L'entretien, hier, du Président de la République, sur TF1, avec les très complaisants Claire Chazal et PPDA (qui suggère des mots lorsque Sarkozy hésite), est assez étrange à regarder. Je suis surpris par un décalage chez le Très Grand Homme (TGH) entre un ton très solonnel -- Qu'est-ce que c'est grave d'être Président de la République -- et un langage très peu soigné, du genre : "Mais bon, voilà, c'est pas possible" ou "je dis pas que j'ai réussi". Dans mon souvenir, son langage était beaucoup plus soigné lors du débat avec Ségolène Royal; j'irais jusqu'à le créditer d'une certaine clarté pédagogique (sans parler de la validité du contenu, bien sûr) qu'il semble avoir laissée de côté. L'entretien d'hier mélangeait bizarrement les genres : le solonnel avec la mise en scène du "Bureau Oval" de Sarkozy, le familier lorsque Claire Chazal se permet de couper la parole du Président; le Très Grand Homme d'Etat et le type sympa, franc. Avec Chirac, on était censé deviner le type sympa derrière l'orateur crispé. Avec Sarkozy, les deux se superposent.
La première remarque de fond je voudrais faire sur cet entretien (j'y reviendrai si j'ai le temps...), concerne la métaphore sportive. C'est très loin d'être une nouveauté : nous avons été suffisamment abreuvés des "match Ségo-Sarko", des "en finale" pour le second tour, et ainsi de suite. Et bien sûr, il y a eu le jogging (un peu moins maintenant, d'ailleurs). Hier, dans son entretien au Parisien, Sarkozy parlait de l'élaboration du nouveau gouvernement:
La soirée électorale de dimanche, il l'a passée à la Lanterne, comme la précédente. Les résultats tombaient ; lui dînait avec son épouse et deux couples d'amis. Nicolas Sarkozy se surprend presque lui-même d'avoir passé ces soirées folles si sereinement, loin de son bureau et de l'excitation générale. « Comme cela, quand je suis arrivé lundi ici, j'étais frais, raconte-t-il. J'ai appelé François (NDLR : Fillon) pour qu'on prenne tout de suite les décisions. » (C'est moi qui souligne, o16o.)
"J'étais frais", comme un basketteur qui arrive dans le match au moment décisif, qui joue vite, etc. (Plus frais qu'au G8, où il a été de monter un escalier.)
Maintenant, on voit la composition du gouvernement comparée au travail du sélectionneur qui doit créer son "équipe A". Et là j'en viens à la nomination de Bernard Laporte en tant que Secretaire d'Etat. Nicolas Sarkozy admire la "pensée structurée" de Laporte, et surtout:
J'ai toujours beaucoup apprécié la façon dont il expliquait victoire et défaite, problèmes et réussites.
Je dois m'arrêter là pour l'instant, mais permettez-moi de rire un bon coup. Je ne suis pas le rugby, donc je n'ai jamais vu les interventions de M. Laporte, et je ne doute pas une seconde de leur très grande pertinence. Mais quand même : s'il y a un exercice suprême de la langue de bois, c'est le commentaire d'après-match : "J'avais de bonnes sensations", "on n'a pas été assez percutants", "des problèmes de réussite", "les jambes n'ont pas suivi", etc. etc. A priori, cette nomination me semble assez anodine, même si Lilian Thuram aurait mieux incarné l'ouverture ; ce qui n'est pas anodin, en revanche, c'est le fait d'élever le langage du commentaire sportif au rang du discours politique. Ou plutôt: de le placer au dessus du discours politique.
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