est son problème.

Si elle avait choisi de vivre en France où la coutume est de picoler au bistro avec les copains, elle n'en serait pas là. Elle aurait peut-être une cirrhose du foie et on n'en parlerait pas.

A première vue, on est tenté de penser que Nicolas est un peu sévère avec quelqu'un qui est réellement une ôtage, à la différence des fameux usagers des transports publics en France. Les FARC ne sont pas des enfants de choeur, et c'est difficile de dire qu'il n'est pas si grave s'ils prennent des ôtages de la sorte.

Mais, d'un autre côté, Nicolas a raison (comme souvent). Car si on peut regretter et même dénoncer sévèrement ce qui arrive à Ingrid Betancourt, il faut mettre les choses en perspective. Est-ce le sort d'une personne une raison suffisante pour faire dévier la politique étrangère d'un pays de premier plan comme la France? Habituellement les chefs d'état qui veulent se montrer forts ne cessent de répéter qu'ils négocieront jamais avec des preneurs d'ôtages, avec des terroristes, etc. Habituellement, tout en disant cela, ils négocient quand même avec les terroristes ou les preneurs d'ôtages, mais toujours en off. Il y a des bonnes raisons de procéder ainsi : éviter, avant tout, d'encourager d'autres groupes à faire la même chose; maintenir l'image d'un grand état qui ne se laisse pas influencer pour des broutilles, qu'on ne peut pas faire chanter.

Pourtant, Nicolas Sarkozy a déjà reçu Chavez, ce qui n'est pas forcément une mauvaise en soi, seulement cette visite n'avait d'autre but que d'avancer sur le chemin d'une éventuelle libération d'Ingrid Betancourt. Autrement dit, sans son enlèvement, Sarkozy n'aurait jamais reçu Chavez. Autrement dit, les FARC ont déjà réussi à faire dévier la politique d'un grand pays européen.

Et pourquoi tout cela, en fait? La raison profonde, qui n'est pas justement si profonde, c'est que le Très Grand Homme, dans son désir irrépressible d'être à la fois Père Fouettard et Père Noël, a donné aux victimes à statut quasi divine. Il reçoit sans arrêt à l'Elysée, parce qu'être victime, c'est, pour lui, une véritable affaire d'état. Rien ne peut s'opposer aux souffrances des victimes, quitte à condamner les irresponsables s'il le faut.

Du coup, la politique étrangère se trouve coincée dans le discours émotionnel du président. Nea disait l'autre jour dans un commentaire ici que Sarkozy

n'a aucune stratégie de communication, il ne pense pas, il se laisse porter par ses émotions.

A mon avis il pense un peu, quand même, et que sa force électorale est, ou fut, de pouvoir canaliser l'émotion publique, mais Nea a sûrement raison. Voici, avec Chavez et les FARC, que ce discours sentimental se heurte à la dure réalité du monde. Et comme d'hab', c'est la comm' qui domine et qui fait tout basculer.

2 décembre 2007

Diplomatie des choux farcis : narcissisme, Sarkozy et les FARC

Alors, comme ça, les FARC veulent parler directement avec Sarkozy. C'est bien non? Cela montre que notre Très Grand Homme (TGH) est bien une figure nationale. Tout le monde le réclame, même les FARC. C'est qu'il est puissant, c'est qu'il est grand, ce Sarkozy.

Mais attendez là, j'ai comme un doute. Et si les FARC n'étaient pas tout à fait des imbéciles... N'ont-ils pas reconnu en Sarkozy une sorte de pigeon ? Un président qui s'implique toujours personnellement et qui par conséquent n'a aucune protection hiérarchique. Ne pas secourir Ingrid Betancourt finira par être perçu comme un échec personnel du TGH, il sera donc personnellement obligé de faire ce qu'il fait toujours, à chaque fois que ça commence à être difficile pour lui personnellement. Il va sortir notre chéquier encore une fois.

Les FARC n'ont pas encore dit ce qu'ils vont exiger de Sarkozy pour qu'il puisse sauver la face dans le piège qu'il s'est tendu pour lui-même, mais je suis certain qu'ils sont en train d'y réfléchir très sérieusement. N'étant pas cons, les FARC ont vu un super coup à jouer. Ils ont compris que de Sarkozy ils pourraient obtenir plus de n'importe quel autre chef d'état. Et d'une manière ou d'une autre, Sarkozy va se laisser faire.

Ce piège, c'est quelque chose qui va accompagner Sarkozy partout. Le piège d'un narcissisme, j'allais dire d'Etat, sauf que ce n'est pas un "narcissisme d'Etat", mais l'Etat au service d'un narcissisme.

Mais évidemment, il y a pire. Car si pour les FARC Sarkozy a le rôle du pigeon, ce n'est pas ainsi que Sarkozy voit les choses. Non, pour lui, le pigeon, c'est vous, c'est nous. Car c'est la crédibilité de la France qui servira à payer le narcissisme de son Lider Maximo.