Ce billet devait s'appeler "Les couteaux sortent", mais, après des péripéties blogistes, le texte d'origine fut perdu, et le train des lectures et des pensées est déjà arrivé dans une nouvelle gare...
En tout cas, cela commence avec une série d'articles dans la presse. D'abord un portrait de Ségolène Royal dans Le Monde intitulé L'insatiable ambition. L'effet est plus fort si on ne lit pas l'article, pas si méchant. Le titre est aguicheur par sa complaisance envers, encore une fois, un stéréotype machiste. L'indépendance de SR envers son propre parti, et envers son homme, serait le signe du caractère insatiable de cette femme. Et on sait ce que cela veut dire, pour une femme, d'être insatiable. Quel joli scoop, d'ailleurs, que d'annoncer que les candidats à l'élection presidentielle sont ambitieux. Il faudrait voir combien on a dit de Nicolas Sarkozy qu'il est insatiable.
A peu près en même temps, Libération ouvre ses colonnes à François Lafon, pourtant "maître de conférences en histoire" et "auteur de Guy Mollet, itinéraire d'un socialiste controversé, donc spécialiste en socialisme. M. Lafon profite de sa tribune pour dénoncer L'imposture Ségolène Royal. Echauffé par notre lecture du titre de l'article déjà cité du Monde, on se doute bien qu'une femme qui se fait passer pour un homme politique ne peut ne pas être dans l'imposture. L'éditorial dénonce plus précisément le prétendu renouveau que représenterait Ségolène Royal, mais l'historien-éditorialiste mélange un peu les pinceaux, et assez curieusement ne semble pas prendre la mesure des conflits entre Royal et les éléphants qui seraient, si on suit le raisonnement, complices dans l'imposture. Tout commence avec les primaires au PS.
Au nom de la rénovation de la vie politique, le Parti socialiste s'est lancé dans des primaires où le people l'a emporté sur la cohérence politique. Celle qu'on a osé présenter comme symbole de la modernité politique n'avait-elle pas été plébiscitée lors du vote interne par tout ce que le vieil appareil socialiste compte de ringardise ? Il suffit pour s'en convaincre de se référer à ses résultats obtenus lors du scrutin interne dans les fédérations les plus verrouillées du Nord, du Pas-de-Calais, de l'Hérault ou encore des Bouches-du-Rhône.
Bizarre que le "vieil appareil socialiste", de surcroît vérouillé, ait choisi Ségolène Royal contre les chefs de file habituels. L'énorme avantage de la lecture en ligne des journaux, c'est que parfois les réfutations fournies par les lecteurs eux-mêmes sont immédiatement visibles. Finalement, Ségolène Royal n'aurait été qu'un joli visage choisi pour masquer l'inéptitude et l'obsolescence du PS tout entier. Eléphante parmi les éléphants.
Et puis on apprend que deux journalistes -- et il faut préciser, malheureusement, deux femmes (le malheur ce n'est pas que ce soient des femmes, mais que je doive le préciser) -- dont Ariane Chemin, l'auteur du premier article de ce recensement du Monde vont sortir un livre sur le couple Royal-Hollande qui expliquerait la décision de Ségolène de présenter ainsi que ses mauvaises relations avec le PS par un problème conjugal, à savoir la jalousie chez Ségolène suscitée par une jolie journaliste (blonde, paraît-il). Encore une fois, les lectrices de Libé sont vigilantes et dénoncent l'infantilisation de la candidate. Toute cette campagne n'aurait été que la vengeance d'une brune, un débordement féminin. A croire que Ségolène aurait tourné la tête du petit ami d'Ariane Chemin : en effet, comment expliquer autrement toute cette hostilité (de femme)?
Enfin, Michel Onfray, pourtant très drôle lorsqu'il décrit son entretien "philosophique" avec Sarkozy, reproche assez platement au PS et à Ségolène Royal d'avoir renoncé à la vraie gauche (d'avant François Mitterand - on ne revient pas sur les valeurs de 1968 mais sur celles de 1983), et Luc Le Vaillant (journaliste chez Libé) cherche tout simplement à "en finir avec Calamity Sego". Monsieur le Vaillant, pourtant très à gauche, affirme avoir préféré voté Chirac contre Le Pen plutôt que Royal contre Sarkozy. Il aurait même préféré perdre avec DSK ou Fabius. On peut comprendre que Ségolène Royal ne soit pas assez à gauche pour lui, et qu'il n'ait pas apprécié la tentative de rapprochement avec le centre, après tout c'est son droit. Mais là où il perd toute crédibilité, c'est dans sa troisième tirade, où il reproche, à peu près, à Ségolène Royal d'être une femme.
La stricte égalité entre les sexes, qui ont chacun droit au masculin, au féminin et à la présidence de la République, ne peut s'accommoder d'une candidate tirant argument de sa nature, quand toute l'ambition de la gauche a toujours été de lutter contre l'état de... nature.
Pas mal non ? Le rôle de la gauche, c'est de supprimer définitivement la différence des sexes. D'ailleurs, Ségolène Royal, comme tous les citoyens "a droit au masculin, au féminin". Elle n'avait que choisir le masculin pour cette campagne, ç'aurait été beaucoup plus confortable pour tout le monde. Après tout, on est en République et on est de gauche!
Pourquoi tant de haine ? pourrait-on dire. On sent, à lire tant de bêtises, qu'il y a, à gauche, comme un grand soulagement : c'est fini, on a perdu, on peut maintenant déverser librement, sans risque de trahir son camp, toutes les frustrations engendrées par cette femme qui n'est pas restée à sa place. La candidature a déstabilisé l'ordre du monde, et chez certains cela était proprement insupportable. Le plus curieux, c'est que le machisme n'était pas là où on aurait pu l'attendre, mais plutôt chez les femmes (et même sans compter Michèle Alliot-Marie, qui s'est pourtant distinguée à cet égard) et à gauche. Maintenant l'ordre "normal" des choses peut se rétablir, la blessure infligée au psyché national va se refermer.
1 commentaire:
Désolé mais l'on peut faire d'autres reproches à Royal que celui d'être une femme.
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