Sans internet fixe, je tombe sur le compte-rendu dans Libération (du 6 juin, page 2) des paroles de François Fillon au meeting UMP de Lyon. Bien sûr, depuis que le poste de premier ministre a été sarkozyzé, et réduit au statut de valet du "hyper-président", Fillon doit ressentir de s'affirmer comme il peut, et taper virilement sur la gauche est un moyen comme un autre.
Les sarkozystes sont en train de se lâcher, de plus en plus, en laissant apparaître tout le fiel accumulé depuis 12 ans contre le premier président de la première Union de la Majorité Présidentielle. Ainsi Fillon se permet de se moquer de Chirac, qui ne parlait aux Français "que le 14 juillet et le 31 décembre". Histoire de s'accomoder d'un président qui s'exprime tout le temps, et du coup prive le loyal Fillon d'une certaine visibilité, ou d'une certaine crédibilité. On peut se demander pendant combien de temps le brave François se contentera de son rôle subalterne. Comment ne pas finir par avoir la grosse tête lorsqu'on est premier ministre, quand même. Il se sentira obligé de taper sur ses ministres bientôt, pour montrer qu'il en a...
Mais revenons à ses attaques contre la gauche...
On ne peut pas s'attendre à des paroles très mesurées, dans un meeting UMP, à Lyon de surcroît, donc il ne faut pas trop s'en émouvoir. Mais il y a dans ces attaques quelque chose de nouveau qu'il faudrait réussir à cerner.
Prenons par exemple ceci:
Le Parti socialiste hurle au débauchage et à la traîtrise, parce qu'il sait, au fond de lui-même, que cette ouverture révèle sa vacuité intellectuelle et son conservaisme politique. La gauche s'énerve parce qu'elle sent que nous sommes en train de bousculer les frontières idéologiques et partisanes derrière lesquelles elle prospérait au chaud.
Je ne sais pas dans quel univers parallèle Fillon estime que la gauche prospérait. Cette idée fait partie de la stratégie de "rupture" : convaincre, incroyablement, la France qu'elle a été gouvernée jusque-là par la gauche. Comme si le quatrième mandat de Mitterrand venait de s'achever. Enfin la droite vint!
Le paradoxe de la droite dans une démocratie, c'est qu'elle doit convaincre le plus grand nombre de soutenir des gouvernments qui vont favoriser l'élite économique, contre eux. Je sais que cela fait très "lutte des classes", c'est démodé, et, pire, ce n'est pas l'angle je préfère pour analyser la situation politique moderne. Pourtant, les mesures de Sarkozy, en prenant systématiquement chez ceux qu'on appelait jadis "les pauvres" pour faire des cadeaux à ceux qu'on appelera toujours "les riches", sont en train de rendre pertinent à nouveau cette vieille histoire. Ce sera peut-être l'héritage de Sarkozy : le renouvellement de la conscience de classe.
Le problème aujourd'hui, c'est que les droites trouvent beaucoup de raisons pour convaincre les électeurs à se faire flouer: le FN, visant le prolétariat blanc raciste (ou plutôt en le créant, ce qui est bien plus malin), en a fait son fond de commerce, au point où Sarkozy a repris la lecture lepeniste de la situation post-coloniale. La sécurité est le thème par excellence, accompagné d'une dose de racisme parfois, capable de convaincre de voter contre ses intérêts économiques, puisque l'insécurité, réelle ou imaginée, touche davantage les classes les moins aisées. En ne faisant que des bêtises sur ce sujet lorsqu'il était à l'Intérieur (dérives liées aux primes au "rendement" individuel pour les policiers, suppression de la police de proximité), mais en en parlant très fort (Kärcher, Racaille), Sarkozy s'est fait le symbole d'une France sécurisée. Les heures sup' du "travailler plus pour travailler plus" sont de la même manière construites pour laisser les honnêtes gens imaginer qu'on pense à eux, alors qu'en réalité ce n'est qu'une façon d'enfin "baisser les charges" (j'ai l'impression qu'on n'utilise plus cette expression) pour les entreprises.
C'est curieux d'entendre que l'ouverture du gouvernement Sarkozy est la démonstration de la "vacuïté intellectuelle" de la gauche. La gauche en ce moment ferait mieux d'être un peu plus vide intellectuellement. L'ouverture sarkozyen est possible, justement, parce qu'il n'y a aucune théorie de la société dans cette droite qui faire de la rupture en reprenant les mêmes têtes et les mêmes idées. Sarkozy possède bien une théorie de la centralisation du pouvoir, mais il ne faut pas se faire d'illusions sur le contenu des "réformes" qu'il va mener: ce sera ce que la droite a voulu imposer depuis des décennies, sans oser jusqu'à présent surmonter ses "complexes": imposer des restrictions sur l'immigration, baisser les charges sociales, défaire les 35 heures, remettre en cause l'Etat providence...
Les deux derniers éléments dans cette liste pourraient surprendre: Sarkozy dit ne pas vouloir remettre en cause les 35 heures. Finalement il va profiter des 35 heures pour arriver au but véritable (et traditionnelle) : réduire les charges patronales. La suppression des charges sur les heures sup' va non seulement encourager les employeurs à rallonger considérablement la durée réelle du travail, et ce en faisant des économies, autant d'argent qui manquera au système de partage auquel les Français floués continuent à faire confiance. Le maintien de l'Etat providence (retraites, allocations chômage, RMI) sera d'autant plus difficile que l'Etat-UMP continuera à mettre la main sur ses ressources. (Il y avait un excellent article chez Betapolitique à ce propos, mais je ne peux pas retrouver le lien en ce moment.)
Il y a quelque chose de typiquement français dans cette manière d'ajouter une nouvelle mesure (heures sup') pour en "corriger" une autre (35 heures), sans rien abroger, et ce au prix d'une nouvelle complexité administrative. (Rappelez-vous la suppression de la Pentecôte par Raffarrin.)
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