Chers lecteurs, je vous prie de bien vouloir m'excuser d'avoir, une fois de plus, inclus un mot vulgaire dans le titre d'un billet. Vous comprendrez que je m'efforce de suivre l'exemple de notre Très Grand Homme (TGH) en appliquant les nouvelles valeurs de la République : la spontanéité, la modernité, la transparence... Disons que c'est ma petite contribution, ma modeste contribution, à la lutte contre les conservatismes. Je pensais bien que vous, chers lecteurs, sauraient comprendre cette nécessité...
Un peu par hasard, je viens de tomber sur la fin du discours sur l'école primaire que Nicolas Sarkozy prononça à Périgueux le 15 février, où il revient sur la politique de civilisation qu'il met peu à peu en place depuis deux mois.
Mesdames et Messieurs, il y a quelques semaines, j'ai parlé de « politique de civilisation ». Vous le voyez, cette notion revêt pour moi un sens très concret. Elle consiste à rappeler la plus haute mission de la politique et de déterminer les conditions du vivre-ensemble. La politique doit rendre possible le vivre-ensemble. Or vivre ensemble ne va pas de soi. Vivre ensemble implique des règles, clairement énonçables et clairement énoncées. Ces règles elles-mêmes reposent sur des valeurs communes, un idéal humain, idéal humain qui est le seul garde-fou contre la barbarie, parce que la barbarie vient aussi de l'homme.
L'essentiel est là, mais, pour votre pur plaisir de lecteurs, je prolonge la citation jusqu'au bout, tant ce morceau est typiquement vaseux :
Et bien, inscrire ces valeurs dans la réalité est en notre pouvoir : cela s'appelle l'éducation. Une éducation qui n'aurait pas peur de s'adresser à l'homme tout entier, c'est-à-dire à l'être humain, tant il est vrai que l'on ne peut cultiver les esprits sans élever les coeurs, que l'on ne peut instruire sans éduquer. J'espère que vous aurez compris que mon message était un message qui venait du coeur et qu'il visait à participer au grand débat sur l'Education nationale.
Je vous remercie.
Ah, ça venait du coeur! Ah, ça visait à parler de l'Éducation nationale ! C'est réussi...
Mais je ne voulais pas juste me moquer, mais essayer de participer au grand débat sur ce qu'il peut bien entendre par "politique de civilisation" et "vivre ensemble". Les deux formules (je ne parle même pas d'idées) sont censées sonner comme si elles contenaient la recette d'une société harmonieuse fondée sur la reconnaissance les uns des autres, sur, à peu près, la solidarité ou même la fraternité. Sauf que, pour accéder à ces valeurs de gauche qui sont seulement évoquées, jamais prononcées, mais que l'on pourrait appeler la carotte républicaine, il faut passer par le bâton sarkozyste (non, Nicolas, pas celui-là!) : "Vivre ensemble implique des règles, clairement énonçables et clairement énoncées." D'où ce discours disciplinaire passéiste : un enfant, il a besoin de règles ; si tu déconnes, t'auras une claque. Le "vivre ensemble", ce n'est pas la reconnaissance de l'autre, c'est, dans l'éducation, la soumission à l'Autorité. Le rempart contre la barbarie, c'est la soumission à l'Autorité.
Effectivement, les enfants ont besoin de règles. Effectivement, une société ne peut pas fonctionner sans règles, sans ordres. Je ne suis pas un anarcho-dolto-soixantehuitard. Quand même. J'essaye juste de comprendre ce que le TGH entend vraiment quand il parle du "vivre ensemble".
Et si on essayait de mieux comprendre, en allant un peu plus loin dans le mauvais esprit ? Reprenons cette phrase :
Ces règles elles-mêmes reposent sur des valeurs communes, un idéal humain, idéal humain qui est le seul garde-fou contre la barbarie, parce que la barbarie vient aussi de l'homme.
Dans le discours, quand il parle de "barbarie", il fait allusion à la "barbarie" nazi, car deux pages plus tôt il vient d'essayer de défendre sa brillante idée de confier la mémoire des victimes de la Shoah aux écoliers.
C'est dans ce cadre que s'inscrira l'initiation des enfants à ce que fut le drame de la Shoah en leur confiant la mémoire d'un des 11 000 enfants victimes de cette tragédie. Il s'agit d'une démarche contre tous les racismes, contre toutes les discriminations, contre toutes les barbaries, à partir de ce qui touche les enfants, c'est-à-dire une histoire d'enfant qui avait leur âge.
Ce qui est étrange dans cette pensée, c'est que la "barbarie" est présentée comme le contraire finalement de l'Autorité. Si tu laisses tes enfants faire n'importe quoi, ils deviendront de vrais petits sauvages. La barbarie pour Sarkozy, c'est l'absence de respect de l'autorité. Mais quand il parle de la Shoah, la comparaison devient un peu plus compliquée. Car la "barbarie" de la Shoah n'était pas due à un manque de discipline, à un manque de Respect envers l'Autorité. Au contraire : c'est l'excès de ces mêmes valeurs qui, combiné avec une idéologie raciste et xénophobe, a permis la "Solution Finale".
Pourquoi alors insister autant sur la lutte entre la "barbarie" et la "civilisation" ? Avec cette "politique de civilisation", le véritable but est de "civiliser" les indigènes. Sarkozy veut que les écoliers se lèvent quand on chante la Marseillaise, signe de respect qu'il met au même rang que les "règles de politesse ou de courtoisie". Il explique, dans le même discours : "Dans les conceptions qui sont les miennes, l'hymne national ne se siffle pas, le drapeau pour lequel nos anciens sont morts, on se lève quand on écoute l'hymne national." Evoquer l'hymne national "qui ne se siffle pas", c'est évoquer ce célèbre match France-Algérie où les français d'origine maghrebine ont sifflaient la Marseillaise, c'est donc montrer du doigt ces indigènes (j'emploie à dessein le terme colonial) qui ne respectent pas les valeurs de la République. "Le vivre ensemble", c'est donc vivre ensemble par obligation, par peur de l'autorité, et pas par respect de l'autre. Sympa.