30 avril 2008

Bricoles

Deux bricoles.

  1. Couac (n. m.) : Bruit produit par la collision entre une promesse politique et la réalité. (C'est un peu ce que je disais hier.)
  2. L'idée de gérer l'Etat comme une entreprise plaît à ceux qui n'y réfléchissent pas : faire travailler tous ces fonctionnaires fainéants, arrêter de gaspiller des milliards, etc. Il faut un manager fort pour mettre de l'ordre là dedans, que dis-je ?, un Très Grand Manager.

    Ceux à qui cette idée plaît si bien, s'imaginent comme les clients de cette entreprise hypothétique. Après tout ils paient des impôts et reçoivent des "services". En serrant les vis à cette boîte, ils paieraient moins et recevraient plus.

    Le problème, c'est que la relation à l'Etat n'est pas si simple. Il est difficile, pour un simple citoyen, de faire jouer la concurrence entre états, par exemple. L'individu se retrouve non dans le rôle du client, mais dans celui du salarié de cette grande boîte qu'il ne peut pas quitter. Et quand il vote pour "serrer les vis", le piège se referme sur lui.

29 avril 2008

Il y aura toujours les couacs

Le gouvernement va avoir un spécialiste de l'anti-couac, Thierry Saussez. Mais cela ne suffira pas. Les "couacs" ne sont pas des accidents, dûs au manque de discipline des troupes gouvernmentales. Les "couacs" sont la conséquence inévitable du système Sarkozy.

Pourquoi ?

Le système Sarkozy, qui est d'abord un système de communication, consiste à vendre du bonheur au kilo, du moins sous forme de promesses. Chacun s'y retrouve. Ceux qui trouvent qu'ils travaillent trop, que la vie est trop dure ne sont pas choqués quand le Très Grand Homme (TGH) dit que "le problème de la France c'est qu'on ne travaille pas assez" (Libé), ne se sentent pas visés. Dans le système Sarkozy, chacun trouve son compte : pour les gauchisants, il y a l'ouverture ; pour les gaullistes, Sarkozy est pour le patriotisme économique ; pour les DL, Sarkozy est un libéral ; pour l'extrême droite Sarkozy est... je ne sais pas au juste : comme eux ? Bien sûr, tout cela relève d'une démarche de campagne : des promesses, de l'image, de la com' qui n'est pas censée rencontrer la réalité.

Or, finalement, ce sont les ministres qui doivent s'occuper du concret, qui doivent annoncer des mesures réelles, véritablement sociales, économiques, politiques, et c'est à ce moment là que le flou sarkozyën entre en conflit avec le précis. La droite n'a pas encore oublié les effets néfastes du rapport Attali, qui, lui aussi, était bien trop concret, donnait prise à toutes sortes de critiques, laissait les chauffeurs de taxi se plaindre... Pour fonctionner, le sarkozysme doit éviter les détails. Sauf que l'un des points supposés forts chez le TGH, c'est justement son appétit pour le boulot, faire bouger les choses. "Je suis là pour agir".

C'est là où ça couaque : le pauvre ministre qui doit annoncer sa petite mesure se trouve trop facilement en contradiction avec les grands principes du sarkozysme.

La tâche de Thierry Saussez est doublement faussée. Est-ce une question de com' interne (coordonner annonces ministérielles et com' élyséenne) ou une question de com' externe (refaire l'image du TGH) ? La véritable question n'est pas là, malheureusement pour Saussez. Pour éviter les couacs, il faudrait revoir les fondements de l'exercice du pouvoir sarkozyste. Mission impossible.

Edit: quelques fautes corrigées grâce à l'intervention de Nicolas J. (pas S.).

28 avril 2008

Contrit?

Du grand entretien télévisé de notre Très Grand Homme (TGH), la chose à dire et à penser, la sagesse médiatique, c'est que Sarkozy a "reconnu ses erreurs", que c'est un modèle d'humilité. Sarkozy est calme et sage, présidentiel sans être hyperactif, et ainsi de suite. S'il y a une information là-dedans, c'est que la communication élyséenne a changé, mais ça, on le savait déjà, depuis le revirement brutal qui a suivi la chute, tout aussi brutale, dans les sondages de notre héros.

Mais cette image d'un TGH contrit, c'est difficile à vendre quand même. Plus c'est gros... Sauf que ça ne passe pas, pas tellement, auprès des français. Pourtant, un éditorialiste au Figaro nous rappelle que les Français sont la meilleure boussole. Non, Ivan Rioufol ne s'est pas converti au socialo-communisme; selon sa "boussole", toute déviation de la ligne d'une droite très dure irait contre les souhaits profonds des Français, tous déçus de retrouver un Sarkozy tiède et confus.

Il y a pourtant quelque chose d'étrange dans cette lecture, car, sur le fond, Sarkozy ne renie pas une miette de cette première année. Les seules erreurs étaient de communication, voire de déma... de pédagogie. Même son de cloche chez Fillon. Lui, qui ne loupe jamais une occasion pour égratigner une gauche qui ne ferait pas de mal à une mouche, regrette de ne pas avoir été plus "offensif" :

J'assume ma part d'erreur! Je regrette notamment de ne pas avoir été, à l'époque, plus offensif face à une gauche qui travestissait la vérité avec des chiffres et des arguments archi faux. Nous aurions dû combattre ce discours mensonger et irresponsable avec plus de fermeté. J'ai pensé qu'il était tellement éloigné de la réalité qu'il ne prendrait pas dans l'opinion publique. J'ai eu tort.

En l'occurence, ce qui est "archi faux" c'est de dire que le bouclier fiscal a coûté 15 milliards. Il confond bouclier et paquet. C'est le paquet qui a coûté 15 milliards. Le bouclier était dans le paquet, c'est tout. Bref.

La nouvelle ligne n'est donc pas nouvelle : on fait tout bien, sauf la communication. Pour un président obsédé par la communication, pour qui tout doit être soumis aux besoins de la communication, c'est en effet un énorme échec, celui de tout un système dans lequel le pouvoir était centré sur la personne du TGH, sur sa popularité individuelle relayée et soutenues par les médias amis. D'une certaine façon, il me semble permis d'espérer que ce système là a vécu. Mais les aveux d'erreurs, la contrition présidentielle ne concernent pas cette déroute-là. La véritable erreur de communication était une sur-communication. L'aveu concerne une sous-communication : on n'a pas su expliquer ça aux Français, ou encore, on n'a pas assez tapé sur les socialos.

Finalement, l'"erreur" sarko-filloniste, celle qu'ils reconnaissent, est tout à fait à leur honneur. Ils ont trop travaillé sur le fond, les pauvres, ils ne se sont pas assez occupé de la com'. C'est terrible. Plus jamais ça, en effet.

L'erreur de com' cache la com' véritable.

24 avril 2008

Bidouillage constitutionnel (et Vive le Sénat!... peut-être)

Pour une fois que le vote du PS à l'Assemblée Nationale va réellement servir à quelque chose - bloquer la "réforme" des institutions et la présidentialisation du régime -, il va falloir disposer de bons arguments pour ne pas répéter le spectacle des désaccords sur la démarche à suivre pour le Traité constitutionnel européen dit "mini".

Au fait, cela ne devrait pas être difficile. D'une part, le régime existant est déjà présidentiel. J'ai lu, il n'y a pas longtemps, quelqu'un (et je ne sais plus qui... désolé) qui remarquait que le système "présidentiel" actuel ressemble, bien davantage qu'au système étatsunisien, aux institutions russes, avec un président tout-puissant et un parlément subjugué.

On nous répète depuis bientôt un an qu'il s'agit de donner des pouvoirs à l'Assemblée afin redémocratiser le régime actuel, parlémentaire sur le papier et présidentiel dans les pratiques. Et plutôt que de rechercher l'équilibre en déprésidentialisant les institutions et les pratiques, il s'agit d'accorder la pleine légitimité au principe d'un homme fort (et Très Grand, j'ajoute en passant), "monarque élu", qui gouverne à travers un gouvernement réduit au statut du cabinet américain. Donc on répète que, pour rééquilibrer les choses, on va donner des pouvoirs au parlément : maîtrise partielle de l'ordre du jour, la possibilité d'approuver quelques nominations à des postes clés, suppression du 49-3.

Certaines des modifications du fonctionnement du parlément pourraient être souhaitables. A ce stade, tout ce qui freine le pouvoir du président paraît intéressant. Mais il faut garder à l'esprit que ce sont des concessions mineures qui ne changeront rien ou presque au rapport des forces entre l'exécutif et la législature. Bastien François, dans un excellent article sur MediaPart, écrit par exemple du fameux "statut de l'opposition" :

Il s'agit là, en réalité, de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, dans une décision de 2006 relative au règlement interne de l'Assemblée nationale, a refusé de donner une existence officielle au couple majorité/opposition. Mais, une fois reconnue ainsi l'existence d'une majorité et d'une opposition, qu'en fait le projet de réforme ? Malheureusement, presque rien. Il se contente (art. 22) de réserver "un jour de séance par mois" à un ordre du jour "fixé par les groupes parlementaires qui n'ont pas déclaré appartenir à la majorité qui soutient le gouvernement". Un jour de séance par mois... L'"avancée" est un peu ridicule.

Il en est de même pour les autres améliorations : l'approbation législative des nominations présidentielles. Bastien François encore :

La réforme prétend instaurer un contrôle parlementaire sur les nominations présidentielles (art. 4). Elle prévoit à cet effet qu'un certain nombre d'emplois (lesquels ? – on sait simplement que sont ici exclus les postes jusqu'à présent constitutionnellement pourvus en Conseil des ministres) ne pourront être pourvus qu'après "avis" (de quelle nature ? rendu selon quelles modalités ?) par une commission composée (comment ?) de députés et de sénateurs.

Encore une commission à bidouilles. Et le pouvoir ne sera même pas tenu d'écouter cet "avis". Les limitations apportées à l'utilisation du 49-3 sont fabilardes aussi : le 49-3 s'applique encore aux lois des finances et du financement de la sécu, plus une autre fois, sorte de joker, par session parlémentaire. Autrement dit, c'est une véritable révolution des institutions...

Car, à moins d'aller très loin dans la création (et je dis bien "création") d'un contre-pouvoir parlémentaire, les réformes envisagées n'auront pas d'effet sur le pouvoir quinquenadassé du Prédisent : tant que les élections présidentielle et législatives auront lieu en même temps, les intérêts électoraux du Président et de sa majorité seront identiques ; le Président restera inévitablement le chef de son parti, et gardera le contrôle politique du parlement, exactement comme aujourd'hui. Tout "contrepouvoir" ne sera autre chose que celui de la marionette qui donne la réplique au marionettiste. La politique aura toujours raison des institutions.

Pour avoir un véritable équilibre entre l'exécutif et le législatif, il faut une divergence dans les enjeux électoraux. Avec le risque de la cohabitation. Pour reprendre l'exemple américain, tout président nouvellement élu ou réélu doit affronter une élection législative à mi-mandat, deux ans après son élection. Il lui est donc beaucoup plus difficile, et risqué, de pratiquer la politique du dos rond. Et l'on voit que le véritable contrepouvoir est électoral, démocratique. On ne le retrouvera pas dans des bidouillages institutionnels...

De ce point de vue, le PS a raison d'insister sur la démocratisation du Sénat comme préalable à toute discussion de la "réforme" constitutionnelle. Encore faudrait-il que ce nouveau Sénat ait un véritable pouvoir législatif. Le Sénat risque d'être un contrepouvoir faible, mais intéressant du fait que ses élections n'obéissent pas aux mêmes principes que celles du Président et de l'Assemblée.

D'un côté, donc, peu de choses. De l'autre, la constitutionnalisation du narcissisme présidentiel : aller parler devant le parlément. Mais ce sera pour un autre billet.

21 avril 2008

Sarkozy et son enclume

Lu chez Juan, les "confidences", livrées par le JDD, sur la préparation de notre Très Grand Homme (TGH) pour son passage à la télé jeudi prochain, alors qu'il caracole dans les sondages avec tout de même 36% des français qui l'approuvent :

Divisée en trois séquences - questions internationales, société, économie -, cette intervention n'a, au fond, qu'un seul objectif: convaincre les Français que les promesses de campagne seront "intégralement" tenues. Le "respect des engagements pris" sera le fil rouge du propos présidentiel. "Certains désespèrent de sentir les effets du changement promis", rapporte ce député sarkozyste confronté, chaque semaine, dans sa circonscription, à la frustration des électeurs qui, entre annonces et démentis, finissent par perdre pied.

Le TGH est têtu au moins. Tout le personnel ici à la Pire Racaille lui souhaite du courage dans cette entreprise : plus les promesses de campagne sont rappelées aux téléspectateurs, plus ces derniers seront en mesure d'évaluer objectivement les performances de Monsieur Sarkozy. Nous nous félicitons de cette obstination.

En réalité, les ficelles sont un peu grosses. Ce n'est pas la première fois. Justifier la casse du système social, la guerre aux pauvres en citant sa légitimité démocratique, le suffrage universel, c'est illogique quand on constate qu'il n'est soutenu par aucun "mouvement populaire". En faire appel encore une fois à l'élection, c'est sûrement céder à la tentation de se replacer dans cette période antédiluvienne, désormais mythique, l'époque héroïque du sarkozysme triomphant, quand les "promesses du candidat Sarkozy" avaient force de loi.

Si seulement on pouvait relancer cette dynamique... Eh bien, non : elle est brisée pour toujours. J'imagine le TGH s'imaginant victime de la presse, de la conjoncture économique, se disant que son impopularité (UM/Popularité, dirait kamizole) est une injustice, quelque chose qui ne devrait pas être et qu'il refuse. Ajouter à cela quelques conseillers sachant bien flatter l'Empereur, et le tour est joué : Sarkozy persiste et signe, tête baissée.

Tant mieux. Les promesses électorales et la nostalgie des premiers mois de son règne seront l'enclume sur laquelle son image actuelle continuera à se briser.

19 avril 2008

Les fameuses questions

Martin P. pose des vraies questions sur la forme de la démarche de Ségolène Royal. Comme il le dit, la forme est important :

Disons tout de suite qu'interpeller le PS sur son fonctionnement est au moins aussi légitime que sur ses idées [...].

La forme peut, selon les circonstances, faire partie du fond, et ce n'est pas moi qui m'opposerais à des discussions sur la forme, de la démarche de Royal, ou du fonctionnement du PS, voire de la démocratie interne du PS qui garde, à mes yeux de simple sympathisant, une allure un peu féodal. Et j'irais même jusqu'à rajouter à la discussion de la forme et le fond, celle de la force et de ses rapports. Mais avant d'en venir là, à ce qui est sans doute la question essentielle, je me suis dit qu'il faudrait aussi regarder ces fameuses questions qui ont fait couler tant de pixels. Et pour montrer ma bonne foi et le côté raisonnable de ma ségolâtrie, je vais être le plus dur possible avec elles. "Elles", au pluriel.

1. Il faut sortir du fossé entre un discours pseudo révolutionnaire dans l'opposition et un conformisme économique au pouvoir : de quelle façon ?

2. Le socialisme ne peut pas se contenter d'aménager le capitalisme financier à la marge : comment produire et répartir autrement la richesse ?

Regroupons ces deux questions qui couvrent à peu près le même terrain. Reproche : c'est vague. Reproche au reproche : c'est vague parce que ce sont des vraies questions, des questions que l'on pose quand on veut savoir la réponse. Pourtant, elles dessinent en même temps une critique très directe du jospinisme ("conformisme économique au pouvoir") et une certaine ligne politique : répartition de la richesse, résistance à la loi du marché. Evidémment, les questions ne disent pas comment y arriver : ce sont des questions.

3. Que reprendre des modèles progressistes des autres pays et que rejeter ?

Une question qui ne sert à rien parce qu'elle n'est pas politique. C'est un axe de réflexion - allons voir les voisins - mais qui n'implique aucune orientation particulière.

4. Il faut pousser l'agilité des entreprises, le goût du risque et l'esprit d'entreprendre, tout en améliorant la situation des salariés et leurs sécurités sociales. Avec quel compromis ?

J'ajouterais simplement que le PS devrait réfléchir à répondre aux besoins des artisans qui, non salariés, vivent souvent dans une grande précarité. Le fait de demander "quel compromis?" est significatif : la réponse de la droite sera toujours que "l'agilité des entreprises" aboutira directement au bonheur des salariés, tant il y aura des thunes pour tout le monde. Le compromis sur ce point est bien une valeur de gauche.

5. Il faut rééquilibrer le rapport de force entre le travail et le capital par une meilleure répartition du profit. Quels contre-pouvoirs dans l'entreprise ?

Je trouve cette question trop vague, mais je sais qu'elle ne peut que plaire à Dagrouik, pour qui l'organisation de l'entreprise est un point clé. Quant à moi, je ne trouve pas que ce soit évident que la répartition du profit se passe à l'intérieur de l'entreprise. Peut-être, je ne suis pas contre, mais c'est loin d'être une évidence. Et quid des entreprises étrangères, mondialisées ? Je ne suis pas un expert, mais j'ai plutôt l'impression que les contraintes de ce genre doivent d'abord peser sur l'entreprise de l'extérieur.

6. Comment rompre avec la redistribution passive et bureaucratique comme principal moyen de s'attaquer aux injustices sociales ?

La question 6 renvoie sans doute à la précédente. Le caractère "bureaucratique" de la redistribution est-il vraiment un problème ? La passivité ? Est-ce un problème si c'est efficace ? J'ai l'impression qu'ici la vraie cible est un système de redistribution très étatique et centralisé.

7. Comment améliorer le projet européen pour ne pas oublier les intérêts des peuples et des pays ?

Les pays et les peuples, ou comment concilier l'Europe et le nationalisme. Ce n'est pas, pour moi, la bonne approche de la critique de l'Europe, et j'ai peur que cela dissimule une arrière pensée sur l'Identité Nationale. Donc pour la 7, pas d'accord du tout.

8. Les peuples du Nord doivent être protégés de la concurrence internationale sans que les peuples du Sud ne soient victimes du protectionnisme. Avec quelles nouvelles règles ?

Pas d'avis.

9. Les Etats et le marché doivent assurer la sauvegarde écologique de la planète : quel nouveau modèle de développement ?

Suis d'accord, même si la question dépasse celle du "modèle de développement". A mon avis. Humble avis.

10. Le Parti socialiste doit intégrer toutes les nouvelles formes de militantisme et d'engagement citoyen, ainsi que les réussites du travail des élus locaux. Il doit aussi décider efficacement, avec le sens de la discipline collective. Quelles nouvelles règles communes pour y parvenir sereinement ?

Et la question de toutes les questions, celle qui nous intéresse vraiment. (Je plaisante. J'ai même presque honte de faire encore un billet sur le PS tandis que la droite est en train de démanteler à coup de hache les protections sociales.)

La "discipline collective" rappelle le TCE et la campagne de 2007. Le fond la question est plutôt intéressante : l'ouverture du PS à d'autres formes d'engagement. Oui, ça me paraît même urgent.

18 avril 2008

L'émotion Ségolène

Le blog qui s'appelait Le Congrès Socialiste par ses militants que Marc Vasseur avait lancé il n'y a pas si longtemps. Nicolas l'a annoncé ce matin, expliquant - et il a raison - la fin de ce blog qui eût pu devenir un très beau lieu d'échange par les désaccords profonds entre blogueurs de gauche au sujet du rôle et des démarches de Ségolène Royal :

J'en ai marre ! Je lis les blogs, les commentaires. Nous avons des outils qui nous permettent d'échanger... La plupart des discussions tournent autour de Ségolène Royal. Les « anti » nous disent pourquoi, les « pro » nous disent pourquoi...

A la fin, toute objectivité en est perdue. Les « anti » en font trop. Du coup, les « pro » crient à l'acharnement, au machisme... sans avancer le moindre argument.

Sur le fond, Nicolas a raison : la discussion est devenue pour certains très douloureuse. Elle a atteint un stade où participants et observateurs constatent qu'aucun argument ne suffira à convaincre l'un ou l'autre camp. La raison est devenue une arme rhétorique, au service de sentiments politiques, je vais même dire : des émotions politiques.

Et voilà, pour moi, le problème actuel pour le PS, du moins dans ses incarnations blogosphériques : la question Ségolène est devenue une question profondément émotionnelle et ainsi échappe au débat. Admettons, pour l'instant, qu'il y ait une dimension irrationnelle dans certaines manifestations de la "ségolâtrie", il faut reconnaître que l'antiségolénisme de gauche est tout aussi pétrie d'humeurs et de vapeurs. Tout cela me rappelle tragiquement les jours qui ont suivi l'élection de notre Très Grand Homme (TGH). J'avais alors, dans un billet intitulé Retour de refoulé, cité une tribune du journaliste à Libé, Luc Le Vaillant. Celui-ci affirme être tellement de gauche qui avait préféré voter Chirac contre Le Pen, plutôt que Royal contre Sarkozy :

Et c'est bien la première fois qu'en choisissant le-la candidat-e du PS, je me suis senti patauger dans une mare d'amertume. A la limite, il ne me fut pas beaucoup plus compliqué de rallier Chirac pour faire obstacle à Le Pen, tant cette fois la représentante de la gauche a hissé haut le drapeau sécuritaire, chanté fort l'hymne de l'ordre régressif, et tambouriné boum-boum des discours aussi droitistes en matière économique que ceux de l'ex-ministre de l'Intérieur.

Aujourd'hui, cela fait un peu sourire, ou se tordre de douleur. Quelques autres morceaux de choix :

en matière internationale, rêver de rejoindre Angela Merkel et Hillary Clinton, lors de G7 futurs, est une façon comme une autre de liquider les clivages politiques. Comme si les dîners de filles pouvaient tenir lieu de vision du monde...

Ou encore :

La stricte égalité entre les sexes, qui ont chacun droit au masculin, au féminin et à la présidence de la République, ne peut s'accommoder d'une candidate tirant argument de sa nature, quand toute l'ambition de la gauche a toujours été de lutter contre l'état de... nature.

La femme est un homme comme un autre, n'est-ce pas? Le rôle de la gauche est de la maintenir dans son état le plus masculine. Merveilleux.

Je ne cite pas tout ça par nostalgie pour l'après-campagne, ni même pour dénoncer le machisme, mais pour rappeler à quel point Ségolène Royal a provoqué des réactions émotionnelles, qui étaient sans doute encore plus fortes chez des gens de gauche qui étaient censés taire leur réserves sur Ségolène Royal pendant quelques mois, trahissant leurs identités de gauche.

Il y aura le temps de s'attaquer aux détails de ces débats, à toutes leurs subtiles difficultés et aux animosités retorses qui en découlent. Pour l'instant, cependant, il faut simplement faire le constat de cette situation trouble et, en apparence, inextricable. L'une des choses que j'ai commencé à apprendre au cours de ma première année de bloggage, c'est qu'en politique il est important d'admettre le présent, les choses telles qu'elles sont, plutôt que refuser cette réalité sous prétexte d'en dénoncer les injustices. Le constat : l'émotion Ségolène pose problème, et elle (l'émotion) ne va pas disparaître toute seule. La question que l'on doit se poser, c'est : comment le PS va-t-il passer de cet état problématique à un état où l'existence d'une Ségolène Royal populaire ne sera pas une menace au fonctionnement du parti? Autrement dit : comment résorber l'émotion, détendre les oppositions ?

(Et je ne parle pas là d'une quelconque synthèse molle qui serait à faire. Ce serait méconnaître le poids de l'émotion. La synthèse molle sert à la noyer, non pas à la désamorcer, encore moins à en faire quelque chose de positif.)

Pour ce qui est de la blogosphère de gauche, il s'agit peut-être seulement de trouver une manière de nous étriper les uns les autres de façon constructive.

Quinze euros par jour? Allons plus loin

Christine Boutin lance la maison à 15 euros par jour. Ou plutôt, la "Borloo" à 15 euros par jour.

Quinze euros par jour. C'est moins que l'hôtel, c'est sûr. Même un Formule 1 coûte 32 euros par nuit. C'est donc la bonne affaire, puisqu'en plus, avec la chambre d'hôtel on ne risque pas de rejoindre la glorieuse "France des propriétaires".

Le plus important, c'était de faire mieux que les "Borloo". Créée fin 2005, ce programme qui devait nous donner 20.000 maisons par an n'en a fait constuire que quatre...

Donc, il faut être plus vendeur. "15 euros par jour", c'est super vendeur. Chacun peut imaginer les petites économies à faire pour pouvoir se payer la maison de ses rêves. Attention, quand même, car il faut faire ces économies pendant 40 ans. A ce moment, le banquier ou le promoteur immobilier vous répond, inévitablement, oui, mais dans quarante ans, les 15 euros par jour, ce sera le prix d'une baguette du futur, alors que votre maison, elle aura acquis de la valeur. C'est un peu ce qu'on disait aux bénéficiaires étatsunisiens des subprimes, mais passons.

Il faut être vendeur, c'est essentiel. Si "quinze euros par jour" ne suffit pas, je propose que l'on fasse un peu plus de calcul pour arriver à des sommes encore plus petites. Plutôt que de payer tous les jours, pourquoi ne pas payer toutes les heures : "devenez propriétaire de la maison de vos rêves pour seulement 63 centimes l'heure! (Pendant quarante ans)". Si vous trouvez que ce n'est pas pratique de se réveiller la nuit pour mettre des pièces dans le parcmetre qui sera installé dans le salon-séjour, et que vous dormez huit heures par nuit, cela reviendrait à 83 centimes l'heure.

Imaginez : une maison pour 83 centimes. La minute.

Car il faut être vendeur pour vendre ces maisons qui seront construites sur des terrains peu chers et donc loin des centre villes, impliquant des frais de transport important... que dis-je : des frais de voiture, car comme la Borloo, si elle devait exister, la Boutin (la maison) nécessite une voiture, voire deux, puisque madame va devoir travailler aussi pour rapporter les 83 centimes.

Il faut donc être vendeur pour nous refourguer cette maison qui va amocher nos campagnes et faire exploser le kilométrage national. Et qui ne vaudra plus grand chose dans quarante ans quand le litre d'essence sera à 15 euros et que l'idée d'un logement "social" en pleine campagne sera tristement risible. La montagne de pièces jaunes risque de n'avoir servi à pas grand'chose.

Update: Gaël indique un lien intéressant sur le même sujet.

15 avril 2008

Anti-social (le dos rond)

Le nouveau Sarkozy s'efforce de laisser passer de temps en temps quelques cycles d'information sans intervenir de façon fracassante. Le ton du "on va tout faire péter" semble cèder le pas à celui que François Fillon avait inauguré avec son célèbre "les caisses sont vides". Pourtant, en termes d'action politique, rien ne semble séparer le Premier Ministre du Très Grand Homme (TGH), et surtout, rien ne permet de distinguer entre la politique du Sarkozy Bling-Bling de celle du Sarkozy Post-Municipal : sous prétexte d'efficacité ou de modernité (Sarkozy I), ou encore de nécessité fiscale (Sarkozy II), on suit à peu près la même logique pour bousiller morceau par morceau le système de protection sociale française.

(J'ajoute que ma position sur la question de la protection sociale ne se résume pas à la seule défense des acquis ; malheureusement, l'approche du gouvernement se résume à une offensive contre les acquis.)

Prenons la citation (le 8 avril à Cahors) que l'on retrouve partout, dans sa version vespérale :

"La protection sociale est indispensable dans notre pays, mais si le poids des prélèvements obligatoires est tel que les emplois se délocalisent, ça crée des chômeurs en plus, donc ça fait exploser les dépenses sociales", a argumenté M. Sarkozy. "Nous reviendrons à l'équilibre de nos régimes sociaux là encore par la réforme", a-t-il promis, estimant que la réponse à ce problème se résumait "au plein emploi".

En tout cas, je n'ai pas retrouvé cette conclusion dans le discours publié sur le cite de l'Elysée, mais j'ai peut-être manqué de patience, car l'AFP dit la même chose :

"La réponse à tout ça c'est le plein emploi, c'est ce qu'on essaie de faire".

C'est le prononcé qui fait foi, n'est-ce pas? La réponse, c'est le plein emploi. Méditons cette affirmation. Ce sont les fameuses réformes qui vont nous conduire vers ce paradis du travail. (Un peu comme le TEPA devait doper notre pouvoir d'achat, je suppose.) Or, les si réformes consistent en la réduction du niveau de protection sociale, et si elles précèdent nécessairement l'arrivée du plein emploi, et si on me permet d'être scéptique sur l'efficacité de ces mesures en termes d'emploi, il est évident que, même dans le meilleur des cas, dans ce monde meilleur où il est possible de "libérer la croissance", la solution viendra bien après que les réformes auront rendu la vie plus dure, plus précaire pour toutes ces personnes que la protection sociale protège réellement. On saura quand on perdra son pouvoir d'achat, ses allocations, on ne saura pas quand on bénéficiera du plein emploi.

Sarkozy n'a pas changé son discours depuis la campagne. De la réforme naîtra la prospérité. Pourtant, il doit savoir que dans le contexte actuel, et après son échec sur le pouvoir d'achat, ses promesses ont perdu le peu de crédibilité qui leur restait. Sarkozy se fillonise et se chiraquise : plan de rigueur qui ne dit pas son nom (Fillon) ; politique du dos rond d'un président sûr de sa majorité pendant au moins cinq ans (Chirac). En somme, la même vieille politique que la droite propose depuis... depuis toujours.

Où en sommes-nous avec le sarkozysme, alors? La déclaration que je viens de citer pourrait très bien signaler la fin, tout simplement, du sarkozysme. Finie la "rupture", fini le "choc de confiance", abandonnées au bord de la routes toutes les promesses de modernisation, d'énergie, d'une révolution qui allait mettre fin à tout ce que l'on n'aimait pas dans la réalité pour le remplacer avec le pays dont tout le monde a toujours rêvé. Finie, aussi, la crédibilité de celui qui promettait à Gadrange que l'Etat pouvait tout. Ne reste du sarkozysme que ce qu'il a hérité des Juppé, Balladur et Chirac d'antan : la rigueur budgétaire, la défense de privilèges, l'assaut contre l'Etat-Providence.

C'est à croire que Sarkozy privé de son style que la France ne supporte plus, ce n'est plus Sarkozy du tout. Lui enlever son style, c'était détruire le sarkozysme, car le sarkozysme a toujours était un style et une façon de manier le pouvoir et la communication. Ce n'était pas une politique, et encore moins une pensée politique.

L'opinion a très bien compris d'ailleurs, ce changement, car la nouveauté des derniers sondages, c'est la double chute : 3% pour Sarkozy et 4% pour Fillon, plus visible, plus exposé, plus politique qu'avant. La présidentialisation de Sarkozy ne convainc plus. Le seul avantage avec sa "nouvelle" personnalité politique, c'est que Fillon n'en profite plus. Ce qui n'est sûrement pas rien.

9 avril 2008

Chamailleries

Il y a quelque chose comme une idée reçue selon laquelle c'est à gauche, et surtout au PS, qu'on se chamaille le plus. Heureusement que la droite est là pour nous remettre les pendules à l'heure! En réalité, on se chamaille partout. La politique, c'est peut-être finalement une énorme chamaillerie. La chamaillerie est peut-être même la méthode de tout progrès et de toute régression en politique. Oui, je parlais de la droite, voici ce que dit une Secretaire d'Etat à propos de ses amis :

"J'appelle chacun à prendre ses responsabilités, répond-elle [Nathalie Kosciusko-Morizet] à ceux qui l'ont mise en cause. Il y a un concours de lâcheté et d'inélégance entre Jean-François Copé, qui essaie de détourner l'attention pour masquer ses propres difficultés au sein du groupe, et Jean-Louis Borloo, qui se contente d'assurer le minimum. Si le travail de préparation préalable avait été fait dans le groupe, cela ne se serait pas produit. Ce n'est pas normal qu'il y ait eu si peu de députés de la majorité en séance. Manifestement, Copé n'arrive pas à tenir le groupe. Quant à Jean-Louis [Borloo], j'attends avec impatience qu'il vienne exprimer la parole unique du gouvernement dans l'Hémicycle. Quand il veut, il vient."

Ca remonte le moral, non?

6 avril 2008

Ségolène Royal : doit-elle s'exprimer?

Ségolène Royal sort dix suggestions de réflexion pour le PS, et soudain j'ai l'impression d'être retourné dans le temps d'une quinzaine de mois. Ce qui surprend le plus, dans la force des différentes réactions, c'est que finalement la question devient tout de suite la légitimité non des questions elles-mêmes, mais de la démarche : Ségolène Royal a-t-elle le droit de poser des questions en public ?

J'exagère, mais très peu. Commençons par la presse. Dans le papier de Libé on lit par exemple:

Du côté de François Hollande, on regrette cette initiative «parallèle» au travail «collectif» mis en place par la rue de Solférino.

Qu'est-ce que cela veut dire, au faut, le "parallèle" contre le "collectif"? Est-il illégitime de faire appel aux militants PS, voire au public des "sympathisants"? Est-ce véritablement contre l'esprit collectif? Dans le football, il est reproché à certains joueurs de ne pas jouer "collectif"; alors ils jouent trop "perso". Ce n'est pas évident que la comparaison entre le PSG et le PS tienne la route, pourtant : poser des questions au plus grand nombre, est-ce vraiment jouer perso?

Pourtant, on peut se demander comment Royal peut en faire moins : ce ne sont que des questions, après tout, mais même ça, même la réflexion ouverte est soupçonnée de manoeuvre pour tout récupérer pour elle. Je cite l'un de nos plus fervents trolls de gauche, qui commentait ici :

Ce que certains n'ont pas compris, c'est que nous socialistes ne voulons pas travailler pour Ségolène Royal mais pour le Parti Socialiste. Toute intervention venant de Ségolène Royal est très mal vu car ce sera considéré comme une tentative de récupération. Et pour l'instant, il y a une chose que je ne veux pas, c'est me faire récupérer par Royal.

Vous avez bien lu : "toute intervention venant de Ségolène Royal est très mal vu". Elle ne peut pas avoir raison, sauf, à la rigueur, en se taisant.

La distinction entre le "collectif" et le "parallèle" en dissimule (mal), une autre : celle entre une parole maîtrisée par l'appareil socialiste, et une parole ouverte, j'allais dire "libre", au risque de paraître trop lyrique. Le lyrisme serait de trop, car il ne s'agit que de questions, encore une fois. Même pas une modeste proposition, mais des questions.

Pourquoi Ségolène Royal doit-elle se taire ? Justement parce qu'elle est populaire, qu'elle est une figure de premier plan. Personne ne s'énerve quand un cadre de second plan intervient dans Le Monde pour proposer telle ou telle réfondation ou reconstruction, car ce n'est qu'Untel. Quand c'est Royal qui parle, soudain l'intégrité même de nos chères institutions est menacée.

Hier, Dagrouik avait un mot qui m'a fait rire (c'était chez Nicolas, dans les commentaires) :

Grand jeu du WEEK-END: expliquez moi comment on prend le PS de force, vous avez le droit de faire des dessins ou des textes.

Voilà : même si Ségolène Royal devait se faire élire par les militants, ce serait illégitime, un coup d'état, la "force". La démocratie, c'est bien gentil, mais il faut jouer "collectif"... La popularité de Ségolène Royal l'oblige à se taire, sa popularité rend illégitime tout ce qu'elle peut dire.

Cernons un peu mieux cette alternative collective et la manière dont les initiatives ne doivent pas être "parallèles". Les initiatives doivent, semble-t-il, coller à la structure hiérarchique du Parti, celle des Fédérations, de tout cet organigramme qui me reste assez obscur, pour tout avouer, moi humble sympathisant. Vu de loin, ce système semble conserver quelque chose de féodal, avec des instances diverses qui permettent de décider ce qui va remonter ou pas. Loin de moi de remettre en cause ce qui m'échappe totalement, du moins pour ce qui est de la gestion du Parti. En revanche, pour ce qui est de la gestion de la parole et des idées, je ne vois pas l'intérêt de limiter les réflexions et les discussions à ces parcours complexes et, je devine, semés d'embuches.

Le resultat, c'est qu'on se retrouve dans cette position étrange où l'on doit défendre l'idée même de poser des questions et de discuter ouvertement des orientations du PS. Plutôt que de parler sans cesse de la forme des débats, de la légitimité de ceux qui débattent, passons à la réflexion elle-même.

5 avril 2008

Du bon usage du pessimisme en politique

Au fil des jours et des billets et des réflexions, il est une valeur politique qui commence à s'imposer à moi, non comme une forme de découragement ou comme une sorte d'humeur, mais comme une motivation essentielle. Je parle du pessimisme.

Pas très gai, comme sujet, me direz-vous.

Pourtant, le pessimisme peut avoir du bon. Prenez l'exemple de Nicolas Sarkozy, notre Très Grand Homme (TGH): à la suite de sa glorieuse élection du 6 mai 2007, le consensus médiatico-populaire prenait la forme d'un joyeux optimisme. Le TGH allait tout faire péter, tout ce qui pesait sur la France. Tout allait être franchement super. Seuls quelques gauchistes atteints d'antisarkozysme primaire osaient suggérer le contraire, osaient ne pas partager ce grand élan d'un optimisme égoïste. Aujourd'hui, même si Sarkozy reprend quelques couleurs dans sondages, les couleurs restent bien fades, et l'antisarkozysme n'est plus "primaire". Par moments il devient une valeur de droite, même.

Je ne veux pas parler seulement de Sarkozy, et il est vrai que le pessimisme n'était pas alors, comme aujourd'hui, l'unique raison de ne pas adhérer à ses grandes promesses de programme.

Juan écrivait, entre les deux tours des municipales, à propos des logiques de vote :

Voter en démocratie a toujours répondu à deux uniques impératifs, le premier étant prioritaire sur le second :

  1. Voter contre le Pire

    [...]

  2. Soutenir le Meilleur

C'est tellement logique quand c'est dit comme ça... pourtant, ces principes sont loin d'être appliqués systématiquement. Je pense au 21 avril 2002, ou même à certains amis états-unisiens qui ont facilité l'élection de George W. Bush en votant pour Ralph Nader.

A chaque élection, l'électorat veut s'exprimer. Les électeurs sont encouragés d'aller aux urnes pour s'exprimer. Après, les hommes politiques cherchent à décrypter à leur profit cette expression. Et pourtant, un bulletin de vote ne permet pas, la plupart du temps, de bien s'exprimer. Cette une forme de communication assez pauvre, en fait. L'expression s'y réduit à un choix : celui-ci, pas celui-là, oui ou non. Mon bout de papier, anonyme, se mélange avec d'autres qui sont tout aussi anonymes, qui expriment sans doute beaucoup d'autres sentiments, tout aussi anonymes et inconnaissables. La pauvreté de l'expression dans le vote n'est pas due à une faille dans la démocratie, mais à une méconnaissance de ce qu'est voter. Ce n'est pas une expression mais un acte, et même un acte politique. Devant ce choix, je prends celui-ci contre celui-là. Je n'aime ni l'un ni l'autre ? Tant pis, car aujourd'hui il n'y a pas d'autre choix. Si je ne suis pas content, je milite, j'ouvre un blog, j'essaie de faire quelque chose pour que le choix soit meilleur la prochaine fois.

Le pessimisme dont je parle ne doit pas décourager de la politique. "Tous des connards" : oui, peut-être, mais c'est ainsi, et c'est toujours ainsi. Attendre qu'il n'y ait plus de connards, c'est fermer la porte de la politique pour toujours. Les programmes des uns et des autres ne nous conviendront jamais parfaitement, individuellement. Il est illusoire d'espérer de trouver l'homme politique idéal ou la femme politique idéale qui colleront exactement à nos désirs politiques. C'est illusoire, et, pire encore, cela implique d'attendre encore longtemps. Pendant ce temps la vie continue, la vie politique aussi, sans nous. C'est finalement de la tentation utopiste que je parle, qui est mieux illustrée, blogosphériquement parlant, par notre extrême gauche bien aimée. (Lisez ce billet de Dagrouik où il nous présente Vive le goulag.) Mais il n'y a pas qu'eux. Les utopies de cette sorte ne sont que la face visible et, j'ai envie de dire, naïve d'un phénomène beaucoup plus large qui se confond souvent avec la déception en politique. On voudrait que ce soit tellement différent - et pourquoi pas après tout, ce serait si simple ? - que l'on rejete tout en bloc.

Le pessimisme dont je parle n'est donc pas la déception, il anticipe sur la déception. Je ne serais, généralement, pas déçu, car je suis pessimiste. Exemple extrême : jamais Nicolas Sarkozy ne pourra me décevoir, car je n'attends rien de lui. Je suis pessimiste. Le PS pourrait me décevoir, car j'ai des attentes, mais je suis pessimiste aussi : le PS ne sera jamais le parti que je pourrais seulement imaginer. Je peux dire la même chose sur l'Europe : j'étais pour le TCE, non par enthousiasme débordant, mais par pessimisme sur les chances d'avoir mieux que le TCE. Idem pour Ségolène Royal : j'ai des désaccords importants avec elle, sur l'identité nationale par exemple, donc une dose de pessimisme, et pourtant je trouve qu'actuellement c'est elle qui au PS pourra faire le plus de bien.

Actuellement : voilà le problème. La politique concerne le présent, se joue dans le présent, ça se passe en ce moment. Il faut faire avec ce qui existe maintenant. Sans désespérer.

Il est tentant d'entretenir une petite utopie personnelle. Si on m'écoutait un peu... Devant la frustration de voir sans cesse la distance entre le monde tel qu'on voudrait qu'il soit et la réalité, on renonce, ou on devient aigri (voir les commentaires ici pour en voir une démonstration éclatante). Mais ces utopies personnelles n'ont pas, la plupart du temps, la forme bien définie des utopies de l'extrême gauche ; elles sont simplement négatives : si on m'écoutait un peu... ce serait autrement, ce ne serait pas comme ça. L'actualité est perçue à travers une grille négative, à travers une comparaison permante entre le réel et une utopie qui ne peut même pas se formuler. Plusieurs attitudes peuvent en être la conséquence : un air supérieur ("je ferais mieux moi"), un air dégoûté ("tous des cons, des ambitieux, des faux-culs, etc. (la liste est longue...)"), un air choqué ("c'est inadmissible"), ou encore d'autres attitudes, ou même toutes ces attitudes à tour de rôle ou simultanément.

Pour ne pas se décourager (c'est grâce à une touite de Maxime Pisano que j'ai commencé à réfléchir à tout cela), il faut assumer le pessimisme inhérent à la poltique, choisir en fonction des circonstances réelles, aller à l'efficace. Sans abandonner ses convictions, sans accepter n'importe quoi, mais en acceptant de se mêler à cette sale réalité que celle de l'instant présent.

2 avril 2008

Une blogosphère se construit sous nous yeux

Encore une fois comme à la fin de chaque mois, je suis surpris, content, incrédule, confus, ému, scéptique devant le nouveau classement Wikio des blogs politiques. Pour ce blog, le mois de mars a été particulièrement profitable en termes de grignotage de places. Une progression de quatorze places, c'est beaucoup. Je remercie tout le monde. J'ai de la chance.

Comme à la fin de chaque mois, on est tenté d'essayer de comprendre les changements. Les Left_blogs deviennent une entité incontournable dans le paysage blogesque : Sarkofrance (13e) se rapproche des premières places, Partageons mon avis prend racine dans le ciel wikiën, Intox2007 (10) se maintient. Surtout Marc Vasseur (16) - instigateur par ailleurs du Congrès Socialiste par ses militants qui n'a pas encore eu le temps d'être classé - poursuit sa lancée, gagnant encore huit places, après en avoir gagné une bonne poignée le mois dernier. Encore plus spectaculaire, Donatien (23) charge et grapille 44 places pour se retrouver à côté de Peuples (24). Je pourrais continuer longtemps, pour parler de Victoire au poing (37), de Lait d'beu (68) (kamizole est la voisine de François Fillon ce mois-ci) ou d'autres qui devraient bientôt rejoindre ce classement : Monsieur Poireau par exemple, ou Trublyonne, ou encore Petit ScarabéE. Sans parler d'un certain Boulet qui fait des prouesses dans son coin.

Cela dit, il y a quelque chose qui me surprend, ou du moins que je remarque. Le Wikio de ce mois-ci est un classement vert : c'est-à-dire qu'il y a beaucoup, beaucoup plus de petites flèches vertes indiquant des blogs qui montent, que de flèches rouges. Je n'ai pas la tête à réfléchir en détail à toutes ces permutations, et il est normal que les vertes (montées) soient plus nombreuses que les rouges (baisses), mais tout de même : j'ai bien l'impression qu'il y a eu des grosses chutes cette fois. Des pans entiers de l'ancien édifice blogorifique ont disparus des cent premières places. Que faut-il en penser ? Est-ce une nouvelle blogosphère qui est en train de se construire?