5 avril 2008

Du bon usage du pessimisme en politique

Au fil des jours et des billets et des réflexions, il est une valeur politique qui commence à s'imposer à moi, non comme une forme de découragement ou comme une sorte d'humeur, mais comme une motivation essentielle. Je parle du pessimisme.

Pas très gai, comme sujet, me direz-vous.

Pourtant, le pessimisme peut avoir du bon. Prenez l'exemple de Nicolas Sarkozy, notre Très Grand Homme (TGH): à la suite de sa glorieuse élection du 6 mai 2007, le consensus médiatico-populaire prenait la forme d'un joyeux optimisme. Le TGH allait tout faire péter, tout ce qui pesait sur la France. Tout allait être franchement super. Seuls quelques gauchistes atteints d'antisarkozysme primaire osaient suggérer le contraire, osaient ne pas partager ce grand élan d'un optimisme égoïste. Aujourd'hui, même si Sarkozy reprend quelques couleurs dans sondages, les couleurs restent bien fades, et l'antisarkozysme n'est plus "primaire". Par moments il devient une valeur de droite, même.

Je ne veux pas parler seulement de Sarkozy, et il est vrai que le pessimisme n'était pas alors, comme aujourd'hui, l'unique raison de ne pas adhérer à ses grandes promesses de programme.

Juan écrivait, entre les deux tours des municipales, à propos des logiques de vote :

Voter en démocratie a toujours répondu à deux uniques impératifs, le premier étant prioritaire sur le second :

  1. Voter contre le Pire

    [...]

  2. Soutenir le Meilleur

C'est tellement logique quand c'est dit comme ça... pourtant, ces principes sont loin d'être appliqués systématiquement. Je pense au 21 avril 2002, ou même à certains amis états-unisiens qui ont facilité l'élection de George W. Bush en votant pour Ralph Nader.

A chaque élection, l'électorat veut s'exprimer. Les électeurs sont encouragés d'aller aux urnes pour s'exprimer. Après, les hommes politiques cherchent à décrypter à leur profit cette expression. Et pourtant, un bulletin de vote ne permet pas, la plupart du temps, de bien s'exprimer. Cette une forme de communication assez pauvre, en fait. L'expression s'y réduit à un choix : celui-ci, pas celui-là, oui ou non. Mon bout de papier, anonyme, se mélange avec d'autres qui sont tout aussi anonymes, qui expriment sans doute beaucoup d'autres sentiments, tout aussi anonymes et inconnaissables. La pauvreté de l'expression dans le vote n'est pas due à une faille dans la démocratie, mais à une méconnaissance de ce qu'est voter. Ce n'est pas une expression mais un acte, et même un acte politique. Devant ce choix, je prends celui-ci contre celui-là. Je n'aime ni l'un ni l'autre ? Tant pis, car aujourd'hui il n'y a pas d'autre choix. Si je ne suis pas content, je milite, j'ouvre un blog, j'essaie de faire quelque chose pour que le choix soit meilleur la prochaine fois.

Le pessimisme dont je parle ne doit pas décourager de la politique. "Tous des connards" : oui, peut-être, mais c'est ainsi, et c'est toujours ainsi. Attendre qu'il n'y ait plus de connards, c'est fermer la porte de la politique pour toujours. Les programmes des uns et des autres ne nous conviendront jamais parfaitement, individuellement. Il est illusoire d'espérer de trouver l'homme politique idéal ou la femme politique idéale qui colleront exactement à nos désirs politiques. C'est illusoire, et, pire encore, cela implique d'attendre encore longtemps. Pendant ce temps la vie continue, la vie politique aussi, sans nous. C'est finalement de la tentation utopiste que je parle, qui est mieux illustrée, blogosphériquement parlant, par notre extrême gauche bien aimée. (Lisez ce billet de Dagrouik où il nous présente Vive le goulag.) Mais il n'y a pas qu'eux. Les utopies de cette sorte ne sont que la face visible et, j'ai envie de dire, naïve d'un phénomène beaucoup plus large qui se confond souvent avec la déception en politique. On voudrait que ce soit tellement différent - et pourquoi pas après tout, ce serait si simple ? - que l'on rejete tout en bloc.

Le pessimisme dont je parle n'est donc pas la déception, il anticipe sur la déception. Je ne serais, généralement, pas déçu, car je suis pessimiste. Exemple extrême : jamais Nicolas Sarkozy ne pourra me décevoir, car je n'attends rien de lui. Je suis pessimiste. Le PS pourrait me décevoir, car j'ai des attentes, mais je suis pessimiste aussi : le PS ne sera jamais le parti que je pourrais seulement imaginer. Je peux dire la même chose sur l'Europe : j'étais pour le TCE, non par enthousiasme débordant, mais par pessimisme sur les chances d'avoir mieux que le TCE. Idem pour Ségolène Royal : j'ai des désaccords importants avec elle, sur l'identité nationale par exemple, donc une dose de pessimisme, et pourtant je trouve qu'actuellement c'est elle qui au PS pourra faire le plus de bien.

Actuellement : voilà le problème. La politique concerne le présent, se joue dans le présent, ça se passe en ce moment. Il faut faire avec ce qui existe maintenant. Sans désespérer.

Il est tentant d'entretenir une petite utopie personnelle. Si on m'écoutait un peu... Devant la frustration de voir sans cesse la distance entre le monde tel qu'on voudrait qu'il soit et la réalité, on renonce, ou on devient aigri (voir les commentaires ici pour en voir une démonstration éclatante). Mais ces utopies personnelles n'ont pas, la plupart du temps, la forme bien définie des utopies de l'extrême gauche ; elles sont simplement négatives : si on m'écoutait un peu... ce serait autrement, ce ne serait pas comme ça. L'actualité est perçue à travers une grille négative, à travers une comparaison permante entre le réel et une utopie qui ne peut même pas se formuler. Plusieurs attitudes peuvent en être la conséquence : un air supérieur ("je ferais mieux moi"), un air dégoûté ("tous des cons, des ambitieux, des faux-culs, etc. (la liste est longue...)"), un air choqué ("c'est inadmissible"), ou encore d'autres attitudes, ou même toutes ces attitudes à tour de rôle ou simultanément.

Pour ne pas se décourager (c'est grâce à une touite de Maxime Pisano que j'ai commencé à réfléchir à tout cela), il faut assumer le pessimisme inhérent à la poltique, choisir en fonction des circonstances réelles, aller à l'efficace. Sans abandonner ses convictions, sans accepter n'importe quoi, mais en acceptant de se mêler à cette sale réalité que celle de l'instant présent.

5 commentaires:

Juan a dit…

j'ai l'impression qu'on est frères jumeaux tous les deux. je suis également politiquement pessimiste, mais finalement politiquement joyeux. Soutenir Untel en sachant ses limites est psychologiquement réjouissant. Et meilleur pour le moral.

omelette16oeufs a dit…

Juan, mon frère jumeau en pessimisme,

On a dû suivre un cheminement semblable avant l'ouverture quasi-simultanée de nos blogs. Après, on se laisse si facilement influencer, comme en témoignent les citations que j'ai faites dans ce billet.

En somme, je privilégie l'acquis contre l'innée...

Nicolas Jégou a dit…

Salut les frangins.

Le problème c'est que le contraire du pessimisme n'est plus l'optimisme mais l'aveuglement...

Anonyme a dit…

Bravo les oeufs !
Ca redonne du courage !

omelette16oeufs a dit…

nicolas,

Oui, car pour être optimiste à 100%, il faut être aveugle, en effet. Les 53% de Sarkozy sont dûs en partie au moins à ce phénomène.

jon,

Merci!