31 octobre 2008

"Pacte moral" : la chute (de la blague)

Bref retour sur le "pacte moral" (que CC avait relevé en même temps que moi ce matin).

Après avoir lu ce papier dans sur Le Monde, qui annonçait que le TGH menaçait les banques avec la perspective d'un "pacte moral". Quelques minutes, ou une heure ou deux, le même Monde sort une nouvelle version, complète, du même papier avec un nouveau titre : "Les banques françaises sous la menace d'une nationalisation partielle".

Et cette fois-ci, on voit que derrière le pacte moral, il y a la possibilité, en effet, d'une "nationalisation partielle" :

Renonçant aux actions, l'État s'est privé d'un ticket d'entrée au conseil d'administration des grandes banques. "Si la crise financière nous oblige à puiser encore dans l'enveloppe des 40 milliards, on réfléchit à une entrée au capital" indique une source gouvernementale. Car, pour le moment, l'exécutif n'est pas satisfait de l'attitude des banques. Certes, le taux de refinancement interbancaire, l'Euribor, est repassé sous les 5 %, signe que les banques se refont confiance mutuellement.

Mais, sur le terrain, les entreprises n'en perçoivent pas encore les effets.

En gros, même Le Monde constate que le cadeau fait aux banques n'était qu'un cadeau, qui a aidé les banques sans aidé le pays. Le problème des prêts interbancaires n'était qu'un problème technique, la véritable catastrophe sera économique : les banques ne font pas confiance aux PME qui sont les plus exposées à la crise, n'étant pas "trop grandes pour échouer".

La communication sarkozyste est peut-être à son plus fort quand elle doit transformer les échecs en nouvelles occasions de gesticulations hyperactives et rallonges de talonnettes. L'échec des 10 premiers milliards, est dû essentiellement à la timidité présidentielle qui n'a pas osé aller contre la volonté des banquiers, à la différence par exemple des Anglais pourtant réputé ultra-méga-libéraux et post-blairistes, sans parler des Américains... Pour couvrir cet échec, Sarkozy sort donc le "pacte moral" (rires) et la menace d'une participation de l'État... lorsque l'on puisera un peu plus loin dans les 40 milliards réservés aux banques.

Non seulement la ferveur du TGH est destiné à couvrir le premier échec, mais aussi prépare le terrain pour une seconde distribution de milliards, ce qui signifierait un échec encore plus grave : nos fleurons bancaires seraient donc bien plus menacés qu'initialement annoncé.

Ce qui ne m'étonnerait pas beaucoup.

La blague sarkozyste du jour : "le pacte moral"

Sarkozy parle aux banques !

"La République a besoin de vous", leur a-t-il dit, parlant de "crise financière et économique sans précédent". "Engagez-vous totalement dans la lutte contre la crise", a-t-il ajouté.

"Chacun est placé aujourd'hui devant ses responsabilités. Il y a un pacte moral et ce pacte moral, c'est de vérifier que chacun de ses collaborateurs, dans la dernière des agences, le respecte." Or, pour le président de la République, "ce n'est pas encore le cas".

Pauvre garçon ! Après avoir donné aux banques tout ce qu'elles demandaient et plus, voilà qu'il se rend compte que sauvées elles sont désormais libres de faire tout ce qui leur plaît, même si c'est au détriment de la République.

Quoi ! Les banques ne s'engagent pas auprès du Très Grand Homme (TGH) dans la guerre sainte contre la crise, préférant plutôt se protéger ? Le pauvre TGH en est réduit à sortir un "pacte moral" de derrière les fagots pour leur mettre la pression, puisqu'il n'a plus aucun autre lévier.

Martine Orange, sur Mediapart, avait très bien formulé le problème :

En échange de 10,5 milliards d'euros, le gouvernement ne demande rien ou presque: ni actions, même sans droit de vote, ni droit sur les bénéfices futurs, ni révision des rémunérations des dirigeants. Les milliards vont être distribués sous forme de prêts subordonnés d'une durée de dix ans, assortis d'un taux d'intérêt de 8% par an. (La répartition des aides figure dans l'onglet Prolonger.) Les banques qui y souscrivent s'engagent à adhérer à un code de bonne conduite, calqué sur la recommandation du Medef sur les salaires des dirigeants.

En échange des 10,5 milliards, la France a obtenu des banques qu'elles suivraient les recommandations du MEDEF sur les salaires. Rien d'autre.

Et puis nous avons obtenu un "pacte moral". Les banques doivent en rigoler encore, du "pacte moral". Rigolons avec eux pour une fois.

30 octobre 2008

Le pouvoir et l'argent aiment le pouvoir et l'argent

Vous ne trouvez pas que je radote ? Depuis quelques mois, j'ai l'impression de bloguer par séries, essayant dans chaque billet de dire ce que je n'ai pas réussi à dire dans le précédent. Et ainsi de suite.

Dernier exemple : les fonds souverains que nous propose notre Très Grand Souverain. Voici le paragraphe que j'ai dans la tête depuis deux ou trois jours :

"Il s'agira d'investir dans l'avenir. Il ne s'agira pas de subventionner des entreprises à fonds perdus mais de stabiliser des entreprises qui pourraient être des proies pour les prédateurs", indique Nicolas Sarkozy en dénonçant au passage "l'action délétère des hedge funds". Volontariste, le président de la République "ne veut pas être celui qui se réveillera dans six mois avec les grands groupes industriels français passés dans d'autres mains". Selon lui, un tel fonds peut également "rendre beaucoup de services à des petites entreprises innovantes".

L'autre jour j'ai voulu suggérer que "nos" groupes ne sont déjà plus français. Nous sommes déjà réveillés, pas besoin d'attendre six mois. De la même manière qu'une partie des grands groupes "étrangers" appartient à des actionnaires français, seule une partie des groupes "français" appartient véritablement à des Français. C'est ainsi. Talonnettes et gesticulations n'y feront rien.

Hedge funds. Avant cette crise, je ne savais pas grand-chose sur les hedge funds, sauf que, vaguement, ils protégeaient les investisseurs contre les chutes des marchés en pariant contre des valeurs en bourse. (Je ne comprends toujours pas comment on peut avancer en pariant à la fois pour et contre les mêmes valeurs, mais ce n'est pas mon affaire.) L'intérêt des hedge funds pour des spectateurs (non spéculateurs), et leur façon d'acheter à découverte, c'est que nos supers investisseurs peuvent se prendre des énormes gamelles de temps en temps, comme l'autre jour, quand Porsche a décidé d'acheter un peu plus de Volkswagen, alors que les hedgeurs avaient parié contre Volkswagen. Vent de panique, l'action VW monte en flèche, les hedgeurs ne trouvent plus de titres VW à acheter. Lisez l'explication, c'est du plus grand comique. Des milliards perdus pour les hedge funds, des milliards gagnés pour les actionnaires VW...

Je n'ai pas vraiment compris pourquoi les hedge funds sont si dangereux, mais j'admire malgré tout leur pessimisme mélangé de cynisme. Lisez aussi, chez Betapolitque, cette lettre d'un gestionnaire de hedge fund qui jette l'éponge après avoir plumé des riches pigeons, profitant de leur optimisme stupide. (La lettre elle-même est ici, en anglais. Elle se termine par un appel à cultiver le chanvre...)

Revenons quand même à notre paragraphe.

"Il ne s'agira pas de subventionner des entreprises à fonds perdus mais de stabiliser des entreprises qui pourraient être des proies pour les prédateurs",

Ceci n'est donc pas un cadeau aux entreprises, même si, bien sûr, le risque des prédateurs est minime, ou encore totalement fantasmatique. Pas de subvention, juste une façon de protéger les fortunes de ces Français qui ont investi d'abord dans des entreprises "françaises".

Le plus franchement cynique, dans ce paragraphe, c'est sans doute la fin :

Selon lui, un tel fonds peut également "rendre beaucoup de services à des petites entreprises innovantes".

On va sauver les petites entreprises en sauvant les grosses. La théorie du ruissellement appliquée à l'aide aux entreprises. C'est cohérent au moins : puisque la même approche a si bien marché avec le Paquet, il serait absurde de changer.

L'ironie, c'est que ce sont justement les PME qui ont le plus de mal en ce moment, qui sont le plus menacées non pas par l'absence de crédit mais par la méfiance grandissante des banques (bénéficiaires de leurs propres milliards...). PSA et Lagardère ne vont pas disparaître demain. Le petit fabricant de tire-bouchons traditionnels, si. Et ce sont les PME qui sont authentiquement françaises. S'il fallait vraiment faire du patriotisme économique, ce sont eux qu'il faudrait sauver d'abord.

Mais non. L'étatisme, la consolidation du pouvoir, le copinage : toutes ces forces contribuent à favoriser tout ce qui est déjà Grand.

Inénarrable

C'est par Gaël, lui-même alerté par Marc, qui j'ai appris la nouvelle : après le procès contre Fansolo, c'est l'estimé Olivier Bonnet qui est mis en examen pour ses activités blogistiques. Allez voir chez lui si vous ne l'avez pas encore fait.

Je le qualifie d'abord d' "inénarrable". La belle affaire. "Inexprimable, inracontable, indicible, incommunicable", donne le dictionnaire comme sens premier, suivi de "cocasse, bizarre, comique, drôle, grotesque, fantaisiste". Bon. Plus loin, j'écris : "On peut donc légitimement s'interroger, connaissant le CV de ce magistrat, sur son « indépendance » dans le cadre d'un tel procès, tant il est évident qu'il est en « coma professionnel avancé »" "Injures publiques", prétend mon adversaire.

On savait, grâce à la jurisprudence Yves Jégo qu'il était interdit sous la Cinquième République de traiter un homme politique d'"apparatchik". Désormais, il faut faire attention avec "inénnarable". Bon à savoir : on ne dit pas "l'inénnarable Nicolas Sarkozy", on dit... Nicolas Sarkozy est un grand défenseur de la liberté d'expression.

Tout de même, en ce moment, les règles qui gouvernent la parole politique sont en train de subir certaines pressions :

Excusez-moi, mais ça commence à devenir inénarrable, tout ça.

Oh ! Pardon...

29 octobre 2008

Sauvons nos groupes !

J'ai trouvé un nouveau jeu. Il faudrait trouver un nom. Quelque chose comme : Trouvez le groupe français. Ou peut-être Prédateur. Si on décide de garder Prédateur, on pourrait s'imaginer dans la peau d'un investisseur étranger, peut-être chinois, cherchant à profiter de la crise pour dépouiller la France de ses plus belles entreprises, avant que le Sauveur de France et de la Planète puissent intervenir avec son "retour de l'État" et ses 170 milliards d'euros.

Le jeu est assez simple : il faut penser à une grosse entreprise française, puis vérifier qu'elle est bien française. Histoire de savoir si ça vaut le coup de claquer quelques milliards pour la protéger ou non.

Un exemple. Prenons Accor. C'est français, les Ibis, Formule 1, les Mercure. Très très français. Ensuite, il faut tapoter sur Google :

site:bourse.lesechos.fr accor
Et on trouve très vite la liste des actionnaires principaux :

Principaux actionnaires

1. Pardus European Special Opportunities Master19,75 %
2. Morgan Stanley8,40 %
3. Caisse des Dépôts et Consignations5,99 %
4. Franklin Resources4,80 %
5. Société Générale4,61 %
6. Brandes Investment Partners4,57 %
7. Natixis2,88 %
8. M&G Investment Management Limited2,09 %
9. Autocontrôle1,83 %
10. Salariés1,23 %

Certes, il y a Natixis, la Caisse des Dépôts et Consignations à 6 %, la SocGen, mais on trouve surtout des noms barbares : Morgan Stanley et Pardus European Special Opportunities Master. Pardieu!

On peut ainsi s'amuser pendant des heures. Tient, Lagardère, c'est français, non ? Voyons voir...

Principaux actionnaires

1. Investisseurs institutionnels étrangers54,43 %
2. Investisseurs Institutionnels Français15,95 %
3. Lagardère Capital & Management10,07 %
4. Morgan Stanley4,71 %
5. Autocontrôle2,99 %
6. Salariés1,84 %

Investisseurs institutionnels étrangers : au moins c'est franc. Pas besoin de se demander si ce sont des camarguais.

Ou encore, Alcatel Alsthom. C'est français Alcatel, non ?

Principaux actionnaires

1. Brandes Investment Partners10,23 %
2. T. Rowe Price Group5,01 %
3. Pzena Investment Management4,84 %
4. Tradewinds Global Investors3,32 %
5. Autocontrôle3,00 %
6. Fidelity2,33 %
7. Caisse des Dépôts et Consignations2,07 %
8. BT Pension Scheme/Hermès1,73 %
9. BNP Paribas Asset Management1,67 %
10. Crédit Agricole Asset Management1,57 %
11. FCP des salariés du Groupe FCP2AL1,26 %

Ah, zut !

Bref, je vous assure, on peut y jouer longtemps sans se fatiguer. Mais à la longue, on finit par se demander qui on va protéger avec tous ces milliards. Tout de même.

28 octobre 2008

Vivement la Chine !

La Chine est depuis longtemps le sujet des fantasmes les plus divers. Elle symbolise depuis quelques années la menace aux économies industrielles occidentales, avec ses capacités de production infinies, les salaires infimes payés à ses ouvriers. Et comme la Chine est visiblement une affaire qui roule, elle est devenue un modèle pour nos capitalistes frustrés par le socialisme qu'ont imposé De Gaulle, Pompidou, Giscard et Chirac, mais qui ne peuvent pas se défaire de l'idée que l'État fort doit quand même tout arranger.

La baisse des salaires et des conditions de travail jusqu'aux niveaux chinois n'est pas un objectif politique avouable, mais ce rêve n'est pas tout à fait absent de l'inconscient réactionnaire français. Même Sarkozy a dit, lors de son discours de Toulon, dans une phrase qui n'a pas été assez commentée par la presse :

Le producteur français peut faire tous les gains de productivité qu'il veut ou qu'il peut. Il peut à la rigueur concurrencer les bas salaires des ouvriers chinois [...].

Ainsi, nos UMPistes ne parlent en ce moment que du retour de l'État. Le Très Grand Homme (TGH) lui-même promet une «redéfinition du rôle de l'État dans l'économie», avec des mesures comme le « médiateur de crédit », censé réparer le fait que malgré tout ce qui a été promis aux banques, elles ne veulent toujours pas joueur le jeu en prêtant aux PME l'argent que l'État leur prête. En temps normal, les banques n'auraient pas accepté une telle intervention dans leurs affaires ; je suppose qu'aujourd'hui c'est pour elles un moindre mal.

Mais là où le retour de l'État va être sans doute le plus performant, c'est sans doute dans le soutien aux grandes entreprises. Avec 175 milliards, espérons que ce sera performant, en tout cas, et pas une goutte d'eau dans le gouffre. Enfin, peu importe puisque c'est de l'argent gratuit, qui ne figure sur aucun budget... Money for nothing and chicks for free disaient Dire Straits. Tout cela justifié par la peur de (je résume) la Chine, c'est-à-dire ces »prédateurs» qui pourraient venir nous voler nos fleurons, en les achetant au prix du marché.

Chassez la Chine et elle revient au galop : on le sait mais on l'oublie. Parce que voilà la France obligée prendre la Chine comme exemple et justification pour pratiquer le patriotisme économique à la chinoise. Ainsi, le TGH va défendre les grands groupes français, qui sont, il faut le rappeler quand même, cotés en bourse, et donc à chaque instant à vendre. Curieux de voir que soudain ils aient peur qu'on les achète...

Cet été Juan a lancé un défi : trouver quatre qualités à Nicolas Sarkozy. A ma réponse, je dois ajouter une nouvelle qualité : Nicolas Sarkozy nous aide à élaborer nos propres idées politiques, il est en somme le contre-exemple idéal. Jean-Marie Le Pen n'aurait pas été aussi utile en tant que contre-exemple, puisque l'opposition n'aurait pas été très précise (je sais que l'opposition actuellement est tout sauf précise, mais ce n'est pas ce que je voulais dire). Avec Sarkozy, il y a des véritables démonstrations qui font que j'ai pu isoler ce que je n'aime pas dans sa politique.

Voilà : l'étatisme, la centralisation et la consolidation du pouvoir économique et politique me sont devenues insupportables. Devenir une petite Chine n'est pas une solution. Je veux une gauche très loin de ce modèle, très loin de cette perspective. L'autre jour quand je parlais de la traçabilité, c'est un peu à ça que je pensais : la régulation correcte, juste et efficace ne vient pas forcément d'un État central hyper-fort avec un Monarque Gesticulant ; c'est au niveau de chaque transaction financière, à chaque étape du montage des "produits", qu'un petit élément de contrôle se glisse dans le système, que les responsabilités deviennent claires pour tout le monde.

La solution n'a pas besoin de talonnettes.

26 octobre 2008

La traçabilité

Quand la maladie de la vache folle provoquait l'hystérie alimentaire générale, en 1995 et 1996, on a, entre autres mesures d'hygiène et de communication, insisté beaucoup sur l'idée de traçabilité. Les petits panneaux dans les boucheries et les restaurants ("Viande bovine en provenance de l'UE") sont devenus obligatoires. Je me souviens d'avoir feuilleté, chez un boucher, le petit carnet mis à la disposition des client, où étaient notées toutes sortes d'informations sur chaque bête : sa ferme d'origine, son âge, l'abattoir.

Dans la crise bancaire internationale qui a débuté avec les subprimes, nous sommes très loin d'avoir trouvé les responsables, car à chaque fois que j'entends un journaliste demander à un responsable politique comment cette crise est arrivée, la réponse est toujours, à peu près : "personne n'a rien compris". La dernière fois, c'était Eric Woerth au Rendez-vous des politiques. En somme, c'était la faute de ces produits financiers trop compliqués, finalement ce n'est la faute à personne. Nul n'est censé ignorer la loi, mais nul n'est censé comprendre ses propres investissements. Ainsi, il est aisé de prétendre que tout le monde est victime, et que personne n'est coupable. Surtout pas les banques, elles-mêmes victimes des autres banques plus loin sur la chaîne du froid.

Tout était opaque pour tout le monde, y compris pour les agences de notation dont l'échec et la responsabilité sont évidentes, y compris dans la création des produits, puisque la possibilité de quantifier un risque facilite la compilation de ces produits.

(Juste une précision : je ne suis pas pour une destruction des banques. Je trouve simplement qu'il aurait fallu les faire souffrir beaucoup plus. Histoire de les responsabiliser. Sinon, elles vont recommencer.)

La réinvention du capitalisme qui nous est promise, que nous avons en quelque sorte achetée, en payant cher, doit passer par une augmentation de la traçabilité des produits. Si chaque veau européen a un numéro qui permet de le localiser à tout moment dans le système alimentaire mondial, il devrait être possible de restructurer les transactions financières de façon à ce que les responsabilités réelles des différents acteurs ne soient pas simplement comptabilisées et réduites à des AAA ou de Caa3. Il devrait être possible de remonter la chaîne, ce qui permettrait non seulement de trouver un éventuel coupable, mais d'engager la responsabilité de tous les intermédiaires qui ont, eux aussi, profité de toute cette opacité.

24 octobre 2008

Deux petites choses sur le capitalisme soutenu par l'Etat

Voici les publicités Google qui sont apparues quand je lisais les commentaires de mon billet précédent :

J'espère qu'ils ont les mêmes pubs à l'Elysée...

Et voici ce qu'écrivait kamizole, à propos des financiers:

Ils tiennent également du fauve : leur ôterait-on une énorme épine dans le coussinet d’une patte, à peine soulagés, ils se jetteraient incontinent sur leur sauveur pour n’en faire qu’une bouchée.

L'Elysée ferait bien de lire ça aussi.

Il aime les bulles

Depuis longtemps nous avons compris que Nicolas Sarkozy n'était pas un libéral. Pas un vrai, en tout cas. Il n'a retenu du libéralisme que quelques prétextes rhétoriques qui peuvent être utiles pour s'attaquer aux fléaux véritables que sont l'État providence et sa conséquence, les impôts et les charges sur les entreprises.

Mais quand on a le Pouvoir, il est possible d'aller plus vite, pour donner directement de l'argent aux entreprises, en allant des caisses (inépuisables) de l'État directement aux bilans trimestriels des entreprises, sans passer par la case économie.

Contrairement au libéral, au vrai, qui croit que toute intervention de l'État aura des conséquences néfastes, Nicolas Sarkozy semble croire que l'État n'est qu'un instrument de plus dans la guerre qui oppose l'entreprise (et par là s'entend la grosse entreprise) à tout ce qui n'est pas elle. Et en disant cela, je ne veux pas dire que les entreprises partagent cette vision du monde et de l'économie. J'ai même plutôt l'impression qu'elles aimeraient bien qu'il y ait une économie qui fonctionne.

Même le monde de la finance semble d'accord qu'il est mieux de faire circuler des sous. L'annonce (bruyante) d'un fonds souverain pour gonfler la Bourse française n'a pas empêché que cette même Bourse soit en chute libre aujourd'hui, les investisseurs faisant plus confiance aux règles de la finance qu'aux gesticulations du Mégalomane Nationale (ou Européen). Comme c'est curieux...

Puisque le cadeau de 10 milliards aux banques françaises est passée comme une lettre à la Banque Postale, le Très Grand Homme (TGH) a voulu aller plus loin en soutenant aussi le cours de la Bourse. (Je pense à un sketch des Deschiens : "ah, le CAC 40, je me souviens de quand c'était un tout petit CAC...") Dans la droite lignée du Paquet : vite, du fric pour les riches ! Gonflons artificiellement le cours de la Bourse !

Et c'est l'artifice qui est gênant. Après la bulle des subprimes, il faut d'urgence créer une nouvelle bulle, en balançant, à perte, des sous à droite et à gauche (mais plutôt à droite quand même). Décrochons la Bourse de l'économie réelle ! Faisons croire que l'on doit acheter des titres même si les entreprises en question sont en mauvaise posture ! Une bulle, vite !

Et puis, encore plus vite, une dette. Car si l'on doit donner de l'argent aux entreprises, il ne faut pas leur en prendre. C'est l'autre fondement de la théorie sarkozyënne de l'économie : moins d'impôts, moins de "charges", libérons les entreprises et tout ira bien (jusqu'au krach). Il nous faut donc de la dette. Tant pis pour l'État ruiné, il aura servi la noble cause du maintien du CAC. Il aura été une excellente pompe à fric.

22 octobre 2008

Le bruit et la fureur chez le Très Grand Ami des banques

L'une des techniques de communication les plus efficaces dans l'arsenal sarkozyën, et les plus difficiles à démystifier, c'est celle du paratonnerre. La religion, un match où l'on siffle l'hymne national (réaction gouvernmentale préparée à l'avance, via Plume de presse), et maintenant les parachutes dorés et les paradis fiscaux.

Un autre point fort de la communication chez le Très Grand Homme (TGH), c'est bien sûr sa capacité à agir en fonction des attentes des téléspectateurs. Je ne parle pas, bien évidemment, de leurs aspirations politiques et économiques profondes, de la réalité de leurs situations, mais plutôt de la manière dont ils s'attendent à ce que chaque histoire se termine : le petit n'enfant est retrouvé, on fait une loi de plus contre les gros méchants ; une crise bancaire sans précédent est le fait de comportements irresponsables de la part des banques, alors il faut des coupables, et il faut faire du bruit, en menaçant de s'attaquer aux paradis fiscaux.

Ces deux cibles ont de fortes résonances populaires : les parachutes dorés sont systématiquement perçus comme injustes, et sont surtout montés en épingle. Le sarkozysme aime tout ce qui peut être monté en épingle. Bien entendu. Les paradis fiscaux sont, un peu comme les niches fiscales et la chasse aux fraudeurs, autre cible des "yaka". Pourtant, "la chasse aux paradis fiscaux" ne va pas être facile, ne va même pas être possible. Comme le signale Dagrouik, les banques françaises sont déjà bien implantée dans les îles Cayman, à Guernesey et ailleurs. Personne n'a encore parlé d'obliger nos fleurons de renoncer à ces pratiques avant de leur filer leur premier paquet de milliards.

Et à peine les premières gesticulations lancées, nous avons la réponse de l'un des acteurs de ce secteur, Jean-Claude Juncker, premier ministre du Luxembourg :

"Je suis tout à fait ouvert pour discuter des vertus du secret bancaire [en vigueur au Luxembourg, ndlr] (...) mais nous ne sommes pas prêts à nous mettre volontairement sur un banc d'accusés. (...) Nous ne sommes pas obligés de nous rendre à des convocations franco-allemandes", a-t-il déclaré sur France 2. Et d'ajouter: "La France aussi connaît des niches fiscales (...) Elle n'est pas plus exemplaire en matière de moralité financière que le Luxembourg."

Et tac!

Et quand le TGH aura vaincu le Luxembourg, il pourra s'attaquer à la Suisse (profitez-en pour faire du ski), puis les îles (un peu de bronzage)...

Bref, le grand coup de balai dans les pratiques financières, le plus jamais ça!, la moralisation du capitalisme, on peut douter. Car même en cas de réussite - dans le cas des parachutes dorés surtout -, la direction de ces mesures ne va pas vers le noeud du problème, mais vers des symboles, des têtes d'épingles, des historiettes qui font bon effet. La volonté de peser réellement sur tous les facteurs qui ont contributé à la crise actuelle est curieusement absente : quel rapport entre les rénumérations des grands patrons et les subprimes ? quel rapport avec les paradis fiscaux ? Aucun.

Et pendant ce temps-là, on soigne les banques. D'un bon papier sur Mediapart :

Les banques, elles, parlent d'un accord gagnant-gagnant. Il est vrai qu'elles l'ont bâti de bout en bout. «Nous avions posé nos conditions, et parmi celles-ci, que l'Etat ne nous apporte pas de vrai capital. Nous ne voulions pas d'un Etat avec des pouvoirs dans la gestion des établissements», rappelle dans Le Monde Georges Pauget, le président de la Fédération bancaire française (FBF), également directeur du Crédit agricole. De son côté, BNP Paribas se félicitait dès mardi matin de cette mesure qui n'aura «de conséquence ni sur l'actionnariat, ni sur la gouvernance du groupe». «Cette émission ne diluera pas les actionnaires et n'aura aucune conséquence sur la gouvernance de BNP Paribas et sa politique de dividende», explique la banque dans un communiqué. Voilà qui va réjouir les contribuables.

La claque ? Plutôt une caresse. Mais ça, c'est pour le prochain billet.

20 octobre 2008

La bulle... (pauvres traders, pauvres libéraux)

Le libéralisme n'a pas le vent en poupe en ce moment, mais cela n'a pas empêché les libéraux de trouver quelques parades. Comme je disais la semaine dernière, le libéralisme a ceci de génial : il ne peut jamais avoir tort tant qu'il existe, quelque part dans le monde, un État quelque part qui intervient d'une quelconque manière dans la vie, et surtout dans la vie économique. Ainsi, tant que cette vision anarchiste ne s'est pas imposée, le libéralisme ne peut pas avoir tort. C'est juste pour vous prévenir. J'ai essayé d'encadrer ce qui est devenu l'un des arguments principaux des apologistes libéraux en ce moment : l'idée selon laquelle la crise des subprimes serait due à un excès de régulation étatique.

Mais il y a un autre argument encore plus savoureux que j'ai plaisir à vous présenter aujourd'hui. Je l'ai trouvé sur le blog d'un libertaire québécois qui, dans un billet tout de même assez intéressant (car les libéraux purs et durs sont tout de même des gens qui réfléchissent, il faut l'admettre), propose cette autre lecture de la situation (je me permets de citer un peu longuement) :

Il faut toutefois garder une chose cruciale à l'esprit: la réglementation — ou l'absence de réglementation — n'explique pas pourquoi il y a eu une bulle et un crash dans le secteur immobilier, mais bien pourquoi la bulle s'est développée surtout dans ce secteur. La bulle inflationniste a été causée par l'expansion monétaire, pas par ces politiques. Avant cette crise par exemple, il y en a eu une dans les marchés émergents (crise asiatique, du rouble, du peso, etc. vers 1996-98) puis dans le secteur des hautes technologies qui connaissait un engouement irrationnel à la fin des années 1990.

Cette fois elle a émergé dans l'immobilier. Mais elle aurait émergé quelque part de toute façon parce que l'argent créé par les banques centrales doit bien se rendre quelque part. Le surplus de liquidités finit toujours par émerger dans un secteur ou un autre même s'il est difficile de prévoir d'avance où ce sera. Sans ces politiques néfastes dans le domaine immobilier (ou avec une réglementation sévère qui aurait empêché toute la spéculation qui a eu lieu), la bulle aurait simplement émergé dans un autre secteur.

Il faut donc garder ces deux types de cause à l'esprit quand on parle des causes de la crise actuelle. La croissance monétaire est la cause fondamentale, alors que les interventions étatiques dans le domaine de l'immobilier ne sont qu'une cause accessoire.

En somme (et pour ceux qui n'ont pas lu la citation), les bulles sont la conséquence de l'inflation monétaire qui est le fait des banques centrales. Cette fois la bulle a eu lieu dans le secteur immobilier, mais elle aurait pu développer dans n'importe quel secteur, un peu comme les buboses de la peste qui peuvent apparaître à différents endroits du corps sans que cela change la nature de la maladie.

Je n'y avais jamais pensé à ce problème. Pour un libéral pur jus, l'argent lui-même est suspect, parce qu'il est "produit" par les états. Sa seule existence fait que le reste de l'économie est, pour nos libéraux bien aimés, corrompu par le vice de l'interventionnisme. Et puis, quand on pense qu'il y a des banques nationales et centrales qui décident de la valeur de l'argent... ça doit donner des cauchemars aux libéraux, se disant que le paradis libéral est encore bien loin. Quelle serait l'alternative, pourtant ? Le retour à l'or ? Le troc ? Adam Smith a pourtant bien montré l'intérêt de l'argent dans le développement des marchés... Voilà des problèmes que nous n'avons pas à résoudre, heureusement.

Donc, pour revenir à notre bulle inévitable, créée par une surabondance d'argent dans le monde, ce qui fait forcément rire, c'est que finalement, la crise n'est pas la faute des individus qui l'ont provoquée. Même si le libéralisme n'arrête jamais de chanter les mérites de la responsabilité individuelle, surtout comme argument contre toute forme de protection sociale, dès lors qu'il s'agit de traders qui s'en mettent plein les poches, soudain la faute est collective, les acteurs individuels sont dépassés par des forces historiques. Pauvres golden boyZ...

Le billet de ce libertaire date du 7 octobre. Entre temps, le Très Grand Homme (TGH) a sauvé la planète simplement en déployant quelques roulages de mécaniques bien dosés, et, suivant l'exemple de Gordon Brown, le véritable inventeur de la solution Européenne, a promis, à coup de centaines de milliards, de soutenir le système bancaire international. L'inflation monétaire créée par la titrisation des prêts immobiliers prédateurs qui avait en effet fabriqué de l'argent qui n'existait pas va être validée par l'ensemble des états du Premier Monde. La bulle de savon va devenir une bulle de marbre. Dans la crise, on avait peur "mais tout cet argent finalement n'existe pas!". Aujourd'hui, les états sont là pour dire "mais si il existe ! tiens, voilà, prends-en !"

Si donc notre libéral-libertaire a raison, les états sont en train de créer une nouvelle bulle qui multiplie par... combien ? dix, cent, mille ? ... la bulle d'hier. Dans quel secteur se fera la prochaine bulle, quand tout cet argent facile créera l'impression que la poule aux oeufs d'or est enfin revenue ?

Tous ces efforts aboutissent donc à éviter la claque qui aurait dû mettre les pratiques financières en phase avec la réalité. On a préféré modifier la réalité plutôt que d'accepter les conséquences de la bulle. L'intervention des états va différer la claque. Pour combien de temps ?

19 octobre 2008

Une Marseillaise si fragile ?

En 2001, quand la Marseillaise fut sifflée lors d'un match France-Algérie, je ne blogais pas encore, mais je me disais que j'aurais pourtant eu des choses à dire. Quand la même chose se produit en 2008, soudain je n'ai plus envie d'en parler. Comme l'a remarqué Juan avec justesse, ce match arrive au bon moment pour une droite qui, comme j'ai toujours autant de plaisir à dire, vient de se défaire de son sur-moi libéral et qui a besoin de se regrouper autour des bonnes vieilles valeurs colonialistes :

En France, certains ont fait beaucoup de vacarme sur une anecdote sportive, celle d'un hymne national sifflé pendant un match amical mardi soir. Une distraction de plus pour éviter de siffler les véritables mauvais joueurs.

(C'est rigolot : Benoît Hamon avait déjà parlé du "surmoi libéral" le 9 septembre, mais il parlait de celui du PS.)

Bref, se lancer dans la polémique à ce sujet, c'est, d'une certaine façon, apporter de l'eau au moulin UMP. Et puis les confrères ont déjà dit beaucoup de choses intéressantes et pertinentes sur ce sujet. Nicolas J. remet en perspective, ici et surtout ici (un petit bijou de billet) les faits de quelques "jeunes abrutis" qui sifflent. En effet, le danger du symbolisme footballistique, c'est que souvent les symboles sont laissés entre les mains de gens qui n'ont pas fait l'ENA, ce qui peut aussi en faire le charme.

Juan, sur son autre blog, se demande lequel est plus dangereux pour l'image Nationale : des sifflets lors d'un match et l'existence d'un Ministère de la Xénophobie, de la Pureté de la Race et du Codéveloppement. Et Mathieu L. (du blog au magnifique titre : Les privilégiés parlent aux Français et au Monde) nous fait aussi une mise au point historique qui vaut le détour. (Sans négliger les commentaires, d'ailleurs.)

C'est finalement en lisant ce très bon billet d'Olivier Bonnet que j'ai commencé à m'énerver, car je me suis senti revenu cinq ou six ans en arrière, surtout à 2005, année des émeutes des banlieues, quand Bernard Accoyer rendait la polygamie responsable des violences :

Deux causes sont rendues responsables de l'"arrivée massive" de nouveaux immigrants : le regroupement familial et la polygamie. Un lien qui ne fait aucun doute pour M. Accoyer : "Parmi les mineurs impliqués dans les délits, il y a une surreprésentation d'enfants issus de familles polygames", souligne le député de Haute-Savoie.

Tous les souvenirs reviennent : la racialisation de "l'insécurité", le débat sur le foulard, la paranoïa sur les "tournantes"... tous ces phénomènes de société d'un pays qui voulait oublier son passé colonial, qui voulait se laver de toute responsabilité les crimes coloniaux commis, qui voulait surtout ne pas voir de relation entre le passé colonial et les difficultés au présent. Et là, je me souviens comment tous ces événements ont servi la montée en puissance de Sarkozy, et soudain je comprends à nouveau l'endurance de Juan.

Olivier Bonnet rappelle donc

Bien sûr que le chef de l'État se doit d'être le premier indigné, lui qui s'est déjà affirmé depuis 2003 comme le champion des combattants contre les talibans siffleurs de Marseillaise, avec son "délit d'outrage au drapeau et à l'hymne national".

Et c'est là, franchement, qu'on a du mal à ne pas s'énerver, même si c'est inutile. La Marseillaise est-elle si fragile que quelques sifflets vont faire éclater la République?

Je n'ai pas constaté des effets remarquables après France-Tunisie.

  • Aucune fissure n'est apparue sur l'Arc de Triomphe.
  • La Tour Eiffel n'a pas commencé à rouiller.
  • Les colonies Françaises en Afrique du Nord n'ont pas subitement déclaré leur indépendance... (Ah, si ? C'était déjà fait ? J'ai dû oublier...)

Et puis zut...

14 octobre 2008

Le libéralisme comme drogue dure

L'une des leçons que la Crise est en train de nous apprendre sur le libéralisme et surtout sur le néolibéralisme, c'est que cette pensée ressemble pas mal à une drogue dure. Les rechutes sont fréquentes, inévitables. On finit par croire que la guérison est impossible, que la pathologie est irréversible.

Hier Dagrouik est allé cherché Alain Madelin (oui : Alain Madelin !). Voici l'extrait du compte-rendu de Télérama :

La crise des subprimes qui a mené à la cata actuelle, c'est tout simple. Une crise de la finance folle ? Pas du tout, tonne Alain Madelin. Très en amont de tout ça, il y avait "les meilleures intentions du monde". Ben oui, le gouvernement américain a exigé des banques qu'elles prêtent aux pauvres. Vous comprenez, "le rêve américain, tout le monde propriétaire de sa maison…". Bref, la preuve que les banques ne prêtent pas qu'aux riches. On a donc fait des lois pour forcer les banques à prêter. Et puis, catastrophe, ça finit en jus de boudin, en crise des subprimes. "C'est pas une crise de la dérégulation, explique prof Madelin, c'est une crise de la réglementation mal adaptée à la finance d'aujourd'hui."

La faute à l'Etat, donc, bien obligé, aujourd'hui de jouer les pompiers à 700 milliards de dollars. CQFD. Yves Calvi, un brin estomaqué : "On n'entend pas ça souvent ! Très intéressant comme analyse. Ça revient donc à dire que c'est à travers des mesures sociales voulues par l'Etat qu'on en arrive à une crise où les gens se retrouvent à la rue..."

Alain Madelin, goguenard, ravi de son petit effet : "Eh oui ! Ca s'appelle le fléau du bien."

"... le fléau du bien". Je n'ai pas de mal à imaginer Madelin "goguenard", ravi en effet d'avoir à nouveau ce rôle qui a toujours été sa raison d'être, celui du franc-tireur libéral en train de fustiger la pensée unique. Au fur et à mesure que le libéralisme devient la pensée unique, on a sans doute un peu moins besoin d'Alain Madelin. On ne va pas pleurer pour lui, quand même. Il paraît qu'il est désormais "gestionnaire de fonds d'investissement" (d'après Télérama). Vous êtes libres de l'imaginer en train de s'enrichir libéralement, et en train de remercier au nom de ses clients et en toute discrétion, les états du monde qui vont fournir du crédit facile au système bancaire.

Mais ce n'est pas vraiment de Madelin que je voulais parler, mais de son "message", qui n'est pas de lui, mais qui fait partie de la réponse officielle des néolibéraux, décidés de protéger leur bout de gras idéologique coûte que coûte, y compris si dans l'un ou l'autre des "coûte" il y a plus de mille milliards de dollars de fonds public qui sera nécessaire pour maintenir en vie le rêve libéral. Voilà le message : la crise des subprimes est la faute des régulations étatiques. Avec encore moins de contrôle sur les traders et les Golden Boys, le monde aurait évité La Crise.

Ce qu'il y a de magnifique avec cette réplique, c'est qu'elle est inépuisable. Tant qu'il existera des états qui se mêlent même de très loin à la vie économique, il sera toujours possible de dire que ce sont eux la source de tous les malheurs. Comme quoi le libéralisme peut conduire finalement à l'anarchisme. Un peu comme un premier joint mène à l'héro si on ne fait pas gaffe.

Pour une synthèse très complète et assez bien argumenté de ce raisonnement, vous pouvez consulter ce billet sur le blog Objectif Liberté, qui semble s'inspirer directement des sources américaines. Pour cet auteur, l'origine du mal est dans le statut mixte des organismes de prêt américains, Fannie Mae et Freddy Mac, censés aider des ménages modestes à accéder à la propriété, et dont on parle tant en ce moment, et il explique comment ces entités, bien qui privatisées (en 1968 paraît-il), ont gardé un fil gouvernemental à la patte, puisque leurs prêts continuaient à être garantis par le état fédéral :

En effet, afin de pouvoir privatiser la FNMAE, dont le portefeuille de prêts comportait un certain pourcentage de crédits de qualité plus que moyenne, le gouvernement dut leur donner un statut sur mesure de "Government Sponsored Enterprise" (GSE, entreprises privées d'état (!)), exempté de certaines taxes et de certaines formalités de présentation de comptes, en contrepartie d'une obligation inscrite dans les statuts de l'entreprise de continuer à avoir pour activité principale le refinancement de prêts immobiliers, et notamment les prêts aux ménages modestes, les fameux prêts subprime.

Notre blogueur libéral fait ici un raccourci, cependant, en assimilant à des subprimes absolument tous les prêts un peu sociaux consentis par Fannie Mae et Freddy Mac. L'une des définitions de subprime est justement un prêt qui est en-dessous des normes de Fannie Mae/Freddy Mac :

In the United States, mortgage lending specifically, the term "subprime" can be applied to "non conforming" loans, those that do not meet Fannie Mae or Freddie Mac guidelines, generally due to one of an array of factors including the size of the loan, income to mortgage payment ratio or the quality of the documentation provided with the loan.

Ainsi, pour être précis, il faut dire que les subprimes sont la conséquence du non respect des règles. Il faut dire aussi que pendant presque quarante ans, le statut presque privé des ces deux institutions de prêt n'a provoqué ni bulle ni crise. Seul un changement de comportement dangereux dans les dernières années peut expliquer ce qui est arrivé.

Pour Objectif Liberté, la responsabilité ultime de la crise des subprimes est dans le fait que la perspective des interventions de L'État, que ce soit pour garantir des mauvais prêts ou pour soutenir l'ensemble du système bancaire, encourage l'irresponsabilité des acteurs privés et conduit le système vers sa perte. Et sur ce plan, et formulé ainsi, je suis à peu près d'accord : le jeu bancaire s'était détaché - et c'est la nature même des bulles - de la réalité, les banques étaient protégées des effets de la Main Invisible. Elles n'avaient d'ailleurs pas tort, puisqu'aujourd'hui c'est à qui va leur fournir le plus de cash pour effacer les conséquences de leur cupidité stupide. C'est pour cela que je souhaite que l'issue de cette affaire soit tout de même désastreuse pour les banques. Même avec un sauvetage, il faut quand même que ça saigne.

En revanche, penser que la solution est de moins réguler le système bancaire, ou de ne plus garantir dépôts ou prêts, c'est s'aveugler à nouveau sur le rôle des banques dans le monde. C'est oublier les effets désastreux d'une perte de confiance dans les banques. J'imagine l'état des comptes du fond de pension géré par Alain Madelin si, en se moment, les Français étaient tous en train de retirer des espèces de leurs comptes pour charger à nouveau leurs matelas. J'imagine la tête collective de nos libéraux si nous étions devant une véritable crise de liquidités.

L'expérience de 1929 a prouvé que le secteur bancaire joue un rôle particulier dans la vie économique. L'exposer à toutes les exigences de la Main Invisible, c'est nous exposer à ces mêmes risques. Supposer que le marché saura toujours évaluer les risques à partir du moment où il y est vraiment confronté (et pas protégé par l'État), c'est, même avec le plus grand optimisme ou même une petite dose de naïveté, faire confiance au moins à la justesse de la perception de la réalité qu'ont les acteurs économiques, nos fameux traders en l'occurrence. Les bulles naissent justement quand les acteurs cessent de percevoir correctement la réalité, en croyant avoir enfin trouvé la poule aux oeufs d'or.

Difficile alors de leur faire confiance, même sur leur propre intérêt. Demandez aux anciens de Lehmann Brothers, ou aux autres, s'ils ont bien réussi leur coup. A force de trop fumer l'herbe néolibérale, ils ont fait n'importe quoi.

12 octobre 2008

Lisez le Monolecte

Un billet pour signaler simplement un magnifique billet du Monolecte. Si pour une raison quelconque vous ne l'avez pas déjà lu, allez-y tout de suite. Ça vaut le détour.

11 octobre 2008

Libéralisme : Marx a-t-il mangé le cerveau de Nicolas Sarkozy ?

Ce qui est presque aussi drôle que le discours de Toulon lui-même, ce sont les réactions de certains supporters de Sarkozy. J'imagine ce que doivent penser en ce moment par exemple les électeurs centristes dont le souci principal est la réduction de la dette.

Ou encore les libéraux. En ce moment, dans la blogosphère en tout cas, il est un peu moins agréable d'être libéral depuis quelques semaines. Raphaël Anglade nous rappelle que les leçons véritablement politiques de cette affaire ont été ignorées, y compris par la gauche. Leçons qui devraient mettre fin à des années de consensus, y compris à gauche, sur les bienfaits pour tous d'un marché régulé par la seule Main Invisible. Dagrouik, de son côté, s'en prend une fois de plus aux contradictions du discours libéral, cette fois à propos des LBO ou leveraged buyouts (où l'on achète une société en empruntant contre la valeur de cette même société, pour ensuite la saigner tout en s'en mettant plein les poches).

J'ai eu un plaisir énorme à dire, l'autre jour, que la droite était enfin en train de se libérer enfin son sur-moi libéral. Il est certain en tout cas que chez les libéraux, la "crise" est la source de bouleversements psychologiques profonds. On ne se débarasse pas d'un sur-moi comme d'une Porsche. Ça se travaille.

Prenez cet édito d'Yves de Kerdrel au Figaro. Le pauvre Monsieur de Kerdrel est déçu. Pire que déçu. Car il se trouve qu'il y a deux Nicolas Sarkozy, le bon et le mauvais. Le "bon" était celui qui allait remettre le travail et l'entreprise au goût du jour, un bon coup de pied au cul collectif des fainéants collectivistes. Le mauvais Sarkozy est l'Etatiste, le volontariste, l'avocat d'"un État paratonnerre, dans l'orage boursier, parapluie dans l'averse de mauvaises nouvelles économiques".

Plutôt que de reconnaître la schizophrénie du libéral qui souhaite malgré tout, malgré lui, l'intervention de l'État pour sauver ses amis banquiers et prévenir l'évaporation de ses biens, le patient préfère projeter la scission du soi sur quelqu'un d'autre. On ne va pas s'en plaindre, puisque la cible dans ce cas est le TGH lui-même.

Pourquoi donc y a-t-il deux Sarkozy ? Ce n'est pas vraiment un défaut du bonhomme, il semblerait, c'est la faute de la France.

Il y a deux Nicolas Sarkozy parce qu'il y a deux France. Il y a celle qui, en votant pour lui il y a dix-huit mois, a voulu voir enfin récompensés l'initiative individuelle, le travail, le mérite, l'audace, la création d'entreprise et de manière générale tous ceux qui se lèvent tôt pour produire de la richesse collective. Et puis il y a hélas - trois fois hélas ! - une France toujours envoûtée par le socialisme qui ne vit que par l'État, qui attend tout de la collectivité, et qui tire plus de la moitié de ses revenus des impôts que seuls payent une minorité de Français. Il y a cette France shootée depuis plus d'un demi-siècle à cette idéologie surannée qui a servi d'opium aux intellectuels germanopratins et d'instrument démagogique à un Valéry Giscard d'Estaing, un François Mitterrand et un Jacques Chirac.

Une infime minorité de Français, vaillants, forts, énergiques, travaillent et produit de la valeur, la majorité fainéante vit à leurs crochets. Bien entendu, les fonctionnaires sont des assistés aussi, à peine mieux que des RMIstes. La tragédie de la droite française, c'est qu'elle a beau occuper le pouvoir depuis tant d'années, elle ne peut le faire qu'en maniant ce même "instrument démagogique" : Giscard et Chirac sont donc tout aussi coupables que Mitterrand.

Ce n'est pas léger, ce dont Monsieur de Kerdrel accuse cette bande de gauchistes irréductibles (mais il faudrait ajouter Pompidou et De Gaulle aussi) : ce sont pour lui carrèment des marxistes, parce que, voyez-vous, le marxisme c'est tout d'abord la religion de l'État.

Que le pays ait pu s'endetter pendant un quart de siècle avec l'approbation de tous les partis sur le dos de ses petits-enfants, pour créer dans le même temps un million de postes de fonctionnaires, constitue une illustration parmi d'autres de ce marxisme qui n'ose dire son nom.

Chirac et Giscard étaient des marxistes ! J'avoue que je ne le savais pas. Car le marxisme se résume à ceci : "l'État est forcément meilleur que les individus." Exit la lutte des classes, le marxisme n'est rien d'autre que l'étatisme.

Il y a quelque chose d'étrange dans cette réaction troublée au discours de Toulon, de la part de quelqu'un qui a visiblement été un supporter inconditionnel du "candidat Sarkozy", séduit par les promesses de "rupture". Qu'un libéral s'inquiète devant les allures volontaristes de l'étatisme sarkozyën, c'est normal. Ou : c'était normal il y a encore quelques semaines, avant que l'ampleur de la crise banquaire devient le sujet politique unique. Ce qu'il y a d'étrange dans cet édito, c'est Monsieur de Kerdrel ne mentionne la crise banquaire qu'en passant : "les excès de quelques-uns et par cette cupidité qui a noyé le monde 'dans les eaux glacées du calcul égoïste', pour reprendre l'expression chère à l'auteur du Capital". Et il n'explique pas du tout ce qu'il ferait à la place du TGH. Car finalement, ce vrai libéral ne peut pas voir cette crise. Elle n'existe pas. C'est bien plus simple de procéder ainsi que de remettre en cause ses idées.

7 octobre 2008

Récession : les mots et les choses

Il a fallu au gouvernement Sarkozy une semaine environ pour prononcer un mot, "récession", après avoir chercher toutes les paraphrases possibles, dont la palme de la mauvaise foi va aller, une fois de plus, à Madame Lagarde, qui a trouvé "croissance négative", une manière de parler encore de croissance toujours en train de croître, à ce détail près que la croissance croît à l'envers. Détail "technique", comme dirait Éric Woerth, qui a fini par admettre qu'il y aurait peut-être une "récession technique", c'est-à-dire, évidemment, une récession qui n'existe que sur le papier, alors qu'en réalité tout va bien. Et même, par nature, il n'y a pas de récession en France. Oui, parce que, "par nature, la France n'est pas en récession" affirme ce même ministre. Entre la nature et la technique, c'est toujours la nature qui est plus forte, n'est-ce pas ? Chassez la récession et elle revient au galop...

Bref, beaucoup d'efforts rhétoriques pour éviter de dire qu'il y a une récession. On imagine que le TGH avait prévu de réserver un passage au savon particulier au ministre qui en parlerait le premier. Pourtant, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, car c'est lui qui avait prononcé le mot le premier, encore une fois dans l'un des moments comiques de son grand discours de Toulon :

Mais là aussi, je vous dois la vérité : dans la situation où se trouve l'économie, je ne conduirai pas une politique d'austérité parce que l'austérité aggraverait la récession. Je n'accepterai donc pas de hausses des impôts et des taxes qui réduiraient le pouvoir d'achat des Français. Car notre objectif, c'est de leur rendre du pouvoir d'achat et non de leur en prendre.

Voilà, c'était dit, le 25 septembre, bien avant toutes ces tergiversations autour d'un mot.

6 octobre 2008

Des subprimes, de l'écran de fumée sarkozyste et de la lutte à venir

Encore du rattrapage, et toujours à propos de cette "crise" qui a fait de notre Très Grand Homme (TGH) un grand anticapitaliste, ce qui est le seul moyen de sauver le capitalisme.

Que faire donc de cette nouvelle pousse dans la rhétorique sarkozyënne, cette idée de fabriquer un nouveau capitalisme qui sera juste, éthique, qui supprimera la rente, qui fera en sorte que tout le monde sera content, que le travail sera récompensé, la fainéantise sera punie, et tout le reste ? Évidemment, notre anti-sarkozysme, tout aussi primaire que le premier jour, nous dit que ces nouveaux sentiments carrément socialistes ("marché régulé" et tout ça) sont forcément mauvais signe, cachent quelque chose, des funestes manoeuvres à venir. Et, bien sûr, Sarkozy lui-même nous poussent vers cette interprétation, puisque son discours de Toulon aboutit à une Défense du Paquet, un coup sur les trente-cinq heures, la promesse de continuer de nous accabler de ses réformes. Beaucoup de bruit pour rien, comme d'habitude.

On a finit par comprendre, depuis le temps de "l'ouverture" dont on ne parle plus du tout, que chaque coup "à gauche" du TGH dissimule, plus ou moins bien, la subversion de la valeur au nom de laquelle la mesure est prise. Tout porte à croire que ce scénario familier va se répéter une nouvelle fois. La grande lutte contre le capitalisme va se traduire par une aide aux banques. Les contribuables paieront et les banques resteront intactes. Le monde de la finance continuera comme avant, avec, éventuellement, quelques inflexions réglementaires. Mais au fond, nous allons donner des sous aux banques. Quelle meilleure façon d'habiller une mesure qui videra la caisses déjà vides, qui va transférer la dette des banques vers la dette Nationale, qu'en disant que l'on va tout faire péter, que plus rien sera comme avant, que les traders seront fouettés en public. Que de plus économique que de payer ce bon peuple de mots.

Je ne prétends pas comprendre toute la mécanique des subprimes et leurs suites. Pas trader pour un sous, moi. Et je me méfie un peu des mondes parallèles que l'on pourrait imaginer pour remplacer le système actuel, qui seront irréalistes non parce qu'ils seraient moins bien faits que celui-ci, mais simplement parce que le présent système est déjà en place et que toute solution, si on imagine un consensus international sur la question, ce qui est déjà plus que douteux, toute solution doit non seulement marcher, mais pouvoir gérer la fin du présent système. Les interventions étatiques en train de se faire actuellement n'ont d'autre but que d'éviter le véritable cataclysme qui remettrait véritablement en cause les méthodes actuelles.

Mais en tout cas, il y aura cette négociation, ce jeu pour déterminer la part des états dans le gâteau à venir. Et la droite, une fois débarrassée de son sur-moi libéral (qu'il est doux d'écrire ces mots!) va lutter pour que l'État, et donc les contribuables présents et futurs, paient plus, pour que les banques et autre intérêts financiers paient moins. Nicolas Sarkozy, toujours aussi subtile, est déjà en train de créer l'écran de fumée pour permettre cette opération, pour foncer dans la dette - "c'est la faute à la crise" - afin soutenir nos pauvres banques françaises, victimes de... d'elles-mêmes.

Edit : Flûte! Un bout du billet de demain s'était imposé dans celui-ci. Mais ça y est, il est rentré dans son brouillon.

3 octobre 2008

Le brouillard idéologique

En parlant des cafouillages financiers à répétition de notre Lider Maximo et Président de l'Europe, Juan se demande si Sarkozy est "dépassé... ou ridicule ?". Sur de telles questions, nous sommes, ici à la Pire racaille, plutôt "fromage et dessert".

Hier, dans un billet vraiment trop long, en lisant le franchement ridicule discours de Toulon, je me suis rendu compte que toutes les gesticulations et les discours pseudo-révolutionnaires (si si, on va avoir une "Révolution culturelle" pour de vrai) n'ont servi qu'à justifier les bases de la politique sarkozyënne : le Paquet et le Bouclier qui nous protègent de la crise (qui aurait été bien pire si l'État avait entre 10 et 15 milliards de plus chaque année), la suppression des postes de fonctionnaires, la France des propriétaires, sans parler du fait qu'à l'origine, la vraie catastrophe, ce n'était pas l'irresponsabilité des banquiers et les prêts prédateurs, c'était bien sûr les 35 heures. Quand on supprime du discours de Toulon tout le bruit, on en arrive à : on continue comme avant. Devant le mur, le Très Grand Homme (TGH) appuie sur l'accelerateur. C'est ainsi que l'on reconnaît les Très Grands, je suppose, mais pour une fois j'aurais naïvement espéré que le TGH en question soit un peu plus lucide. Après tout, il s'agit de sauver les riches.

Malheureusement, même en pareil cas, il n'est pas si facile de sortir du brouillard idéologique réactionnaire. Tous les éléments du sarkozysme primitif, visibles dès les premières semaines de son mandat se manifestent de façon particulièrement pathologique : narcissisme d'Etat, esprit de clan et de caste, le tout caractérisé cette fois-ci par un décrochage avec la réalité. Les tirades contre le capitalisme en fournissent le meilleur exemple.

L'économie de marché c'est un marché régulé, le marché mis au service du développement, au service de la société, au service de tous. Ce n'est pas la loi de la jungle, ce n'est pas des profits exorbitants pour quelques-uns et des sacrifices pour tous les autres. L'économie de marché c'est la concurrence qui réduit les prix, qui élimine les rentes et qui profite à tous les consommateurs.

Le capitalisme ce n'est pas le court terme, c'est la longue durée, l'accumulation du capital, la croissance à long terme.

Le capitalisme ce n'est pas la dilution de la propriété, l'irresponsabilité généralisée. Le capitalisme c'est la propriété privée, la responsabilité individuelle, l'engagement personnel, le capitalisme c'est une éthique, c'est une morale, ce sont des institutions.

C'est d'ailleurs le capitalisme qui a permis l'essor extraordinaire de la civilisation occidentale depuis sept siècles.

La crise financière, que nous connaissons aujourd'hui, mes chers compatriotes, n'est pas la crise du capitalisme. C'est la crise d'un système qui s'est éloigné des valeurs les plus fondamentales du capitalisme, qui, en quelque sorte, a trahi l'esprit du capitalisme.

Si on essaie de vraiment comprendre ce que dit ici le Président de la R., on voit qu'il est (ou que Henri Guaino est) profondément déçu par ce qui arrive. Le capitalisme, ce n'est pas ça, le capitalisme, c'est des valeurs : l'effort, l'engagement personnel, l'éthique, la morale et tout le tralala. Le capitalisme est pour lui une sorte d'image d'Epinal où le bon père de famille se lève tôt, prend des risques financiers, achète une maison de lotissement pour abriter sa famille (souriante et obéissante). Il y a chez lui une profonde confusion entre un système économique où l'accumulation de capital facilite la poursuite de l'accumulation de capital, et où l'absence de capital rend plus difficile l'accumulation de capital, et un ensemble de valeurs qui sont censées accompagner ce système. Il est difficile de conclure autrement quand on lit que le capitalisme doit "éliminer les rentes" ! Allez dire une sottise pareil à Vincent Bolloré, il va vous priver de yacht pendant tout un mois d'été. Et si vous ajouter qu'on va supprimer les "profits exorbitants pour quelques-uns et des sacrifices pour tous les autres", ce sera deux mois, ou même pire.

Les français méritent la vérite, encore faudrait-il que notre président vive dans la réalité.

2 octobre 2008

Sarkozy à gauche, Omelette à droite

L'idée de la toute puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, cette idée de la toute puissance du marché était une idée folle.

L'idée que les marchés ont toujours raison est une idée folle.

Ce n'est pas Arlette. Ce n'est pas Olivier Besancenot. C'est notre Très Grand Homme (TGH). Je préviens quand même.

L'économie de marché c'est un marché régulé, le marché mis au service du développement, au service de la société, au service de tous. Ce n'est pas la loi de la jungle, ce n'est pas des profits exorbitants pour quelques-uns et des sacrifices pour tous les autres. L'économie de marché c'est la concurrence qui réduit les prix, qui élimine les rentes et qui profite à tous les consommateurs.

L'économie de marché élimine les rentes ? Je croyais que le but du marché était justement de se faire des rentes. Qu'on m'explique comment l'économie de marché élimine les rentes. Vraiment.

Le capitalisme ce n'est pas la primauté donnée au spéculateur. C'est la primauté donnée à l'entrepreneur, le capitalisme c'est la récompense du travail, de l'effort et de l'initiative.

J'y reviens à la fin du billet, mais au cas où vous décrocherez avant (car la route est longue), je préviens que je n'ai pas compris. L'entrepreneur entreprend pour augmenter son capital. Investir son capital (spéculer ou même se faire des rentes), c'est un peu le but. Me voilà perplexe. Mais ce n'est pas la première fois.

Ensuite Sarkozy découvre le socialisme :

Je veux le dire aux Français : l'anticapitalisme n'offre aucune solution à la crise actuelle. Renouer avec le collectivisme qui a provoqué dans le passé tant de désastres serait une erreur historique. Mais à l'inverse ne rien faire, ne rien changer, se contenter de mettre toutes les pertes à la charge du contribuable et faire comme s'il ne s'était rien passé serait également une erreur historique.

[...]

La crise actuelle doit nous inciter à refonder le capitalisme, le refonder sur une éthique, celle de l'effort et celle du travail, elle doit nous inciter à retrouver un équilibre entre la liberté nécessaire et la règle, entre la responsabilité collective et la responsabilité individuelle.

Il nous faut trouver un nouvel équilibre entre l'Etat et le marché, alors que partout dans le monde les pouvoirs publics sont obligés d'intervenir pour sauver le système bancaire de l'effondrement. Un nouveau rapport doit s'instaurer entre l'économie et la politique à travers la mise en chantier de nouvelles réglementations.

Jusqu'à Toulon, la crise n'existait pas ou n'allait pas toucher nos banques françaises si impeccablement gérées. Et maintenant, c'est déjà fini. Ouf!

Il faut tirer les leçons de la crise pour que la crise ne se reproduise pas. Nous venons de passer à deux doigts de la catastrophe, le monde est passé à deux doigts de la catastrophe, on ne peut pas prendre le risque de recommencer.

Je ne cite même pas les élucubrations sur les vilains patrons et les parachutes d'orés. Non que je veuille défendre les uns ou les autres, mais dans la bouche de Nicolas Sarkozy, les ficelles sont comme d'habitude trop grosses : il faut des coupables isolés et de préférence inconnus des téléspectateurs. Et moi qui avais compris que c'était le système qui était en cause... En somme, il faut distraire. Juan appelle ça le vacarme.

La monnaie est au coeur de la crise financière comme elle est au coeur des distorsions qui affectent les échanges mondiaux. Et si l'on n'y prend pas garde le dumping monétaire finira par engendrer des guerres commerciales extrêmement violentes et ouvrira ainsi la voie au pire des protectionnismes. Le producteur français peut faire tous les gains de productivité qu'il veut ou qu'il peut. Il peut à la rigueur concurrencer les bas salaires des ouvriers chinois, mais il ne peut pas compenser la sous-évaluation de la monnaie chinoise. Notre industrie aéronautique peut être aussi performante que possible, elle ne peut pas lutter contre l'avantage de compétitivité que la sous-évaluation chronique du dollar donne aux constructeurs américains. (C'est moi qui souligne, o16o.)

Attendez que je détache les phrases qui sont peut-être les plus hilarantes de ce discours :

Le producteur français peut faire tous les gains de productivité qu'il veut ou qu'il peut. Il peut à la rigueur concurrencer les bas salaires des ouvriers chinois, mais il ne peut pas compenser la sous-évaluation de la monnaie chinoise.

Le rêve de la droite et du MEDEF : le salaire des ouvriers français ramené à sa juste valeur, celle des "bas salaires des ouvriers chinois", mais, comble de l'injustice!, même si la France devait atteindre ce noble objectif - qui consisterait à diviser les salaires par combien ? dix ou vingt ? - même alors ces chinois qui trichent avec leur monnaie auraient un avantage sur nous. (Tiens, c'est bizarre, on dirait que notre monarque élu n'a plus peur de fâcher les chinois. Car je crois que le sujet de la monnaie chinoise est assez sensible...).

Voilà donc pour la responsabilité individuelle et le gagner-plus.

Je suis convaincu que le mal est profond et qu'il faut remettre à plat tout le système financier et monétaire mondial, comme on le fit à Bretton-Woods après la Seconde Guerre Mondiale. Cela nous permettra de créer les outils d'une régulation mondiale que la globalisation et la mondialisation des échanges rendent indispensables. On ne peut pas continuer de gérer l'économie du XXIème siècle avec les instruments de l'économie du XXème. On ne peut pas davantage penser le monde de demain avec les idées d'hier.

Hah! Je ris encore. Ant s'est déjà moqué de ce nouveau Bretton-Woods que Sarkozy a pris dans la contribution Urgence Sociale. Comme visiblement je me place désormais à droite de Nicolas Sarko-Trotsky, je renvoie à mon billet assez critique de ce nouveau Bretton-Woods, qui reste tout à fait compréhensible d'un point de vue de gauche, mais carrément risible en provenance de la droite-qui-fut-dure.

Je passe sur les élucubrations sur l'Europe, pour m'arrêter sur ce qui est peut-être un petit bijou :

En tant que Président de l'Union, je proposerai des initiatives en ce sens dès le prochain conseil européen du 15 octobre.

Il est vraiment, lui-même, Président de l'Union ? Je sais que c'est la "Présidence Française", mais je n'étais pas au courant de l'existence d'un poste "Président de l'Union". Dites-moi si je me trompe. François Fillon est-il du coup "Premier ministre de l'Union" aussi ?

Je le dis avec la même détermination : si les difficultés actuelles devaient entraîner une restriction du crédit qui priverait les Français et les entreprises, en particulier les PME, des moyens de financer leurs investissements ou d'assurer leur trésorerie, l'Etat interviendrait pour que ces financements puissent être assurés. Il le ferait par des cautions, par des garanties, par des apports en capital ou par une modification de la réglementation bancaire, mais il le ferait pour éviter que par un engrenage fatal l'économie privée de financements s'enfonce durablement dans une récession que nous n'accepterons pas.

Je ne veux pas être le défenseur de la Main Invisible, mais après tout, maintenant que je suis de droite, ça va devenir une seconde nature. En "soutenant" ainsi les PME, n'est-ce pas un signe d'encouragement envers les banques : faites des mauvais prêts, l'État est là!

J'y ajouterai des mesures fortes pour que les programmes immobiliers en cours puissent être menés à bien et pour que des terrains appartenant au secteur public soient libérés pour y construire de nouveaux logements, ce qui contribuera à la baisse des prix qui avaient atteint des niveaux parfaitement excessifs.

Idem. Allons-y, on va tous être des propriétaires endettés, c'est la solution. Dedalus nous rappelle d'ailleurs qu'il n'y a pas si longtemps, le "candidat Sarkozy" rêvait de subprimes à la française...

Face au ralentissement de l'activité se pose naturellement la question de la relance de notre économie. Cette relance nous l'avons engagée, bien avant tous les autres, avec les mesures prises il y a un an sur les heures supplémentaires, la possibilité de déduire les intérêts de ses emprunts immobiliers, la suppression des droits de succession, le crédit d'impôt recherche, auxquels se sont ajoutées d'autres mesures comme le déblocage de la participation.

Ce soutien apporté à l'activité nous a permis de mieux résister à la crise.

Là, c'est presque aussi drôle que le morceau sur les salaires franco-chinois. Une seule interprétation possible de cette défense du Paquet : la dette, c'est bien. Les 10 et 15 milliards perdus par an pour rien, c'est bon pour le moral. On ressent un peu mieux ce que c'est d'être une grande banque en ce moment.

L'argent de l'Etat, c'est l'argent des Français. Ils ont travaillé trop dur pour le gagner pour que l'on ait le droit de le gaspiller. On a gaspillé l'argent des Français lorsqu'on l'a dépensé pour financer les 35 heures avec les résultats catastrophiques au plan économique et social que l'on connaît.

Là, je cite juste pour le plaisir. Comme tout le monde sait, le désastre économique n'était pas les subprimes, mais les 35 heures. C'est là où l'on commence à comprendre pourquoi Sarkozy, Lagarde et Cie étaient si lents à reconnaître l'existence d'une crise économique et financière internationale : il n'y avait aucun lien avec leurs ennemis héréditaires, les socialistes. Maintenant que Sarkozy est lui-même socialiste, ça va être plus compliqué. L'aveuglement de la guerre des clans a mal servi la France pour le coup.

La référence aux 35 heures n'était pas un hasard, même si c'est un réflexe. (Guaino et les autres doivent tester leurs Waterman en écrivant "c'est la faute des 35 heures".) Cette référence annonce le véritable message de Toulon, une fois débarrassé de toute l'hypocrisie altermondialiste : on ne change pas une stratégie qui ne marche pas. Ainsi :

Alors pour retrouver des marges de manoeuvre et pour préparer l'avenir, les dépenses de fonctionnement de l'Etat doivent diminuer. L'année prochaine, c'est donc un total sans précédent de 30 600 emplois publics qui seront supprimés dans la fonction publique. La révision des politiques publiques sera menée avec beaucoup de célérité. La réforme de l'hôpital permettra d'améliorer l'accès aux soins tout en supprimant des dépenses inutiles. Les agents hospitaliers seront intéressés à l'équilibre de leur budget et partout les fonctionnaires seront associés aux gains de productivité dans la fonction publique. C'est une véritable révolution culturelle que nous mettons en place et qui va modifier en profondeur les comportements.

"Révolution culturelle"...

Mais là aussi, je vous dois la vérité : dans la situation où se trouve l'économie, je ne conduirai pas une politique d'austérité parce que l'austérité aggraverait la récession. Je n'accepterai donc pas de hausses des impôts et des taxes qui réduiraient le pouvoir d'achat des Français. Car notre objectif, c'est de leur rendre du pouvoir d'achat et non de leur en prendre.

La dette, libérons nous par la dette ! Les 30 600 postes supprimés dans la fonction publique auront bon dos...

Comme une telle conclusion pourrait laisser un goût un peu aigre dans les oreilles de certains, Sarkozy revient au Grand N'Importe Quoi pour finir la séquence.

Il faut opposer l'effort du travailleur à l'argent facile de la spéculation, il faut opposer l'engagement de l'entrepreneur qui risque tout dans son entreprise à l'anonymat des marchés financiers, il faut opposer un capitalisme de production à un capitalisme de court terme, il faut accorder une priorité à l'industrie au moment où l'étau de la finance se desserre, voilà tout le sens de la politique économique que nous voulons conduire.

Quelqu'un pourrait-il expliquer au Très Grand Homme (TGH) que dans "capitalisme" il y a "capital", et que la spéculation qui est source de tous les maux n'est autre chose que l'une des manières de profiter de son capital (quand on en a).