Habituellement, quand on parle de "triangulation" à propos de Nicolas Sarkozy, cela veut quelque chose comme l'histoire de la burqa : les droites républicaine, catholique et islamophobe y trouvent leur compte ; la gauche se trouve divisée (ou elle devrait l'être, en tout cas) entre les défenseurs de laïcité et défense des femmes, et ceux des droits individuels et du multiculturalisme. Sarkozy peut tour à tour être xénophobe et faire semblant d'être à gauche, il n'y a plus que lui qui parle et l'affaire est dans le sac.
Il y a une autre forme de triangulation, plutôt thématique celle-ci. La triangulation, en navigation, permet de déterminer un point inconnu à partir de deux ou plusieurs points connus. Dans la comm' sarkozyënne, le point inconnu, c'est plutôt le point indicible, c'est-à-dire la xénophobie anti-musulmane pure et dure. Celle-ci reste interdite pour un candidat, à la différence de Marine Le Pen, qui espère attirer aussi des électeurs non-xénophobes. D'où l'intérêt de la triangulation, une certaine organisation thématique qui permet de suggérer ce qu'on ne peut pas dire.
Le problème, pour le Très Grand Homme (TGH), est de trouver comment tirer un profit électoral des meurtres de Toulouse et Montauban. Dans un premier temps, tout est axé sur la dignité, la présidentialité et, surtout, la très régalienne Sécurité. Jean-François Copé a fait ce qu'il a pu pour saper les deux premières valeurs, et le "Aznar à l'envers" tant souhaité n'a pas eu lieu. Reste donc la sécurité, mais elle n'est pas suffisante, notamment parce que Marine Le Pen double Sarkozy à droite, en voyant dans chaque bateau et chaque avion de multiples Merah en puissance :
"Combien de Mohamed Merah, dans les avions et les bateaux, qui arrivent chaque jour en France ? Combien de Mohamed Merah, dans les 300 clandestins qui arrivent chaque jour en Grèce via la Turquie, première étape de leur odyssée européenne ?"
Alors le TGH, dont l'un des thèmes de campagne majeurs est que son rival dit une chose aux uns et une autre aux autres, alors notre TGH joue le raisonable :
"Dès qu'il y quelque chose d'outrancier à dire, on peut compter sur Marine Le Pen", a jugé M. Sarkozy, qui était interrogé, lundi 26 mars sur France Info, à vingt-huit jours du premier tour de l'élection présidentielle. "Dire 'immigration égale Mohamed Merah', qui est né en France, cela n'a aucun sens."
Mais à peine 24 heures plus tard, le courageux Président cherche à rattrapper Le Pen comme il peut, en accréditant le lien entre terrorisme et immigration :
Nicolas Sarkozy a annoncé mardi une accélération des expulsions des "extrémistes" présents en France et assuré que toutes les personnes tenant des "propos infâmants" contre la France ne seraient pas autorisées à entrer sur le territoire national.
Tout le jeu de la triangulation thématique consiste à charger, clandestinement, la barque. Quand on dit "sécurité", l'électeur xénophobe entend "protection contre les 'Arabes'" ; quand on dit "maîtriser l'immigration", l'électeur xénophobe entend "moins d'Arabes" ; quand on dit "terrorisme", l'électeur xénophobe entend "danger islamiste". Ensemble, tous ces mots forment une phrase. Cette phrase ne peut pas être prononcée par un candidat qui espère encore récupérer quelques voix non-xénophobes. La triangulation permet de la suggérer sans la dire.
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