Quand il sera publié, ce billet sera déjà vieux de quelques jours. On
est aujourd'hui le dimanche 12 août. Sarkozy vient de retrouver son
futur vieux pôte George W. Bush. Sur la couverture du JDD, que je n'ai
pas acheté, j'ai vu la photo des deux pôtes sur le bateau des Bush,
avec Bush Sr. au volant.
Dans Le Monde d'hier, daté d'aujourd'hui et de demain, en couverture
dans une analyse par une journaliste dont le nom m'échappe pour
l'instant, on s'acharne à sonder la "rupture" diplomatique sarkozyste
tout en soulignant sa continuité avec les grandes lignes de la
diplomatie française. Il semblerait que la rupture est surtout dans le
style. De là à dire que la rupture n'est que du style, il y un pas que
Le Monde n'est pas près à franchir. Pourtant cela semble logique.
Il y a pourtant quelques petites piques. Le coup de fil de Sarkozy à
Poutine à propos de l'accord Total-Gazprom qui aurait été
"maladroit", par exemple. L'analyste du Monde insiste sur le refus de
Chirac de rendre visite à Poutine et à Bush. En effet, Chirac tenait à
cette hauteur de vieux sage que les jeunes Bush, Blair, et Poutine ne
pouvaient atteindre. Sarkozy sera actif, mais, visiblement, jamais
très sage.
Pour l'instant, je ne comprends pas très bien l'orientation atlantiste
de Sarkozy. Mon soupçon (méchant, évidemment) va dans le sens d'un
simple amour du pouvoir. Si Sarkozy veut qu'on l'aime parce qu'il est
puissant, c'est qu'en même temps il partage cet amour du pouvoir; ne
pouvant séduire les Américains pour en faire des fidèles sarkozystes,
il s'est laissé séduire (depuis longtemps, paraît-il) par la puissance
américaine. Ou encore: il est d'emblée conquis. D'après Le Monde
toujours, ce rapprochement avec les Etats-Unis va augmenter
l'influence de la France dans des domaines importants : Moyen-Orient,
Maghreb, Afrique. Je ne vois pas en quoi, car jusqu'à présent, le
principal atout de la France a été d'être une alternative à
l'hyperpuissance. Être un rouage de plus dans le système diplomatique
américain, alors même qu'il est au plus bas, ce n'est pas forcément ce
qu'il y a de plus efficace.
Le "style Sarkozy" en politique étrangère, au-delà des tapes dans le
dos, de la vodka de Poutine que personne n'a bue, des bises pour
Merkel et des bonnes bouilles un peu partout, est finalement - c'est
qui n'est guère surprenant - tout à fait semblable à son style à usage
interne. L'essentiel, c'est de plaire à tout le monde, de séduire tout
le monde, d'avoir tout le monde dans son camp. Comme il l'a appris (on
espère en tout cas) avec l'épisode libyen, ce n'est pas toujours si
facile, tant les intérêts des uns et des autres sont divergents. Pour
la politique franco-française, il est assez facile d'utiliser le
pouvoir de sa position pour séduire : tout le monde (ou presque, il y
a toujours des grincheux) veut être du côté du puissant vainqueur. En
politique étrangère, en revanche, les interlocuteurs n'ont pas les
mêmes besoins. Ainsi, le prix à payer pour séduire peut devenir
exorbitant, comme avec Kadhafi, ou même avec Poutine, avec qui Sarkozy
aurait assumé, toujours d'après cette journaliste du Monde, une
position de faible.
Ainsi, avec Bush Jr., Sarkozy est en train de renoncer à tous les
avantages, en termes d'image, de crédibilité, acquis par Chirac, de
les vendre en somme afin de s'afficher comme pôte du
puissant. J'espère pour lui que Sarkozy s'en sentira grandi. Ce
rapprochement des vacanciers est certes moins dramatique que
l'aventure libyenne, mais il suit en profondeur le même schéma. Je
disais l'autre jour que l'essentiel était de savoir quel serait le
"récit" libyen définitif : "Sarkozy l'énergique qui sauve les
infirmières en faisant du business en même temps" contre "Sarkozy le
médiatique qui s'achète un succès diplomatique au prix fort". Je
voudrais en proposer une autre version encore. Dans des négociations
avec un vendeur intransigeant, Sarkozy est celui qui se vante de
l'avoir fait craquer. "Je sais faire, moi, vous allez voir." Après on
apprend qu'il n'a fait que sortir son chéquier. Pour l'Europe, c'était
pareil. Se payer l'image de celui qui a sauvé l'Union (du moins
pour les téléspectateurs TF1) en donnant à chacun tout ce qu'il veut,
ou presque, et en vidant le traité de son sens.
La diplomatie est un jeu sur le long terme. Le style de Sarkozy semble
être au contraire de tout claquer tout de suite. On verra plus tard
combien ça nous coûtera. L'essentiel est de se hisser au niveau des
grands tout de suite. Après avoir fait son tour de bateau avec George
W. Bush, l'un des présidents américains les plus impopulaires de
l'histoire des Etats-Unis et auteur de l'un des échecs "diplomatiques"
les plus éclatants dans l'histoire de l'état moderne, Sarkozy
sera-t-il encore capable de s'opposer à une invasion de l'Iran, qu'une
bonne partie des néo-conservateurs américains considèrent, contre
toute vraisemblance, comme aussi nécessaire et justifié que leur
invasion de l'Irak? Sarkozy n'a-t-il pas tiré de leçon de la chute de
Tony Blair qui avait, aussi, voulu jouer dans le club des grands?