Premier paragraphe de l'entretien de Rachida Dati dans le Monde:
Le sens des interventions de Nicolas Sarkozy n'a jamais été la remise en cause du travail des juges ou de leur indépendance. La justice a pour fonction de protéger la société, de défendre les victimes, et non de protéger les délinquants. Je veux remettre les victimes au cœur de la justice et donner à celle-ci les moyens de mieux lutter contre la délinquance la plus grave, celle qui crée le plus de troubles. Les Français ont élu le président de la République sur un projet, qui incluait ce que nous proposons pour la justice.
Pour s'échauffer un peu, relevons d'abord ce même thème de la légitimité politique : "Les Français ont élu le président de la République sur un projet, qui incluait ce que nous proposons pour la justice." Ils n'arrêtent pas avec ça, et on se demande pendant combien de temps ils pourront tout fonder sur la campagne présidentielle. C'est bon pour les premiers mois d'un mandat, mais quand nous en serons au troisième ou quatrième projet?
Mais parlons plutôt de ce que dit la Garde des Sceaux sur la justice. Premièrement, cette phrase Le sens des interventions de Nicolas Sarkozy n'a jamais été la remise en cause du travail des juges ou de leur indépendance. Pourquoi la forme négative ? En effet, Nicolas Sarkozy n'a pas dit pendant la campagne qu'il mettrait la magistrature sur une courte laisse et qu'elle servirait surtout à le venger de la manipulation Clearstream et à protéger Arnaud Lagardère. Ces choses là ne se disent pas, et la France qui se lève quand le réveil sonne n'aurait pas compris. On ne peut pas dire, en revanche, que ce soit un signe très fort dans le sens de l'indépendance de la justice.
En regardant la forme que prend le pouvoir sarkozyen, ce qui saute aux yeux, c'est le brouillage des contours des domaines du pouvoir: entre les branches exécutives et législatives, entre l'Etat et l'entreprise, entre le pouvoir et l'UMP, entre le pouvoir et la presse (TF1, LCI, Paris-Match (à tel point que même les journalistes de la revue protestent, mais aussi l'auguste Monde), entre la présidence et le gouvernement, et ainsi de suite. Il restait (ou : il reste) à savoir quel serait l'attitude de Sarkozy vis-à-vis de la justice.
Etant mauvais esprit, je dois dire que la chose se présente mal, sans qu'il y ait véritablement encore de confirmation. Il y a d'abord les antécédents de notre Lider Bien-Aimé lorsqu'il était à l'Intérieur (merci à Juan à Sarkofrance: ça fait froid dans le dos). Ensuite, vous avez cette expansion permanente du pouvoir avec brouillage des frontières. Une justice indépendante est, évidemment, l'un des contre-pouvoirs les plus essentiels à l'état de droit (mais pas forcément "de droite"). Puis la nomination d'une Garde des Sceaux qui, malgré ses qualifications, est d'abord connue comme figure essentielle de Team Sarkozy, et ses déclarations assez tièdes sur l'indépendance de la magistrature. Et on rajoute sa proposition pour rendre la Justice plus efficace:
Je veux mettre en place une véritable gestion des ressources humaines de la magistrature. Il s'agit pour moi d'un chantier prioritaire. Je souhaite que les magistrats soient accompagnés tout au long de leur carrière, que leurs compétences soient mieux identifiées, que leur parcours soit mieux valorisé, en interne et en externe, qu'il y ait une meilleure adéquation entre compétences et fonctions. Les talents de la magistrature ne sont pas suffisamment reconnus à mes yeux.
A première vue, on dirait une gentille réorganisation, simple renforcement de la DRH de la Justice. Peut-être que ce sera que ça. Espérons. Le problème que j'anticipe (en mauvais esprit, vous êtes prévenus), c'est que cette gestion améliorée de la carrière des magistrats soit une manière d'exercer un contrôle plus subtil des juges. Même s'il n'y a plus, ou moins, des coups de fil pour donner des ordres ("lâchez Arnaud, c'est un pote au patron"), les juges qui deviennent embêtants pourraient ainsi recevoir des mauvaises notes, ou surtout, savoir à l'avance qu'ils risquent d'en recevoir s'ils s'acharnent trop sur des dossiers "sensibles".
Et j'arrive maintenant au sujet qui m'intéressait en premier. Reprenons une autre phrase du milieu du texte cité en début de post: La justice a pour fonction de protéger la société, de défendre les victimes, et non de protéger les délinquants. Ce que je trouve inquiétant, c'est l'idée que le rôle de la Justice est d'intervenir dans un combat entre des groupes déjà constitués, les victimes et les délinquants. Bien sûr, il y a dans notre Grande Nation des délinquants et des victimes, et moins il y en a, des deux camps, mieux c'est. Cela va de soi. Mais, moi, qui suis non seulement mauvais esprit, mais aussi un grand naïf, je croyais que le rôle de la justice était de décider si quelqu'un est, ou non, un délinquant, et, le cas échéant, de le punir. Mademoiselle Dati procède comme s'il fallait prendre parti dans une lutte entre deux groupes déjà définis. La présomption d'innocence, c'est-à-dire la protection non des victimes, mais de ceux qu'on accuserait d'être délinquants, sera réservé aux cols blancs, avec mention spéciale pour les hommes politiques.
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