9 septembre 2007

Être libéral avec ses amis

Depuis quelques temps, l'hypothèse d'un Nicolas Sarkozy néo-conservateur, sur le mode américain, commence à s'imposer, du moins chez les confrères atteint, comme votre serviteur, de l'anti-sarkozysme primaire. Malgré des ressemblances certaines, il est encore difficile de se prononcer sur la question, tant les contextes américain et français sont différents, et tant la "philosophie politique" de Sarkozy est confuse et opportuniste.

L'un des points de convergence est sûrement la vision du rôle de l'Etat dans l'économie. Là où l'on s'attendait à un Sarkozy libéral, soucieux de réduire les déficits publics, on trouve un Sarkozy interventioniste et dépensier. Cela a été amplement commenté déjà. C'est un point commun avec les neo-cons, qui aux Etats-Unis se font élire en promettant la responsabilité fiscale pour ensuite jeter l'argent par les fenêtres. Selon la philosophie neo-con (néo-conne), la droite doit se servir de son pouvoir pour bousculer la société et la terre entière pour les refaire à l'image de leurs délires autoritaires et religieux.

Cette "grande volonté de réforme" qu'affiche sans cesse le Très Grand Homme (TGH) hésite entre une version responsable, droite chiraco-balladurienne traditionnelle tendance pensée-unique (personne n'ose s'occuper des retraites, nous on le fera), et une version enivrée du pouvoir qui voudrait dégommer tout ce qui appartient non seulement au passé de la gauche, mais aussi la droite catholique - au sens de la démocratie chrétienne, la chretienneté dans ce cas censée agir comme frein (quoique) aux puissances de l'argent. Car, Christine Boutin, le Cardinal Lustiger et la Turquie nonobstant, la véritable rupture sarkozyenne est celle d'avec la tradition catholique. Mais c'est là le sujet d'un autre billet, écrit peut-être par quelqu'un d'autre, car je ne suis pas expert dans les fondements philosophiques de la droite catholique. C'est cette seconde branche du sarkozyzme qui ressemble à l'activisme de droite théorisé outre-atlantique par les neo-cons.

De ce point de vue, il n'y a pas de contradiction véritable entre les positions interventionnistes de Sarkozy, comme GDF-Suez, et un certain libéralisme. Tout est bon pour renforcer ce pôle pouvoir-argent. En effet, pourquoi réduire l'action de l'Etat, quand il pourrait se mettre encore plus directement au service du capital?

C'est en tout cas en ces termes que je comprends cette nouvelle proposition qui consisterait à dépénaliser bon nombre d'infractions commises dans ou par des entreprises, en espérant que des procès civiles suffisent à faire respecter la loi. Le Figaro (merci encore à Juan) la résume ainsi:

Sont plus précisément visées les peines prononcées par les tribunaux qui interviennent après les sanctions administratives décidées par des autorités indépendantes comme le Conseil de la concurrence en cas d'entente ou l'Autorité des marchés financiers en matière de délits d'initiés.

La philosophie de Nicolas Sarkozy ne consiste pas à dépénaliser toutes les infractions, mais à concentrer l'action pénale là où des intérêts publics sont en cause. Pour le reste, dès que des procédures civiles peuvent être mises en oeuvre, la puissance publique n'aurait aucune raison d'interférer dans le conflit opposant deux parties privées.

(Ils me font rire, au Figaro, avec leur "philosophie de Nicolas Sarkozy".) L'idée, sous sa forme la plus abstraite, semble vaguement équitable : laisser les entreprises défendre leurs intérêts, plutôt que de faire intervenir l'Etat. Mais regardez les deux exemples d'infractions proposés : entente entre concurrents et délit d'initiés (ce de quoi on accuse un certain Arnaud L., d'ailleurs). Dans les deux cas, ce n'est pas seulement une entreprise qui est la victime d'une autre, mais tout potentiellement de nombreux acteurs économiques. Si deux producteurs de chaussures à glands se mettent d'accord sur leurs prix pour casser les autres producteurs, c'est tout le secteur qui est lésé. Pour le délit d'initié, c'est encore pire, car de telles infractions risque de compromettre le fonctionnement même de la Bourse (dans un cas comme celui d'Arnaud L., par exemple) et donc nuisent à tout le système.

C'est donc une sorte de libéralisme que Sarkozy entend mettre en place, mais un libéralisme dont l'effet sera sûrement de rendre la vie plus facile aux puissants, qui désormais ne risqueront pas d'aller en prison mais seulement de perdre un peu d'argent. Ainsi on retrouve la véritable philosophie de Sarkozy, qui est de favoriser une caste, la caste bling-bling.

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