29 mai 2011

Retour sur Terra

Au risque d'aller contre la quasi-totalité de la classe politique et l'intégralité de la blogosphère, je vais dire du bien du fameux rapport Terra Nova sur les classes populaires. Pourtant, je suis loin d'être un fan de Terra Nova.

Au lancement du think tank, je me souviens de l'un des responsables en train d'expliquer qu'ils allaient travailler trouver des solutions, dossier par dossier. À la fin il faudrait trouver un slogan pour les résumer. C'est la concrétisation de l'une des plus grandes faiblesses de la mentalité PS, à savoir cette conviction qu'il suffit, pour convaincre et pour gagner des élections, d'avoir raison sur les dossiers. C'est la religion de la démocratie technocratique, la foi que la science va se traduire par une adhésion populaire. Ensuite, quand Sarkozy l'emporte avec "travailler plus pour gagner plus" et "tous propriétaires de vos HLM", ou leurs équivalents pour 2012.

Pire encore, le rapport en question semble valider l'abandon effectif par le PS, depuis au moins 2002, de l'électorat populaire. (J'en ai déjà parlé en mars.) Ainsi, donner l'impression, comme le dit Marc Vasseur, d'"abandonner les classes populaires" est une erreur de communication monumentale qui en plus arrivait peu de temps après l'épisode Porsche de DSK qui avait gravement atteint l'image du directeur du FMI.

En somme, je ne suis pas spécialement fan de Terra Nova et rien ne me prédispose à être conciliant avec leur rapport.

Et pourtant, je pense que, sur le fond, nous avons tort de critiquer ce rapport, même si, niveau comm', c'est très moyen.

Tout d'abord, il y a une confusion dans la quasi-totalité (il y a des exceptions) des réactions, entre vote ouvrier et vote populaire. Si je puis résumer le propos du rapport, c'est ça : le vote populaire n'est plus le vote ouvrier ; l'ouvrier et sa situation, son rapport au travail et au capital, ont servi pendant plus d'un siècle comme socle de l'imaginaire politique de la gauche, à tel point que, quand on dit : le PS ne peut plus courrir après le vote ouvrier, on entend, tout naturellement, le vote populaire. Puisque Terra Nova est visiblement un truc de bo-bos, il n'est pas difficile de voir dans le rapport une sorte de consécration du bo-bo comme électeur type.

Sans les compétences nécessaires, je ne peux pas évaluer toute la démarche du rapport. Philippe Cohen, par exemple, insiste au contraire que le petit salarié rejoignent de fait l'ouvrier, préservant ainsi l'identité d'une classe ouvrière/populaire à l'ancienne :

dès lors que le salaire de l’employé se confond avec celui de l’ouvrier, et il n’y a plus lieu de distinguer ces deux catégories dans une perspective sociale, politique ou électorale. Du coup, loin d'être affaiblie, la classe ouvrière sort au contraire renforcée de cette évolution économique.

Mon sur-moi marxiste me souffle à l'oreillette que ces deux catégories ne peuvent pas tout à fait se rejoindre, tant les rapports de forces (positionnement vis-à-vis du Kapital et du travail, structure du marché du travail, cultures) qui déterminent leurs situations sont différents.

Ainsi, le rapport Terra Nova me semble assez convaincant avec des développements comme celui-ci :

L’explication passe sans doute par l’absence de toute incarnation politique de cette population dans le discours de gauche. La gauche est ouvriériste : quand elle s’adresse aux travailleurs populaires, elle fait référence à l’ouvrier du XXème siècle. Son imaginaire est celui du travailleur industriel à la chaîne : homme, syndiqué, porteur historiquement de la fierté de la classe ouvrière. Elle ne parle pas de l’ouvrier du tertiaire, qui ne bénéficie plus du collectif de classe à l’usine, et encore moins de l’employé : femme, souvent seule avec un enfant à charge, désyndicalisée et sans identité historique de classe, précarisée le plus souvent (temps partiel subi). (Page 49)

Ce paragraphe explique aussi comment le PS peut avoir autant de succès dans les élections municipales, où la question des crèches par exemple peut être centrale pour justement ces employées qui, sur le plan national, ne trouve rien de particulier pour elles dans le message global du PS. Dans le programme du PS il y aura, bien entendu, des mesures qui concernent l'école et l'emploi, mais on peut se demander si l'ensemble est ficelé pour attirer de ces ouvrières du tertiaire.

Le modèle de l'ouvrier comme socle de l'imagerie de gauche peut également conduire à cette situation paradoxale où la seule façon d'aider les ouvriers en empêchant les délocalisation, c'est d'entrer dans ce jeu de séduction avec les très grandes entreprises, ce qui aboutit à un socialisme de l'entreprise où le PS perd sa différence avec la droite. Depuis que « l'État ne peut pas tout », courir après les entreprises est devenue une nécessité, mais je parle là du symbolisme politique.

Et c'est là où l'on rejoint l'un de mes thèmes préférés quand j'essaie d'imaginer un meilleur socialisme : le fractionnement du pouvoir économique et politique. Ce billet est déjà trop long, mais je voudrais au moins suggérer que la prise en compte du nouveau visage de l'électorat pourrait être le point de départ d'un socialisme fondé sur un fractionnement du pouvoir politique et économique, plutôt que sur une consolidation productiviste. J'y reviendrai.

27 mai 2011

Unité 2012, vos conditions

Hier, les amis gaucho-blogueurs ont lancé leur appel, Unité 2012, afin de pousser les partis de gauche à se mettre d'accord sur un candidat unique au premier tour de la présidentielle.

Marc Vasseur, un réaliste, a des réserves sur l'efficacité de cette initiative, et on comprend : nos chers hommes politiques ont déjà du mal à se mettre d'accord sur des questions mineures, on se demande d'où pourrait venir l'inspiration ou la pression nécessaires pour les pousser à un tel sacrifice. Surtout, Marc souligne le fait que l'appel ne donne pas de détails sur comment on va arriver à un tel résultat.

D'autres ont surtout souligné le fait qu'une candidature unique à gauche revient à supprimer celles des petits parti en faveur du PS, avec l'appauvrissement du débat démocratique habituel. Je comprends cette objection (et je mettrais un lien mais je ne retrouve pas le billet), même si depuis 2002 je considère que le premier tour ne doit pas être utilisé pour servir des petits intérêts entre les partis.

Quand on a un gros problème, parfois il est utile de le diviser en sous problèmes. Voici donc ma proposition. Nous devons inviter chaque parti (ou, à défaut, ses blogueurs) à répondre à la question suivante :

À quelles conditions votre formation politique accepterait-elle de renoncer à présenter une candidature à l'élection présidentielle ?

Tout peut être sur la table bien sûr : programme, postes, ministères etc. Et le PS doit répondre aussi !

26 mai 2011

En 2012, le second tour se passe au premier tour (Unité 2012)

Les amis ont lancé un très bel appel, une belle lettre, et ils ont raison. C'est ici mais je la recopie également, puisque c'est comme ça que ça se fait :

Le Kremlin-Bicêtre, mai 2011

Chers camarades,

Comme disent les Chinois, il est des coups de massue qui rendent lucides : si la gauche veut remporter l’élection présidentielle de 2012, elle devra aller unie au combat dès le premier tour.

Imaginer que tel ou tel candidat ou candidate évitera la dispersion des voix à gauche entre vos différents partis, provoquera le réflexe d’un vote « utile », est un pari dangereux, une illusion entretenue par des sondages dont on connaît la volatilité… et la fiabilité.

Enterrer Nicolas Sarkozy trop vite est tout aussi illusoire. C’est un redoutable adversaire en campagne électorale, chacun le sait. C’est un des rares domaines où sa compétence n’a pas encore été mise en doute.

Mais surtout, Marine Le Pen sera vraisemblablement au second tour, nul besoin de sondages pour le craindre.

L’élection présidentielle de 2012 se gagnera donc au premier tour. Autrement dit, celui des deux candidats, de gauche ou de droite, qui aura le plus rassemblé son camp avant le scrutin présidentiel aura de fortes chances de l’emporter, soit parce qu’il sera face à Marine Le Pen, scénario hélas le plus probable, soit parce qu’il aura obtenu un score élevé au premier tour et aura donc créé une dynamique suffisante pour gagner le second.

C’est le bête et implacable raisonnement arithmétique qu’impose notre scrutin majoritaire à deux tours. On peut regretter qu’il en soit ainsi, qu’il ne nous soit plus permis de faire un « choix de coeur » au premier tour. Mais c’est comme ça.

Cette réalité électorale doit conduire les politiques que vous êtes à agir en conséquence, c’est à dire à vous battre pour que ce soit bien le candidat de gauche qui rassemble le plus efficacement son camp dès le premier tour, et non celui de droite, Nicolas Sarkozy.

Inutile d’attendre le dernier moment pour bâcler un marchandage de circonstance, purement politicien, ou le programme et les idées passeront à la trappe. Inutile encore de compter sur un accord entre les deux tours, vite fait bien fait, entre les partis de gauche au cas où ce serait l’un des leurs qui accède au second tour. Dans le premier cas, face à Le Pen, pourquoi le candidat s’embarrasserait-il d’une négociation avec ses amis politiques alors qu’il est pratiquement certain d’être élu ? Dans le second cas, face à Sarkozy, redoutable candidat, le spectacle de chefs de partis de gauche se rabibochant opportunément après une campagne qui les aura durement opposés sera d’un effet déplorable et ne peut que favoriser le candidat de la droite.

Avez-vous le droit d’envisager cette défaite ? N’avez-vous pas, au nom de la confiance et des mandats que vous ont confié le peuple, des obligations, dont celle de gagner pour mettre un terme à la politique désastreuse menée par Nicolas Sarkozy ?

Chers camarades, il est temps d’atterrir. D’arrêter d’avancer en ordre dispersé, avec des candidatures tactiques, « providentielles » ou fantaisistes. Bref, il est temps de prendre la mesure de cette nouvelle donne électorale et d’en tirer les conséquences. Dès que possible, vos partis doivent travailler ensemble à une plateforme commune et à la désignation d’un candidat unique pour toute la gauche. Après tout, les primaires ont bien été imaginées pour cela, non ?

Rappelez-vous : n’avaient-elles pas vocation, à l’origine, à sortir des logiques partisanes en s’adressant à tous ceux qui « partagent les valeurs de la gauche », qu’ils soient roses, verts ou rouges ? Imaginez la dimension que prendraient ces primaires si elles mobilisaient tous les partis ! Elles donneraient un autre souffle à la campagne et un autre poids au candidat ainsi désigné. Et avouons-le, elles seraient sûrement prises beaucoup plus au sérieux qu’aujourd’hui.

Pour vous, responsables politiques, ce ne sera pas facile de dépasser les clivages et les rivalités d’appareils, on l’imagine. Certains d’entre vous ne souhaiteront peut-être pas monter dans le train de l’unité. Mais l’enjeu est à la hauteur de l’effort : pour que la gauche remporte ce scrutin présidentiel, l’unité et les concessions qu’elle implique, sont le prix à payer et, soyons plus positifs, le défi à relever.

D’ailleurs pensez-vous sérieusement qu’un programme qui rassemble tous les partis de gauche soit un défi aussi insurmontable ? Nous partageons tous un socle de valeurs communes : écologie, services publics, société solidaire, emploi pour tous, fiscalité redistributive, laïcité, régulation de la finance, éducation, innovation, recherche, et bien sûr, l’ambition d’une France forte, généreuse et influente sur la scène mondiale.

Chers camarades, quelle tâche plus stimulante qu’un programme unitaire pour ceux qui aiment la politique et veulent changer les choses ! Ce n’est pas une utopie, c’est une nécessité. Les électeurs le sentent et multiplient les appels dans la presse et sur le Net. Nous sommes à un an de l’échéance, vous avez encore le temps de vous y mettre. N’attendez pas.

Un programme, un candidat… la victoire en 2012 !

Captainhaka : Le grumeau, Custin d’Astrée : 365 mots, Cycee : bahbycc, Dominique Darcy : dominiquedarcy, Eric Citoyen : Mon Mulhouse, Gaël : De tout et de rien, Jean-Claude : Slovar – Les nouvelles, Jean Renaud Roy : @jr_roy, Jon : @blogiboulga, Juan : SarkoFrance, Jules Praxis : @jules_praxis, Le Coucou : Le coucou de Claviers, Melclalex : A Perdre la raison, MrsClooney : La femme de George (s) , Nicolas : Partageons mon avis, Nicolas : La rénovitude, Nicolas Cadène : Débat socialiste, Richard Trois : Richardtrois, Rimbus : Rimbus le Blog, Romain Pigenel : Variae, Ronald : Intox2007, Jacques Rosselin : @rosselin, Seb Musset : Les jours et l’ennui de… , Stef : Une autre vie, Sylvie Stefani : Trublyonne, Valérie de Saint-Do : Microcassandre, Vogelsong : Piratages, Yann Savidan Carnet de notes de…, Zeyesnidzeno : La France a peur

Pour faire avancer l’unité à gauche, faites comme nous : copiez, collez et personnalisez cette lettre ouverte, puis envoyez la vite aux responsables politiques de gauche que vous connaissez (députés, maires, sénateurs, responsables de parti, etc). N’hésitez pas à nous envoyer leur réponse. Vous pouvez pour commencer retrouver les mails de vos députés en cliquant ici. Et faites tourner !

23 mai 2011

Jeter un homme en pâture

Sur les plateaux télé et dans les éditos de la presse papier, l'« affaire DSK » aura suscité mille fois plus d'interrogations sur l'usage des images et du traitement journalistique du sexe des politiques que sur les actes dont l'accusé est accusé. Je ne compte plus le nombre de fois que j'ai lu que Strauss-Kahn a été « jeté en pâture », ou qu'on parle de sa « mise à mort ». À la soirée télé consacrée à l'audience de demande de liberté conditionnelle, le fait qu'un grand jury ait retenu les sept chefs d'accusation, jugeant donc que le fait de passer quelques nuits en prison largement plus grave. C'est la vision myope de l'information en temps réel, certes, mais je crois que c'est encore plus symptomatique de ce qui se passe dans cette affaire.

Au delà des réactions stupidement machistes ou stupidement stupides, les médias ayant peu d'informations réelles à transmettre, ils se sont focalisés sur la "victimisation" de celui qui est accusé de tentative de viol et de l'injustice de la justice américaine qui l'aurait "jeté en pâture", "jeté aux chiens", en le laissant se faire photographier avec ses menottes. Dominique Wolton, dans son rôle, à la télé, à la radio et dans la presse écrite, de grincheux scientifique, dénonçant toutes les dérives de l'internet, peut disserter des heures sur l'horreur médiatique infligée au pauvre homme, mêlant un anti-américanisme à une peur bleue de la démocratisation de l'information. Wolton mériterait un billet pour lui tout seul, d'ailleurs, mais voici un avant-goût :

Les Américains, grands pourfendeurs des libertés individuelles, ont foulé au pied toutes les valeurs que nous avons en commun.

Ou encore (je n'invente pas, promis !) :

On assiste à une incompréhension réelle entre les deux pays, identique à celle qui a eu lieu pendant la seconde guerre en Irak.

Jean Daniel a également parlé de mise à mort, évoquant un gouffre culturel entre la France et les États-Unis. C'est presque comme si Obama avait annoncé l'annexation de l'Alsace-Lorraine. Prochain débat : fallait-il utiliser l'arme nucléaire pour venger Strauss-Kahn.

Et tout ce bruit, à cause de quoi ? Parce que le monde a vu Dominique Strauss-Kahn menotté, hagard et "débraillé". Mise à mort en effet.

Certes, ce n'est pas sympa de se retrouver partout sur la toile avec les mains dans le dos, entouré de flics avec les cravates que l'on connaît. Bien sûr. La véritable mise à mort de Strauss-Kahn, s'il faut poursuivre dans ce langage hystérique et hyperbolique, n'était pas ces fameuses photos, mais bien le fait d'être inculpé d'un crime terriblement grave, en désaccord total avec, oui, l'image qu'avait le grand public de l'homme. Le problème, pour DSK, ce sont les faits, non les images. L'effet sur son image serait à peu près identique si nous étions limités aux simples informations écrites : "DSK arrêter pour viol, puis inculpé sur sept chefs d'accusation".

Pourquoi donc tant de haine ? Parce que ces gens, de BHL à Wolton, ne vivent, apparamment, que dans l'image, que dans cet univers profond de seulement quelques pixels. La véritable brutalité du crime dont Strauss-Kahn est accusé n'y a pas sa place, ne peut, à la rigueur, même pas être représentée ou pensée. Ainsi on préfère se lamenter sur le fait que ce héros national a été privé de maquilleuse avant ses audiences, justement pour échapper au réel.

19 mai 2011

Il faut oublier Dominique Strauss-Kahn (pour le moment)

L'autre jour je disais :

Espérons aussi que l'on puisse parler d'autre chose que le soap-opera new-yorkais pendant les mois à venir. Si j'étais Sarkozy et si je contrôlais les médias, je m'assurerais que l'on ne perde pas une miette de cette histoire de fesses.

Si cette affaire peut rendre service à Nicolas Sarkozy, c'est, au-delà de la question morale (mais allez voir ce billet d'Olivier Bonnet…), la possibilité de noyer un éventuel message socialiste dans une saga interminable qui, grâce à sa dimension sexuelle et la proximité avec certaines séries policières, a tout pour retenir l'attention des téléspectateurs. DSK plus des élucubrations xénophobes et identitaires et on aura de la chance si plus de 50% de la population aura retenu le nom et le prénom du candidat de la gauche.

Bien sûr, ce scandale ne va pas disparaître dans les semaines et les mois à venir. Qu'est-ce que le PS peut faire, alors ? C'est délicat, mais il me semble que la consigne minimale, pour les dirigeants et les responsables du parti, et de la gauche en général, doit être de s'en mêler le moins possible. Oublions DSK.

Dans un très bon billet (mais avec lequel je ne suis pas d'accord tout à fait), Romain insiste sur le fait qu'il faut éviter de le lâcher :

Le troisième point est justement de se rappeler les termes de fraternité et de camaraderie, si on leur prête encore un sens. J’ai vécu de près, dans l’histoire récente, le lâchage par son parti d’un camarade pourtant innocenté au bout du compte – je n’ai pas envie de voir cela une seconde fois. Les premières heures, les premiers jours sont cruciaux pour déterminer l’ambiance générale de la presse et de l’opinion : c’est maintenant qu’il faut faire bloc, serrer les coudes et rappeler sans nuance et publiquement le principe de présomption d’innocence. Sans finasser, sans en profiter pour donner des leçons de morale et disserter sur l’horreur du viol (qui en doute ?). Un silence gêné ou la profusion de qualificatifs ambigus, comme le coup de tonnerre de Martine Aubry, donneraient par ailleurs un bien mauvais signal à nos concitoyens, qui doutent toujours de l’unité réelle du parti socialiste. L’heure n’est pas aux calculs, ni aux stratégies à 1000 bandes, ni au colportage de ragots douteux pour faire parler de sa candidature aux primaires.

Moi non plus je n'aurais pas cru nécessaire de rappeler l'horreur du viol, mais les évenements et les déclarations de certains socialistes et sympathisants ont prouver le contraire, comme je le disais hier. Sur les questions de communication, oui, c'est délicat, mais le PS ne peut pas laisser les soucis de DSK remplacer ses arguments politiques et absorber toute son énergie communicationnelle qui, comme on sait, n'est pas si abondante même par beau temps. Strauss-Kahn doit redevenir un homme, simplement, qui a ou qui n'a pas commis un crime violent dans une chambre d'hôtel. DSK, la figure politique, le porte-drapeau de la gauche, le projet de l'appareil depuis peut-être le congrès de Reims, celui qui porter sur ses épaules tous les espoirs des siens, ce symbole-là, il va falloir s'en passer. Il va falloir faire comme s'il n'existait plus. On le met sur « pause » en attendant le sort de l'autre, de ce n° 09132366L, un certain Dominique S.-K., yeux marrons, etc., qui a fait, ou qui n'a pas fait.

Nicolas J. suggère d'annuler les primaires socialistes. Je pense qu'au contraire il en faut, justement pour changer de sujet et justement pour signifier l'effacement, à ce stade, de Strauss-Kahn : nous avons préparé des primaires mais il n'a pas envoyé son dossier d'inscription à temps.

Mais surtout, chers responsables qui ne me lisent pas, il faut arrêter avec les complots (oui, Claude B., je pense à vous là) et avec les pitoyables appels en faveur d'une intervention présidentielle (oui, Harlem D., je pense à vous là). Justement, le PS ne peut rien faire pour aider Strauss-Kahn, il est même urgent de ne rien faire, de s'en détacher, sans le « lâcher » en le condamnant avant la justice, mais surtout en empêchant le PS de se perdre dans la tempête médiatique qui risque d'être très long.

Un viol reste un viol

L'affaire DSK a pris une ampleur médiatique terrible, les choses se brouillent : il y a la dimension affective du PS, les confusions entre les cultures états-unisienne et française, différences judiciaires, différences de pratiques journalistiques surtout à l'égard de la vie privée et de la sexualité des hommes politiques que les américains (et les anglais d'ailleurs) reprochent maintenant aux journaleux français. BHL (pour qui j'ai, la plupart du temps, pas mal de respect malgré son style agaçant) s'en mêle et se ridiculise outre-atlantique en affirmant carrément :

J’en veux, ce matin, au juge américain qui, en le livrant à la foule des chasseurs d’images qui attendaient devant le commissariat de Harlem, a fait semblant de penser qu’il était un justiciable comme un autre.

Jack Lang insiste qu'il « n'y a pas mort d'homme », l'expression est bien choisie : il n'y a pas mort de femme non plus, mais le viol est encore considéré comme un crime en France. Le pire que j'ai encore vu, cependant, c'est Jean-François Kahn chez France Culture. L'extrait vaut le détour, le ton est presque jubilatoire, non seulement celui de Kahn lui-même, mais aussi celui de la journaliste. Voici la transcription. Le mot « gloussements » n'est pas du tout une exagération :

J.-F. Kahn : Je suis certain, enfin pratiquement certain, qu'il n'y a pas eu une tentative violente de viol, je ne crois pas, ça, je connais le personnage, je ne le pense pas. Qu'il y ait eu une imprudence on peut pas le… (rire gourmand), j'sais pas comment dire, un troussage,

A.-G. Slama : il appelait ça une erreur de jugement (gloussements).

J.-F. Kahn : que y ait un troussage, euh, de domestique, enfin, j'veux dire, c'qui est pas bien, mais, voilà, c'est une impression.

Pas de viol, donc, mais un troussage de domestique ? Kahn a l'air tellement admiratif du pouvoir de séduction du directeur du FMI, il ne se contient presque plus.

Le viol, il semblerait, à écouter ces hommes de gauche, ne peut pas être grave dès lors qu'il s'agit d'un homme puissant et d'une domestique. C'est un détail un peu embêtant, erreur de jugement, il en a beaucoup sur le caillou, le Dominique…

Encore, nous ne savons pas ce qui s'est passé, nous ne savons pas s'il y a eu viol ou pas. La justice est là pour nous le dire. Mais ce qui est totalement inadmissible, c'est, dans l'hypothèse du viol, de minorer la gravité du crime, crime violent. La présomption d'innocence, je veux bien. À écouter Jean-François Kahn, on a l'impression que même si Strauss-Kahn était coupable, il serait coupable de presque rien. Un petit troussage. Rien du tout. De quoi elle se plaint ?

Un viol, je rappelle, donc, est un grave acte de violence. C'est interdit, y compris en France. À côté, nous avons les discussions sans fin sur la façon de traiter du sexe dans la vie politique, le comportement des journalistes, fallait-il alerter l'opinion publique, blah blah blah. Ce que nos commentateurs médiatiques semblent oublier, et qu'on doit leur rappeler, c'est que séduire, coucher, tromper, entretenir des maîtresses ne sont pas des actes criminels. Le viol est tout autre chose, c'est une catégorie à part, c'est un acte public. Une française écrivant en anglais le dit mieux que moi :

Instead, the press chooses to highlight the words of his political allies, who describe him as a benign seducer – but "one that does not force anything". Commentators repeat that this is about his "private life". But with a non-consenting person, it is not an issue of privacy. Still, this distinction seems beyond France's leading journalists.

J'ai le soupçon que ce qui choque, c'est que la justice dans ce cas donne autant d'importance à la parole une simple femme de ménage. Elle ne devrait pas pouvoir nuire à quelqu'un d'aussi important que Dominique Strauss-Kahn, quels que soient les faits et les injustices qu'elle aurait subis.

Nous ne savons pas encore si Dominique Strauss-Kahn est coupable. Son innocence ou culpabilité ne changent rien quant à la gravité du viol en général.

17 mai 2011

Post-DSK

Deux choses sur la fin (avant le début) de la candidature de Strauss-Kahn :

  1. Une aubaine pour… le centre.
  2. Le PS devra s'éloigner rapidement de Strauss-Kahn si son procès s'enlise et s'il est jugé coupable.

Pour ce qui est du centre en 2012, ce n'est pas un scoop, mais c'est important. Nous risquons d'avoir un hybride étrange entre 2002 et 2007 : 2007, sauf que le FN prend aussi 20% et s'impose au second tour. Avec Sarkozy affaibli par son bilan et par Marine Le Pen, un candidat centriste peut espérer s'imposer devant lui et devant un candidat PS affaibli par des divisions à gauche (candidat écologiste, Front de Gauche ; il ne manque plus que Chévenement et Taubira).

Autrement dit : François Hollande a beau remonter dans les sondages, il ne sera pas la réincarnation de DSK, et son emprise sur l'ensemble de la gauche et du centre sera beaucoup plus contestable. Si les centristes arrivent à se mettre d'accord sur un candidat, ce qui n'est pas évident, celui-ci sera très dangereux pour la gauche. Et s'ils restent divisés, ils peuvent grignoter des voix au candidat PS et/ou de gauche, voix qui seront peut-être nécessaires pour passer devant Sarkozy ou Le Pen.

Sur le plan rhétorique et symbolique, il va être important, aussi crucial que difficile, pour le PS de prendre ses distances avec DSK. Si ses embrouilles judiciaires se prolongent sans donner de réponse définitive, le PS va être de plus en plus embarassé, va vouloir montrer sa solidarité avec le pauvre Dominique et va être de plus en plus embêté d'avoir l'air de défendre quelqu'un qui paraîtra comme coupable aux yeux du public.

15 mai 2011

DSK, NYC

Nous ne savons pas grand'chose de concret sur la réalité de l'affaire. Je n'avais pas envie de m'occuper des querelles entre prétendants socialistes ici et donc n'avait pas d'avis tranché sur la candidature de Strauss-Kahn, même si son jospinisme pro-entreprise n'est pas tout à fait ma tasse de thé. L'essentiel reste la défaite de cet autre « sauteur » (comme le disait son ex-femme), Nicolas Sarkozy.

Il paraît probable que Strauss-Kahn va devoir renoncer à sa candidature. Malgré mes réserves sur lui, cela risque d'affaiblir un peu plus la gauche, en apportant un peu plus de désordre. L'ombre d'un DSK absent planera au-dessus des prétendants socialistes qui ne pourront plus se mesurer contre celui qui devait tout gagner facilement.

Quoique… parfois le désordre peut faire avancer les choses. Juan est assez optimiste :

Si DSK est effectivement disqualifié, il n’est pas sûr que cela profite à Nicolas Sarkozy. La campagne sera « normale« . Et Sarkozy n’a plus, à l’heure actuelle, de se positionner en candidat de la rupture contre la normalité.

En tout cas, les événements à New-York vont permettre de clarifier rapidement les choses. La candidature fantôme de Strauss-Kahn, ainsi que sa puissance sondagière, étouffe le débat à gauche, et fait perdre du temps. Il va y avoir du désordre : toute l'énergie des supporters de Strauss-Kahn va devoir aller quelque part ; les non-strauss-kahniens vont s'y croire désormais, cela va attirer l'attention des téléspectateurs. Espérons que ce ne sera pas seulement de la confusion, mais que les idées et les arguments vont aller quelque part.

Espérons aussi que l'on puisse parler d'autre chose que le soap-opera new-yorkais pendant les mois à venir. Si j'étais Sarkozy et si je contrôlais les médias, je m'assurerais que l'on ne perde pas une miette de cette histoire de fesses.

14 mai 2011

Ils sont vraiment désolés

Je reviens à cette histoire de quotas que j'ai abordé hier. Laurent Blanc et la FFF se sont excusés. Voici les mots de la Fédé :

Le conseil a également tenu à présenter "ses excuses à ceux qui ont été blessés".

Et voici ceux du sélectionneur :

J’ai tenu des propos qui peuvent être blessants. Je m’en veux aussi de ne pas avoir pris de la hauteur pour m’apercevoir que certains propos pouvaient choquer et blesser. Je m’excuse auprès des gens que je connais et surtout auprès de ceux que je ne connais pas.

Tout cela est très bien. La Fédération et même le Ministère ont réagi assez rapidement, ont pris la chose au sérieux. Tant mieux. La réaction normale et non-raciste a eu gain de cause. Mais… (il y a toujours un mais, je sais).

Mais… on sais bien que les excuses font partie de la pratique du damage control médiatique. Et là, rien à redire : il faut bien jouer le jeu. Dans le milieu du foot c'est bien connu. Mais… ce qui m'agace un peu, c'est cette idée que le problème était d'avoir blessé des gens. Comme si le racisme se limitait à blesser ou stigmatiser les gens. À la rigueur, personne n'a été "blessé" dans cette histoire, ou, s'ils l'ont été, c'était secondaire, derrière le véritable scandale qui consistait à imaginer une pratique discriminatoire systématique, un système qui, appliqué, aurait bouleversé le destin de centaines de parcours de jeunes footballeurs méritants, et aurait brisé pour toujours la mixité sociale qui depuis des décennies fait la force du football français. Si Laurent Blanc s'était borné à dire que les noirs, grands et costauds, ne savaient pas dribbler, la blessure auraient été plus criante et plus médiatique, mais les conséquences bien moins graves.

Tant mieux pour les excuses, donc, mais elles sont quand même un peu à côté de la plaque.

PS ("Post-scriptum", pas le parti) : Le plus drôle dans l'entretien de Laurent Blanc (mais on le lui pardonne parce que, quand même, ce n'est pas un homme politique de droite) :

Quand j’ai pris connaissance des propos qui ont été tenus durant cette réunion du 8 novembre, il y a eu beaucoup de colère en moi. Cette colère est toujours présente. J’espère que j’arriverai à l’extérioriser avec le temps. C’est de la colère vis-à-vis de moi-même.

Il a fallu attendre que Mediapart sorte l'histoire pour qu'il prenne connaissance des propos qu'il a lui-même tenus, où qu'il a entendus dans une réunion où il était présent ? Pas très logique, Lolo, mais vous avez quand même bien bossé vos leçons de damage control.

13 mai 2011

Blanchir la nation en commençant par le foot

L'équipe de France de football est, dans notre réalité politico-médiatique, l'idéal du nationalisme. Nos néo-nationalistes à tendance sarkozystique (c'est-à-dire tout dans la surface des choses) voudraient depuis au moins 1998 que l'enthousiasme pour l'équipe Nationale puissent se traduire vers une…oui… une Identité Nationale, moderne, étincellante, avec contrats Adidas et TF1. Les téléspectateurs français ne deviennent de supporters véritables que lorsque leur équipe connaît des succès planétaires. Quand le ballon ne tourne pas rond, le public se montre, historiquement, très critique. En cas de match médiocre, les sifflets ne sont jamais bien loin. Ce fait, pourtant, n'a jamais refroidi le fantasme du nationalisme politique aux allures sportives.

Bref: l'équipe de France, c'est la Nation. C'est pour cette raison qu'il est triste de constater qu'à la tête de la Nation footballistique, le courant s'est inversé, et qu'on va courrir après les mêmes thèmes xénophobes (mais en version plus ou moins light -- c'est l'industrie du divertissement après tout) qui plombent la vie réelle. Tant pis.

S'il y a quelque chose de positif de l'affaire, c'est que, pour une fois, nous avons la preuve, la trace de ce qui aurait dû rester de l'ordre du non-dit. Une sorte de plafond de verre, un filtre blanchissant, dont l'existence n'aurait jamais pu tout à fait être prouvée, malgré d'éventuels soupçons, vient de devenir très concret. C'est pour ça que je ne peux pas être d'accord avec Romain qui critique la gestion de l'affaire par Mediapart. Oui, ça tombe mal, politiquement, mais c'est très important de sortir ce genre de procédé.

Une partie de la confusion initiale entourait la notion des joueurs binationaux et il a même été admis que c'était un véritable problème. Il se trouve, pourtant, que les enfants de 12 ou 13 ans que l'on voudrait écarter ne sont pas des binationaux, c'est-à-dire n'ont pas la double nationalité, ils sont seulement potentiellement binationaux. Voici comment l'explique Mathilde Mathieu chez Mediapart :

Derrière ce mot abusif de «binationaux» se cachent en réalité, comme Mediapart l'a déjà expliqué, des jeunes Français, exclusivement français à ce stade de leur vie (à quelques exceptions près), qui pourraient être tentés, plus tard, d'acquérir une seconde nationalité (celle de leur mère, de leur grand-père, ou d'un autre ascendant), pour rejoindre une sélection étrangère, le plus souvent par dépit.

Et comme le dit Laurent Blanc :

«Il ne faut pas que ce soit tous les joueurs qui puissent faire ça. Parce que tous les blacks, si tu enlèves les Antillais, ils ont des origines africaines. Donc, africaines, ils vont pouvoir aller dans une équipe africaine.»

Donc « binational » signifie pouvant un jour devenir binational. Et voilà qu'on se retrouve nez-à-nez avec cette même vieille confusion, qui explique au moins les trois quarts de la logique xénophobique sarkozyënne : l'immigration, clandestine ou non, que l'on voudrait supprimer ou « mieux gérer » n'a qu'une valeur symbolique : celle qu'on voudrait vraiment supprimer, gommer, effacer, c'est celle des années cinquante et soixante, qui concerne désormais des personnes qui sont français, dont les enfants et les petits-enfants sont français. L'« immigration » d'un postcolonialisme mal digéré, en somme. L'association entre burqa et une origine étrangère relève de la même logique. Je me souviens (mais je ne retrouve pas de référence sur l'internet) que le programme de Jean-Marie Le Pen dans les années 90 comportait la révision de toutes les naturalisations faites depuis, je crois, 1973…

Du coup, la « bi-nationalité » revient à la mode, en tant que grand fléau non seulement du football mais de toute la société française.Claude Goasguen a su saisir la balle au bond:

Interrogé sur les conséquences concrètes pour les gens concernés, Claude Goasguen répond: "Cela veut dire qu'on demanderait aux gens de choisir entre deux nationalités. Ou bien qu'on aille vers une limitation des droits politiques. Car il est tout de même gênant qu'une personne puisse voter en France et dans un autre Etat. En procédant ainsi un binational se retrouverait en quelque sorte avec une nationalité et demie".

Il y aurait même une sorte de population de faux français :

"En France aujourd'hui, on ne sait pas combien ils sont, sans doute 4 à 5 millions. Je souhaite aussi qu'on aille progressivement vers une limitation de la double nationalité par le biais de discussions bilatérales avec les pays", souligne-t-il.

Un peu plus et on va nous annoncer qu'ils vont nous égorger dans nos lits dès que le signal sera donné par Moscou ou je ne sais quelle capitale musulmane.

Mais, pour Goasguen, il s'agit quand même de vrais binationaux (qui restent, pour rappel, des vrais français), tandis que chez nos purificateurs footballistiques, le joueur (de 12 ou 13 ans) binational est seulement potentiellement binational, et seulement, pour l'instant, français à 100%. L'ombre de la binationalité fantôme s'infiltre dans les mentalités pour signifier, sous le sceau d'un bon sens d'apparence (on ne va pas former l'équipe nationale de l'Algérie à Clairefontaine, tout de même). Aurait-on enfin trouvé la manière de distinguer entre un « nous » national et un « eux » français mais pas vraiment français ?

8 mai 2011

Ma campagne (4) - Échec

L'autre jour Juan a parlé de mon billet, celui où je dis que Sarkozy sera un adversaire coriace et difficile. Juan a surtout dit ceci :

A gauche, Mitterrand excepté, les candidats sont habituellement des bisounours qui se font mangés tous crus. Localement, certains candidats socialistes savent être aussi ignobles que leurs collègues de droite. Nationalement, ils se tiennent. Les coups volent rarement bas. Les cellules « riposte », quand elles sont écoutées, ne servent qu’à de l’argumentaire sérieux.

Sans tomber dans le graveleux (il n’y aurait pourtant qu’à se baisser parfois), il faudra prévoir, cette fois-ci, à riposter au bon endroit.

Comme je suis en train d'exposer cette campagne que je ne ferai pas, il est sans doute important d'insister sur ce qui devrait être évident, mais qui risque d'échapper au (à la) futur(e) candidat(e) de gauch(e), à savoir qu'il faut taper fort sur Sarkozy. Zéro pitié.

Cela ne veut pas dire qu'il faut raconter des saloperies, il suffirait d'être direct parfois. Dire, par exemple, que le quinquennat de Sarkozy était un échec. Le dire souvent. Une présidence ratée. Cela paraît simple, mais c'est le genre de chose qui, bizarrement, ferait scandale. Est-ce qu'on a le droit de dire du Président de la R. que son mandat était un échec ? Est-ce bien ?

Des gens comme Brice Hortefeux passent leur temps à sortir des ignominies qui font couler de l'encre pendant des jours et des jours. Parfois dire la vérité simplement peut avoir le même effet. « Échec » et « raté » ne sont peut-être pas les mots les plus stratégiques. C'est au candidat de trouver ceux qui feront le plus d'effet.

3 mai 2011

Ma campagne (3) - Fret (2) - Ne pas relancer

La dernière fois je parlais du fret et de sa place dans une économie dynamique et décentralisée qui est l'un des objectifs de ma campagne présidentielle « Les énergies de la France ». Mes contradicteurs, des fervents sarkozystes (ça doit exister) ou même des fervents borloosiens (ça doit exister), diraient : mais le Très Grand Homme (TGH) a déjà relancé le fret lors du Grenelle, alors rentre dans tes 35 heures, espèce de gauchiste.

En effet, la relance du fret, et même celle du fret fluvial, étaient prévues lors du Grenelle. Et pourtant, typiquement, rien n'a été fait :

Dans les autres domaines, le gouvernement a aussi multiplié les coups de canif. Dans le domaine de l'énergie, les outils mis en place pour remplir les objectifs fixés sont déficients. Le nombre de projets d'éoliennes a par exemple chuté de 60 % au premier trimestre 2010 par rapport à l'an dernier, en raison notamment d'un durcissement de la réglementation et des conditions d'implantation des champs. Dans les transports, le fret ferroviaire aurait dû représenter cette année 17,5 % du fret global. En réalité, il s'effondre à 12 %, après avoir été de 14 % en 2006, à cause des incitations au transport routier qui se poursuivent.

(En passant, j'implore le futur candidat PS de ne pas oublier de citer tous ces échecs, en utilisant le mot échec. Mais ce sera le sujet d'autres billets.)

Sur le papier, pourtant, les intentions du Grenelle 1 paraissaient assez bonnes (Lire les engagements ici.) Vu de l'extérieur, la clé semble être le développement d'un nouveau type de PME, les OFP, « opérateurs ferroviaires de proximité ». Pourtant, la vie n'est pas simple pour eux :

Seulement en France, la route des OFP est semée d'embuches : l'adaptation technique du réseau ferré et l'étau réglementaire qui verrouille le trafic ferroviaire de marchandises limite les possibilités d'organisation des flux par des opérateurs autres que la SNCF. L'obtention et le tarif des sillons (les droits de circuler) auprès de Réseau ferré de France (RFF), gestionnaire des infrastructures et des voies n'est pas une mince affaire.

Du côté de la SNCF, c'est compliqué aussi, hormis une résistance naturelle à voir des concurrents de petite taille venir les embêter. Le plan Fret annonce une réorganisation du fret et l'abandon du « wagon isolé » :

Ils estiment aussi que le plan Fret SNCF, annoncé en septembre 2009, "consacre l'abandon du wagon isolé (assemblage de wagons de clients différents) et créé des situations d'irréversibilité". "Toute la partie ouest du pays est désertée par Fret SNCF; la part modale du ferroviaire poursuit son recul; la taxe camion se fait attendre et fait l'objet d'intention d'utilisation pour les infrastructures routières et les pressions pour généraliser les camions de 44 tonnes et expérimenter ceux de 25 mètres de long pour 60 tonnes persistent", déplorent syndicats, écologistes et usagers.

En somme, on espère vainement l'arrivée de PME un peu suicidaires pour résoudre le problème ; la SNCF traîne vaguement des pieds, entre volonté de protéger ses terres et de faire des économies, et finalement on ne voit pas d'autre solution que de taxer les camions. Au risque d'avoir l'air pas tout à fait gauchiste, il est clair sans une révolution dans l'organisation du fret, dans le sens de la souplesse et la légèreté, une taxe camion ne servira pas à grand'chose. L'échec de Sarkozy sur ce dossier est culturel et idéologique. Sarkozy est censé représenter le volontarisme (tout devient possible ?), mais ici c'est justement la volonté qui manque. Surtout, et c'est là ce qui en fait un échec de droite, ce qui manque est l'esprit de coopération nécessaire pour faire avancer l'ensemble de acteurs concernés : cheminots, entreprises publiques et privées, régions, Europe, etc. Autrement dit : pour réussir le fret, il faudra être beaucoup plus ambitieux.