23 juin 2007

TVA: Faire ce qu'il doit dire pour avoir l'air de faire ce qu'il dit

Petit à petit, je visionne l'entretien du Très Grand Homme (TGH) sur TF1. C'est plus digeste si on n'avale que des petits bouts. (J'en ai déjà parlé ici.)

Encore une fois, Nicolas Sarkozy se sent obligé de répondre aux critiques de Ségolène Royal, ce qui est, malgré tout, une forme de reconnaissance : la seule opposante qui compte, c'est elle.

Plus précisément, le TGH répondait au problème d'une "TVA sociale anti-délocalisation" par expérimentation. En effet, comment savoir si une TVA va réduire ou pas le pouvoir d'achat? Donc, on essaye (maintenant dans des domaines précis), pour voir.

La position de la "TVA sociale par expérimentation" n'est pas le résultat d'une mûre réflexion économique, mais la conséquence d'une série de prises de position.

"Au fond", comme le TGH aime commencer ses phrases, Sarkozy reprend l'intégralité de l'analyse de Jean Arthuis sur la TVA sociale: le rapport entre la TVA et les charges salariales, celui entre la TVA et la délocalisation, et l'idée d'une absence d'inflation dans l'espoir que les entreprises baissent leurs prix. Voici ce qu'Arthuis n'a de cesse de proclamer:

Le président de la commission des Finances du Sénat Jean Arthuis a prôné mardi une hausse du taux de TVA allant "jusqu'à cinq points", tout en assurant qu'"il n'y aura pas de supplément de prix". "Je suis désolé de voir les socialistes se livrer à un exercice de désinformation", car "la TVA sociale, c'est (...) constater que nous finançons la santé et les politiques familiales par des cotisations assises sur les salaires", a-t-il expliqué sur RTL, confirmant son souhait de voir une réforme "forte". L'ancien ministre de l'Economie et sénateur (UC-UDF) de la Mayenne a souligné que les choses fonctionnaient "bien lorsque l'économie nationale était relativement étanche. Aujourd'hui, nous sommes dans un économie mondialisée". "L'idée, c'est de retrouver la compétitivité pour recréer du travail en France, et donc d'alléger les charges sociales et compenser par un supplément de TVA", a-t-il précisé. Mais "il ne s'agit pas d'accroître les prélèvements obligatoires". Pour Jean Arthuis, "la TVA sera la même sur les produits, mais l'exonération des cotisations sociales permettra de baisser le prix hors taxe et le supplément de TVA n'entraînera pas un supplément de prix". Et d'assurer: "Il n'y aura pas d'inflation". (Je souligne, o16o)

C'est là l'essence du paquet idéologique que Sarkozy peine à vendre aux Français, qui, allez savoir pourquoi, ne croient pas que les vertueuses entreprises vont automatiquement baisser leurs prix à la réception du cadeau fiscal qu'on leur offre. Sentant que cela ne passe pas, Sarkozy fait ce qu'il fait toujours quand les arguments commencent à lui manquer, il s'engage.

On observe cette façon de faire des pirouettes à maintes reprises pendant l'entretien (pourtant avec des questions très complaisantes), avec des conclusions dans le style : "je fais pas ça pour perdre, je fais ça pour gagner"; "j'ai pas été élu pour échouer, mais pour réussir". Cette technique ne marchera pas très longtemps, mais convient à cette période post-campagne.

Donc, Sarkozy s'engage sur la TVA: il n'y aura pas de hausse de la TVA si cela pourrait réduire le pouvoir d'achat. Il l'a dit, donc c'est vrai, car il fait toujours ce qu'il dit. Du moins, il dit toujours qu'il fait ce qu'il dit. On verra.

Mais avec cet engagement perso-présidentiel, il y a un gros problème: comment savoir ce qui va se passer ? En fait, Sarkozy se heurte à un problème de fond dans la science économique. Une économie est quelque chose d'extrêment complexe, il est difficile, même pour des économistes, de prévoir tout ce qui va se passer. Les interactions sont multiples, concernent des acteurs assez divers, etc. Sarkozy n'est pas un économiste, et on commence à comprendre que, malgré son passage à Bercy, qu'il ne maîtrise pas si bien que cela les questions économiques. Ce que montre le papier dans le Canard Enchaîné de cette semaine, qui révèle que l'actuel directeur de cabinet d'Eric Woerth, avait, sous le règne de Thierry Breton, rédigé une petite étude qui, dans les termes du Canard, "flinguait" les deux mesures sarkozyztes phares : les heures sup' et la réduction des impôts sur les intérêts des prêts immobiliers.

Sarkozy n'a pas la tête théorique -- il le dit pendant l'entretien d'ailleurs. Il veut de l'action, de l'action et toujours de l'action. Donc, enfin on y arrive, il va expérimenter la TVA sociale avant de l'appliquer. Mais c'est encore ignorer la complexité de la question. Dans le meilleur des cas, les véritables effets d'une telle modification ne seraient visibles qu'au bout de plusieurs années, le temps de comprendre l'effet de cette politique sur le comportement des consommateurs, sur les budgets des entreprises, sur leurs pratiques salariales, et sur d'éventuelles délocalisations qui dépendent de bien d'autres facteurs encore.

Quand on ignore la théorie économique, on fait des expériences "concrètes". Surtout, le TGH laisse ses prises de position succèssives l'oblige à suivre une ligne très peu sage, et surtout, très peu praticable. Il m'étonnerait beaucoup de voir Sarkozy attendre trois, quature, cinq ans pour évaluer les effets de son expérimentation, lui qui affectionne tant l'action.

Plutôt que de ressembler à un "rouleau compresseur", la politique de Sarkozy évolue rapidement en fonction d'une série de prises de position tactiques : je dis ceci pour river le clou à un tel (ou une telle, plutôt), et je dis cela pour répondre à un autre. Et au fil des ces prises de position, son projet se modifie, au point de devenir ridicule et impraticable. La qualité de la politique est bien à l'image de la qualité du discours qui sert à vendre tout cela aux pauvres Français.

Update: Suite du feuilleton.

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