La présidentialisme a peu à peu supprimer l'importance de toutes les
autres élections, du moins sur le plan national. Voter, c'est voter
pour un président. Point. Ou presque point. Et en même temps, il n'y
a qu'un gagnant et quasiment aucune possibilité de partage entre des
sensibilités. Nous sommes entre ces deux réalités, tant que personne
n'aura le courage de modifier le système en lui rendant son caractère
parlémentaire, et même en allant bien plus loin dans cette
direction. (Et "une dose de proportionelle", même une dose de cheval,
ne servira à rien tant que l'Assemblée Nationale ne servira à rien.)
Pour l'instant, il ne peut y avoir qu'un seul. Un seul homme. D'où
cette tendance au culte du sur-homme, et ces exigences
(contradictoires) de quelqu'un de "sympa". On peut espérer que
l'ascension et le règne de Nicolas Sarkozy serviront aux
constitutionalistes du futur comme contre-exemple absolu : comment
faire pour éviter cela ?
En attendant cette lucidité future, malheureusement improbable et
utopique, nous voilà collés avec ce système qui centralise tout sur le
petit cerveau d'un seul bonhomme. Et le moment de le choisir est aussi
l'unique moment où le peuple peut s'exprimer de façon
significative. Que faire si par hasard aucun des deux candidats ne
vous convient en tant véhicule pour ce que vous voulez dire au pays
et au monde ?
La gauche est un ensemble assez hétérogène, idéologiquement parlant,
sans doute pour des raisons idéologiques justement : esprit critique,
non conformisme, liberté de pensée, refus des injustices. On peut être
"de gauche" pour des raisons très diverses. Il y a des différences à
droite aussi, mais, vu de l'extérieur du moins, elles paraissent moins
essentielles, et plutôt une question de degré que des véritables
lignes de fracture. Même les Front National, ou en tout cas ses idées,
a finit par trouver sa place dans la grande famille de la
droite. L'UMPéisation des esprits a achevé de gommer les différences
entre les libéraux et les étatiste gaullisants. Sarkozy a réussi à
transformer tout cela en bouilli et réduire la pensée politique à une
question de niveau de décomplexitude (ou décomplexisance ?). Après
tout, pourquoi finasser sur le sens du politique, quand la seule
chose qui compte est de gagner une élection tous les cinq ans ?
À gauche, donc, c'est moins décomplexé et plus compliqué, et il on a
plus envie de s'exprimer. Et on se retrouve à chaque fois devant cette
question du vote "utile" : voter contre celui que l'on préfère afin
d'assurer l'échec du candidat que l'on redoute. Je formule la chose
négativement à dessein. C'est effectivement triste, cette invitation,
parfois une obligation, à se défaire de sa seule chance de s'exprimer
par une sorte de calcul au bénéfice d'un Parti Socialiste en qui on ne
se reconnaît peut-etre plus, d'un Parti Socialiste qui en cinq ans n'a
pas su rendre assez percutant, décisif, assez sexy en somme.
D'abord, je le dis, même si c'est triste, c'est la réalité des choses,
la réalité de cette Ve République faite pour fabriquer des de Gaulle
en carton-pâte, rendue, par la force du quinquennat, encore plus
triste et encore plus cadenassée (quinquenadassée, j'aime
dire). Ignorer cela, c'est tomber dans le piège d'un système qui, en
53 ans, n'a vu qu'un seul président de gauche, dans l'illusion de l'État
comme véritable reflet démocratique du peuple. Plutôt que "vote
utile", je dirais : "vote réaliste".
Car ensuite, on peut parler des mérites des
candidats. Personnellement, j'ai passé la plus grande partie de ces
cinq dernières années frustré par cuisine interne du PS, en espérant
un renouveau qui serait, en autres, un renouveau en termes de
communication et de message. Le PS s'est laissé bercer trop longtemps
par les sondages favorables à DSK. Longtemps, Hollande et sa
"présidence normale" faisaient sourire. Aujourd'hui, il semble qu'il
n'avait pas tout à fait tort. Sur Hollande lui-même, sans la
perspective du choix entre lui et Jean-Luc Mélenchon :
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Une présidence de Hollande, même si ce n'est pas un gauchiste pur
et dur, serait beaucoup plus à gauche qu'un deuxième mandat de
Sarkozy (qui n'aurait même plus peur de ne pas être réélu). Rien
que pour le seul domaine de la justice, la différence serait
énorme. Le reste du programme est intéressant aussi, et représente
une énorme différence avec ce qui a été fait depuis 10 ans, et ce
qui se ferait pendant 5 ans encore avec un Très Grand Homme (TGH)
réélu.
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Hollande ne peut pas, ne pourrait pas se placer comme Mélenchon,
car là, la machine UMP à dénigrer et à faire peur se mettrait en
marche. On nous parlerait presque des chars Soviétiques sur le
Champs-Elysées, la bave au lèvres.
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Mélenchon peut réussir sa campagne parce qu'il y a François
Hollande à côté, pour nous rassurer sur l'issue.
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Enfin, c'est une bonne chose malgré tout que "le troisième homme"
de cette élection soit à gauche, et pas à droite comme
en 2007. Pour cela, nous pouvons remercier le talent de Mélenchon.
Votez comme vous voulez, mais pas à droite. Et n'oubliez pas que le
premier tour de la présidentielle n'est pas une élection législative.