Je reviens sur le sujet d'une « réforme » (toute action de l'Etat est désormais « réforme »... on ne peut plus traverser la rue sans que ce soit une réforme d'une manière ou d'une autre) de nos chères institutions. La question est un peu moins chaude que la semaine dernière. J'en ai déjà parlé (ici surtout) mais il reste quelques éléments qui continuent à m'inquiéter.
Voici ce que disent deux blogueurs que je respecte, et qui sont, malgré tout, de gauche.
D'abord, Hugues Serraf, de l'excellent Commentaires et vaticinations, qui écrit:
Moi, personnellement, l'idée d'un régime présidentiel authentique ne me dérange pas. C'est un système qui en vaut un autre et, à tout prendre, je me satisferais tout autant d'un régime réellement parlementaire. Mais c'est cet entre-deux bâtard qui me pose problème. Qu'un président élu au suffrage universel sur un programme clair s'entoure d'une équipe capable de le mettre en oeuvre, c'est la moindre des choses. Qu'il conserve la haute main sur une assemblée de godillots, pour la plupart membres d'un parti qu'il contrôle en direct, et qu'il soit capable de la dissoudre sur un simple caprice, c'est une autre paire de manches.
Et un peu plus loin:
Ce que j'accepte mal, en revanche, c'est la présence de 314 mini-Sarkozy au palais Bourbon. 314 courroies de transmission surnuméraires dont nous n'avons que faire. Allez, président Sarkozy, Claude Guéant dégagera bien cinq minutes dans votre emploi du temps pour une petite réformette constitutionnelle susceptible de rendre un peu de vigueur à nos députés et de donner sa chance à une Nancy Pelosi en VF !
Et, chez Versac, le même son de cloche:
Les deux aimeraient mieux un système plutôt parlémentaire, mais sont prêts à accepter un virage vers un régime présidentiel sur le modèle américain, si c'est le prix à payer pour avoir une plus franche séparation des pouvoirs.
Ce qui m'inquiète, ce qui me surprend, c'est que les premières semaines du premier mandat du Très Grand Homme ont suffi à faire basculer le fond même du débat institutionnel.
Lors du débat, Sarkozy avait du qu'il ne voyait pas de raison de passer à une VIème République. Et Ségolène Royal est restée dans une logique plutôt parlementaire. Et voulait plutôt imposer des nouvelles contraintes au Président:
Le Président de la République sera responsable. Le statut pénal du chef de l'Etat sera réformé. En cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat, le Président de la République pourra être destitué à l'initiative de l'Assemblée Nationale. Il ne présidera plus le Conseil supérieur de la magistrature et ne nommera plus les membres du Conseil constitutionnel. Le quinquennat ne sera renouvelable qu'une seule fois. (Du site DDA.)
En revanche, les pouvoirs du parlément (face au gouvernement) devaient être renforcés :
La souveraineté du Parlement sera établie par une co-maîtrise de l'ordre du jour avec le gouvernement, suppression du vote bloqué et de l'article 49-3, stricte limitation de l'article 38 sur les ordonnances et des recours à la procédure d'urgence (art.45
Il me semble qu'elle aussi voulait pouvoir s'adresser aux députés, mais je ne trouve pas trâce de cette idée dans le programme. J'ai eu la tête sarkozifiée déjà? Peut-être. Mais même dans ce cas, il est clair que Ségolène Royal ne préparait pas un régime présidentiel à l'Américaine, et l'on peut guère l'accuser d'avoir fait glisser le débat dans ce sens. Sans parler de la démocratie parcipitative.
Ce qui laisse, me laisse en tout cas, une seule explication à ce changement, au fait que désormais, chez les gens qui y réfléchissent, une réforme des institutions irait très logiquement dans le sens d'une présidentialisation, comme si c'était la chose la plus normale du monde. Et pourtant, si on essaie de revenir seulement quelques mois en arrière, à l'époque légendaire où Jacques Chirac était Président de la R., et DDV (comme l'écrivait Rondot) le premier ministre, il est difficile d'imaginer que l'on propose une telle réforme. Personne, ni à droite ni à gauche, ne l'aurait souhaitée. C'aurait été tout simplement ridicule. Aujourd'hui c'est dans l'air du temps, mais profondément dans l'air du temps. (Pour ainsi dire.)
A vrai dire, je ne pense pas qu'il y aura une réforme des institutions. Sarkozy a déjà tout le pouvoir, il ne gagnerait rien à en donner au Parlément, qu'il domine moins que son gouvernement. Un telle proposition pourrait vite devenir une évalution publique de sa façon de gouverner, ce qui ne pourrait être que négatif pour lui. Je continue à penser que c'est de l'air, que c'est une façon pour François Fillon de justifier son non-existence, en disant qu'il est d'avant-garde, et que bientôt il n'y aura plus de premier ministre du tout mais juste un ordinateur. Plus sérieusement, c'est une idée qui arrange Sarkozy tout autant, car son style hyperprésidentiel s'en trouve justifié par anticipation. Il va diriger sa boîte comme si c'était la VIème, en plaçant la « légitimité » du suffrage au-dessus de ses pouvoirs constitutionnels.
Pourtant, c'est dommage que la piste parlementaire soit abandonnée. Le problème avec le régime présidentiel tel qu'il pourrait exister en France, c'est qu'il serait toujours un régime à la Sarkozy, c'est-à-dire avec un président qui maîtriserait tout, à partir du moment où il maîtriserait son propre parti. La situation aux Etats-Unis est très différente, pour mille raisons historiques et même géographiques. Les partis politiques eux-mêmes sont moins centralisés que les partis français. La branche judiciaire a beaucoup plus de pouvoir d'intervention sur les lois et sur les actions de l'exécutif. Je reste persuadé qu'un régime présidentiel en France reviendrait à préserver le statut quo sarkozien, tout simplement.
Et surtout, si nous allons nous lancer dans des modifications constitutionnelles, pourquoi ne pas le faire sur la base d'une véritable réflexion, plutôt qu'en réaction aux personnalités politiques du moment?
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