2 mars 2008

Verrouiller le changement

Avant hier, un peu perdu dans une librairie, je tombe sur un petit livre noir par Edgar Morin, Où va le monde ? Comme c'est tout petit, et comme je ne connais pas grand'chose à la pensée de de ce penseur, je l'achète et je commence à le lire. Je me rends compte, au bout de quelques pages, que le livre a été écrit en 1981 et réédité en 2007, quelques mois avant le lancement, par notre Très Grand Homme (TGH), du thème de la "politique de civilisation" dont je parlais déjà l'autre jour. Autant essayer de voir à quoi ressemble une "vraie" politique de civilisation, non?

Pour tout avouer, je ne sais pas encore ce que c'est, en détail en tout cas. Je n'ai encore lu que les 40 premières pages, qui sont parfaitement abordables, même quand on n'est pas historien-philosophe-sociologue-économiste de formation. Et en fait, ces première pages m'ont fait réfléchir un peu, et j'en suis revenu à notre Lider Maximo à nous.

Il y a quinze jours, Dagrouik publiait la réflexion de l'un de ses lecteurs libéraux, sur la question : Sarkozy est-il libéral? Je me souviens d'avoir lu un édito que je ne retrouve plus dans les Echos ou dans La Tribune qui parlait du désarroi et de la déception des "vrais" libéraux après quelques mois de Sarkozy. Je viens de trouver ce billet (en anglais), écrit pendant la campagne par un vrai libéral londonien pour qui le TGH représente surtout la droite dure ("hard right wing"), bien plus qu'une véritable pensée libérale. Pour cet auteur, Sarkozy est surtout un colbertiste avec une vision "authoritarian and paternalistic" de la politique, qui croit que l'Etat doit protéger certaines entreprises privilégiées contre la libre concurrence, fût-elle européenne. Les positions de Sarkozy sur la pêche et Arcelor-Mittal ont bien montré, en effet, les limites de sa foi en la liberté du marché.

Pour ma part, je reste scéptique quant à l'existence d'une véritable pensée politique sarkozyste, encore moins une pensée économique. Ce qui compte chez lui, ce sont les valeurs (genre "travailler dur"), un système de caste (les gens bien contre les autres), un certain opportunisme politique permanent et versatile, et une soif narcissique de pouvoir. C'est ce dernier élément qui l'empêchera pour toujours d'être un "vrai" libéral. Pour cela il faudrait consentir non seulement d'entreprendre des choses très peu populaires auxquelles les français sont résolument opposés, mais surtout, il faudrait qu'il lâche des bouts de pouvoir. Le "volontarisme politique" est par définition anti-libéral car il est narcissique, centralisant, paternaliste.

La grande transformation de la société, toutes ces "réformes" rêvées et promises qui devaient balayer toutes les choses que tous les électeurs n'aimaient pas dans leur propre pays, grand chantier sarkozyste qui fut si bien vendu aux téléspectateurs pendant la campage, cette grande transformation était peut-être impossible. Car pour "vaincre les conservatismes", il aurait fallu pouvoir briser les systèmes de castes, la domination des très grandes entreprises qui, protégés en effet par l'Etat empêchent l'innovation et la rénovation de l'économie française, autrement dit briser tout ce système de connivence entre le pouvoir et l'argent, ce système dont Sarkozy est l'emblème, la mascotte en peluche.

Et c'est là où j'en viens enfin à Edgar Morin. Le bouquin que je lisais était donc écrit en pleine guerre froide et cherche à montrer, entre autres, comment - si j'ai bien compris - la rigidité du pouvoir et de l'organisation sociale et économique est néfaste pour le développement d'une société. Ses exemples sont l'URSS et les Etats-Unis des années soixante, soixante-dix et quatre-vingts, mais on peut assez bien les transposer vers la France d'aujourd'hui.

La marche de l'histoire, pour Edgar Morin, ne se commande pas et ne peut pas se deviner à partir du passé et du présent, car notre vision même du présent est imparfaite. Du coup, l'image que nous faisons du passé l'est tout autant : nous choisissons le passé qui nous convient au moment. Les "germes" du futur qui sont déjà présents aujourd'hui sont encore invisibles, trop marginales pour qu'on puisse deviner que ce sont elles qui vont tout fixer. Chaque innovation est d'abord marginal, puis déviant, puis tendance, puis nouvelle norme. On voit comment les politiques gestionnaires pour la recherche et la culture, prônées par Sarkozy pour leur "efficacité" sont justement inefficaces : elles sont faites pour répondre à une évaluation immédiate, dans les termes d'aujourd'hui, ou à satisfaire les envies des nos "consommateurs culturels" sans avoir l'audace de vouloir de influencer ou même détraquer ces envies. Tout, dans un monde sarkozysé, doit pouvoir se diriger à partir du pouvoir centre. Devinez qui occupe ce pouvoir central.

Le progrès viendra du marginal, de l'inattendu. Ce n'est pas Lagardère, Bolloré, EADS qui vont inventer le monde de demain, mais plutôt des inconnus avec des idées bizarres. Des petits, des faibles qui vont devoir se battre contre les champions économiques protégés par l'Etat paternaliste. Dans ce que j'ai compris de ma lecture un peu rapide de la notion de "complexité" chez Edgar Morin : on ne peut pas contrôler, maîtriser l'Histoire, on peut juste espérer l'influencer.

Sarkozy s'est vendu comme incarnant le changement, le bouleversement de toutes les vieilleries dont il faut "libérer" le pays. Et pourtant il représente en réalité une nouvelle variante sur le vieux conservatisme qui est encore mieux incarné par François Fillon. La décentralisation semble bloquée, les seules mesures du rapport Attali qui auraient pu aller dans ce sens, comme la suppression des départements, ont été les premières à être écartées. Et pourtant, le rapport Attali est marquée de la même contradiction entre la volonté d'en finir avec le dirigisme à la française et la volonté de décider, de façon dirigiste, la fin du dirigisme...

Le changement viendra quand la décentralisation avancera, quand l'Etat cédera un peu de son pouvoir. La démocratie participative de Ségolène Royal n'était pas assez fignolée pour être efficace dans une campagne électorale. Pourtant, ce n'est que ce genre de changement qui pourrait effectivement ouvrir véritablement les choses.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

excellent .... je te recommande aussi Le paradigme perdu : la nature humaine... c'est une introdution à la méthode de la méthode

omelette16oeufs a dit…

marc,

merci, et merci pour la recommendation. Il va falloir que je me cultive.

Nicolas Jégou a dit…

"pensée politique sarkozyste" : ca fait ma aux yeux.

Anonyme a dit…

Et en prolongement, pour une esquisse de reconstruction d'un projet politique, consistant à tracer les réseaux de notre monde pour garder des prises sur celui-ci et essayer éventuellement de les reconfigurer : http://yannickrumpala.wordpress.com/2009/01/04/cartographier-le-contemporain/