Alors, comme ça, je suis en voyage. L'année dernière j'avais donné
pour titre "Omelette en vadrouille", c'est fois c'est carrément
"Omelette en cavale". Enfin, toutes proportions gardées, bien sûr.
L'autre jour, donc, je me retrouve dans une ville de taille moyenne
où, à peu près tous les ans, je laisse ma voiture dans un petit
parking dans la gare. Le grand jeu, c'est qu'avant d'arriver à la
gare, il est impossible de savoir s'il y aura de la place. Si c'est
complet, c'est à peu près tout le voyage qui est foutu en l'air. Du
coup, je me laisse un peu de marge, quand je peux.
Cette fois, j'arrive à la gare bien à l'avance. La guichettière, à qui
je veux acheter mes quinze jours de place, m'indique que ce service
n'est plus géré par la SNCF, et qu'il faut que j'aille voir au bureau
du parking. Impossible de savoir si l'air un peu agacé de la
guichettière est la conséquence de cette privatisation mal acceptée,
ou si c'est juste qu'elle n'en peut plus d'expliquer la même chose à
des ignorants, un peu incrédules, de mon espèce. Toujours est-il que
je fonce vers ce "bureau" que je finis par trouver. Sur la porte,
"EFFIA". Sur la porte qui est fermée à clé... Je me crois en plein
scénario catastrophe, j'envisage déjà toutes les annulations en chaîne
auxquelles je vais devoir procéder.
Je retourne à la gare pour chercher du secours, mais pour la SNCF, le
parking n'existe plus du tout. Ils ne peuvent rien faire pour moi,
sauf me renvoyer devant la même porte fermée à clé, devant le même
bureau vide.
Par bonheur, il y a un numéro national sur la porte et je réussis à
joindre une centrale quelque part, une dame qui, elle, réussit à
joindre le responsable, un grand blond sympathique, qui est dans un
autre coin de la gare et qui arrive assez rapidement. Pour vous
rassurer, cher lecteur, j'ai eu mon train, j'ai pu stationner ma
pauvre bagnole, tout est rentré dans l'ordre. Le responsable -
responsable de mon niveau de stress, déjà - explique que la SNCF ne
voulais plus s'embarrasser avec les parkings, que leur boulot était de
"mettre des gens dans les trains", pas de s'occuper des parkings.
Le prix du stationnement a néanmoins doublé, ce qui ne m'a pas gêné
sur le coup, mais qui me fera réfléchir la prochaine fois : on
s'approche du point où d'autres solutions seront plus rentables pour
moi, le taxi par exemple. Je réfléchis donc.
Une fois installé dans mon TGV, je réfléchis encore : qui est donc cet
EFFIA ? Dans d'autres gares je commence à voir la même enseigne un peu
partout, sur des fauteuils roulants, sur des blazers bordeaux de gens
très occupés... Qui a décidé d'accorder cette concession à une
entreprise privée ? C'est visiblement une décision nationale : EFFIA
est partout. Et quel sera le gain ?
De mon microscopique point de vue, il n'y aura pas la prochaine fois
que des désavantages : je vais pouvoir téléphoner à l'avance pour
réserver ma place. C'est bien. Mais la place va coûter deux fois plus
cher. Est-ce là l'efficacité recherchée ? Désormais, EFFIA sera obligé
de maintenir mon gaillard dans son bureau, payé à plein temps pour
s'occuper d'une grosse douzaine de places de parking (Ou a-t-il
d'autres responsabilités mystérieuses ? je l'ignore.)
En termes matériels, dans la perspective de cette petite gare de
province (je ne parle pas de l'ensemble du pays, évidemment), le
nouveau système est beaucoup moins efficace. Il faut désormais un
bureau, un bonhomme, voire plus car les heures de présence dépassent
les 35 ou même les 39 autorisées. Jusque là, le personnel de la gare
suffisait pour gérer leur carnet que les guichettiers passaient entre
eux. Le parking était aussi disponible que la gare, vivait au même
rythme. Surtout, l'ensemble du personnel, ou presque, aurait été
capable de m'aider dans mon désarroi. Et qu'est-ce qui va arriver
quand EFFIA, racheté par je-ne-sais-qui, ou sous la pression de
mauvais résultats trimestriels, décidera qu'ils ne peuvent plus se
permettre cette lubie qui consiste à payer un type (ou deux) pour
gérer seize places de parking, et qu'il faut retirer leurs billes des
trous perdus à flux insuffisants. Car les flux de voyageurs dans mon
cas risquent de se tarir, en effet, au vu de l'augmentation des
tarifs. Il ne me semble pas déraisonnable d'imaginer qu'un jour, sous
l'effet de cette douce privatisation, il n'y aura plus de parking du
tout.
Je ne suis pas encore revenu chercher ma voiture, si j'ai le temps
j'essayerai de poser la question : en avaient-ils vraiment marre de
s'occuper du parking? Ou est-ce seulement au niveau national?
Cette petite fable (qui finit bien, pour l'instant) me fait penser à
ce que j'essayais de dire dans mes gauchitudes. La décision de confier
les parkings de la SCNF, et sans doute bien d'autres services encore,
était visiblement nationale. Imaginons qu'il y ait un gain financier
pour la SNCF, un gain en efficacité, ou que, en tout cas, la Société a
réussi un joli coup, un bon marché avec EFFIA. Mais pour ma petite
gare, ce n'est pas si évident, et on peut même imaginer que pour elle
c'est une mauvaise affaire qui va conduire à la perte franche de ce
petit parking et de ses petites recettes, et de ce service pour les
voyageurs. Quel système aurait permis soit de maintenir l'ancien
système qui s'appuyait sur les ressources humaines de la gare, soit de
trouver une solution locale, où l'intérêt économique du nouveau gérant
serait de maintenir le parking.
La morale de cette fable n'est sans doute pas encore vraiment
écrite. Je me demande où est la véritable efficacité, et si elle est
systématiquement du côté de l'entreprise privée. Enfin, je me demande
surtout comment faire pour que l'on cesse d'avoir cette habitude de
pensée, ce réflexe, qui consiste à supposer toujours que l'entreprise
privée va apporter plus à un moindre coût.