Non, l'Assemblée Nationale ne s'est pas soudainement rebiffée contre l'hyperprésident. Cependant, on commence à voir se dessiner l'ombre de ce qui pourrait être le seul contre-pouvoir dont le pays disposera pendant ce quinquennat.
J'explique.
Depuis que les Très Grand Homme (TGH) a commencé à "habiter sa fonction", ses amis et ses nombreux ennemis ont pu constater sa grande capacité à gérer les différents obstacles qui se présentent, ou justement qui ne se présentent pas, parce qu'il les a anticipés et neutralisés. Même la résistance syndicale, qui pourtant devrait être féroce au vu de ce qui est proposé (nouveau contrat de travail, suppression du droit de grève), ne semble pas se cristalliser. Le dossier de la réforme des universités a été conduit pour éviter à tout prix (ou presque) la confrontation directe, notamment sur la question de la sélection en première année. Ou plutôt: tout a été fait pour éviter que le conflit se durcisse, que le partage entre les pro- et anti- sarko se fige pour que la vraie bagarre puisse commencer.
Les convertis au sarkozyzme diraient que c'est là le signe de son grand pouvoir de rassembler le peuple, et de sa très grande ouverture politique. Oui, mais...
Sur la scène européen, Sarkozy continue à être celui qui veut dire "oui" à tout le monde. Les autres pays s'inquiètent (évidemment!) de la fiscalité et des déficits français ? Pas de problème! Ou en tout cas : promis, je ferais de mon mieux.
[Les ministres des finances éuropéens] ont répété à la France qu'elle devait tenir les engagements pris dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, et face à cette pression, de plus en plus forte depuis son élection en fait, le chef de l'Etat a commencé à donner quelques gages, notamment en affirmant qu'il ferait tout son possible pour atteindre l'équilibre budgétaire en 2010, même s'il n'a pas renoncé à la date de 2012 qui suscite des critiques dans les différentes capitales européennes. (chat avec Philippe Ricard dans Le Monde)
Bien sûr, ces promesses faites à l'Europe peuvent toujours être utiles en France, si le Président décide de supprimer quelques postes de plus à l'Education Nationale. Mais ce qui me semble plus important, c'est que Sarkozy est toujours prêt à aller assez loin, du moins dans les paroles (mais puisqu'il fait toujours tout ce qu'il dit... a-t-on le droit de douter de sa Très Grande Sincérité ?), afin d'éviter qu'on puisse lui adresser des reproches.
Sur le plan bien plus trivial (mais hautement symbolique) de la carte bancaire de Madame Sarkozy, l'Elysée a fait une retraite quasi instantanée à partir du moment où la question a franchie le seuil des contestataires (Le C. Enchaîné et Rue89) pour arriver sur la grande scène médiatique. Une histoire de carte bancaire ne pouvait pas être la première ouverture dans l'armure médiatique.
Est-ce simplement la bonne gestion de l'image? Oui, ils sont habiles en com', c'est évident. Ils ont appris beaucoup grâce au cas Juppé (en premier ministre), qui, lui, n'a pas su éviter que l'opinion se renverse contre son gouvernement. Tout de même, c'est étonnant, de la part d'un président qui visiblement veut projeter l'image de quelqu'un de très fort, qui veut "vider le centre" et "asphyxier" la gauche.
La question que je voudrais poser est donc celle-ci : de quoi Sarkozy a-t-il peur ?
On dit qu'il prépare déjà sa réélection, ou qu'il veut éviter une déconvenue aux municipales. Oui, certes. Mais est-ce si important? Une mini-claque aux municipales ne l'empêcherait pas de faire ce qu'il veut. Non? Son pouvoir serait si fragile qu'une vaguelette vaguement rose pourrait le balayer? Jamais un président de la Ve n'a disposé d'autant de contrôle sur les différentes branches de l'État et sur son propre parti. (Dans Le Monde: "le vrai président de l'UMP, c'est Nicolas Sarkozy pour une majorité écrasante des militants", ont assuré plusieurs ténors et militants du parti.) Sait-il quelque chose que nous ignorons ? Un talon d'achille quelque part ?
J'ai deux hypothèses. Elles n'en font qu'une, peut-être. La première, c'est que Sarkozy a surtout peur de la droite. Il sait qu'il y a des requins qui lui tournent autour, qui ne disent rien pour l'instant, mais qui n'hésiteront pas à mordre à la première goutte de sang dans l'eau.
La deuxième hypothèse est un peu plus subtile. Nous commençons à comprendre un peu le personnage. Sarkozy a deux défauts qu'il transforme en forces: le narcissisme et la paranoïa. C'est le schéma habituel : l'homme qui doit paraître grand parce qu'il sait qu'il est petit; l'homme qui doit paraître fort parce qu'il sait qu'il est vulnérable. Il est très certainement moins vulnérable qu'il ne le croit. Il a quand même résisté à l'imbroglioi Clearstream, mais ça n'a pas dû le guérir de sa paranoïa. Plus profondément, au fond du psyché sarkozïen, il y a une blessure profonde, un trou qu'il faut à tout prix combler avec des symboles de puissance. Il faut donc plaire à tout le monde, et presque littéralement à tout le monde. C'est un défaut qui est un avantage en politique, lorsqu'on est habile comme lui. Si on réussi à se faire aimer de tout le monde, on est élu.
En revanche, on peut imaginer que lorsque cette bulle éclate, il y aura des dégâts.
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